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Contribution à l'étude du fléau émotionnel

© acorgone, le 7 octobre 2003

La peste, ou fléau, émotionnelle est cette disposition du caractère de l'impuissant orgasmique qui retourne dynamiquement toute la haine qu'il éprouve pour lui-même vers les autres, en prenant en particulier quelques personnes libres pour cibles de sa malséance, car il ne peut supporter cette liberté qui lui manque tant, chez les autres, et les détruit socialement par la calomnie, les faux-semblants, les sous-entendus, le mensonge, la sournoiserie. Ce caractère a été décrit par Wilhelm Reich dans sa Fonction de l'orgasme et Le meurtre du Christ, et aussi par M.F. Hirigoyen dans son livre Le harcèlement moral ; c'est le caractère Iago dans Othello de W. Shakespeare, le Yaho de Swift dans ses Voyages de Gulliver. Le terme "peste" ou "fléau" se justifie par le fait que l'entourage du pestiféré en action est comme interdit dans la défense de sa victime, il est contaminé parce que cette peste sollicite un fond latent du même fléau que tout un chacun contient en soi dans cette peste de société ; et qu'ainsi, faute d'isolement responsable et social du pestiféré ou de la défense active de sa victime, celle-ci en vient à mourir sinon corporellement, au moins socialement. De sorte que cette liberté qui nous est si chère disparaît peu à peu de notre entourage par son élimination physique pour n'y voir plus que de blêmes visages.

Le caractère pestiféré est doté d'une forte énergie, c'est un leader, une personne pourvue de la capacité naturelle à être prise en exemple, mais à cause de son impuissance à réguler son élan amoureux par l'acte d'amour, sa prise de position se fera par la force, la contrainte, le traitement en sous-main, la dissimulation. Le cas le plus grossier et le plus meurtrier de la peste émotionnelle fut le cas de Staline (La vie de Léon Trotsky de Victor Serge pose la question de savoir comment cette peste humaine a bien pu accéder au pouvoir sous les yeux d'un Lénine ; c'est-à-dire : que contenait Lénine de bureaucrate pour qu'il ne s'apercevoive en rien de la prise de pouvoir de Staline ; Trotsky étant dans cette étude un accessoire) ; et bien évidemment aussi tous ceux qui suivirent en connaissance de cause cette calamité du genre humain au pouvoir politique qu'ils lui ont concédé. Hitler était lui aussi pestiféré, mais beaucoup moins dissimulateur, et son pouvoir s'appuyait davantage sur les désirs de ses contemporains enserrés dans l'étau de leur impuissance à mener par eux-mêmes leur vie dans une situation sociale et économique catastrophique plutôt que la simple malséance. Le pestiféré est dynamique et appuie son effet sur la passivité de ses contemporains, sur le suivisme des personnes elles-mêmes mises en difficulté quant à la possibilité de prendre des décisions responsables dans l'organisation de leur vie sociale.

Autant Reich que Hirigoyen plus de soixante années plus tard, ont constaté qu'une seule personne suffit à détruire toute entente conviviale, coparticipative, toute tendance à l'auto-gouvernement, dans un groupe même de quelque, ou de peu d'importance. On peut trouver un premier jet de la présente étude sur cet étrange aspect de la vie sociale dans une petite brochure au style littéraire exécrable, mais contenant quand même quelques indices intelligents, La systématique Iago. Il y manquait en fait peu de chose, sinon l'organisation qu'adopte pour survivre cette peste émotionnelle. Ce sera l'objet de la présente contribution.

Le maître mot de la peste émotionnelle est la mesquinerie. Ce qui paralyse dans ce comportement social, et qui fascine à la fois, est cette retenue béton de la pulsion d'amour que cette société rend désirable alors que l'on sait cette retenue totalement dépourvue de vie ; c'est cette dangerosité comparable au serpent vénimeux, bien que le serpent, lui, soit sur la défensive tandis que le pestiféré, lui, est sur l'offensive ; c'est cet hypnotisme dans lequel on sombre en s'oubliant pour devenir acerbe, grégaire, impersonnel.

L'intérêt d'une telle étude est de connaître et comprendre la manière d'agir de la peste émotionnelle et parallèlement de reconnaître quand soi, ou un autre, en utilise les moyens, afin de s'en prémunir et d'en prémunir son entourage. Par expérience, toutefois, je dois dire, qu'il vaut mieux fuir parfois que d'accepter un affront où le calcul de la réussite semble des plus périlleux à établir lorsqu'on est seul à affonter ce genre de chose, même quand on en connaît précisément les tenants et aboutissants : il faut se savoir faible à mauvais congé.

Le plus étonnant aspect du fléau émotionnel est sa pérennité, c'est-à-dire la manière qu'il a dans son organisation de ne se pas montrer organisé tout en ayant un système de réseaux extrêmement cohérent, trouvant sa solidité justement dans la séparation des catégories qui le composent ; et de se cacher sous un aspect anodin, comme en passant, dont l'insaisissabilité provient de son côté diffus alors qu'on s'y confronte avec une extrême dureté lorsqu'il se manifeste à vous et vous colle à la peau de sa malveillance. Avant tout, cette organisation satisfait les diverses formes du fléau émotionnel, formes qui doivent correspondre à des catégories sociales permettant leur expression.

Il s'agit de la méthode de destruction de la joie de vivre, principalement chez l'enfant, dès ses plus jeunes jours ; ce qui a pour effet que cet enfant, un peu plus vieux, si la meurtrissure infligée a été trop forte pour sa vitalité florissante, reproduira cette destructivité, ne pouvant supporter avoir devant ses yeux ce qu'on lui a forcé de perdre avec tant d'amertume. L'originalité de la méthode réside dans le fait que si un de ses aspects ne fonctionne pas, un autre prend le relais pour porter ses coups sur la joie de vivre qui s'expanse devant lui. J'ai dénombré quatre aspects à cette organisation diffuse, chacun jouant son rôle dans l'ensemble, le plus souvent en voulant l'ignorer, et en particulier en ne se faisant pas voir comme partie d'un ensemble ; je veux dire que chaque aspect ne doit pas se montrer comme partie d'un tout et que le tout doit se montrer sans parties : ainsi, si un aspect perd la face, il reste à l'organisation du fléau émotionnel trois autres parties qui montrent que l'intégrité de l'ensemble semble inaltérée.

Dans l'organisation de la spectacularisation du monde, on peut distinguer cinq comportements : celui du producteur du spectacle, celui du réalisateur du spectacle, celui de l'acteur du spectacle, celui du spectateur du spectacle, et la personne "sans transaction affective" (Éric Berne). Chacun de ces comportements répond à une forme de caractère, à une adaptation aux exigences sociales en fonction de ce que l'on est soi, comme entité vivante humaine, à l'établissement d'une sorte de compromis social, familial, individuel dans lequel on est plus ou moins perdant, et où il n'est pas permis que les autres aient un autre gain que celui semblable au moins à sa propre misère ; dans les conditions les plus pessimistes, bien sûr. Sinon, parce qu'on a gardé en soi une grande part de l'amour dont nous a doté la vie pour qu'elle vive gaie, on veille justement à ce que ce qu'on a vécu avec tant d'âpreté soit préservé chez son enfant, comme chez la personne encore dotée du pouvoir des relations d'intimité !

Il me faudrait procéder à l'analyse d'un marché de dupes qui ne s'ignorent pas, mais je suis paresseux et je n'ai pas envie de me rompre la pensée, pour cause d'émoussage du coeur, sur ce genre de chose. Ce qui va suivre fera cependant remarquer que les fils relationnels que tissent entre eux ces types, et accessoirement contre le caractère intime sinon que comme type sublimatoire, font les choux gras de toute une industrie descriptive : le cinéma et la littérature, entre autres ; chacun partant précisément d'un point de vue, dans lequel il m'est possible de le ranger, soit pour justifier les dires, faits et décisions de son type caractériel, soit pour plus simplement justifier l'opportunité de son existence, soit pour justifier l'ensemble du système comme étant absolument indispensable à sa propre existence, la sienne et celle du système. Il me faut avouer que, personnellement, je me méfie de l'établissement des catégories, qui devient vite un tic portant à une sorte de distanciation obligatoire qui, selon nombre de biographies que j'ai lues, portent trop les choses au coeur, lequel ne peut plus alors s'en charger et lâche ; je tiens à mon coeur plus qu'à aucune catégorie de quelque nature qui soit.

Dans le stricte cadre relationel producteur-réalisateur-acteur-spectateur il s'agit toujours à l'un d'eux de faire travailler l'un d'eux : c'est un vaste champ de bataille du travail qu'on fait exécuter par un autre, au moindre prix, car on ne veux pas l'éxécuter soi, la vie se passant sous la contrainte d'être vécue. Ce que cache l'industrie de la description de la peste émotionelle est justement ce travail qu'on cherche à tout prix à imposer à l'autre car on ne le veut pas exécuter soi, soit parce qu'on a perdu la confiance, la coparticipation, soit parce qu'on trouve ce travail dégradant (mais s'il est dégradant, pourquoi vous en servir pour dégrader un autre ? ne serait-il pas plus propice de cesser de rendre ce travail dégradant ? par exemple). Et on voit les cadavres-résidus de cette bataille entreprise à l'échelle de la planète sur le visage ouvert, avenant, gai des gens qui laissent leurs enfants s'ébattre à leur entendement, dans l'air pur que nous respirons, la clarté des eaux des océans, la blancheur des neiges, et le reste comme le transport matinal de la force de travail dans des transports individuels ou par train bondé et son retour vespéral, un peu plus usée.

Et c'est précisemment lorsqu'on est le plus éloigné dans l'industrie de la dissimulation, c'est-à-dire le plus éloigné du travail dit "manuel", qui est la dégradation suprème lorsqu'on lui a oté son essence humaine, qu'on est le plus élevé dans l'échelle sociale de la société de description de la peste émotionelle ; quoi qu'on se contente souvent d'une place où le fait de dissimuler suffit à son contentement (je pense à certains acteurs : journalistes, avocats, etc.). Il faut dissimuler le fait qu'on fasse travailler, et la peste émotionelle est cette organisation sociale qui tendra donc à déresponsabiliser, à débiliser, à ridiculiser et/ou passer sous silence toute entreprise tournant autour de ce thème : avec ce que nous avons présentement de progrès, nous avons la possibilité de NE PAS évoluer durant plus des deux siècles à venir !!! Pour aussi grand qu'il puisse être, un écran ne dissimule qu'une surface relative qui correspond à la distance d'où on le regarde et à l'intensité de l'attention avec laquelle on le regarde : il faut détacher ses yeux de l'arbre pour voir la forêt. Et c'est quand je constate une trop certaine homogénéité dans cette forêt qu'il me vient des questions sur cette pauvreté homogène dans une telle multitude. Mais il est vrai que le spectacle, cette peste et ce fléau, étant partout, ayant tout investi, jusque l'intimité des âmes et de leur raprochement, la forêt ressemble fort à un arbre finalisé !

Tout de même, pour donner une substance à cette démonstration, je me dois de décrire par le grossier chacun des cinq types ci-dessus.

Ceci n'est pas difficile ! Il suffit de recopier, après les avoir découverts et lus, quelques travaux qui ont été entrepris avant moi, sans peut-être plus de sueur que je n'en donnerai pour cette démonstration. Wilhelm Reich distingue, comme par un hasard qui est véritable, cinq caractères types : le génital ou intime, le phallique ou réalisateur, l'anal ou pourvoyeur, l'oral ou acteur et l'oculaire ou spectateur (Wilhelm Reich L'analyse caractérielle, Elsworth F. Baker L'homme pris au piège). Mais l'intérêt est de montrer la spécialisation particulière de l'expression pestilentielle de chacun de ces caractères.

Tout caractère organise son existence autour de ce qu'il désire, de cette partie de lui qui lui semble lui manquer pour ressentir la plénitude de l'intégralité ; et l'intégralité humaine passe par sa relation à l'autre. Cela correspond exactement à ce qui lui a été spolié, à ce dont on n'a pas acquiescé lors d'une demande (demande devenant alors par la force de sa chose une quémande), à ce sur quoi sa charge affective n'a pas pu trouver de décharge affective duale, à ce que la psychologie moderne, et restreinte dans son entendement par son système de pensée et de description astreinte à son domaine, nomme une fixation. Cette particularité caractérielle, cette spécialisation de comportement induite par la faillite d'une réciprocité amoureuse, se retrouve inévitablement dans sa relation au monde, sa relation à l'autre.

Le réalisateur, lui, combine avec la différenciation des sexes. La sexitude est nécessaire à son expression car, de par les multiples aspects de cette spécificité de la nature, il trouve à exprimer sa particularité pénétrante tel un dard dans l'âme juvénile et surtout vierge de lui. La montre (pour le dire comme Baltazard Gracian dans son Conte du paon) est dominante : il ou elle s'érige pour les yeux de tous afin de voir dans les regards enflammés l'ardeur de son propre désir de se montrer à tous avec ostentation. C'est le politique, le présentateur de télé, l'avocat "prêt à poursuivre la souffrance du prolétariat d'un siècle encore pour avoir le loisir de le défendre", le syndicat-ca-pi-pitaliste, le metteur en scène de tous les scénarios de la sauveresse du monde, l'organisateur des jeux du monde pour cacher sa propre misère qui est l'exact répondant du monde qu'il veut ainsi dénigrer, il lui semble. C'est la bête de scène qui tient les pupitres et oriente les dires. Son côté convaincant trouve sa répercussion dans l'obéissance comme source de plaisir abêtissant transformé en potentiel du reniement de soi. D'après mes auteurs, ce caractère peut devenir paranoïaque, maniaco-dépressif et alcoolique. D'une certaine manière je n'en suis pas loin, perso.

Le spectateur, lui, est l'impuissant à se sentir le moteur du monde, alors qu'il l'est, car c'est lui qui fait, dans sa pure réalité matérielle, ce monde. Le spectateur est le schizophrène par excellence, et tous les réalisateurs, producteurs et acteurs de ce monde n'attendent de lui que ce rôle d'obtus dissocié de sa spécificité de réalisateur du monde réel. L'argent est le premier agent de cette dissociation en dispensant ce producteur du monde de sa responsabilité effective dans sa réalisation de ce monde. Le spectateur ne voit pas ce qui se passe sous ses yeux, qu'il souligne cependant de son attention assidue, fidèle et corroborative. Il est l'être même qui réalise sans se réaliser, la bête de somme, en somme. Encore que la bête de somme ne sait pas qu'elle peut réaliser le monde sans se réaliser, car elle se réalise en réalisant le monde ; et le prolétaire doit oublier qu'il réalise le monde pour demeurer un prolétaire. Ce caractère est une sorte de mélange des autres caractères qui fondent cette démonstration. Nous avons le distancié, l'inquiet perpétuel, celui qui se pose sans cesse la question de l'objet de ses désirs dans le monde du quiproquo, celui qui y va, pour ne pas se perdre dans des considérations sidérantes et celui qui fuit car tout l'effraie. On a fait de ces comportements la lie du monde alors que cette lie n'est que le résidu de son crible. C'est la multitude et la richesse de la multitude, en sachant que cette multitude est avachie sur elle-même, donc avachie sur sa propre richesse.

Le pourvoyeur, lui, trouve son équilibre dans l'absence de tout trouble d'équilibre : c'est l'immobilité par excellence : "vert sur vert tout est clair, rouge sur rouge rien ne bouge". C'est celui qui fait en sous-main, c'est la tôle de la prostituée, le bouge du promoteur, le bâtisseur de prisons, l'architecte de centrales nucléaires, le concepteur des cités futures. C'est le sadique par poseur interposé : lui n'agit pas, il jouit de l'agissement de l'autre qui agit tel qu'il l'entend, et auquel il pourvoit frais et munitions. Le pourvoyeur pourvoie à l'existence de ses fantasmes, que lui ne réalisera jamais sinon que sous la forme d'un pourvoi. De tous les caractères ici décrits il est le moins turgescent, tant du masculin que du féminin : c'est la pensée qui est humidifiée par les octrois de possible et non par le possible des octrois. Il ne peut rien comprendre de la réalité du monde car le monde n'est pas pour lui une réalité, mais une sorte de flou insaisissable duquel il ne peut se retrouver jamais. Dire que c'est la sentine du monde est de cette cruauté qui fait oublier qu'il n'est pas le seul à désirer confectionner le monde à cette image, à faire oublier qu'il est un moment d'intégration morbide dans la spécificité du spectacle qui est une spéculation stupide sur sa propre réalité et la réalité du monde.

Nous reste, pour cette partie, le caractère de l'acteur qui, lui, nous l'avons découvert, correspond au caractère oral des catégories reichiennes. C'est finalement le caractère le mieux adapté à cette société, à cela près qu'il s'approche, sans vouloir y toucher, au caractère génital, à l'intime, puisqu'il faut qu'il se montre, qu'il montre ce qu'il est, sans avoir pu atteindre le secret secret du génital. C'est le caractère prédominant du moment de notre société présente. À la fois hétéro- et homo- sexuel, il tête à tous les goulots, et cette impolitesse est faite pour lui plaire. Il ne demande qu'à vivre, et qu'importe pour lui la couleur de la bouteille : elle contient un liquide enivrant, assez proche, finalement, de l'ivresse de la vie, de l'amour qu'il perçoit en lui sans pouvoir précisément la définir dans ses possibilités de possibles, puisque nous sommes assez nombreux à être assujettis à ce satané salariat de loisirs. C'est la fiche molle, qui ne prend pas de décision définitive par crainte de se couper, ou se priver, de quelque plaisir qui ne se serait pas porté antérieurement à son attention, qui serait demeuré reclus à son anticipation, pourtant acérée, des plaisirs possibles. C'est le caractère que l'on voit partout parce que le plus malléable, non pas suivant les spécifications des autres caractères, mais parce que son propre caractère se module, se ploie, se malaxe suivant ce que demande les autres caractères qui composent cette, notre, société de sorte à convoiter en obtenir un de ces plaisirs maximums, c'est-à-dire une variété d'orgasme qui a peu de relation avec l'abandon aux convulsions du plasma de l'être, mais le frémissement de l'être qui frôle son abandon, l'orgasme qui se regarde, ne serait-ce que furtivement, dans un miroir de lui-même.

L'intime, ou le sincère, lui, se caractérise par l'absence de compétition entre sexes et sexe. Il cherche la collaboration. Il aime la coparticipation dans laquelle il y trouve sa propre réalisation. Il considère l'autre personne comme une personne à part entière, pour ainsi dire à son image, mais différente, qui est toujours celle du possible aisé et sans heurt majeur, par l'utilisation pleine et entière de ses capacités créatrices, propre à la réalisation d'un plaisir à travers la réalisation d'un projet, d'une chose qui en elle-même amène au et du plaisir : c'est un pré-jouisseur ou une pré-jouisseuse ayant un sens de la réalisation de cette jouissance dont les prédisposés, souples mais inflexibles, sont discutables sans être marchandables. Il sait s'adapter mais pas se compromettre. Créer est pour lui un moyen d'obtenir de l'existence du plaisir en apportant du plaisir au monde ; et lorsque le monde lui présente cette étrangeté qu'est le malheur, il trouve assez rapidement une résolution suffisamment définitive pour la solution de cet étrange problème qu'est le malheur de son monde lorsque le malheur du monde vient à se présenter à lui. Pour le pourvoyeur, l'intime est un idiot qui ne sait pas profiter du monde ; pour le réalisateur, l'intime est une stupidité du fait de sa constante rebellité ; pour l'acteur, l'intime est un imbécile qui n'a rien compris à rien de tout, peut-être même une honte morale ; pour le spectateur, l'intime est le plus mauvais exemple qui soit d'intelligence, c'est-à-dire d'adaptivité spontanée aux aléas de la vie, à se défaire de la salacité, de la poisse, de la géhenne, de l'enfer.

Les coups bas que se lancent une à l'autre les quatre premières catégories, font comme je l'ai dit tout à l'heure, les choux gras de toute une industrie de la description qui se défend bien de traiter le problème dans son ensemble, car l'ensemble de leurs relations est rationnel et ne prête pas, donc, à plus d'attention de la part de cette industrie. Et chacun de ces caractères se contente de ces descriptions, car il s'y retrouve et retrouve ce qu'il n'aime pas chez l'autre et qui le touche à coeur, lui qui a tant besoin de ce genre de tact. On y patauge dans l'amour douloureux, la richesse compromettante, la misère inaltérable, la compromission sexuelle, l'assouvissement dans la soumission ou l'asservissement, l'abandon dans le dressage, l'exultation de la raideur musculaire (dopée ou non), l'érection d'armes à feux, la lumière tamisée de l'intime publique, une petite dose de sincérité bafouée, l'irresponsabilité comme standard, le cynisme et ses aboiements, et la toute petite âme innocente (qui ne penserait donc jamais à ce qui préoccupe tout un chacun) perdue dans cette vaste cour qui a finalement, à peu de chose près, la grandeur de notre planète. On y décrit les affres de cette société confrontée à la folie qu'elle exprime selon ce qu'elle pense de la folie, qui s'exprime sans être jamais aller voir ce qu'il se passe dans ses asiles que peuplent les personnes qu'elle aliène, sinon dans l'horreur. Mais cette description de la folie qui se montre sur nos écrans n'est autre que la folie présente, dont elle a peur, dont elle craint l'expression sans bride, car les personnes qui se complaisent à se regarder sur ces écrans, se complaisent aussi à regarder les limites de la permission qui leur est accordée et dont elles se réjouissent d'être du bon côté de la barrière. Car, finalement, ces personnes ne font rien pour que cessent ces idioties dans la description de leur monde et ce qui les génère ; ne pouvant passer les limites de l'impossible qui est leur est présenté en deça du possible. Ainsi, les solutions aux problèmes posés semblent plus ou moins vraissemblables, et la sanction qui y est apportée est l'importance d'une fréquentation dont le nombre remplira toujours adéquatement les caisses de cette industrie. Ici l'exagération est une emphase, le mensonge une litote, la cruauté une nécessité, la vilenie un aléa, le pardon un parjure, et que ne sais-je encore, peut-être même l'ironie un trait d'esprit !

Mais que vienne à se manifester -- parfois il suffit de sa seule présence -- un caractère sincère et voilà nos quatre compères de foire d'empoigne faire front un seul contre l'ennemi (qui n'a rien demandé) qui les montrent à eux-mêmes tels qu'ils sont (car il faut bien dire que le caractère sincère n'a que faire des tours et des détours utilisés par ses congénères, et qu'il doit vraiment se pencher sur la question pour reconnaître de quoi il retourne ... après le nombre certain de coups incompréhensibles qu'il a reçu !). Cet ensemble trouve sa cohérence dans le fait que chacun des caractères sait ce qui lui manque, et qui est présent dans le caractère sincère ; c'est le caracère sincère qui fait, malgré lui, l'unité de cette association disparate. Et chacun des caractères sus-nommés va attaquer le caractère intime d'une manière qui lui est propre, spécifique, attributaire ; qui correspond, on s'en doute, au blocage de l'expression de son affectivité que la sincérité stimule à la vie, comme il se doit. Cette manière de faire ne sera jamais décrite, sinon que rarement, par l'industrie de la description, car ce genre d'agissement serait montrer trop ouvertement la perversité de sa démarche, qui est véritablement honteuse. Je vais cependant essayer d'en dire deux ou trois mots.

Pour la peste émotionnelle, il y a d'abord un cadre qui est la nécessité d'une organisation générale où rien ne doit aller autrement que de travers, quand bien même le monde tourne rond.

Le pourvoyeur vit assis toujours derrière quelque chose (un bureau , une cravate, une institution, un couvre-calvitie réelle ou symbolique, etc). Il procure les moyens de la réalisation d'une idée qu'il a vaguement du monde, et tente de la protéger. Sa plus forte dynamique est le transfert de la monnaie, le fiduciaire : c'est le gestionnaire des âmes mortes (Gogol). Son image est celle de la puissance concédée à l'argent qui compenserait son impuissance à l'amour, qu'il est marri de n'avoir pas accès dans sa sincérité toujours éloignée dans le doute de l'achat, et qu'il repousse au loin dans la résignation de l'inaccessible. Il ne corrobore que des idées qui corroborent son état qu'il prend pour un fait immuable, c'est-à-dire statufié.

Le réalisateur lui vit debout derrière un porte-voix. J'espère avoir bien mis en évidence que le réalisateur réalise ce que d'autres lui demandent de faire réaliser, qu'il s'est mis à la disposition d'une idée de la relation à l'autre à laquelle il s'assujettit pour en recouvrer la reconnaissance jadis perdue ; c'est ce qu'il appelle avoir de la personnalité.

L'acteur lui vit debout devant tous, par permission, ce qu'il ne sait vivre de lui-même. Il montre sa correspondance à l'idée qu'on attend de lui, qui le satisfait.

Le spectateur lui vit assis devant tous, par intermédiaire, ce qu'on lui présente comme étant à vivre et qui correspond exactement à son immobilité : il répond à ce qu'on lui demande de faire, finalement, depuis assez longtemps ! C'est souvent le zélé qui ne fait que son devoir.

Chacun de ces caractères, ne perdons pas le fil de notre conversation, va donc conspuer le caractère de l'intime à sa manière, suivant une spécificité qu'il revendiquera pour vraie : le vrai acteur, le vrai réalisateur, le vrai spectateur, le producteur vrai ; mais tout cela n'est vrai, bien sûr, que dans le contexte de cette organisation du "vrai" (on dit aujourd'hui du "vrai faux") qui n'a rien de sincère, aucune aptitude à l'intime ou aux convulsions involontaires du système neurovégétatif de l'organisme humain dans la perte de sa conscience lors de la plénitude de la relation amoureux que d'aucuns nomment "orgasme".

Tous les actes, dires, supputations, allégations, suppositions, subodorations tourneront autour de ce que ce caractère en particulier se reprochera de distanciation vis-à-vis de son but et de l'interprétation qu'il se fait des moyens d'atteindre ce but -- qui est bien sûr la satisfaction orgasmique -- à l'encontre du caractère dit génital qui n'a que faire de ces bornes car il se sent pleinement responsable de sa vie et de ses conséquences. L'un/e va dire, par exemple, que le caractère sincère est un dictateur de l'orgasme ou un tyran de l'orgasme (ce qui est plus rigolo encore) ; l'autre que c'est une personne qui n'a rien d'un vécu notariable ; une troisième que c'est un/e menteu/r/se : il/elle s'est montré/e nu/e devant tous dans le but unique de montrer son/sa zizi/zézette et non pas afin de se sentir libre dans l'air du monde du vivant c'est-à-dire sans ostentation lors d'une ivresse ; un/e autre lui reprochera sa motilité insaisissable, sa fluidité incoagulable, son aspect sinueux, anguillesque, qui tend toujours à s'échapper de l'emprise de quoi qui fut, etc. Et on trouvera à ce moment ponctuable les autres caractères, qui ne comprennent rien à ce qu'un caractère en particulier reproche à la sincérité, de concert étayer avec la force du nombre, la stupidité des dires du premier.

Il me faut rapidement ajouter ce fait étrange que le caractère intime est comme doté de la capacité de passer par tous les autres quatre caractères sans s'y rigidifier, sans s'y arrêter, sans bulletin de salaire. Aussi, si vous vous êtes reconnus ici ou là, et ne puissiez vous contenter d'une seule catégorie mais de toutes comme correspondantes à ce que vous pouvez décrire de votre réalité, il y a de fortes chances que vous soyez sincère ! J'ai donc ici l'occasion de saluer un/e semblable, car on ne peut être sincère sans penser au fond de soi que les autres sont sincères autant ; c'est le piège et ce n'est pas marchandable.

Au début, au tout début des relations pratiques qui ont fait se rencontrer un des caractères porté à la pestilence et le caractère génital (cause à la vie sociale), chacune de ces formes du refus de la relation amoureuse, sexuelle, non-marchandisée trouve la fréquentation de cette personne gaie, souriante, avenante et prête en quelque sorte à tout, fraîche. Et puis, il s'avère qu'une lourdeur s'installe, une sorte de gène, dont on trouverait en vain le ferment, trouve sa place : le caractère génital devient alors lourd, quasi-insupportable, de trop, déplacé, son sourire béat indispose, on le trouve stupide et toutes les capacités qu'on avait, semble-t-il, entrevues dans sa fréquentation, deviennent des caricatures de possible. Quel qu'en soit le réalisateur, le pourvoyeur, l'acteur ou le spectateur. Je ne dis pas qu'entre les relations inter-communautaires, si je puis dire, ce genre de constatation ne se produise pas, mais cela ne sera pour les même déterminants, à cause des mêmes dispositions, car dans les relations existant entre les caractères sus-nommés, le jugement se fera tout de suite (car ils se reconnaissent tout de suite) et se manifestera implacablement, alors qu'avec le caractère génital, les quatre autres caractères prennent d'abord du plaisir à sa fréquentation et rejette ensuite, sans constater même qu'elles se sont trompées, la relation devenue âcre, une relation devenue compromettante avec ce caractère disposé à la vie sans complications excédentaires. C'est que le caractère génital est généreux par nature : il donne sans calculer ce qu'il a à sa disposition, sachant que c'est lui qui se dispose à l'acquisition aisée de ce qu'il donne : pourquoi donc le garder pour soi ?

Il y a justement que cette disposition à ne pas poser d'emblée d'excédentaires complications au cours de la vie qui passe dans son espace, est le hic, le hiatus, la solution de continuité, la pierre d'achoppement à cette autre disposition à la complication extrême dans laquelle vit chacun des caractères prêts à fouetter toute simplicité sexuée, vibrante de vitalité, de son pouvoir de masse. Et le caractère génital, lui-même, se sent gêné par ce qu'on attend de lui et auquel il ne peut en rien correspondre (j'ai tenté ailleurs de démontrer pourquoi, et sur quoi, cette disposition à la complication fonde sa nécessité).

Pour faire bref, c'est une histoire de pouvoir/s. Le caractère génital reflète face à lui le manque de motion spontanée, le manque d'un libre pouvoir (de quelque chose) qui fait faute à la personne cuirassée par les souffrances de son passé, mais qui persiste, quand même, à se supposer en avoir un sur sa vie, c'est-à-dire principalement un qu'elle désire avoir sur la vie des autres. Et chacun des autres agit d'une semblable manière : j'ai le pouvoir sur toi, et suis le sujet d'un autre, ici je fais le dos rond, là je sors la cravache, le jugement de justice ou mon porte-monnaie. Il montre que ce pouvoir dont se targuent les puissants, ou les impuissants (peut-être même principalement eux, ces bureaucrates) est d'la daube, du vent comparé à ce qu'ils désirent vraiment, qui est de vivre et d'avoir librement (sans licence) accès à la vie et au plaisir qu'ils lui savent inhérente mais qu'ils ne savent comment atteindre ... et en conséquence n'atteignent pas, à leur grand damne ; que ce caractère sincère met devant leur yeux par sa présence.

Ce qui caractérise principalement les relations qu'entretiennent entre elles les catégories que j'ai essayé de montrer dans leurs entraves, est cette relation de pouvoir/s, c'est à dire cette impuissance manifestée d'accéder à ce qu'on désire car on n'a jamais compris ce qu'on désire, jamais voulu comprendre ce qu'on désire, jamais désiré entreprendre intimement ce qu'on désire, etc. par peur de perdre quelque chose qu'on ne possède pas : ce quelque chose dont on était le détenteur inné procédant de son seul pouvoir d'exister, qui s'est enfui, et avec lui la méthode innée pour l'obtenir encore. Et le pouvoir réside précisément dans ce rapport où il est concédé à un autre d'avoir le pouvoir de rédimation (confère ce cher Dukacs), je veux dire ce qu'on concède à l'autre de ne pouvoir pas, soi, transmuter, par exemple, l'eau en vin, car pour faire du vin il faut de la vigne, des vignerons, du temps et des saisons, des vendangeurs, et des vignifiants doués, et pas seulement un geste magique ou un geste de bénédicité, il faut ce à quoi aucun miracle qui soit ne peut spolier (c'est la même chose pour un poireau ou une betterave, un appartement ou une activité sociale) ; je le répète, de concéder à l'autre ce qui est impossible, ce dont on se sent, soi, dans l'impossibilité d'accomplir, qui n'est autre que le plaisir orgasmique accessiblement inatteignable. La relation pornographique entre les êtres trouve sa substance dans ce méli-mélo, précisément : je te concède un pouvoir sur moi, qui est de me détendre de cette tension d'amour que je ne sais partager par manque de confiance ou sincérité, qui est en toute faiblesse, et cette concession de ma force faible étant en toi, je ne puis montrer cette force qu'en voulant démontrer cette faiblesse qui est la tienne d'accepter la mienne et de la réaliser : ce que je me concède à toucher du doigt est ce que tu peux par la violence prendre à pleine main. S'il n'y avait aucune violence autant dans les intentions que dans la gestique, tout se passerait au mieux dans la douceur, bien évidemment.

Le deuxième temps, après la fraîche relation du premier contact, se différenciera en cela que chacun des caractères va réagir d'une manière particulière : l'un va être condescendant avec le caractère intime, un autre va trouver le moyen de l'infantiliser et de le déresponsabiliser, un troisième va lui donner le sentiment d'être débile, qu'il n'a pas tous ses esprits et le dernier va adopter la plus froide indifférence, de sorte à ce que vous n'existiez plus, ni pour lui, ni pour vous. Cette peur du contact avec l'autre leur fait, à chacun d'eux à leur manière, couper toute conversation possible, tout dialogue.

Et ils s'appuieront chacun de leur bord sur un point de détail qui vous surprendra toujours, qui n'a rien à faire dans la conversation, qui est paradoxal ; c'est-à-dire qui vous met dans cette situation où vous ne savez quoi répondre tant il y a à répondre et que, le sujet de la conversation étant à dix milles lieues de là, vous ne savez pas comment vous y prendre pour commencer quoi que ce soit qui puisse décharger l'énergie étrange dans laquelle ce paradoxe vous a mis. D'autant plus que ce point de détail porte comme sur un "faux-pas" (qui est le contraire d'un vrai-oui, vous comprenez, n'est-ce pas ?), car il est toujours présenté de sorte que vous ne puissiez que trébucher sur votre certitude, comme emmêlé dans un vieux problème sans grand intérêt finalement, que comme point d'appui à cet ébranlement de vous qu'a entrepris un des caractères pestilenciels. C'est un jeu morbide. Ce point de détail, bien sûr, est un point qu'il se reproche selon ses interprétations d'idéal, qui est somme toute de l'ordre de l'universel, et dont il a saisi, à cause de sa gestion particulière de la mémoire, une réelle résonnance chez vous, mais qui chez vous n'a pas l'importance qu'il y apporte sinon que dans la manière dont ce point de détail est énoncé, et qui vous surprend.

Cette manière utilisée par la peste émotionnelle pour faire taire le caractère intime a son pendant, qui est de lancer une calomnie à un autre caractère sur l'intimité du premier caractère, au petit bonheur compaire, qui a de forte chance de prendre quelque part, car ce genre de caractère, lequel il soit, sera toujours prêt à la capturer et l'entretenir, même si elle est entièrement fausse car il ne vérifiera jamais la réalité d'un dire émanant de qui qui soit qui éveillerait cette partie anesthésiée qui mousse chez lui du tourbillon de cette calomnie particulière, se voyant ainsi émoustillé sans danger pour soi. Je dis qu'elle attend l'occasion de la calomnie pour l'arroser de son pipi de chat, pour montrer et conserver son territoire, son domaine d'application et son pouvoir de malfaisance. La calomnie elle-même contiendra le suc du caractère qui l'a lancée, car elle lancera cette calomnie pour se protéger elle-même de ce qu'elle évoque, dont elle a une peur bleue, qui est pelottonné au fond d'elle et la tient à distance respectable. Il s'agit de toucher chez l'autre, qui n'est pas obligatoirement dans ce cas sincère, cette partie de soi qu'on ne veut pas atteindre, car elle fait mal ; et c'est ce mal qu'on veut que l'autre ressente, en place et lieu de soi.

Sachant cela, il est assez facile de déceler une vérité dans une calomnie en reconnaissant qui l'a lancée et la correspondance que cette calomnie évoque chez ce qui : s'il y a corrélation, la vérité saura qu'il s'agit là aucun doute d'une calomnie ! On peut très bien appliquer cette méthode au "terrorisme", par exemple, quoi que cela soit légèrement plus complexe, car nous aurons ici affaire à au moins trois caractères qui s'entremêlent, mais ce n'est pas si difficile que cela, courage ! C'est rationnel ! C'est toujours la même organisation sociale !

Wilhelm Reich disait que pour se prémunir du fléau, ce qui vous assène des coups, émotionnel il faut une "arme" qu'il nomme "vérité", ce qui est intelligent puisque cette "arme" prémuniera toujours la personne qui l'aiguise chez elle, de la culture du bubon qui lui sera impossible d'engraisser dans de telles conditions. Marie-France Hirigoyen, elle, préconise la vérification . L'arme de la vérité (Annexe du Meurtre du Christ) ne concernera jamais que soi, et ses copains qui la possèdent parallèlement, car les caractères pestilenciels n'ont que faire de la vérité : ils ne la comprennent pas. Et d'autant le nombre des personnes qui reconnaissent leur sincérité sera grand et d'autant la puissance du nombre des pestiférés sera moins pesante. La première arme contre la calomnie que suggère Wilhelm Reich est la conservation chez les enfants, le plus longtemps possible, de leur sincérité, de leur génitalité : moi, je parle de la conservation de leur aptitude à l'orgasme qui n'est pas une "licence à l'orgasme". L'école de Summerhill, en Grande-Bretagne y participe. Mais pour le moment, et pour les éducateurs de ces enfants, afin que ceux-ci ne perdent donc ni l'aptitude à l'orgasme, ni la perception de la vérité, je pencherais aussi du côté de la méthode préconisée par Marie-France Hirigoyen, car, selon moi l'une amène à l'autre, qui préconise devérifier toujours ce qui vous semble trouble, incertain, attentatoire à la personne. Souvent bien loin de ce dont on doit s'assertir de l'existence, la vérification n'est pas un temps égaré quand on prend humainement le temps de vérifier le temps humain, qui est incommensurable. Il faut pour ce faire de la mémoire, ou du papier, et aussi un sens de l'accessoire afin d'éviter de perdre son temps (c'est-à-dire que la vérification ne doit pas devenir son contraire : un travail) en vue de se prémunir, soi, d'un errement dans ce que l'on fait en cette matière, ou bien établir la certitude d'avoir découvert que quelqu'un d'autre a agi sans sincérité : ainsi le jugement sera toujours tempéré de l'erreur, mais sera intransigeant si cette erreur est de la malveillance volontaire ; et elles sont nombreuses ! Le louche en la matière est comme un indice, le trouble un problème de clarté et l'équivoque somme toute un manque de précision.

Mais je n'en ai pas fini pour autant avec ces quatre méthodes de pestiférer le monde. La caractéristique première du spectateur est de ne pouvoir pas soutenir une véritable tension vitale dans son existence, et il laisse à un autre caractère cette aptitude de la vie ; c'est là la raison princeps de la perduration de ce monde, car ce monde du spectateur est le plus grand du monde qui soit, ici et maintenant : on sait que 1 % de la planète possède la richesse cumulée de 60 % du reste de la planète : hé bé ... il s'agit précisément de ces 60 % d'incapacité à soutenir une tension, la tension du vivant vivant. Mais il faut aussi dire, comme une sorte de décharge à l'anticipé vis-à-vis d'une quelconque tension, qu'il y a une organisation entièrement tournée autour d'un non-vouloir soutenir une tension : c'est LÀ et seulement LÀ le secret du monde présent. Le prolétariat finalement n'est qu'une dupe, qui ne se reconnait pas, de ce qu'il contient en lui de pouvoir orgasmique : il n'est que le spectateur de ce que l'on fait de lui ; et le spectacle ne réside qu'en cela-même. Le journaliste, cet acteur, maintient un véritable désordre dans un monde qui tourne rond, il amplifie toute l'angoisse latente inhérente à la vie et à ses déboires, aux déboires des irrégularités posées d'emblée par le nombre, pour amplifier la séparation des personnes qui, à elles seules, ne peuvent prendre la résolution d'adopter la bonne solution à un problème donné. Les syndicats-réalisateurs ou patronaux, leur courent derrière, ou eux devant, si les premiers ont failli à leur tâche afin de les faire travailler à autre chose que ce qui leur importe réellement en vue de résoudre le problème du malheur dans le monde de l'humain à l'aide des aptitudes humaines à résoudre ce problème. Et ce banquier de pourvoyeur, pour faire très simple, de vous emprisonner dans la nécessité de son existence en, par exemple, un emprunt sur vingt ans, à peu de frais, dans la limite stricte du taux d'usure officiel, qui est bien sûr un tout petit loyer !

Toute manifestation sincère de la sexualité sera ici présentée soit pornographiquement, c'est-à-dire comme une relation marchande entre des êtres qui corroborent la marchandisation de la sincérité ; soit en non-dit, c'est-à-dire comme ir-réalisable, que l'on peut mettre en scène (en cène ?) mais qu'imparfaitement, dans la mesure des moyens de vos acteurs, qui ne sont pas spectaculairement des pitres à même de se faire crucifier pour de l'amour ; soit comme interdit, c'est-à-dire sans rôle possible ; soit comme accessoire, c'est-à-dire prolétarienne. On ne médit finalement que pour masquer sa propre impuissance à réaliser ce sur quoi on veut porter la réalisation de soi ... qui, dans ce cas précis, est justement un acte laissé à l'involontaire qui est loin, indubitablement, d'être une folie d'amour !

Cette participation à l'élucidation du problème humain que présente la peste, ou fléau, émotionelle semble pour moi cesser là : je ne vois pas ce que je pourrais ajouter d'utile à l'intention de mon lecteur qui ne soit déjà du rabachage. Je lui ai proposé quatre catégories très portées à la calomnie, les moyens que chacune d'elles utilise (mais j'avoue que je n'ai pas tout catégorié : mon coeur n'y tiendrait pas) pour continuer dans le monde son propre malheur qu'elle n'a pas compris ou refuse de comprendre pour ne le perdurer pas, et quelques variantes à toutes ces choses. En souhaitant que le lecteur, ou la lectrice, trouvera, dans l'édification de ma démonstration sinon quelques éclaircissements, tout au moins quelque résolution, solution ou précision quant à cette problématique scabreuse et opiniâtre, je le/a remercie sincèrement de son attention !