Repenser la discipline

(Bulletin APLV -STG, n° 61 décembre 2000, lègèrement remanié)

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L'usage de l'Internet, du multimédia et de la vidéo en classe de langue, loin de se cantonner dans les limites de la technicité didactique, questionne la didactique des langues dans sa globalité. L'introduction raisonnée des nouveaux médias ne peut se faire sans que soit repris et discuté l'ensemble des objectifs, buts et finalités qui sont assignés non seulement à l'apprentissage d'une langue, mais à toutes les disciplines qui constituent la formation secondaire en France.

 

La vidéo demande d'expliciter la didactique

 

Alors que dans les méthodes et les manuels les choix didactiques restaient largement implicites, même dans les 'Livres du maître' qui se référaient globalement aux Instructions Officielles, l'introduction de la vidéo, du multimédia et de l'Internet contraint les enseignants à expliciter leur didactique, révélant par là quels étaient leurs modèles didactiques de référence , faisant prendre conscience des déviances et limitant la variété des modes d'apprentissage.

 

La communication par la vidéo n'est pas que linguistique

 

Auparavant, dans les supports que l'on avait, on était toujours dans la langue. Et par conséquent les théories linguistiques étaient considérées comme internes, et l'on concevait l'apprentissage des langues comme découlant des théories linguistiques. Avec la vidéo, on a l'image. L'image n'est pas la langue. Elle est comme externe. Et donc on a besoin d'une véritable explicitation parce que l'on est obligé de se déplacer de l'espace langagier, vers un espace qui est, entre autres, langagier (les gens parlent, communiquent), mais qui fait appel à bien d'autres choses que la langue vue sous l'aspect linguistique. On a des gestes, des mimiques, des déplacements, des situations, qui sont donnés, présentés d'une certaine manière. Ils livrent du sens, de l'information, alors que le texte fonctionne par lui-même, il est plus clos. On peut lire un texte indépendamment de la situation qui l'a commandé.

 

Avec la vidéo, il y a une explicitation par extériorisation, car on prend aussi en compte ce qui n'est pas textuel, qui n'est pas de la langue ou sur lequel la linguistique travaille. Il s'ensuit, pour la classe, que la situation communicative du texte est partiellement imaginée par le lecteur lorsqu'il a compris le document, c'est-à-dire après son étude. Avec la vidéo par contre, la situation est présentée d'entrée et sert à comprendre le message linguistique.

On peut rapidement travailler sur cette situation communicative, la verbaliser, l'expliciter en la rejouant ou par un entrainement plus intensif de réemploi linguistique, dans un contexte devenu évident par l'image. Sans tomber dans le travers selon lequel la communication en classe de langue serait le seul moyen d'apprendre la langue, on peut retenir la nécessité de proposer à l'imitation des modèles de langue dans des situations de communication authentique entre autochtones. En cela, la vidéo s'avère avantageuse, comme le résume le schéma suivant:

 

Communication par la vidéo : 

- gestuelle

- mimique

- kinesthésique

- proxémique : globale et illustrée par le décor

- verbale : informative et affective

  

Communication par le texte :

 - verbale seulement

 

 

 

Reconsidérer l'apprentissage des langues comme discipline de lycée

 

Jusqu'à la vidéo, on pouvait sans problème aller vers des théories internes, se contenter d'une explicitation qui restait à l'intérieur, mais qui était de fait une " implicitation " : la linguistique, le sujet apprenant. Plus que l'audio-oral, car une langue se parle, la vidéo crée une rupture en amenant le lieu, le sujet, l'extérieur, l'extra-linguistique mais qui entre dans la communication, dans l'échange. Quand on prend la vidéo (parfois associée au multimédia ou à l'Internet), on sort du schéma, car elle demande une explicitation qui oblige à prendre en compte autre chose que le simple apprentissage des langues. Elle amène à revisiter tout l'implicite que gère la discipline. La discipline fait partie des 'représentations sociales'. En prenant la vidéo, on sort de ces représentations sociales, on est obligé de réinterroger ce qui fait l'enseignement des langues au lycée.

La question de fond qui dès lors se pose est de savoir de quelle nature est la transformation que l'usage de la vidéo et des nouvelles technologies fait opérer à l'apprentissage des langues au lycée. Est-elle négligeable, la vidéo - comme l'Internet ou le multimédia - étant un support didactique de plus que la discipline est en mesure d'intégrer sans être modifiée en profondeur? A l'opposé, est-elle de nature, bien plus que les méthodes audiovisuelles, à être un vecteur intégrateur de toute la discipline , la remodelant, la structurant à partir d'elle-même? Ou bien la solution est-elle à chercher dans une façon nouvelle de considérer le rapport entre la discipline et la didactique?

On peut penser que la vidéo interroge tout l'enseignement et contribue à le resituer dans le cadre de la discipline. De ce fait, tout porte à croire qu'il n'y a pas, à proprement parler, d'approche télévisuelle. Nous n'avons d'ailleurs pas relevé une telle approche lors de l'étude des livrets pédagogiques vidéo. Les techniques (arrêt sur image, retour arrière, répétitions, cadrage, rythme, …) permettent des activités nombreuses et variées (cf. les 68 types d'activités ) mais pas la constitution de modèles didactiques qui seraient propres à l'emploi de la vidéo. Ceux-ci reposent sur des options plus générales, liées aux objectifs disciplinaires.

 

Les nouveaux modèles didactiques que reprend le cours avec la vidéo, l'Internet ou le multimédia

 

Alors que certains des modèles didactiques sont élaborés à partir de la tâche ou d'un support qui sera exploitée de manière précise , la prise en compte de l'hétérogénéité des classes - quant aux niveaux atteints, mais aussi quant aux différentes façons d'apprendre - demandera de concevoir des modèles qui prévoient le recours à plusieurs formes d'exploitation des supports, d'entraînement à la compréhension, à la mémorisation, à l'expression, en référence à différentes théories et différentes formes d'apprentissage.

C'est l'exigence disciplinaire qui fera rejeter les modèles qui viseraient à favoriser certains élèves, ceux qui sont doués pour l'abstraction par exemple, et donc à en défavoriser d'autres. Le professeur de langue ne reprendra donc pas les modèles didactiques qui ne concerneraient de fait qu'une partie des élèves de ses classes ou négligeraient de les considérer comme des jeunes qui sont encore en formation. La didactique de lycée, qui s'appuie sur différents modèles utilisés dans d'autres formes d'enseignement des langues (formation professionnelle, formation des adultes), se voit imposer de dépasser sa finalité propre pour intégrer les finalités disciplinaires.

 

Quand parfois on avait cru qu'enseigner la langue c'était former et que l'enseignement au lycée ne pouvait passer que par l'étude de textes, la vidéo et les nouveaux supports de cours obligent à repenser la discipline et ses finalités. Il faut donc éviter que le support ne fonctionne pour lui-même, et faire en sorte que chaque élève soit au centre du système, c'est-à-dire qu'il soit le sujet de cette formation linguistique, culturelle et générale.

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