Contes à rebours de Braine-le-Castel en roman pays

Contes de la corneille

de Braine-le-Castial

en Roman Pays brabançon

Flèche de tout bois

Riche par héritage, célibataire par vocation, solitaire par égoïsme, Richard vivait; ou plutôt, il n’était pas mort ... A l’abri des regards, dans le confort de sa petite maison, il pouvait apercevoir le pilori, qui lorsqu’il était garni d’un malheureux exposé à la vindicte populaire, ne lui faisait que mieux apprécier la volupté de son état.

Avec tous les écus habilement dissimulés dans une cache de la cheminée, il ne devait pas travailler et ne faisait donc rien de ses journées. Ainsi, pensait-il sincèrement avoir trouvé le bonheur.

Une seule passion l’animait : le tir à l’arc. Chaque dimanche après-midi, si le temps le lui permettait, il sortait son arc long, soigneusement entretenu, le bandait d’une corde généreusement suiffée et allait s’entraîner avec d’autres notables de Braine-le-Château.

Il y a deux ans, une flèche particulièrement bien ajustée l’avait fait Roy de la gilde ... Une immense fierté l’avait envahi, lui, nanti trop avare que pour avoir une cour, trop égoïste que pour garder un seul ami, trop falot que pour inspirer le respect, il était maintenant fêté par tous ! et c’est sans regret qu’il avait payé la tournée générale à l’auberge; enfin, presque sans regret, et presque générale ...

Il y avait la dans un coin, le Renaud, fils de la rebouteuse, grand dégingandé aux yeux noirs, brillant comme ceux d’un loup, sale, portant une barbe de trois jours, noire, les cheveux longs et mal soignés, noirs, enroulé dans une grande houppelande, noire... Il n’avait pas applaudi avec les autres à son entrée, et puis, une crainte superstitieuse isolait ces deux la du reste du village, elle connaissait les herbes, lui parlait aux animaux. Bien sur, on les voyait à la messe, mais ... de la à payer un verre de bonne bière brune et mousseuse !

L’an dernier, Richard avait réédité son exploit. Il n’était pas loin de se prendre pour le meilleur archer du Hainaut ! déjà, des souvenirs d’exploits guerriers naissaient spontanément dans sa cervelle pourtant peu imaginative d’habitude. C’était un beau jour ensoleillé, et au pied de la perche, le long de la route qui mène à Halle, il avait dès sa seconde flèche abattu le coq multicolore, Roy pour la deuxième fois consécutive ! en retournant fêter l’événement comme il se doit à l’auberge, c’est à peine s’il avait remarqué le Renaud, toujours en noir, qui l’observait à la dérobée, sans participer à la liesse générale.

Dans une semaine aura lieu un nouveau tir au Roy ... s’il parvient encore a abattre l’oiseau, il sera sacré Empereur, à vie ! La tête lui tourne, s’il venait à rater ... tout serait à recommencer, il retournerait à l’ anonymat, fini le luxueux collier fièrement exhibé les jours de procession, fini d’être toujours le premier à tirer aux entraînements du dimanche ou aux concours des jours de foire.

Ca, jamais ! il préférerait vendre son âme au diable ! il a soif d’honneurs, de reconnaissance, de respect, et il lui reste une semaine pour trouver une solution ...

Quelque part, à l’écart de la rue aux racines, au pied du bois d’Appechau, on peut apercevoir ce qui ressemble à une cabane de bûcheron. Là habitent le Renaud et la rebouteuse, sa mère sans doute.

Il faut éviter de traverser le centre du village, prendre la rue Mont Olivet, remonter la rue Latour et à la chapelle Notre-Dame au bois, prendre à droite par les huit drèves. Endroit sinistre à souhait le soir. Mais l’envie d’être victorieux encore une fois est trop forte...

Voilà enfin l’antre de la sorcière; prudemment, il approche. Sur place, l’urgence de sa démarche lui apparaît moins clairement, d’ailleurs, connaître les herbes est-ce suffisant pour faire une vraie sorcière ? Brusquement, la porte s’ouvre, et une voix grinçante le hèle : "Entre Richard, je t’attendais". Subjugué, il obéit.

A pas feutrés, il s’aventure à l’intérieur d’une pièce sombre et mystérieuse, des odeurs indéfinissables flottent dans l’air confiné, un peu partout des plantes sèchent ou macèrent dans des pots de grès, un vieux grimoire poussiéreux trône sur un lutrin précieux dont la présence dans cette masure délabrée ne fait qu’ajouter au désarroi de Richard. Un brasero placé au centre de cette unique pièce dispense plus de fumée que de chaleur. Une mauvaise chandelle à la flamme tremblotante crée des ombres mouvantes qui rendent encore plus inquiétant le décor. Au fond, assise sur un tabouret branlant, la vieille jette des mies de pain à une corneille apprivoisée.

Tout le reste de la semaine, Richard ne put dormir, que faire ? des sentiments contradictoires s’agitent sous son pauvre crâne peu habitué à ces exercices. La moitié de sa fortune c’est une somme, et rien ne dit que ça va marcher ... d’un autre côté, s’il recule maintenant et que la vieille lui jette un sort, ou même, s’il triche sur le paiement et que la sorcellerie ne marche pas.

Samedi, douze coups sonnent au clocher, désespéré, Richard jette ses flèches dans l’âtre et les regarde tristement brûler, si vite. Le Renaud voit bien le filet de fumée blanche s’échapper de la cheminée. Il frappe l’huis de la maison. Timidement, Richard entrouvre la porte. Toujours silencieux, le Renaud tend la main. Richard hésite, mais l’autre le fixe de son noir regard et Richard abandonne toute velléité de résistance. Il va chercher un sac de cuir à la panse rebondie dans le coffre de bois à côté du dressoir et le donne au Renaud. De sous sa houppelande, Renaud tire une flèche noire, aux plumes noires et la tend à Richard puis disparaît comme avalé par l’ombre.

La flèche n’a rien pour séduire un tireur, mal polie, comme bâclée rapidement, le maquet en bois qui semble trop lourd pour l’ensemble, les trois plumes noires ... la corneille peut-être ? mais Richard ne voit rien, dans quelques heures, il sera Empereur, grâce à sa flèche magique.

Au pied de la perche, Richard est concentré, il bande son arc de toutes ses forces, vise l’oiseau avec intensité, tire ... déséquilibrée par le maquet trop lourd, dévoyée par son fût mal équarri, la flèche va se perdre non loin de la, dans les broussailles. Tout se trouble dans l’esprit de Richard, il jette son arc et se sauve en courant sous les yeux abasourdis de ses pairs et les lazzi des spectateurs hilares. Il court, passe l’église, le pilori, arrive à Binchefort et tourne à gauche, il court encore, mais... ou est la cabane ? à son emplacement, ne reste qu’un gros tas de cendres encore chaudes avec au centre, un lutrin de métal tout noirci...

Richard sanglote, toute l’après-midi, il erre lamentablement, parcourant les sentiers du bois et n’ose regagner son logis qu’a la nuit tombée. Sur le toit est perchée une corneille dont le cri ressemble furieusement au ricanement d’une sorcière.

A Nivelles, une gentille vieille Dame vient d’acquérir une petite maison de pierre, elle s’y installe avec son fils, bien gentil jeune homme et bien séduisant, mais pourquoi s’habille-t-il toujours de noir ?

 

 

 

Alain CORDIER