le site des amis de la résistance afghane

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Minaret de Jam, construit entre 1163 et 1202.

Il dresse ses 65 m de hauteur sur une base de seulement 10 m de diamètre.
A 40 m de hauteur, elle se réduit à 8 m, créant un balcon extérieur, accessible grâce à deux escaliers hélicoïdaux.

 

Un patrimoine otage de la guerre

La richesse culturelle de l'Afghanistan a nourri les songes de plusieurs générations d'archéologues. Carrefour des caravanes et étape sur la fameuse route de la soie qui reliait le monde méditerranéen à la Chine, ouvert sur les steppes d'Asie au nord et sur la plaine de l'Indus au sud, le pays a connu un fantastique brassage de civilisations. Babur, fondateur de l'empire moghol de l'Inde, s'émerveillait de découvrir à Kaboul, au début du XVIe siècle, un centre commercial florissant où l'on entendait parler une bonne douzaine de langues. Avant cela, ayant conquis Babylone et brûlé Persépolis, Alexandre le Grand poussa l'aventure jusque vers ces contrées orientales où il épousa Roxane et amena la culture grecque.

L'Afghanistan fut ainsi un terreau où allait s'épanouir l'art gréco-bouddhique du Gandhara. Et une grandeur islamique dont témoigne notamment le minaret de Jam qui, avec ses soixante-cinq mètres, n'est surpassé que par le Kutub Minar de Delhi. Bref, le «royaume de l'insolence», qui résista si bien aux impérialismes anglais et soviétique, apparaît comme un éden d'archéologue dont les trésors accumulés au fil d'une histoire plusieurs fois millénaires sont très loin d'être tous dévoilés.

DÉCAPITATION À L'EXPLOSIF

Mais ce patrimoine inestimable n'est pas à l'écart des guerres cruelles qui, depuis plus de vingt ans, déchirent l'Afghanistan. Déprédations, vols, fouilles clandestines, trafics divers: autant d'aspects d'un sinistre état des lieux dont le sort réservé au Musée de Kaboul constitue le triste symbole.

Situé par malheur sur une ligne de front où se sont combattues les factions de Massoud, d'Hekmatyar et de Mazari au cours de leur guerre fratricide, il a été bombardé, incendié, et on estime maintenant que ses magnifiques collections ont été détruites ou pillées à plus de 80%. Ailleurs dans le pays, la situation n'est guère plus réjouissante. A Herat, un minaret du collège de la reine Gohar Shad, vieux de quatre siècles, a succombé lors des combats entre l'Armée rouge et les moudjahidin.

A Bamiyan, un des deux gigantesques bouddhas creusés dans la falaise a été décapité à l'explosif. Quant au somptueux trésor de Tillia Tepe, découvert en 1978 et évalué à plusieurs dizaines de millions de dollars, il a tout bonnement disparu. On aurait tort de tenir les Afghans pour seuls responsables de ce jeu de massacre culturel. Car ce patrimoine alimente un trafic juteux qui implique aussi les collectionneurs étrangers et le marché de l'art.

Au Pakistan voisin, Peshawar apparaît comme la plaque tournante de ce commerce où les authentiques antiquités afghanes se mêlent aux contrefaçons. A partir de là, tout cela prend le chemin de l'exil. Vers Tokyo, Londres, New York, ou Zurich qui n'est pas en reste. Pour en savoir plus: la revue «Archeologia» du mois de mars a consacré un important dossier aux périls pesant sur le patrimoine archéologique afghan.

 

 

 

Edito Avril 2000 : Pillage et destruction du patrimoine afghan

Pour mieux connaître les civilisations d'Asie Centrale, lire le palpitant ouvrage de Jean-Paul ROUX : l'Asie Centrale, Histoire et civilisations aux Editions Fayard

AFGHANISTAN : Les trésors afghans refont surface en Suisse

18 mai 2000--------------------------------------------------------------------------------

 

Michel Audétat et Harold Haller Le 20 mai 2000

Au départ, une bonne idée: transférer provisoirement le patrimoine d'un pays en guerre dans un musée bâlois. Mais, aux deux bouts de la chaîne, l'opération s'effectue dans d'étranges conditions.

En soi, l'idée paraît excellente: puisque l'Afghanistan voit son patrimoine culturel subir les pires outrages depuis plus de vingt ans que le pays est en guerre, pourquoi ne pas lui offrir un abri sûr en attendant que la paix revienne? Ainsi, pourquoi ne pas accueillir en Suisse, de manière purement temporaire, ce prodigieux trésor que menacent l'incurie, l'appétit des collectionneurs et le pillage des marchands d'art dénués de scrupules? Ce serait en quelque sorte le droit d'asile étendu aux biens culturels.

Une idée audacieuse, novatrice, désormais concrétisée dans un petit coin de Suisse champêtre. A Bubendorf, petit bourg près de Liestal, les habitants ont ainsi eu la surprise de voir un Musée de l'Afghanistan surgir au milieu des vertes collines de cette campagne bâloise. Paul Bucherer, son fondateur, conduit la visite à travers ce qui n'est encore qu'un chantier occupant deux bâtiments voisins. Seule une petite salle est déjà aménagée. Mais ce passionné de culture afghane regarde surtout l'avenir. Il imagine ce que sera le musée avec ses 600m2 d'exposition prévus. Il rêve d'un lieu où l'identité nationale d'un peuple déchiré par ses guerres intestines pourrait reprendre consistance. Un havre où, pourquoi pas, pourraient se rencontrer ceux qui, demain, feront la paix dans leur pays.

Le projet a été officiellement lancé il y a tout juste un an. Depuis lors, c'est une affaire qui roule: Paul Bucherer s'active, des exilés afghans viennent prêter main-forte, des objets ont déjà pris la direction du musée. Energique, volontaire, Paul Bucherer est tombé amoureux du «royaume de l'insolence» à une époque où ses cheveux n'avaient pas encore pris leur teinte argentée. Son premier voyage remonte au début des années 70, alors que les chemins de Katmandou étaient encore encombrés par les hippies dont ce jeune architecte tenait à se démarquer. Il y retournera pour un séjour de près d'un an, en 1974-1975: «C'est à ce moment-là que j'ai fait la connaissance de gens qui deviendront très importants plus tard, tant dans le gouvernement prosoviétique que du côté des moudjahidin.» Déjà, ajoute-t-il, son intérêt pour les richesses archéologiques du pays s'était éveillé: «Pour nous, Européens, l'art afghan donne accès à un monde commun que nous partageons avec l'Asie.»

 

En 1998, il va organiser un travail de sauvegarde du site de Bamiyan, peu avant l'arrivée des talibans: «J'étais dans le dernier hélicoptère à quitter les lieux.» Mais son combat en faveur de la mémoire se poursuit en Suisse où il a créé la Bibliotheca afghanica de Liestal en 1974 et, depuis peu, le Musée de l'Afghanistan de Bubendorf. Epais brouillard C'est lors de la conférence de Pasadena organisée en 1998 par l'ICSCHA (une association basée en Californie qui s'occupe du sauvetage de l'héritage culturel afghan) que ce projet de musée a été discuté pour la première fois publiquement. Il a été évoqué dans une lettre officielle de la délégation suisse auprès de l'Unesco l'année suivante. Financé par des fonds privés et par le canton de Bâle-Campagne à hauteur de 500 000 francs (sur un total de deux millions), il a fait l'objet d'une demande de subvention auprès de la Confédération qui a été obtenue à la fin de l'an dernier (une contribution unique de 150 000 francs). Voilà ce qu'on sait de son histoire. Pour le reste, l'initiative baigne dans un épais brouillard qui en compromet sérieusement la crédibilité.

Paul Bucherer affirme ainsi avoir conclu des accords avec les deux parties impliquées dans le conflit afghan: les talibans qui contrôlent aujourd'hui 80% du territoire, et l'Alliance du Nord qui, avec le commandant Massoud, résiste dans la vallée du Panshir. Sur quoi portent ces accords? Quels biens culturels concernent-ils? Comment sortiront-ils d'Afghanistan? Par quelle route seront-ils acheminés jusqu'en Suisse? Et par qui? Paul Bucherer dit avoir reçu le soutien du président Rabbani (autorité légale puisque le gouvernement des talibans n'est pas reconnu par la communauté internationale) lors d'une visite personnelle que ce dernier lui a rendue en novembre 1998. Il ajoute qu'il a passé des accords avec les talibans à Kaboul. Mais il refuse d'en dire plus: «Je ne peux malheureusement pas vous donner plus de détails.» Et il enchaîne avec l'argument qui revient chez lui comme un refrain: «L'idée de ce musée n'est pas la mienne, c'est celle des Afghans: tous me parlaient de cette perte irréparable de leur culture, et c'est pour répondre à leur vœu d'avoir un musée spécifique qu'est né le projet de Bubendorf.»

Comment expliquer, dans ce cas, que le chargé d'affaires au consulat d'Afghanistan à Genève, Humayun Tandar, fasse entendre un avis aussi opposé? «Le gouvernement afghan n'a signé aucun accord avec Paul Bucherer, ni avec le gouvernement suisse. Il ne peut donc être question de transférer le patrimoine dans ce musée.» Et, si l'on se tourne du côté des talibans, l'affaire n'est pas plus claire. Ils sont bien sûr imprévisibles. On comprend cependant assez mal qu'ils puissent être favorables à une telle opération de sauvetage alors qu'ils sont en train de restaurer le Musée archéologique de Kaboul qui fut bombardé, incendié et pillé au cours de la guerre. D'autre part, pourquoi accréditeraient-ils ainsi l'idée d' un péril alors qu'ils font beaucoup d'efforts pour essayer de démontrer, dans l'espoir d'une reconnaissance internationale, que les territoires sous leur contrôle sont désormais désarmés et sécurisés? Tout aussi discutable apparaît le patronage revendiqué de l'Unesco. On lit, dans le dossier de presse du Musée de l'Afghanistan, que c'est sous son égide que devrait se dérouler le rapatriement des œuvres dans leur pays d'origine. L'institution onusienne n'a pas caché son intérêt pour le projet de Paul Bucherer. Mais, à ce jour, aucun protocole n'a été signé qui définirait les critères et les conditions de ce retour. Ces modalités seraient en train d'être élaborées, dit-on à Berne.

En attendant, des antiquités afghanes prennent le chemin de Bubendorf sans que le cadre de l'opération ait été défini. Le soutien politique et financier de la Confédération à ce «projet-pilote» apparaît dès lors pour le moins problématique. Il est en outre douteux que l'Unesco tienne pour raisonnables les conditions dans lesquelles ce patrimoine entre en Suisse. Comme l'explique Madeleine Viviani, chargée du dossier au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), tout se passe très simplement: «Monsieur Bucherer se rend à la douane, il dresse un inventaire de tout ce qui entre, décrit chaque objet de manière exhaustive, et c'est visé par la douane.»

Lorsqu'on sait l'extraordinaire diversité de ce patrimoine dont la valeur de certaines pièces peut atteindre plusieurs millions de dollars, lorsqu'on connaît les convoitises, les trafics criminels ou les contrefaçons qu'il alimente, on se demande si tout cela n'est pas d'une extravagante légèreté. «Paul Bucherer est tout de même un des meilleurs connaisseurs de l'Afghanistan que l'on puisse trouver, répond Madeleine Viviani. C'est une personne très méticuleuse. Et un expert en la matière.» Là-dessus, tout le monde n'est pas d'accord. La seule évocation d'une telle procédure fait bouillir le sang de Zemaryalaï Tarzi, ancien directeur général de l'archéologie et de la conservation des monuments historiques d'Afghanistan, un scientifique de renom qui a notamment mis au jour le trésor de Tillia Tepe, aujourd'hui exilé, maître de conférences à l'Université de Strasbourg et consultant auprès de l'Unesco: «Ce Monsieur n'est pas archéologue, il n'est pas historien de l'art et il n'est même pas historien tout court. Il n'a donc pas les compétences scientifiques nécessaires pour repérer les faux. Je trouve inadmissible qu'un non-archéologue puisse faire les descriptions et choisir les objets qui entreront dans ce musée.»

Dans les milieux universitaires, on reconnaît souvent à Paul Bucherer une authentique passion et de la bonne volonté. Mais on ajoute aussi qu'il nourrirait «un petit complexe à l'égard du monde scientifique». A la hussarde Ailleurs, il n'est pas rare qu'on évoque un tempérament d'aventurier, voire d'un fonceur qui aurait par trop tendance à vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Un fonctionnaire fédéral relève chez Paul Bucherer des «ambitions politiques» dont témoignerait le rôle qu'il a joué, avec le secrétaire d'Etat Klaus Jacobi, dans des négociations entre le gouvernement pro-communiste de Najibullah et les moudjahidin ayant entraîné sa chute. L'intéressé rappelle cet épisode avec plaisir: «C'est dans ma maison de Liestal que ces gens se sont rencontrés, comme des amis.»

La Confédération mesure-t-elle alors bien la portée de son soutien à cette initiative privée? Attaché au DFAE, l'ambassadeur Rudolf Bärfuss récuse l'accusation: «Nous avons simplement aidé une personne privée dans son action pour sauver le patrimoine afghan. C'est aux parties afghanes de saisir l'occasion ou non. Pour notre part, nous faisons tout pour que l'entrée des objets se fasse dans le strict respect du droit suisse et international.» La bonne marche des choses n'aurait-elle cependant pas été mieux assurée si des accords avaient été signés avec l'ensemble des parties concernées? Rudolf Bärfuss fait de nécessité vertu: «Le Musée de l'Afghanistan est un projet courageux. Si vous calculez chaque fois les risques, vous ne faites plus rien. Dans les conditions que connaît l'Afghanistan, avec la guerre et la non-reconnaissance internationale des talibans, cela pourrait prendre deux ou trois ans avant que des accords soient conclus. Il faut parfois savoir aller de l'avant.»

Il n'en demeure pas moins que cette affaire menée à la hussarde place la Confédération dans une situation délicate où elle n'engage pas seulement son argent mais aussi son crédit. Pour l'heure, la Suisse n'a toujours pas ratifié la Convention de l'Unesco de 1970 portant sur l'exportation illicite de biens culturels. Et, après avoir défendu une position de pointe sur la Convention d'Unidroit signée à Rome en 1995 (un texte plus contraignant que la Convention de l'Unesco), elle a décidé, trois ans plus tard, de remettre sa ratification à des jours lointains et censés être meilleurs. En traînant ainsi les pieds, la Suisse n'améliore pas sa mauvaise réputation: on lui reproche une réglementation trop laxiste, des ports francs douteux, et un rôle de plaque tournante dans le commerce illicite des biens culturels. Dans ce contexte, elle serait avisée de ne pas prendre à la légère les conditions dans lesquelles sont importées les antiquités destinées au Musée de l'Afghanistan. Même si la volonté de fournir un abri provisoire au patrimoine d'un pays en guerre demeure une bonne idée, il s'agit de la mettre sur une meilleure voie. Et vite.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Minaret de Jam, construit entre 1163 et 1202.

Il dresse ses 65 m de hauteur sur une base de seulement 10 m de diamètre.
A 40 m de hauteur, elle se réduit à 8 m, créant un balcon extérieur, accessible grâce à deux escaliers hélicoïdaux.