Aelhomin :
  Vous avez sorti une trilogie aux éditions Mnémos. D'où est partie l'envie d'écrire de l'heroic-fantasy ?
Mathieu Gaborit :
 Au départ, j'avais une culture Jeu de Rôle qui était de l'heroic-fantasy, c'est-à-dire que j'ai commencé à jouer avec Donjons et Dragons, donc toute ma culture m'est venue au travers des scénarios de JdR. Après, j'ai voulu écrire sur cette fantasy-là, essayer de partir dans des directions différentes, un peu à la manière de Rêve de Dragon ou même de Rune Quest, une heroic-fantasy un peu sensible.
 
Aelhomin :
 Dans les Crépusculaires, vous avez créé une magie assez curieuse, basée sur de petites créatures, les danseurs, que les sorciers manipulent.
Mathieu Gaborit :
 A mon avis, un monde doit être très cohérent, en tout cas dans le particularisme, et c'est vrai qu'en matière d'heroic-fantasy, en tenant à la magie et au psychisme, donc les "accorder" dans le cycle, on développe de la meilleure manière possible un monde d'heroic-fantasy.
 Les danseurs, pour moi, c'était vraiment un but en soi, c'est-à-dire développer le côté non pas sensible mais sensuel de la magie. On en était resté à un côté archiviste, avec les bouquins et les grimoires, et passer par une petite créature, à la manière de Jack Vance, c'était plus intéressant.
 
Aelhomin :
 Le héros est amoureux d'une fée noire, il entretient des rapports très fort avec sa sœur... il y a beaucoup de sensibilité. C'est quelque chose que vous trouviez qui manquait dans l'écriture, ça vous tenait à coeur ?
Mathieu Gaborit :
 Oui, ça clairement. C'est vrai qu'on doit beaucoup à Conan, j'ai été largement influencée par Sprague de Camp, mais le héros sur-puissant avec de jolies donzelles à côté, ça m'a forcément lassé. Et le côté anti-héros de Agone m'a beaucoup plu, et via la fée noire il y avait un moyen d'introduire un aspect très fragile dans l'heroic-fantasy.
 
Aelhomin :
 Dans votre premier roman, Souffre-jour, le héros se retrouve dans un collège qui forme des éminences grises, ce sont des personnes qui dirigent le pays de façon un peu occulte.
Mathieu Gaborit :
 Je trouve que l'aspect politique peut être intéressant dans l'heroic-fantasy. On a souvent à faire à des régimes féodaux, qui ne sont pas forcément très complexes, où les intrigues peuvent être en surface, donc c'est vrai qu'introduire une forme de modernité dans l'heroic-fantasy c'est toujours très intéressant. Je pense que les Crépusculaires ont ceci de différent, il y a du modernisme. Le langage d'ailleurs, c'est un choix, est moderne, et puis toute cette partie un peu occulte, avec les éminences grises, c'est un moyen de rentrer dans des domaines de l'heroic-fantasy non explorer auparavant.
Aelhomin :
 Le héros Agone, a les cheveux blancs, craint la lumière, a une épée qui pense par elle-même. Il n'y aurait pas un petit hommage à Elric ?
Mathieu Gaborit :
 Si, clairement. Moorcock fait partie du panthéon classique en heroic-fantasy. Il est évident qu'Agone touche de près à Elric. Je dois beaucoup aussi à Serge Brussolo, c'est plutôt vers lui que je tends, mais c'est vrai que j'ai empreinté à Moorcock.
 
Aelhomin :
 Vous continuez la série, avec une nouvelle trilogie, Aux Ombres de l'Abîme. Le monde des Crépusculaires est un monde qui vous tient à coeur.
Mathieu Gaborit :
 Beaucoup. Donc là l'idée c'est toujours d'explorer le monde mais à travers une lorgnette, et différemment. Les Crépusculaires, on l'a vu à partir d'un héros, d'un débutant qui commençait dans la vie, alors que pour Maspalio, je prends l'effet inverse. C'est quelqu'un de plus âgé, de moins puissant. C'est ça qui est intéressant, c'est de pouvoir aborder le monde mais avec des points de vue très différents. Et c'est là que j'espère pouvoir parvenir à une différence de langage, et là, en prenant un farfadet quinquagénaire, le langage ne pouvait qu'être différent.
 
Aelhomin :
 C'est quelque chose que l'on retrouve dans le jeu de rôle que vous avez réalisé, Ecryme, puisqu'on le parcoure plus qu'on ne le découvre de manière encyclopédique comme dans un jeu traditionnel. Est-ce que vous avez senti des similitudes, ou de grandes différences, dans l'écriture d'Ecryme et celle de vos romans ?
Mathieu Gaborit :
 Sans doute. Parce que la liberté accordée par le roman est plus importante. Par contre, c'est vrai que dans Ecryme, la volonté était littéraire. Donc la démarche a pu effleurer celle du roman. Mais dans Ecryme, on se frotte à des contingences qui sont classiques dans le Jeu de Rôle, et qui ne permettent pas de développer des aspects très particuliers d'un personnage, d'une situation. On est toujours obligé de rester dans le global.
 
Aelhomin :
 Les éditions Mnémos et Multisim sont assez liées. Alors est-ce que l'on peut espérer un Jeu de Rôle dans le monde des Crépusculaires ?
Mathieu Gaborit :
 Et bien, espérons. Oui, à première vue, cela pourrait être une bonne solution.


"Les Crépusculaires" 3 tomes de Mathieu Gaborit, Mnémos
Interview 1997

Illustration de Didier Graffet & Sandrine Gestin, © Mnémos.
Réalisation et Interview par Aelhomin