CIORAN
Pour moi, écrire c'est me venger. Me venger contre le
monde, contre moi. A peu près tout ce que j'ai écrit fut le produit d'une
vengeance. Donc, un soulagement. Si la vengeance disparaissait par miracle, la
quasi-totalité des hommes tomberaient en proie à des maladies mentales
inconnues jusqu'alors. La santé pour moi consiste dans l'agression. Je ne
redoute rien tant que l'effondrement dans le calme. L’attaque fait partie des
conditions de mon équilibre.
" Secouer les gens, les tirer de
leur sommeil, tout en sachant que l'on commet un crime, et qu'il vaudrait mille
fois mieux les y laisser persévérer, puisque aussi bien lorsqu'ils s'éveillent
on n'a rien à leur proposer… "
Si on réfléchit aux choses,
on devrait cesser d'agir, de se mouvoir. On devrait se foutre par terre, et
pleurer.
- "
Pourquoi tout cela ? - Parce que je suis né."
- "Je sais que ma naissance est un hasard, un accident risible, et
cependant, dès que je m'oublie, je me comporte comme si elle était un événement
capital, indispensable à la marche et à l'équilibre du monde."
- "Avoir commis tous les crimes, hormis celui d'être père."
- "Le vrai contact entre les êtres ne s'établit que par la présence
muette, par l'apparente non-communication, par l'échange mystérieux et
sans parole qui ressemble à la prière intérieure."
- "Ce que je sais à soixante, je le savais aussi bien à vingt.
Quarante ans d'un long, d'un superflu travail de vérification..."
- "Que tout soit dépourvu de consistance, de fondement, de
justification, j'en suis d'ordinaire si assuré, que, celui qui oserait me
contredire, fût-il l'homme que j'estime le plus, m'apparaîtrait comme un
charlatan ou un abruti."
- "Etre en vie - tout à coup je suis frappé par l'étrangeté
de cette expression, comme si elle ne s'appliquait à personne."
- "Quand on revoit quelqu'un après de longues années, il faudrait
s'asseoir l'un en face de l'autre et ne rien se dire pendant des heures,
afin qu'à la faveur du silence la consternation puisse se savourer elle-même."
- "La clairvoyance est le seul vice qui rende libre - libre dans un
désert."
- "A mesure que les années passent, le nombre décroît de ceux avec
lesquels on peut s'entendre. Quand on n'aura plus personne à qui
s'adresser, on sera enfin tel qu'on était avant de choir dans un nom."
- "Quand on se refuse au lyrisme, noircir une page devient une épreuve
: à quoi bon écrire pour dire exactement ce qu'on avait à
dire?"
- "Il est impossible d'accepter d'être jugé par quelqu'un qui a
moins souffert que nous. Et comme chacun se croit un Job méconnu..."
- "Je rêve d'un confesseur idéal, à qui tout dire, tout avouer, je rêve
d'un saint blasé."
- "Nous n'avouons nos chagrins à un autre que pour le faire souffrir,
pour qu'il les prenne à son compte. Si nous voulions nous l'attacher, nous
ne lui ferions part que de nos tourments abstraits, les seuls qu'accueillent
avec empressement tous ceux qui nous aiment."
- "Je pense à tant d'amis qui ne sont plus, et je m'apitoie sur eux.
Pourtant ils ne sont pas tellement à plaindre, car ils ont résolu tous les
problèmes, en commençant par celui de la mort."
- "Il y a dans le fait de naître une telle absence de nécessite, que
lorsqu'on y songe un peu plus que de coutume, faute de savoir comment réagir,
on s'arrête à un sourire niais."
- "A mesure qu'on accumule les années, on se forme une image de plus
en plus sombre de l'avenir. Est-ce seulement pour se consoler d'en être
exclu? Oui en apparence, non en fait, car l'avenir a toujours été atroce,
l'homme ne pouvant remédier à ses maux qu'en les aggravant, de sorte qu'à
chaque époque l'existence est bien plus tolérable avabt que ne soit trouvée
la solution aux difficultés du moment."
- "Si, autrefois, devant un mort, je me demandais : 'A quoi cela lui
a-t-il servi de naître?', la même question, maintenant, je me la pose
devant n'importe quel vivant."
- "Pendant des années, en fait pendant une vie, n'avoir pensé qu'aux
derniers moments, pour constater, quand on en approche enfin, que cela aura
été inutile, que la pensée de la mort aide à tout, sauf à mourir!"
- "[..] N'être pas né, rien que d'y songer, quel bonheur,
quelle liberté, quel espace !"
- "Si le dégoût du monde conférait à lui seul la sainteté, je ne
vois pas comment je pourrais éviter la canonisation."
- "Il est plus aisé d'avancer avec des vices qu'avec des vertus. Les
vices, accomodants de nature, s'entraident, sont pleins d'indulgence les uns
à l'égard des autres, alors que les vertus, jalouses, se combattent et
s'annulent, et montrent en tout leur incompatibilité et leur intolérance."
- "C'est s'emballer pour des bricoles que de croire à ce qu'on fait ou
à ce que font les autres. On devrait fausser compagnie aux simulacres et même
aux 'réalités', se placer en dehors de tout et de tous, chasser ou broyer
ses appétits, vivre, selon un adage hindou, avec aussi peu de désirs qu'un
'éléphant solitaire'."
- "Le Temps, fécond en ressources, plus inventif et plus charitable
qu'on ne pense, possède une remarquable capacité de nous venir en aide, de
nous procurer à toute heure quelque humiliation nouvelle."
- "J'ai décidé de ne plus m'en prendre à personne depuis que j'ai
observé que je finis toujours par ressembler à mon dernier ennemi."
- "Pendant bien longtemps j'ai vécu avec l'idée que j'étais l'être
le plus normal qui fut jamais. Cette idée me donna le goût, voire la
passion, de l'improductivité : à quoi bon se faire valoir dans un monde
peuplé de fous, enfoncé dans la niaiserie ou le délire? Pour qui se dépenser
et à quelle fin? Reste à savoir si je me suis entièrement libéré de
cette certitude, aslvatrice dans l'absolu, ruineuse dans l'immédiat."
- "Le même sentiment d'inappartenance, de jeu inutile, où que j'aille
: je feins de m'intéresser à ce qui ne m'importe guère, je me trémousse
par automatisme ou par charité, sans jamais être dans le coup, sans jamais
être quelque part. Ce qui m'attire est ailleurs, et cet ailleurs je ne sais
ce qu'il est."
- "Je ne m'entends tout à fait bien avec quelqu'un que lorsqu'il est
au plus bas de lui-même et qu'il n'a ni le désir ni la force de réintégrer
ses illusions habituelles."
- "Ama nesciri, dit l'Imitation. Aime à être ignoré.
On n'est content de soi et du monde que lorsqu'on se conforme à ce précepte."
- "La valeur intrinsèque d'un livre ne dépend pas de l'importance du
sujet , mais de la manière d'aborder l'accidentel et l'insignifiant, de maîtriser
l'infime. L'essentiel n'a jamais exigé le moindre talent."
- "Le sentiment d'avoir dix mille ans de retard, ou d'avance, sur les
autres, d'appartenir aux débuts ou à la fin de l'humanité..."
- "Il est des nuits que le plus ingénieux des tortionnaires n'aurait
pu inventer. On en sort en miettes, stupide, égaré, sans souvenirs ni
pressentiments, et sans même savoir qui on est. Et c'est alors que le jour
paraît inutile, la lumière pernicieuse, et plus oppressante encore que les
ténèbres."
- "Ce n'est pas la peine de se tuer, puisqu'on se tue toujours trop
tard."
- "Quand on sait de façon absolue que tout est irréel, on ne voit
vraiment pas pourquoi on se fatiguerait à le prouver."
- "A bien considérer nos actes dits généreux, il n'en est aucun qui,
par un certain côté, ne soit blâmable et même nuisible, de nature à
nous inspirer le regret de l'avoir exécuté, si bien que n'avons à opter
en définitive qu'entre l'abstention et le remors."
- "La force explosive de la moindre mortification. Tout désir vaincu
rend puissant. On a d'autant plus de prise sur ce monde qu'on s'en éloigne,
qu'on n'y adhère pas. Le renoncement confère un pouvoir infini."
- "- Que faites-vous du matin au soir ? - Je me subis."
- "Je n'ai pas rencontré un seul esprit intéressant qui
n'ait été largement pourvu en déficiences inavouables."
- "Chacun croit, d'une façon inconsciente s'entend, qu'il poursuit
seul la vérité, que les autres sont incapables de la rechercher et
indignes de l'atteindre. Cette folie est si enracinée et si utile, qu'il
est impossible de se représenter ce qu'il adviendrait de chacun de nous, si
elle disparaissait un jour."
- "Le premier penseur fut sans nul doute le premier maniaque du pourquoi.
Manie inhabituelle, nullement contagieuse. Rares en effet sont ceux qui en
souffrent, qui sont rongés par l'interrogation, et qui ne peuvent accepter
aucune donnée parce qu'ils sont nés dans la consternation."
- "Cette seconde-ci a disparu pour toujours, elle s'est perdue dans la
masse anonyme de l'irrévocable. Elle ne reviendra jamais. J'en souffre et
je n'en souffre pas. Tout est unique - et insignifiant."
- "Sans la faculté d'oublier, notre passé pèserait d'un poids si
lourd sur notre présent que nous n'aurions pas la force d'aborder un seul
instant de plus, et encore moins d'y entrer. La vie ne paraît supportable
qu'aux natures légères, à celles précisément qui ne se souviennent
pas."
- "Une oeuvre n'existe que si elle est préparée dans l'ombre avec
attention, avec le soin de l'assassin qui médite son coup. Dans les deux
cas, ce qui prime, c'est la volonté de frapper."
- "La connaissance de soi, la plus amère de toutes, est aussi
celle que l'on cultive le moins : à quoi bon se surprendre du matin au soir
en flagrant délit d'illusion, remonter sans pitié à la racine de chaque
acte, et perdre cause après cause devant son propre tribunal?"
- "Toutes les fois que j'ai un trou de mémoire, je pense à l'angoisse
que doivent ressentir ceux qui savent qu'ils ne se souviennent plus
de rien. Mais quelque chose me dit qu'au bout d'un certain temps une joie
secrète les possède, qu'ils n'accepteraient d'échanger contre aucun de
leurs souvenirs, même le plus exaltant."
- "Si l'on pouvait se voir avec les yeux des autres, on disparaîtrait
sur-le-champ."
- "La conscience est bien plus que l'écharde, elle est le poignard
dans la chair."
- "Il y a de la férocité dans tous les états, sauf dans la joie. Le
mot Schadenfreude, joie maligne, est un contre-sens. Faire le mal
est un plaisir, non une joie. La joie, seule et vraie victoire sur le monde,
est pure dans son essence, elle est donc irréductible au plaisir, toujours
suspect et en lui-même et dans ses manifestations."
- "Le sage est celui qui consent à tout, parce qu'il ne s'identifie
avec rien. Un opportuniste sans désirs."
- "Ce que les autres font, nous avons toujours l'impression que nous
pourrions le faire mieux. Nous n'avons malheureusement pas le même
sentiment à l'égard de ce que nous faisons nous-même."
- "Un ouvrage est fini quand on ne peut plus l'améliorer, bien qu'on
le sache insuffisant et incomplet. On en est tellement excédé, qu'on n'a
plus le courage d'y ajouter une seule virgule, fût-elle indispensable. Ce
qui décide du degré d'achèvement d'une oeuvre, ce n'est nullement une
exigence d'art ou de vérité, c'est la fatigue et, plus encore, le dégoût."
- "Elle m'était complètement indifférente. Songeant tout à coup,
après tant d'années, que, quoi qu'il arrive, je ne la reverrai plus
jamais, j'ai failli me trouver mal. Nous ne comprenons ce qu'est la mort
qu'en nous rappelant soudain la figure de quelqu'un qui n'aura été rien
pour nous."
- "A mesure que l'art s'enfonce dans l'impasse, les artistes se
multiplient. Cette anomalie cesse d'en être une, si l'on songe que l'art,
en voie d'épuisement, est devenu à la fois impossible et facile."
- "Nul n'est responsable de ce qu'il est ni même de ce qu'il fait.
Cela est évident et tout le monde en convient plus ou moins. Pourquoi alors
célébrer ou dénigrer? Parce qu'exister équivaut à évaluer, à émettre
des jugements, et que l'abstention, quand elle n'est pas l'effet de
l'apathie ou de la lâcheté, exige un effort que personne n'entend
fournir."
- "Les douleurs imaginaires sont de loin les plus réelles, puisqu'on
en a un besoin constant et qu'on les invente parce qu'il n'y a pas moyen de
s'en passer."
- "Il n'y a pas de chagrin limite."
- "Si détrompé qu'on soit, il est impossible de vivre sans aucun
espoir. On en garde toujours un, à son insu, et cet espoir inconscient
compense tous les autres, explicites, qu'on a rejetés ou épuisés."
- "Plus quelqu'un est chargé d'années, plus il parle de sa
disparition comme d'un événement lointain, hautement improbable. Il a
tellement attrapé le pli de la vie, qu'il en est devenu inapte à la
mort."
- "Nous ne pardonnons qu'aux enfant et aux fous d'être francs avec
nous : les autres, s'ils ont l'audace de les imiter, s'en repentiront tôt
ou tard."
- "Pour être 'heureux', il faudrait constamment avoir présente
à l'esprit l'image des malheurs auxquels on a échappé. Ce serait là pour
la mémoire une façon de se racheter, vu que, ne conservant d'ordinaire que
les malheurs survenus, elle s'emploi à saboter le bonheur et qu'elle y réussit
à merveille."
- "Celui qui redoute le ridicule n'ira jamais loin en bien ni en mal,
il restera en deçà de ses talents, et lors même qu'il aurait du génie,
il serait encore voué à la médiocrité."
- "'Au milieu de vos activités les plus intenses, arrêtez-vous un
moment pour ``regarder'' votre esprit', - cette recommandation ne s'adresse
certainement pas à ceux qui ``regardent'' leur esprit nuit et jour, et qui
de ce fait n'ont pas à suspendre un instant leurs activités, pour la bonne
raison qu'ils n'en déploient aucune."
- "Ne dure que ce qui a été conçu dans la solitude, face à Dieu,
que l'on soit croyant ou non."
- "Sur le même sujet, sur le même événement, il peut se faire que
je change d'opinion dix, vingt, trente fois dans l'espace d'une journée. Et
qu'à chaque coup, comme le dernier des imposteurs, j'ose prononcer le mot
de ``vérité''."
- "Quiconque se voue à une oeuvre croit - sans en être
conscient - qu'elle survivra aux années, aux siècles, au temps lui-même...
S'il sentait, pendant qu'il s'y consacre, qu'elle est périssable,
il l'abandonnerait en chemin, il ne pourrait pas l'achever. Activité et
duperie sont termes corrélatifs."
- "[..] On ne s'enrichit qu'en fréquentant des disciplines éloignées
de la sienne. "
- "A-t-on le droit de se fâcher contre quelqu'un qui vous traite de
monstre? Le monstre est seul par définition, et la solitude, même celle de
l'infamie, suppose quelque chose de positif, une élection un peu spéciale,
mais élection, indéniablement."
- "'Ne juge personne avant de te mettre à sa place.' Ce vieux proverbe
rend tout jugement impossible, car nous ne jugeons quelqu'un que parce que
justement nous ne pouvons nous mettre à sa place."
- "Est ennuyeux quiconque ne condescend pas à faire impression. Le
vaniteux est presque toujours irritant mais il se dépense, il fait un
effort : c'est un raseur qui ne voudrait pas l'être, et on lui en est
reconnaissant : on finit par le supporter, et même par le rechercher. En
revanche, on est pâle de rage devant quelqu'un qui d'aucune façon ne vise
à l'effet. Que lui dire et qu'en attendre? Il faut garder quelques traces
du singe, ou alors rester chez soi."
- "On ne redoute l'avenir que lorsqu'on n'est pas sûr de pouvoir se
tuer au moment voulu."
- "L'antidote de l'ennui est la peur. Il faut que le remède soit plus
fort que le mal."
- "Si je pouvais m'élever au niveau de celui que j'aurais aimé être!
Mais je ne sais qu'elle force, qui s'accroît avec les années, me tire vers
le bas. Même pour remonter à ma surface, il faut user de stratagèmes
auxquels je ne peux penser sans rougir."
- "Il faut souffrir jusqu'au bout, jusqu'au moment où l'on cesse de croire
à la souffrance."
- "'La vérité demeure cachée pour celui qu'emplissent le désir et
la haine.' ... C'est à dire pour tout vivant."
- "'Un ennemi est aussi utile qu'un Bouddha.' C'est bien cela. Car
notre ennemi veille sur nous, il nous empêche de nous laisser aller. En
signalant, en divulguant la moindre de nos défaillances, il nous conduit en
ligne droite à notre salut, il met tout en oeuvre pour que nous ne soyons
pas indigne de l'idée qu'il s'est faite de nous. Aussi notre gratitude à
son égard devrait-elle être sans bornes."
- "La maxime stoïcienne selon laquelle nous devons nous plier sans
murmure aux choses qui ne dépendent pas de nous, ne tient compte que des
malheurs extérieurs, qui échappent à notre volonté. Mais ceux qui
viennent de nous-mêmes, comment nous en accomoder? Si nous sommes la source
de nos maux, à qui nous en prendre? à nous-mêmes? Nous nous arrangeons
heureusement pour oublier que nous sommes les vrais coupables, et d'ailleurs
l'existence n'est tolérable que si nous renouvelons chaque jour ce message
et cet oubli."
- "Plus quelqu'un est comblé de dons, moins il avance sur le plan
spirituel. Le talent est un obstacle à la vie intérieure."
- "L'anxiété n'est provoquée par rien, elle cherche à se
donner une justification, et, pour y parvenir, se sert de n'importe quoi,
des prétextes les plus misérables, auxquels elle s'accroche, après les
avoir inventés. Réalité en soi qui précède ses expressions particulières,
ses variétés, elle se suscite, elle s'engendre elle-même, elle est 'création
infinie', plus propre, comme telle, à rappeler les agissements de la
divinité que ceux de la psyché."
- "Devant une tombe, les mots : jeu, imposture, plaisanterie, rêve,
s'imposent. Impossible de penser qu'exister soit un phénomène sérieux.
Certitude d'une tricherie au départ, à la base. On devrait marquer au
fronton des cimetières : ``Rien n'est tragique. Tout est irréel''."
- "On ne crée pas une oeuvre sans s'y attacher, sans s'y asservir.
Ecrire est l'acte le moins ascétique qui soit."
- "Dans le Dhammapada, il est recommandé, pour obtenir la
délivrance,
de secouer la double chaîne du Bien et du Mal. Que le Bien lui-même soit
une entrave, nous sommes trop arriérés spirituellement pour pouvoir
l'admettre. Aussi ne serons-nous pas délivrés."
- "Tout tourne autour de la douleur; le reste est accessoire, voire
inexistant, puisqu'on ne se souvient que de ce qui fait mal. Les sensations
douloureuses étant seules réelles, il est à peu près inutile d'en éprouver
d'autres."
- "Est libre celui qui a discerné l'inanité de tous les points
de vue, et libéré celui qui en a tiré les conséquences."
- "Si j'ai pu tenir jusqu'à présent, c'est qu'à chaque
abattement, qui me paraissait intolérable, un second succédait, plus
atroce, puis un troisième, et ainsi de suite. Serais-je en enfer, que je
souhaiterais en voir les cercles se multiplier, pour pouvoir escompter une
épreuve nouvelle, plus riche que la précédente. Politique salutaire, en
matière de tourments tout au moins."
- "Nous aurions dû être dispensés de traîner un corps. Le
fardeau du moi suffisait."
- "Quand il me faut mener à bien une tâche que j'ai assumée par nécessite
ou par goût, à peine m'y suis-je attaqué, que tout me semble important,
tout me séduit, sauf elle."
- "Se tuer parce qu'on est ce qu'on est, oui, mais non parce que
l'humanité entière vous cracherait à la figure !"
- "Impossible de ne pas en vouloir à ceux qui nous écrivent des
lettres bouleversantes."
- "On ne peut pardonner à ceux qu'on a portés aux nues, on est
impatient de rompre avec eux, de briser la chaîne la plus délicate qui
existe : celle de l'admiration..., non par insolence mais par aspiration à
se retrouver, à être libre, à être soi. On n'y parvient que par un acte
d'injustice."
- "Les enfants se retournent, doivent se retourner contre leurs
parents, et les parents n'y peuvent rien, car ils sont soumis à une loi qui
régit les rapports des vivants en général, à savoir que chacun engendre
son propre ennemi."
- "On nous a tant appris à nous cramponner aux choses que, lorsque
nous voulons nous en affranchir, nous ne savons pas comment nous y prendre.
Et si la mort ne venait pas nous y aider, notre entêtement à subsister
nous ferait trouver une formule d'existence par-delà l'usure, par-delà la
sénilité elle-même."
- "Tout s'explique à merveille si on admet que la naissance est un événement
néfaste ou tout au moins inopportun ; mais si l'on est d'un autre avis, on
doit se résigner à l'inintelligible, ou alors tricher comme tout le
monde."
- "Il était au-dessus de tous, et il n'y était pour rien : il avait
simplement oublié de désirer..."
- "Un livre est un suicide différé."
- "Toute amitié est un drame inapparent, une suite de blessures
subtiles."
- "Plus on vit, moins il semble utile d'avoir vécu."
- "Aucun autocrate n'a dispos" d'un pouvoir comparable à celui
dont jouit un pauvre bougre qui envisage de se tuer."
- "S'éduquer à ne pas laisser de traces, c'est une guerre de
chaque instant qu'on se fait à soi-même, à seule fin de se prouver qu'on
pourrait, si l'on y tenait, devenir un sage..."
- "La force dissolvante de la conversation. On comprend pourquoi
et la méditation et l'action exigent le silence."
- "Il est rare de tomber sur un esprit libre, et quand on en rencontre
un, on s'aperçoit que le meilleur de lui-même ne se révèle pas dans ses
ouvrages mais dans ces confidences où, dégagé de ses convictions ou de
ses poses, comme de tout souci de rigueur ou d'honorabilité, il étale ses
faiblesses. Et où il fait figure d'hérétique par rapport à lui-même."
- "La vérité réside dans le drame individuel. Si je souffre réellement,
je souffre beaucoup plus qu'un individu, je dépasse la sphère de mon moi,
je rejoins l'essence des autres. La seule manière de nous acheminer vers
l'universel est de nous occuper uniquement de ce qui nous regarde."
- "Assiégé par les autres, j'essaie de m'en dégager, sans grand succès,
il faut bien le dire. Je parviens néanmoins à me ménager chaque jour
quelques secondes d'entretien avec celui que j'aurais voulu être."
- "Arrivé à un certain âge, on devrait changer de nom et se réfugier
dans un coin perdu où l'on ne connaîtrait personne, où l'on ne risquerait
de revoir amis et ennemis, où l'on ménerait la vie paisible d'un
malfaiteur surmené."
- "On ne peut réfléchir et être modeste. Dès que l'esprit se
met en branle, il se substitue à Dieu et à n'importe quoi. Il est indiscrétion,
empiétement, profanation. Il ne ``travaille'' pas, il disloque. La tension
que trahissent ses démarches en révèle le caractère brutal, implacable.
Sans une bonne dose de férocité, on ne saurait conduire une pensée
jusqu'au bout."
- "Chaque fois que le Temps me martyrise, je me dis que l'un de
nous deux doit sauter, qu'il n'est pas possible de continuer indéfiniment
dans ce cruel face à face."
- "Je n'admirerais qu'un homme déshonoré - et heureux. Voilà
quelqu'un, me dirais-je, qui fait fi de l'opinion de ses semblables et qui
puise bonheur et consolation en lui seul."
- "Le fanatisme est la mort de la conversation. On ne bavarde pas avec
un candidat au martyre. Que dire à quelqu'un qui refuse de pénétrer vos
raisons et qui, du moment que l'on ne s'incline pas devant les siennes,
aimerait mieux périr que céder? Vivement des dilettantes et des sophistes
qui, eux du moins, entrent dans toutes les raisons..."
- "C'est s'investir d'une supériorité bien abusive que de dire à
quelqu'un ce qu'on pense de lui et de ce qu'il fait. La franchise n'est pas
compatible avec un sentiment délicat, elle ne l'est même pas avec une
exigence éthique."
- "Nos proches, entre tous, mettent le plus volontiers nos mérites en
doute. La règle est universelle : le Bouddha lui-même n'y échappa pas :
c'est un de ses cousins qui s'acharna le plus contre lui, et ensuite
seulement, Mârâ, le diable."
- "Existence = Tourment. L'équation me paraît évidente. Elle ne
l'est pas pour tel de mes amis. Comment l'en convaincre? Je ne peux lui prêter
mes sensations; or, elles seules auraient le pouvoir de le persuader, de lui
apporter ce supplément de mal-être qu'il réclame avec insistance depuis
si longtemps."
- "Jeune, aucun plaisir ne valait celui de me créer des ennemis.
Maintenant, dès que je m'en fais un, ma première pensée est de me réconcilier
avec lui, pour que je n'aie plus à m'en occuper. Avoir des ennemis est une
grande responsabilité. Mon fardeau me suffit, je ne peux plus porter celui
des autres."
- "Il faudrait se répéter chaque jour : Je suis l'un de ceux qui, par
milliards, se traînent sur la surface du globe. L'un d'eux, et rien de
plus. Cette banalité justifie n'importe quelle conclusion, n'importe quel
comportement ou acte : débauche, chasteté, suicide, travail, crime,
paresse ou rébellion.
...D'où il suit que chacun a raison de faire ce qu'il fait."
- "Personne n'a été autant que moi persuadé de la futilité de tout,
personne non plus n'aura pris au tragique un si grand nombre de choses
futiles."
- "L'humanité, une fois détruite ou simplement éteinte, on peut se
figurer un survivant, l'unique, qui errerait sur la terre, sans même avoir à
qui se livrer..."
- "Une seule chose importe : apprendre à être perdant."
- "Anéantir donne un sentiment de puissance et flatte quelque
chose d'obscur, d'originel en nous. Ce n'est pas en érigeant,
c'est en pulvérisant que nous pouvons deviner les satisfactions secrètes
d'un dieu. D'où l'attrait de la destruction et les illusions qu'elle
suscite chez les frénétiques de tout âge."
- "Chaque génération vit dans l'absolu : elle se comporte comme
si elle était parvenue au sommet, sinon à la fin, de l'histoire."
- "N'importe quel peuple, à un certain moment de sa carrière, se
croit élu. C'est alors qu'il donne le meilleur et le pire de lui-même."
- "Ce qui est fâcheux dans les malheurs publics, c'est que n'importe
qui s'estime assez compétent pour en parler."
- "Le droit de supprimer tous ceux qui nous agacent devrait
figurer en première place dans la constitution de la Cité idéale."
- "La seule chose qu'on devrait apprendre aux jeunes est qu'il n'y a
rien, mettons presque rien, à attendre de la vie. On rêve d'un Tableau
des Déceptions où figureraient tous les mécomptes réservés à
chacun, et qu'on afficherait dans les écoles."
- "Ma vision de l'avenir est si précise que, si j'avais des
enfants, je les étranglerais sur l'heure."
- "N'a de convictions que celui qui n'a rien approfondi."
- "Tous les grands événements ont été déclenchés par des fous,
par des fous... médiocres. Il en sera ainsi, soyons-en certains, de la
``fin du monde'' elle-même."
- "L'appétit de destruction est si ancré en nous, que personne
n'arrive à extirper. Il fait partie de la constitution de chacun, le fond
de l'être même étant certainement démoniaque.
Le sage est un destructeur apaisé, retraité. Les autres sont des
destructeurs en exercice."
- "Ce qui rend la destruction suspecte, c'est sa facilité. Le
premier venu peut y exceller. Mais si détruire est aisé, se détruire
l'est moins. Supériorité du déchu sur l'agitateur ou l'anarchiste."
- "L'homme, à en croire Hegel, ne sera tout à fait libre ``qu'en
s'entourant d'un monde entièrement créé par lui''. Mais c'est précisément
ce qu'il a fait, et il n'a jamais été aussi enchaîné, aussi esclave que
maintenant."
- "Si chacun avait ``compris'', l'histoire aurait cessé depuis
longtemps. Mais on est foncièrement, on est biologiquement inapte à
``comprendre''. Et si même tous comprenaient, sauf un, l'histoire se perpétuerait
à cause de lui, à cause de son aveuglement. A cause d'une seule
illusion!"
- "Ce qu'on appelle instinct créateur n'est qu'une déviation, qu'une
perversion de notre nature : nous n'avons pas été mis au monde pour
innover, pour bouleverser mais pour jouir de notre semblant d'être, pour le
liquider doucement et disparaître ensuite sans bruit."
- "Tout ce que nous poursuivons, c'est par besoin de tourment. La quête
du salut est elle-même un tourment, le plus subtil et le mieux camouflé de
tous."
- "S'il est vrai que par la mort on redevienne ce qu'on était avant d'être,
n'aurait-il pas mieux valu s'en tenir à la pure possibilité, et n'en point
bouger? A quoi bon ce crochet, quand on pouvait demeurer pour toujours dans
une plénitude irréalisée?"
- "L'anxieux s'agrippe à tout ce qui peut renforcer, stimuler son
providentiel malaise : vouloir l'en guérir c'est ébranler son équilibre,
l'anxiété étant la base de son existence et sa prospérité. Le
confesseur malin sait qu'elle est nécessaire, qu'on ne peut s'en passer une
fois qu'on l'a connue. Comme il n'ose en proclamer les bienfaits, il se sert
d'un détour, il vante le remords, anxiété admise, anxiété honorable.
Ses clients lui en sont reconnaissants. Aussi réussit-il à les conserver
sans peine, alors que ses collègues laïcs se débattent et s'aplatissent
pour garder les leurs."
- "Lorsqu'on a commis la folie de confier à quelqu'un un secret, le
seul moyen d'être sûr qu'il le gardera pour lui, est de le tuer sur le
champ."
- "On ne peut admirer quelqu'un que s'il est aux trois quarts
irresponsable. L'admiration n'a rien à voir avec le respect."
- "L'avantage non négligeable d'avoir beaucoup haï les hommes
est d'en arriver à les supporter par épuisement de cette haine même."
- "Les vertus n'ont pas de visage. Impersonnelles, abstraites,
conventionnelles, elles s'usent plus vite que les vices, lesquels, autrement
chargés de vitalité, se définissent et s'aggravent avec l'âge."
- "Pourquoi broder sur ce qui exclut le commentaire? Un texte expliqué
n'est plus un texte. On vit avec une idée, on ne la désarticule pas; on
lutte avec elle, on n'en décrit pas les étapes. L'histoire de la
philosophie est la négation de la philosophie."
- "Ayant voulu savoir, par un scrupule assez douteux, de quelles choses
exactement j'étais fatigué, je me mis à en dresser la liste : bien
qu'incomplète, elle me parut si longue, et si déprimante, que je crus préférable
de me rabattre surla fatigue en soi, formule flatteuse qui, grâce
à son ingrédient philosophique, remonterait un pestiféré."
- "Depuis des années, sans café, sans alcool, sans tabac! Par
bonheur, l'anxiété est là, qui remplace utilement les excitants les plus
forts."
- "Le reproche le plus grave à faire aux régimes policiers est qu'ils
obligent à détruire, par mesure de prudence, lettres et journaux intimes,
c'est-à-dire ce qu'il y a de moins faux en littérature."
- "Je ne suis rien, c'est évident, mais, comme pendant longtemps j'ai
voulu être quelque chose, cette volonté, je n'arrive pas à l'étouffer :
elle existe puisqu'elle a existé, elle me travaille et me domine, bien que
je la rejette. J'ai beau la reléguer dans mon passé, elle se rebiffe et me
harcèle : n'ayant jamais été satisfaite, elle s'est maintenue intacte, et
n'entend pas se plier à mes injonctions. Pris entre ma volonté et moi, que
puis-je faire?"
- "C'est une grande force, et une grande chance, que de pouvoir
vivre sans ambition aucune. je m'y astreins. Mais le fait de m'y astreindre
participe encore de l'ambition."
- "Je n'ai pas connu une seule sensation de plénitude, de
bonheur véritable, sans penser que c'était le moment ou jamais de
m'effacer pour toujours."
- "A quoi rime ce qu'on dit? Cette suite de propositions qui constitue
le discours, a-t-elle un sens? Et ces propositions, prises une à une,
ont-elles un objet?
On ne peut parler que si on fait abstraction de cette question, ou
qu'on se la pose le moins souvent possible."
- "Au fond de soi, chacun se sent et se croit immortel, dût-il
savoir qu'il va expirer dans un instant. On peut tout comprendre, tout
admettre, tout réaliser, sauf sa mort, alors même qu'on y pense
sans relâche et que l'on y est résigné."
- "On opte, on tranche aussi longtemps qu'on s'en tient à la
surface des choses; dès qu'on va au fond, on ne peut plus trancher ni
opter, on ne peut plus que regretter la surface..."
- "Quand on se connaît bien, si on ne se méprise pas
totalement, c'est parce qu'on est trop las pour se livrer à des sentiments
extrêmes."
- "Ne plus vouloir être homme..., rêver d'une autre forme de déchéance."
- "Ce que chacun, qu'il ait de la patience ou non, attend depuis
toujours, c'est évidemment la mort. Mais il ne le sait que lorsqu'elle
arrive..., lorsqu'il est trop tard pour pouvoir en jouir."
- "Cet instant-ci, mien encore, le voilà qui s'écoule, qui m'échappe,
le voilà englouti. Vais-je me commettre avec le suivant? Je m'y décide :
il est là, il m'appartient, et déjà il est loin. Du matin au soir,
fabriquer du passé."
- "``... le sentiment d'être tout et l'évidence de n'être
rien''. Le hasard me fit tomber, dans ma jeunesse, sur ce bout de phrase.
J'en fus bouleversé. Tout ce que je ressentais alors, et tout ce que je
devais ressentir par la suite, se trouvait ramassé dans cette
extraordinaire formule banale, synthèse de dilatation et d'échec, d'extase
et d'impasse. Le plus souvent ce n'est pas d'un paradoxe, c'est d'un truisme
que surgit une révélation."
- "L'idée de progrès, on ne peut s'en passer, et pourtant elle ne mérite
pas qu'on s'y arrête. C'est comme le ``sens'' de la vie. Il faut
que la vie en ait un. Mais en existe-t-il un seul qui, à l'examen, ne se révèle
pas dérisoire?"
- "[..] L'homme est le cancer de la terre."
- "La lucidité n'extirpe pas le désir de vivre, tant s'en faut,
elle rend simplement impropre à la vie."
- "La souffrance ouvre les yeux, aide à voir les choses qu'on n'aurait
pas perçues autrement. Elle n'est donc utile qu'à la connaissance, et,
hors de là, ne sert qu'à envenimer l'existence. Ce qui, soit dit en
passant, favorise encore la connaissance.
``Il a souffert, donc il a compris.'' C'est tout ce qu'on peut dire d'une
victime de la maladie, de l'injustice, ou de n'importe quelle variété
d'infortune. La souffrance n'améliore personne, elle est oubliée comme
sont oubliées toutes choses, elle n'entre pas dans le ``patrimoine de
l'humanité'', ni ne se conserve d'aucune manière, mais se perd comme tout
se perd. Encore une fois, elle ne sert qu'à ouvrir les yeux."
- "Règle d'or : laisser une image incomplète de soi..."
- "A chaque âge, des signes plus ou moins distincts nous avertissent
qu'il est temps de vider les lieux. Nous hésitons, nous ajournons, persuadés
que, la vieillesse enfin venue, ces signes deviendront si nets que balancer
encore serait inconvenant. Nets, ils le sont en effet, mais nous n'avons
plus assez de vigueur pour accomplir le seul acte décent qu'un vivant
puisse commettre."
- "Si nous réussissons à durer malgré tout, c'est parce que
nos infirmités sont si multiples et si contradictoires, qu'elles s'annulent
les unes les autres."
- "Les seuls moments auxquels je pense avec réconfort, sont ceux où
j'ai souhaité n'être rien pour personne, où j'ai rougi à l'idée de
laisser la moindre trace dans la mémoire de qui que ce soit..."
- "Si nous voulons voir diminuer le nombre de nos déceptions ou de nos
fureurs, il importe, en toute circonstance, de nous rappeler que nous sommes
là pour nous rendre malheureux les uns les autres, et que s'insurger contre
cet état de choses c'est saper le fondement même de la vie en
commun."
- "Pour celui qui a pris la fâcheuse habitude de démasquer les
apparences, événement et malentendu sont synonymes.
Aller çà l'essentiel, c'est abandonner la partie, c'est s'avouer
vaincu."
- "Le dernier pas vers l'indifférence est la destruction de l'idée même
d'indifférence."
- "Quelqu'un que nous plaçons très haut nous devient plus
proche quand il accomplit un acte indigne de lui. Par là, il nous dispense
du calvaire de la vénération. Et c'est à partir de ce moment que nous éprouvons
à son égard un véritable attachement."
- "Dans les sensations de douleur très fortes, beaucoup plus que
dans les faibles, on s'observe, on se dédouble, on demeure extérieur à
soi, quand bien même on gémit ou on hurle. Tout ce qui confine au supplice
réveille en chacun le psychologue, le curieux, ainsi que l'expérimentateur
: on veut voir jusqu'où on peut aller dans l'intolérable."
- "Le trac devant quoi que ce soit, devant le plein et le vide également.
Le trac originel..."
- "La curiosité de mesurer ses progrès dans la déchéance, est
la seule raison qu'on a d'avancer en âge. On se croyait arrivé à la
limite, on pensait que l'horizon était à jamais bouché, on se lamentait,
on se laissait aller au découragement. Et puis on s'aperçoit qu'on peut
tomber plus bas encore, qu'il y a du nouveau, que tout espoir n'est pas
perdu, qu'il est possible de s'enfoncer un peu plus et d'écarter ainsi le
danger de se figer, de se scléroser."
- "``Après moi le déluge'' est la devise inavouée de tout un
chacun : si nous admettons que d'autres nous survivent, c'est avec l'espoir
qu'ils en seront punis."
- "Se manifester, oeuvrer, dans n'importe quel domaine, est le fait
d'un fanatique plus ou moins camouflé. Si on ne s'estime pas investi d'une
mission, exister est difficile; agir, impossible."
- : "Il n'est pas de position plus fausse que d'avoir compris et de
rester encore en vie."
- "La mort est la providence de ceux qui auront eu le goût et le
don du fiasco, elle est la récompense de tous ceux qui n'ont pas abouti,
qui ne tenaient pas à aboutir... Elle leur donne raison, elle est leur
triomphe. En revanche, pour les autres, pour ceux qui ont peiné pour réussir,
et qui ont réussi, quel démenti, quelle gifle!"
- "J'ai toujours vécu avec la conscience de l'impossibilité de vivre.
Et ce qui m'a rendu l'existence supportable, c'est la curiosité de voir
comment j'allais passer d'une minute, d'une journée, d'une année à
l'autre."
- "Quand on ne croit plus en soi-même, on cesse de produire ou
de batailler, on cesse même de se poser des questions ou d'y répondre,
alors que c'est le contraire qui devrait avoir lieu, vu que c'est justement
à partir de ce moment qu'étant libre d'attaches, on est apte à saisir le
vrai, à discerner ce qui est réel de ce qui ne l'est pas. Mais une fois
tarie la croyance à son propre rôle, ou à son propre lot, on devient
incurieux de tout, même de la ``vérité'', bien qu'on en soit plus près
que jamais."
- "Vais-je pouvoir rester encore debout? vais-je m'écrouler?"
- "Je ne connais personne de plus inutile et de plus inutilisable que
moi. C'est là une donnée que je devrais accepter tout simplement, sans en
tirer la moindre fierté. Tant qu'il n'en sera pas ainsi, la conscience de
mon inutilité ne me servira à rien."
- "Qu'avez-vous, mais qu'avez-vous donc? - Je n'ai rien, je n'ai rien,
j'ai fait seulement un bond hors de mon sort, et je ne sais plus maintenant
vers quoi me tourner, vers quoi courir..."
Je me délie des apparences et m'y empêtre néanmoins;
ou plutôt : je suis à mi-chemin entre ces apparences et cela qui
les infirmes, cela qui n'a ni nom ni contenu, cela qui est rien et qui est tout.
Le pas décisif hors d'elles, je ne le franchirai jamais. Ma nature m'oblige à
flotter, à m'éterniser dans l'équivoque, et si je tâchais de trancher dans
un sens ou dans l'autre, je périrais par mon salut.
*
Ma faculté d'être déçu dépasse l'entendement.
C'est elle qui me fait comprendre le Bouddha, mais c'est elle aussi qui m'empêche
de le suivre.
*
Ce sur quoi nous ne pouvons plus nous apitoyer, ne
compte et n'existe plus. On s'aperçoit pourquoi notre passé cesse si vite de
nous appartenir pour prendre figure d'histoire, de quelque chose qui ne regarde
plus personne.
*
Au plus profond de soi, aspirer à être aussi dépossédé,
aussi lamentable que Dieu.
*
Ce que je sais à soixante, je le savais aussi bien à
vingt. Quarante ans d'un long, d'un superflu travail de vérification…
*
Que tout soit dépourvu de consistance, de fondement,
de justification, j'en suis d'ordinaire si assuré, que, celui qui oserait me
contredire, fût-il l'homme que j'estime le plus, m'apparaîtrait comme un
charlatan ou un abruti.
*
Si la mort n'avait que des côté négatifs, mourir
serait un acte impraticable.
*
Tout est ; rien n'est. L'une
et l'autre formule apportent une égale sérénité. L'anxieux, pour son malheur,
reste entre les deux, tremblant et perplexe, toujours à la merci d'une nuance,
incapable de s'établir dans la sécurité de l'être ou de l'abscence d'être.
*
Etre en vie - tout
à coup je suis frappé par l'étrangeté de cette expression, comme si elle ne
s'appliquait à personne.
*
Chaque fois que cela ne va pas et que j'ai pitié de
mon cerveau, je suis emporté par une irrésistible envie de proclamer. C'est
alors que je devine de quels piètres abîmes surgissent réformateurs, prophètes
et sauveurs.
*
Trois heures du matin. Je perçois cette seconde, et puis
une autre, je fais le bilan de chaque minute.
Pourquoi tout cela ? - Parce que je suis né.
C'est d'un type spécial de veilles que dérive la mise en cause de la
naissance.
*
« Depuis que je suis au monde » - ce depuis
me paraît chargé d'une signification si effrayante qu'elle en devient
insoutenable.
*
Il existe une connaissance qui enlève poids et portée
à ce qu'on fait : pour elle, tout est privé de fondement, sauf
elle-même. Pure au point d'abhorrer jusqu'à l'idée d'objet, elle traduit ce
savoir extrême selon lequel commettre ou ne pas commettre un acte c'est tout un
et qui s'accompagne d'une satisfaction extrême elle aussi : celle de
pouvoir répéter, en chaque rencontre, qu'aucun geste qu'on exécute ne vaut
qu'on y adhère, que rien n'est rehaussé par quelque trace de substance, que la
« réalité » est du ressort de l'insensé. Une telle connaissance
mériterait d'être appelé posthume : elle s'opère comme si le
connaissant était vivant et non vivant, être et souvenir d'être.
« C'est déjà du passé », dit-il de tout ce qu'il accomplit, dans
l'instant même de l'acte, qui de la sorte est à jamais destitué de présent.
*
Je ne fais rien, c'est entendu. Mais je vois les
heures passer - ce qui vaut mieux qu'essayer de les remplir.
*
Il ne faut pas s'astreindre à une oeuvre, il faut
simplement dire quelque chose qui puisse se murmurer à l'oreille d'un ivrogne
ou d'un mourrant.
*
A quel point l'humanité est en régression, rien ne le
prouve mieux que l'impossibilité de trouver un seul peuple, une seule tribu,
où la naissance provoque encore deuil et lamentations.
*
S'insurger contre l'hérédité c'est s'insurger contre
des milliards d'années, contre la première cellule.
*
Il y a un dieu au départ, sinon au bout de toute joie.
*
Jamais à l'aise dans l'immédiat, ne me séduit que ce
qui me précède, que ce qui m'éloigne d'ici, les instants sans nombre où je
ne fus pas: le non-né.
*
De quel droit vous mettez-vous à prier pour moi ? Je
n'ai pas besoins d'intercesseur, je me débrouillerai seul. De la part
d'un misérable, j'accepterais peut-être, mais de personne d'autre, fût-ce
d'un saint. Je ne puis tolérer qu'on s'inquiète de mon salut. Si je
l'appréhende et le fuis, quelle indiscrétion que vos prières !
Dirigez-les ailleurs; de toute manière, nous ne sommes pas au services des
mêmes dieux. Si les miens sont impuissants, il y a tout lieu de croire que les
vôtres ne le sont pas moins. En supposant même qu'ils soient tels que vous les
imaginez, il leur manquerait encore le pouvoir de me guérir d'une horreur plus
vieille que ma mémoire.
*
Quelle misère qu'une sensation ! L'extase
elle-même n'est, peut-être, rien de plus.
*
Défaire, dé-créer, est la seule tâche que l'homme
puisse s'assigner, s'il aspire, comme tout l'indique, à se distinguer du
Créateur.
*
Avoir commis tout les crimes, hormis celui d'être
père.
*
En règle générale, les hommes attendent la
déception : ils savent qu'ils ne doivent pas s'impatienter, qu'elle
viendra tôt ou tard, qu'elle leur accordera les délais nécessaires pour
qu'ils puissent se livrer à leurs entreprises du moment. Il en va autrement du
détrompé : pour lui, elle survient en même temps que l'acte; il n'a pas
besoins de la guetter, elle est présente. En s'affranchissant de la succession,
il a dévoré le possible, rendu le futur superflu. « Je ne puis vous
rencontrer dans votre avenir, dit-il aux autres, Nous n'avons pas un seul
instant qui nous soient commun. » C'est que pour lui
l'ensemble de l'avenir est déjà là.
Lorsqu'on aperçoit la fin dans le commencement, on va
plus vite que le temps. L'illumination, déception foudroyante, dispense une
certitude qui transforme le détrompé en délivré.
J'aimerais être libre, éperdument libre. Libre comme
un mort-né.
"La vie est éthérée comme
le suicide d'un papillon."
*
"Jamais la vie ne m'a semblé digne d'être vécue. Elle mérite
mieux parfois, et parfois beaucoup moins."
*
"L'individuation est une orgie de solitude."
*
"L'âme d'une cathédrale gémit dans l'effort vertical de la pierre."
*
"Le besoin de consigner toutes les réflexions amères, par l'étrange peur
qu'on arriverait un jour à ne plus être triste..."
*
"Quelles aurores réveilleront mon esprit enivré d'irréparable ?"
Les instants se suivent les uns les autres : rien ne
leur prête l'illusion d'un contenu ou l'apparence d'une signification ; ils
se déroulent ; leur cours n'est pas le nôtre; nous en contemplons l'écoulement,
prisonniers d'une perception stupide. Le vide du cœur devant le vide du temps
: deux miroirs reflétant face à face leur absence, une même image de nullité...
Comme sous l'effet d'une idiotie songeuse, tout se nivelle : plus de sommets,
plus d'abîmes... Où découvrir la poésie des mensonges, l'aiguillon d'une
énigme ?
Celui qui ne connaît point l'ennui se trouve encore
à l'enfance du monde, où les âges attendaient de naître ; il demeure fermé
à ce temps fatigué qui se survit, qui rit de ses dimensions, et succombe au
seuil de son propre... avenir, entraînant avec lui la matière, élevée
subitement à un lyrisme de négation. L'ennui est l'écho en nous du temps
qui se déchire..., la révélation du vide, le tarissement de ce délire qui
soutient - ou invente - la vie...
Créateur de valeurs, l'homme est l'être délirant
par excellence, en proie à la croyance que quelque chose existe, alors qu'il
lui suffit de retenir son souffle : tout s'arrête; de suspendre ses émotions
: rien ne frémit plus; de supprimer ses caprices : tout devient terne. La réalité
est une création de nos excès, de nos démesures et de nos dérèglement. Un
frein à nos palpitations : le cours du monde se ralentit ; sans nos chaleurs,
l'espace est de glace. Le temps lui-même ne coule que parce que nos désirs
enfantent cet univers décoratif que dépouillerait un rien de lucidité. Un
grain de clairvoyance nous réduit à notre condition primordiale : la nudité;
un soupçon d'ironie nous dévêt de cet affublement d'espérances qui nous
permettent de nous tromper et d'imaginer l'illusion : tout chemin contraire mène
en dehors de la vie. L'ennui n'est que le début de cet itinéraire... Il nous
fait sentir le temps trop long, - inapte à nous dévoiler une fin. Détachés
de tous objet, n'ayant rien à assimiler de l'extérieur, nous nous détruisons
au ralenti, puisque le futur a cessé de nous offrir une raison d'être.
L'ennui nous révèle une éternité qui n'est pas le
dépassement du temps, mais sa ruine; il est l'infini des âmes pourries faute
de superstitions : un absolu plat où rien n'empêche plus les choses de
tourner en rond à la recherche de leur propre chut
La vie se crée dans le délire et se défait dans
l'ennui.
- Si nous croyons avec tant
d'ingénuité aux idées, c'est que nous oublions qu'elles ont été conçues
par des mammifères.
- Nous sommes tous des
farceurs : nous survivons à nos problèmes.
- Tout problème profane un
mystère ; à son tour le problème est profané par sa solution.
- Je ne vis que par ce qu'il
est en mon pouvoir de mourir quand bon me semblera : sans l'idée du
suicide, je me serais tué depuis longtemps.
- Les événements, ces tumeurs
du temps...
- L'homme se relèvera-t-il
du coup mortel qu'il a porté à la vie ?
- Il est des âmes que Dieu
lui-même ne pourrait sauver, dût-il se mettre à genoux et prier.
- Il n'est qu'un esprit lézardé
pour concevoir des ouvertures sur l'Au-delà.
- Dans cet univers
provisoire, nos axiomes n'ont qu'une valeur de faits divers.
- On cesse d'être jeune au
moment où on ne choisit plus ses ennemis, où l'on se contente de ceux que
l'on a sous la main.
- Ces idées qui survolent
l'espace et qui tout à coup, se heurtent aux parois du crâne.
- "Je suis comme
une marionnette cassée dont les yeux seraient tombés à l'intérieur"
: ce propos d'un malade mental pèse plus lourd que l'ensemble des oeuvres
d'introspection.
Les nuits blanches sont
d'une importance capitale!
Le type qui se lève le
matin après une nuit de sommeil a l'illusion de commencer quelque
chose.
(À propos de Dostoïevski:)
Je n'aimais que les grands malades, à vrai dire,
et, pour moi, un écrivain qui n'est pas malade est presque
automatiquement un type de second ordre.
Je relus les mystiques,
mais ce que j'aimais en eux c'était le côté excessif et surtout le
fait qu'ils parlaient avec Dieu d'homme à homme, si j'ose dire...
Les poètes, bien sûr,
m'ont passionné. Mais il y a aussi ce phénomène très balkanique: le
raté, c'est-à-dire le type très doué qui ne se réalise pas, qui
promet tout et ne tient pas ses promesses. Mes grands amis en Roumanie
n'étaient pas du tout des écrivains, mais des ratés.
(À propos d'un grand ami roumain:)
C'était un très gros type qui donnait
l'impression d'être très prospère et serein. Il n'était pas méchant,
il n'était pas salaud, mais il était incapable d'avoir la moindre
illusion sur quoi que ce soit. Cela représente aussi une forme de la
connaissance - car, au fond, qu'est-ce que la connaissance, sinon la démolition
de quelque chose?
Moi, je connais beaucoup
de gens qui ont écrit des romans et qui ont échoué - même Eliade a
écrit beaucoup de romans et il a échoué...
La vie est supportable
uniquement parce que l'on ne va pas jusqu'au bout.
|
La lucidité complète,
c'est le néant.
Je suis très sensible
au phénomène de l'ennui. Je me suis ennuyé toute ma vie - et la littérature
tourne autour de l'ennui, c'est le néant continu. Moi-même, j'ai vécu
le phénomène de l'ennui peut-être de façon pathologique, mais je
l'ai fait parce que je voulais m'ennuyer. Le problème est que quand on
s'ennuie partout, c'est fichu, n'est-ce pas?
Bach est un dieu pour
moi. Il m'est inconcevable de penser qu'il y a des gens qui ne
comprennent pas Bach, et pourtant cela existe... Quelqu'un qui n'est pas
sensible à la musique souffre d'une infirmité énorme.
Donc rien de ce qui fait
le sens de la musique ne passe dans l'écriture. Et pourquoi écrire
dans ces conditions? Et de toute façon pourquoi écrire en général?...
Tout le monde écrit trop d'ailleurs.
Donc celui qui écrit
c'est quelqu'un qui se vide. Et au bout d'une vie, c'est le néant.
C'est pour cela que les écrivains sont si peu intéressants.
(À propos de ses premières années à Paris:)
Il fallait tout faire pour ne pas gagner
sa vie. Pour être libre, il faut supporter n'importe quelle humiliation
et c'était presque le programme de ma vie... Cependant, comme j'avais décidé
de tout accepter, sauf faire ce que je n'aime pas, ça compliquait énormément
ma vie... Tout cela a disparu, c'est fichu maintenant.
|
On ne peut pas vivre
totalement en paradis - je veux dire en parasite.
Les seules années
importantes sont celles de l'anonymat. Être inconnu, c'est une volupté.
Ce n'est pas la peine de
faire des phrases, etc.
(À propos du communisme:)
Le drame de ces régimes, c'est l'optimisme
obligatoire.
(À propos de la démocratie en Roumanie:)
Les concepts purs n'ont aucune chance dans les
Balkans.
Une promenade au cimetière
est une leçon de sagesse presque automatique. Moi-même, j'ai toujours
pratiqué ce genre de méthodes; ça ne fait pas très sérieux, mais
c'est relativement efficace... Si vous avez la conscience du néant,
tout ce qui vous arrive garde ses proportions normales et ne prend pas
les proportions démentes qui caractérisent l'exagération du désespoir.
En fin de compte, l'expérience
de la vie, c'est l'échec. Ce sont surtout les ambitieux, ceux qui se
font un plan de vie, qui sont touchés, ceux qui pensent à l'avenir.
C'est pour cela que j'envoie les gens au cimetière.
Je trouve qu'il ne faut
plus écrire, il faut savoir renoncer... Et puis je me dis que j'en ai
assez de pester contre le monde et contre Dieu, ce n'est pas la peine.
|
Tout est apparence — mais
apparence de quoi ? Du Rien.
J’ai en moi un fond de
scepticisme sur lequel rien n’a de prise, et qui résiste à l’assaut de
toutes mes croyances, de toutes mes velléités métaphysiques.
Cette fièvre à l’état pur,
stérile, et ce cri gelé !
Avoir le sentiment obsédant de
son néant, ce n’est pas être humble, tant s’en faut. Un peu d’humilité,
un peu d’humilité, j’en aurais besoin plus que personne. Mais la
sensation de mon rien me gonflé d’orgueil.
Sensation d’insecte fixé à
une croix invisible, drame cosmique et infinitésimal, appesantissement sur
moi d’une main féroce et insaisissable.
Je dois me fabriquer un
sourire, m’en armer, me mettre sous sa protection, avoir quoi interposer
entre le monde et moi, camoufler mes blessures, faire enfin l’apprentissage
du masque.
Une vie de raté, de roulure,
de tristesses inutiles et épuisantes, de nostalgies sans objet et sans
direction ; un rien qui se traîne sur les chemins, et qui se vautre dans ses
douleurs et ses ricanements…
Ah ! si je pouvais me convertir
à mon essence ! mais si elle était corrompue ? Décidément, je m’infirme
et tout m’infirme. Il n’y a plus de trace de moi en moi-même.
Quand les autres ont cessé
d’exister pour nous, nous cessons d’exister à notre tour pour nous-même.
Mon père est mort il y a
exactement six mois.
L’ennui me reprend, cet ennui
que je connus dans mon enfance certains dimanches, et puis celui qui dévasta
mon adolescence. Un vide qui évacue l’espace, et contre lequel l’alcool
seul pourrait me défendre. Mais l’alcool m’est défendu, tous les remèdes
me sont défendus. Et dire que je m’obstine encore ! Mais en quoi je persévère
? Sans doute point dans l’être.
Ma pusillanimité m’a empêché
d’être moi-même. Je n’aurai eu le courage ni de vivre ni de me détruire.
Toujours à mi-chemin entre ma quasi-existence et mon néant.
" Un seul jour de solitude
me fait goûter plus de plaisir que tous mes triomphes ne m’en ont donné.
" (Charles Quint)
À vingt ans, j’avais un
insatiable désir de gloire ; — je ne l’ai plus maintenant. Et sans lui
comment agir ? Il ne me reste plus que la consolation d’une pensée intime
et inefficace.
Depuis des mois, je vis tous
mes moments d’angoisse dans la compagnie d’Emily Dickinson.
Je sens que je vais me réconcilier
avec la poésie. Il n’en saurait être autrement : je ne peux penser qu’à
moi-même…
L’abdication de Charles Quint
est le moment de l’histoire le plus cher à mon cœur. J’ai littéralement
vécu à Ouste dans la compagnie de l’empereur goutteux.
Renoncer à la "
conversation des créatures ", j’y aspire depuis longtemps, et n’y
arrive cependant que rarement, par à-coups, et à regret !
Je me fortifie par le mépris
que les hommes veulent bien me dispenser, et ne demande qu’une grâce :
celle de n’être rien à leurs yeux.
Le Livre selon mon âme : une
Imitation sans Jésus.
Le succès n’appelle pas forcément
le succès ; mais l’échec appelle toujours l’échec. Destin est un mot
qui n’a de sens que dans le malheur.
Puissances du Ciel ! que je
languis après le temps où l’on pouvait vous invoquer, où l’on ne
s’exclamait pas dans le vide, où le vide même n’existait pas encore !
Jeune, j’ai tant pensé à la
mort, que, vieux, je n’ai plus rien à en dire : un effroi rebattu.
"S'appesantir,
s'expliquer, démontrer - autant de formes de vulgarité."
"Toutes les eaux
sont couleur de noyade."
"J'ai perdu au
contact des hommes toute la fraîcheur de mes névroses."
"Comment peut-on
parler honnêtement d'autre chose que de Dieu ou de soi ?"
"C'est en vain que
l'Occident se cherche une agonie digne de son passé."
"On déclare la
guerre aux glandes, et on se prosterne devant les relents d'une pouffiasse...
Que peut l'orgueil contre la liturgie des odeurs, contre l'encens zoologique
?"
"Nous sommes tous
des farceurs : nous survivons à nos problèmes."
"S'il y a
quelqu'un qui doit tout à Bach, c'est bien Dieu."
"Prémisse des
fainéants, de ces métaphysiciens-nés, le Vide est la certitude que découvrent,
au bout de leur carrière, et comme récompense à leurs déceptions, les
braves gens et les philosophes de métier."
"Une poésie digne
de ce nom commence par l'expérience de la fatalité. Il n'y a que les
mauvais poètes qui soient libres."
"S'il me fallait
renoncer à mon dilettantisme, c'est dans le hurlement que je me spécialiserais."
"Par la barbarie,
Hitler a essayé de sauver toute une civilisation. Son entreprise fut un échec
- elle n'en est pas moins la dernière initiative de l'Occident. Sans doute ce
continent aurait mérité mieux. À qui la faute s'il n'a pas pu produire un
monstre d'une autre qualité ?".
"Vitalité de
l'amour : on ne saurait médire sans injustice d'un sentiment qui a survécu
au romantisme et au bidet."
"Un livre qui, après
avoir tout démoli, ne se démolit pas lui-même, nous aura exaspérés en
vain."
"En elle-même,
toute idée est neutre ou devrait l'être; mais l'homme l'anime, y projette
ses flammes et ses démences; impure, transformée en croyance, elle s'insère
dans le temps, prend figure d'événements : le passage de la logique à l'épilepsie
est consommé... Ainsi naissent les idéologies, les doctrines et les farces
sanglantes."
"Ne me demandez
plus mon programme : respirer n'en est-ce pas un ?"
"Je ne vis que
parce qu'il est en mon pouvoir de mourir quand bon me semblera : sans l'idée
du suicide je me serais tué depuis toujours."
" Tout nouveau-né est pour moi un malheureux de plus, comme tout mort un
de moins. C'est chez moi une réaction mécanique. Condoléances pour la
naissance, félicitations pour la mort… "
" Depuis toujours, tous les hommes ont vécu en vain, et sont morts en
vain. La grande erreur, c'est donc bien la naissance… "
" Il faudrait renoncer à porter un jugement d'ordre moral sur qui que ce
soit. Personne n'est responsable de ce qu'il est ni ne peut changer de nature…
"
" La seule chose que je me flatte d'avoir comprise très tôt, avant ma
vingtième année, c'est qu'il ne fallait pas engendrer. Mon horreur du mariage,
de la famille et de toutes les conventions sociales vient de là. C'EST UN CRIME
DE TRANSMETTRE SES PROPRES TARES A UNE PROGENITURE, et l'obliger ainsi à passer
par les mêmes épreuves que vous, par un calvaire peut-être pire que le vôtre.
Donner la vie à quelqu'un qui hériterait de mes malheurs et de mes maux, je
n'ai jamais pu y consentir. Les parents sont tous des irresponsables ou des
assassins. "
" Quand on pense aux salons littéraires allemands romantique, à Henriette
Herz, à Rachel Levin, à l'amitié de celle-ci, juive, avec le prince
Louis-Ferdinand, et quand on songe qu'un siècle après on allait assister, dans
le même pays, au nazisme ! Décidément, la croyance au progrès est la plus
niaise et la plus stupide de toutes les croyances… "
" Le prochain, dans le sens physique du mot, non, je ne l'ai jamais aimé :
et d'ailleurs, on ne peut l'aimer. Il est essentiellement haïssable, pour tout
le monde. Et si on ne peut aimer le prochain qu'on connaît, à quoi rime
d'aimer le prochain qu'on ignore… En résumé, on peut avoir pour les hommes
de la pitié, mais de l'amour… "
" L'homme aurait du s'en tenir à la brouette. Tout perfectionnement
technique est néfaste et doit être dénoncé comme tel. On dirait que le seul
sens du progrès est de contribuer à l'augmentation du bruit, à la
consolidation de l'enfer … "
" Devant le téléphone, la voiture, devant le moindre instrument, j'éprouve
un insurmontable mouvement de dégoût et d'horreur. Tout ce qu'a produit le génie
technique m'inspire une terreur presque sacrée. Sentiment d'inappartenance
totale devant tous les symboles du monde moderne… "
" Partout des gens qui veulent... Mascarade de pas précipités vers des
buts mesquins ou mystérieux ; des volontés qui se croisent. Chacun veut. La
foule veut. Des milliers tendus vers je ne sais quoi. Je ne saurais les suivre,
encore moins les défier ; je m'arrête stupéfait : quel prodige leur insuffla
tant d'entrain ? Mobilité hallucinante : dans si peu de chair tant de vigueur
et d'hystérie ! Ces vibrions qu'aucun scrupule ne calme, qu'aucune sagesse
n'apaise, qu'aucune amertume ne déconcerte... Ils bravent les périls avec plus
d'aisance que les héros: ce sont des apôtres inconscients de l'efficace, des
saints de l'Immédiat, des dieux dans les foires du temps… "
" Le bruit me rend fou, particulièrement celui de la radio qui me jette
dans des convulsions d'épileptique. La civilisation, qu'on ne s'y trompe pas,
c'est la production du bruit, l'organisation du vacarme… La technique confère
à n'importe qui des pouvoirs de monstre… "
" Le drame ce n'est pas de mourir c'est de naître… "
" Il nous répugne, c'est certain de traiter la naissance de fléau : ne
nous a-t-on pas inculqué qu'elle était le souverain bien, que le pire se
situait à la fin et non au début de notre carrière , Le mal, le vrai mal est
pourtant derrière, non devant nous. C'est ce qui a échappé au Christ, c'est
ce qu'a saisi le Bouddha… avant la vieillesse et la mort, il place le fait de
naître, source de toutes les infirmités et de tous les désastres…
"
" Toute réussite, dans n'importe quel ordre entraîne un appauvrissement
intérieur. Elle nous fait oublier ce que nous sommes... Plus quelqu'un est
comblé de dons, moins il avance sur le plan spirituel. Le talent est un
obstacle à la vie intérieure... "
"
Voici une des rares choses dont je suis sûr : la seule, l'unique raison qu'ont
les hommes de vivre en commun, c'est pour se tourmenter, pour se faire souffrir
les uns les autres. Je ne me lasserai jamais de ressasser cette évidence…
"
" La folie des agités prévaudra toujours sur la sagesse des pacifiques…
C'est qu'effectivement la vie n'est pas d'essence divine mais démoniaque…
"
On
voudrait parfois être cannibale, moins pour le plaisir de dévorer tel ou tel
que pour celui de le vomir.
Nous
n'avons le choix qu'entre des vérités irrespirables et des supercheries
salutaires.
J'ignore totalement pourquoi il faut faire quelque
chose ici-bas, pourquoi il nous faut avoir des aspirations, des espoirs et des
rêves.
Le fait que j'existe prouve que le monde n'a pas de
sens.
Pour être sincère, je devrais avouer que je me
fiche pas mal de la relativité de notre savoir, car ce monde ne mérite pas
d'être connu.
Seul un médiocre souhaitera, pour mourir, atteindre
le stade de la vieillesse. Souffrez donc, enivrez-vous, buvez la coupe du
plaisir jusqu'à la lie, pleurez ou riez, poussez des cris de joie ou de désespoir-
il n'en restera rien de toute manière. Toute la morale n'a d'autre but que de
transformer cette vie en une somme d'occasions perdues.
Puisque le renoncement et la solitude ne peuvent me
valoir l'éternité, puisque je suis destiné à mourir comme tous les autres,
pourquoi mépriserais-je qui que ce soit, pourquoi brandirais-je ma propre
voie comme la seule véritable?
Qui ne pactise pas avec le diable n'a aucune raison
de vivre, car le diable exprime symboliquement la vie mieux que Dieu lui-même.
Oeuvrer de toutes ses forces pour le seul amour du
travail, tirer de la joie d'un effort qui ne mène qu'à de accomplissements
sans valeur, estimer qu'on ne peut se réaliser autrement que par le labeur
incessant- voilà une chose révoltante et incompréhensible.
Personne ne fait de la psychologie par amour: mais
plutôt par une envie sadique d'exhiber la nullité de l'autre, en prenant
connaissance de son fond intime, en le dépouillant de son auréole de mystère.
Il me suffit d'entendre quelqu'un parler sincèrement
d'idéal, d'avenir, de philosophie, de l'entendre dire "nous" avec
une inflexion d'assurance, d'invoquer les "autres", et s'en estimer
l'interprète,- pour que je le considère mon ennemi.
Après chaque conversation, dont le rafinement
indique à lui seul le niveau d'une civilisation, pourquoi est-il impossible
de ne pas regretter le Sahara et de ne pas envier les plantes ou les
monologues infinis de la zoologie?
Comme il est malaisé d'approuver les raisons
qu'invoquent les êtres, toutes les fois qu'on se sépare de chacun d'eux, la
question qui vient à l'esprit est invariablement la même: comment se fait-il
qu'il ne se tue pas?
Tous les êtres sont malheureux; mais combien le
savent?
Pouvoir disposer absolument de soi-même et s'y
refuser, est-il don plus mystérieux? La consolation par le suicide possible
élargit en espace infini cette demeure où nous étouffons.
Nous ne sommes nous-même que par la somme de nos échecs.
Par quelle supercherie deux yeux nous détournent-ils
de notre solitude? Est-il faillite plus humiliante pour l'esprit?
Antiphilosophe, j'abhorre toute idée indifférente:
je ne suis pas toujours triste, donc je ne pense pas toujours. Quand je regarde
les idées, elles me paraissent plus inutiles encore que les choses; aussi
n'ai-je aimé que les élucubrations des grands malades, les ruminations de
l'insomnie, les éclairs d'une frayeur incurable et les doutes traversés de
soupirs
Nous méprisons à juste titre ceux qui n'ont pas mis
à profit leurs défauts, qui n'ont pas exploité leurs carences, et ne se
sont pas enrichis de leurs pertes, comme nous méprisons tout homme qui ne
souffre pas d'être homme ou simplement d'être. Ainsi l'on ne saurait
infliger offense plus grave que d'appeler quelqu'un "heureux", ni le
flatter davantage qu'en lui attribuant un "fond de tristesse"...
C'est que la gaité n'est liée à aucun acte important et, qu'en dehors des
fous, personne ne rit quand il est seul.
L'idée du néant n'est pas le propre de l'humanité
laborieuse: ceux qui besognent n'ont ni le temps ni l'envie de peser leur
poussière; ils se résignent aux duretés ou aux niaiseries du sort; ils espèrent:
l'espoir est une vertu d'esclaves.
Toute amertume cache une vengeance et se traduit en
un système: le pessimisme,- cette cruauté des vaincus qui ne
sauraient pardonner à la vie d'avoir trompé leur attente.
J'appelle simple d'esprit tout homme qui parle de la
Vérité avec conviction: c'est qu'il a des majuscules en réserve et
s'en sert naïvement, sans fraude ni mépris.
Et avec quelle quantité d'illusions ai-je dû naître
pour pouvoir en perdre une chaque jour!
Il
n’y a aucune raison de ne pas être triste.
Le
monde est trivial
Rien, voilà tout.
La lucidité : avoir des sensations à la 3ème personne.
L’ennui :
tautologie cosmique.
Il n’y a rien à faire ici. Si le diable qui est en moi ne me retenait pas,
je ne serais plus là.
Je
ne vis pas, je simule.
Quand
il croit, il ne croit pas qu’il croit, et quand il ne croit pas, il ne croit
pas qu’il ne croit pas.
Etre ou ne pas être ?
Ni l’un ni l’autre.
La lucidité est l’équivalent négatif de l’extase.
Il n’y a aucune différence entre mourir demain et mourir dans 30 ans.
Libre dans un désert…
«Est-ce que j’ai la gueule de quelqu’un qui doit faire quelque
chose ici-bas ? » - Voilà ce que j’aurais envie de répondre aux
indiscrets qui m’interrogent sur mes activités.
Quand
un seul chien se met à aboyer à une ombre, dix mille chiens en font une réalité.
Ressembler à un coureur qui s’arrêterait au plus fort de sa course pour
essayer de comprendre à quoi elle mène. Méditer est un aveu
d’essoufflement.
Si un
jour vous avez des projets, allez visiter un cimetière, et dites-vous que ces
gens-là ont eu des projets, eux aussi, un jour.
Presque tout ce que je fais pour gagner ma vie porte cette marque d’inutilité,
car tout ce qui ne m’intéresse pas absolument m’apparaît d’une gratuité
qui confine au supplice.
S’éterniser
dans un équilibre instable.
Pendant
que le sage réfléchit, le fou réfléchit aussi…
J’hésite.
On ne devrait pas signer ce qu’on écrit. Quand on cherche la vérité,
qu’importe le nom ?
La vie ; un rien qui invite à la stupeur.
Il
vaut mieux périr dans sa propre loi, que de se sauver dans celle d’un
autre.
L’esprit défoncé par la lucidité.
Concevoir une pensée, une seule, mais qui mettrait l’univers en pièces.
Pour moi, le bonheur, c’est de m’ennuyer en compagnie de moi-même.
La vie
est espoir, la mort est oubli.
Mon sentiment de la vie : je me trouve au fond d’un enfer dont chaque
instant est un miracle.
Le
sentiment d’être tout et l’évidence de n’être rien
Dans
un hôpital, une salle d’attente pour éphémères.
Ne
méprise que celui qui comprend.
L’homme n’est la proie du désir que parce qu’il ne voit pas les choses
telles qu’elles sont.
Il
n’y a pas qu’une manière de tout posséder : ne rien désirer.
Sur
la porte d’un cimetière :
« Nous avons été ce que vous êtes.
Vous serez ce que nous sommes. »
"Ne
me demandez plus mon programme : respirer, n'en est-ce pas un ?"
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"Le
spermatozoïde est le bandit à l'état pur."
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"Quelqu'un
emploie-t-il à tout propos le mot "vie" ? Sachez que c'est un
malade."
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"D'aussi
loin qu'il me souvienne, je n'ai fait que détruire en moi la fierté d'être
homme. Et je déambule à la périphérie de l'Espèce comme un monstre timoré,
sans assez d'envergure pour me réclamer d'une autre bande de singes."
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"La
cellule nerveuse s'est si bien habituée à tout, qu'il nous faut désespérer
de concevoir jamais une insanité qui, péénétrant dans les cerveaux, les
ferait éclater."
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"Avec
Baudelaire, la physiologie est entrée dans la poésie; avec Nietzsche, dans
la philosophie. Par eux, les troubles des organes furent élevés au chant et
au concept. Proscrits de la santé, il leur incombait d'assurer une carrière
à la maladie."
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"Nous
sommes tous des farceurs: nous survivons à nos problèmes."
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"
Théorie de la bonté.
"
- Puisque pour vous il n'y a point d'ultime critère ni d'irrévocable
principe, et aucun dieu, qu'est-ce qui vous empêche de perpétrer tous les
forfaits ?"
"
- Je découvre en moi autant de mal que chez quiconque, mais, exécrant
l'action, - mère de tous les vices - je ne suis cause de souffrance pour
personne. Inoffensif, sans avidité, et sans assez d'énergie ni d'indécence
pour affronter les autres, je laisse le monde tel que je l'ai trouvé. Se
venger présuppose une vigilance de chaque instant et un esprit de système,
une continuité coûteuse, alors que l'indifférence du pardon et du mépris
rend les heures agréablement vides. Toutes les morales représentent un
danger pour la bonté; seule l'incurie la sauve. Ayant choisi le flegme de
l'imbécile et l'apathie de l'ange, je me suis exclu des actes et, comme la
bonté est incompatible avec la vie, je me suis décomposé pour être
bon." "
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"L'odeur
de la créature nous met sur la piste d'une divinité fétide."
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"S'il
me fallait renoncer à mon dilettantisme, c'est dans le hurlement que je me spécialiserais."
___________________________
"Rien
ne dessèche tant un esprit que sa répugnance à concevoir des idées
obscures."
.SOMMAIRE.