CIORAN


 

Pour moi, écrire c'est me venger. Me venger contre le monde, contre moi. A peu près tout ce que j'ai écrit fut le produit d'une vengeance. Donc, un soulagement. Si la vengeance disparaissait par miracle, la quasi-totalité des hommes tomberaient en proie à des maladies mentales inconnues jusqu'alors. La santé pour moi consiste dans l'agression. Je ne redoute rien tant que l'effondrement dans le calme. L’attaque fait partie des conditions de mon équilibre.

" Secouer les gens, les tirer de leur sommeil, tout en sachant que l'on commet un crime, et qu'il vaudrait mille fois mieux les y laisser persévérer, puisque aussi bien lorsqu'ils s'éveillent on n'a rien à leur proposer… "

Si on réfléchit aux choses, on devrait cesser d'agir, de se mouvoir. On devrait se foutre par terre, et pleurer.

 

Je me délie des apparences et m'y empêtre néanmoins; ou plutôt : je suis à mi-chemin entre ces apparences et cela qui les infirmes, cela qui n'a ni nom ni contenu, cela qui est rien et qui est tout. Le pas décisif hors d'elles, je ne le franchirai jamais. Ma nature m'oblige à flotter, à m'éterniser dans l'équivoque, et si je tâchais de trancher dans un sens ou dans l'autre, je périrais par mon salut.

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Ma faculté d'être déçu dépasse l'entendement. C'est elle qui me fait comprendre le Bouddha, mais c'est elle aussi qui m'empêche de le suivre.

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Ce sur quoi nous ne pouvons plus nous apitoyer, ne compte et n'existe plus. On s'aperçoit pourquoi notre passé cesse si vite de nous appartenir pour prendre figure d'histoire, de quelque chose qui ne regarde plus personne.

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Au plus profond de soi, aspirer à être aussi dépossédé, aussi lamentable que Dieu.

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Ce que je sais à soixante, je le savais aussi bien à vingt. Quarante ans d'un long, d'un superflu travail de vérification…

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Que tout soit dépourvu de consistance, de fondement, de justification, j'en suis d'ordinaire si assuré, que, celui qui oserait me contredire, fût-il l'homme que j'estime le plus, m'apparaîtrait comme un charlatan ou un abruti.

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Si la mort n'avait que des côté négatifs, mourir serait un acte impraticable.

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Tout est ; rien n'est. L'une et l'autre formule apportent une égale sérénité. L'anxieux, pour son malheur, reste entre les deux, tremblant et perplexe, toujours à la merci d'une nuance, incapable de s'établir dans la sécurité de l'être ou de l'abscence d'être.

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Etre en vie - tout à coup je suis frappé par l'étrangeté de cette expression, comme si elle ne s'appliquait à personne.

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Chaque fois que cela ne va pas et que j'ai pitié de mon cerveau, je suis emporté par une irrésistible envie de proclamer. C'est alors que je devine de quels piètres abîmes surgissent réformateurs, prophètes et sauveurs.

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Trois heures du matin. Je perçois cette seconde, et puis une autre, je fais le bilan de chaque minute.
Pourquoi tout cela ? - Parce que je suis né.
C'est d'un type spécial de veilles que dérive la mise en cause de la naissance.

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« Depuis que je suis au monde » - ce depuis me paraît chargé d'une signification si effrayante qu'elle en devient insoutenable.

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Il existe une connaissance qui enlève poids et portée à ce qu'on fait : pour elle, tout est privé de fondement, sauf elle-même. Pure au point d'abhorrer jusqu'à l'idée d'objet, elle traduit ce savoir extrême selon lequel commettre ou ne pas commettre un acte c'est tout un et qui s'accompagne d'une satisfaction extrême elle aussi : celle de pouvoir répéter, en chaque rencontre, qu'aucun geste qu'on exécute ne vaut qu'on y adhère, que rien n'est rehaussé par quelque trace de substance, que la « réalité » est du ressort de l'insensé. Une telle connaissance mériterait d'être appelé posthume : elle s'opère comme si le connaissant était vivant et non vivant, être et souvenir d'être. « C'est déjà du passé », dit-il de tout ce qu'il accomplit, dans l'instant même de l'acte, qui de la sorte est à jamais destitué de présent.

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Je ne fais rien, c'est entendu. Mais je vois les heures passer - ce qui vaut mieux qu'essayer de les remplir.

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Il ne faut pas s'astreindre à une oeuvre, il faut simplement dire quelque chose qui puisse se murmurer à l'oreille d'un ivrogne ou d'un mourrant.

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A quel point l'humanité est en régression, rien ne le prouve mieux que l'impossibilité de trouver un seul peuple, une seule tribu, où la naissance provoque encore deuil et lamentations.

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S'insurger contre l'hérédité c'est s'insurger contre des milliards d'années, contre la première cellule.

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Il y a un dieu au départ, sinon au bout de toute joie.

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Jamais à l'aise dans l'immédiat, ne me séduit que ce qui me précède, que ce qui m'éloigne d'ici, les instants sans nombre où je ne fus pas: le non-né.

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De quel droit vous mettez-vous à prier pour moi ? Je n'ai pas besoins d'intercesseur, je me débrouillerai seul. De la part d'un misérable, j'accepterais peut-être, mais de personne d'autre, fût-ce d'un saint. Je ne puis tolérer qu'on s'inquiète de mon salut. Si je l'appréhende et le fuis, quelle indiscrétion que vos prières ! Dirigez-les ailleurs; de toute manière, nous ne sommes pas au services des mêmes dieux. Si les miens sont impuissants, il y a tout lieu de croire que les vôtres ne le sont pas moins. En supposant même qu'ils soient tels que vous les imaginez, il leur manquerait encore le pouvoir de me guérir d'une horreur plus vieille que ma mémoire.

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Quelle misère qu'une sensation ! L'extase elle-même n'est, peut-être, rien de plus.

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Défaire, dé-créer, est la seule tâche que l'homme puisse s'assigner, s'il aspire, comme tout l'indique, à se distinguer du Créateur.

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Avoir commis tout les crimes, hormis celui d'être père.

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En règle générale, les hommes attendent la déception : ils savent qu'ils ne doivent pas s'impatienter, qu'elle viendra tôt ou tard, qu'elle leur accordera les délais nécessaires pour qu'ils puissent se livrer à leurs entreprises du moment. Il en va autrement du détrompé : pour lui, elle survient en même temps que l'acte; il n'a pas besoins de la guetter, elle est présente. En s'affranchissant de la succession, il a dévoré le possible, rendu le futur superflu. « Je ne puis vous rencontrer dans votre avenir, dit-il aux autres, Nous n'avons pas un seul instant qui nous soient commun. » C'est que pour lui l'ensemble de l'avenir est déjà là.

Lorsqu'on aperçoit la fin dans le commencement, on va plus vite que le temps. L'illumination, déception foudroyante, dispense une certitude qui transforme le détrompé en délivré.

 

J'aimerais être libre, éperdument libre. Libre comme un mort-né.

"La vie est éthérée comme le suicide d'un papillon."
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"Jamais la vie ne m'a semblé digne d'être vécue. Elle mérite mieux parfois, et parfois beaucoup moins."
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"L'individuation est une orgie de solitude."

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"L'âme d'une cathédrale gémit dans l'effort vertical de la pierre."
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"Le besoin de consigner toutes les réflexions amères, par l'étrange peur qu'on arriverait un jour à ne plus être triste..."
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"Quelles aurores réveilleront mon esprit enivré d'irréparable ?"
 

Les instants se suivent les uns les autres : rien ne leur prête l'illusion d'un contenu ou l'apparence d'une signification ; ils se déroulent ; leur cours n'est pas le nôtre; nous en contemplons l'écoulement, prisonniers d'une perception stupide. Le vide du cœur devant le vide du temps : deux miroirs reflétant face à face leur absence, une même image de nullité... Comme sous l'effet d'une idiotie songeuse, tout se nivelle : plus de sommets, plus d'abîmes... Où découvrir la poésie des mensonges, l'aiguillon d'une énigme ?

Celui qui ne connaît point l'ennui se trouve encore à l'enfance du monde, où les âges attendaient de naître ; il demeure fermé à ce temps fatigué qui se survit, qui rit de ses dimensions, et succombe au seuil de son propre... avenir, entraînant avec lui la matière, élevée subitement à un lyrisme de négation. L'ennui est l'écho en nous du temps qui se déchire..., la révélation du vide, le tarissement de ce délire qui soutient - ou invente - la vie...

Créateur de valeurs, l'homme est l'être délirant par excellence, en proie à la croyance que quelque chose existe, alors qu'il lui suffit de retenir son souffle : tout s'arrête; de suspendre ses émotions : rien ne frémit plus; de supprimer ses caprices : tout devient terne. La réalité est une création de nos excès, de nos démesures et de nos dérèglement. Un frein à nos palpitations : le cours du monde se ralentit ; sans nos chaleurs, l'espace est de glace. Le temps lui-même ne coule que parce que nos désirs enfantent cet univers décoratif que dépouillerait un rien de lucidité. Un grain de clairvoyance nous réduit à notre condition primordiale : la nudité; un soupçon d'ironie nous dévêt de cet affublement d'espérances qui nous permettent de nous tromper et d'imaginer l'illusion : tout chemin contraire mène en dehors de la vie. L'ennui n'est que le début de cet itinéraire... Il nous fait sentir le temps trop long, - inapte à nous dévoiler une fin. Détachés de tous objet, n'ayant rien à assimiler de l'extérieur, nous nous détruisons au ralenti, puisque le futur a cessé de nous offrir une raison d'être.

L'ennui nous révèle une éternité qui n'est pas le dépassement du temps, mais sa ruine; il est l'infini des âmes pourries faute de superstitions : un absolu plat où rien n'empêche plus les choses de tourner en rond à la recherche de leur propre chut

La vie se crée dans le délire et se défait dans l'ennui.

Si nous croyons avec tant d'ingénuité aux idées, c'est que nous oublions qu'elles ont été conçues par des mammifères.

Nous sommes tous des farceurs : nous survivons à nos problèmes.

Tout problème profane un mystère ; à son tour le problème est profané par sa solution.

Je ne vis que par ce qu'il est en mon pouvoir de mourir quand bon me semblera : sans l'idée du suicide, je me serais tué depuis longtemps.

Les événements, ces tumeurs du temps...

L'homme se relèvera-t-il du coup mortel qu'il a porté à la vie ?

Il est des âmes que Dieu lui-même ne pourrait sauver, dût-il se mettre à genoux et prier.

Il n'est qu'un esprit lézardé pour concevoir des ouvertures sur l'Au-delà.

Dans cet univers provisoire, nos axiomes n'ont qu'une valeur de faits divers.

On cesse d'être jeune au moment où on ne choisit plus ses ennemis, où l'on se contente de ceux que l'on a sous la main.

Ces idées qui survolent l'espace et qui tout à coup, se heurtent aux parois du crâne.

"Je suis comme une marionnette cassée dont les yeux seraient tombés à l'intérieur" : ce propos d'un malade mental pèse plus lourd que l'ensemble des oeuvres d'introspection.

 

Les nuits blanches sont d'une importance capitale!

Le type qui se lève le matin après une nuit de sommeil a l'illusion de commencer quelque chose.

(À propos de Dostoïevski:)
Je n'aimais que les grands malades, à vrai dire, et, pour moi, un écrivain qui n'est pas malade est presque automatiquement un type de second ordre.

Je relus les mystiques, mais ce que j'aimais en eux c'était le côté excessif et surtout le fait qu'ils parlaient avec Dieu d'homme à homme, si j'ose dire...

Les poètes, bien sûr, m'ont passionné. Mais il y a aussi ce phénomène très balkanique: le raté, c'est-à-dire le type très doué qui ne se réalise pas, qui promet tout et ne tient pas ses promesses. Mes grands amis en Roumanie n'étaient pas du tout des écrivains, mais des ratés.

(À propos d'un grand ami roumain:)
C'était un très gros type qui donnait l'impression d'être très prospère et serein. Il n'était pas méchant, il n'était pas salaud, mais il était incapable d'avoir la moindre illusion sur quoi que ce soit. Cela représente aussi une forme de la connaissance - car, au fond, qu'est-ce que la connaissance, sinon la démolition de quelque chose?

Moi, je connais beaucoup de gens qui ont écrit des romans et qui ont échoué - même Eliade a écrit beaucoup de romans et il a échoué...

La vie est supportable uniquement parce que l'on ne va pas jusqu'au bout.

 

La lucidité complète, c'est le néant.

Je suis très sensible au phénomène de l'ennui. Je me suis ennuyé toute ma vie - et la littérature tourne autour de l'ennui, c'est le néant continu. Moi-même, j'ai vécu le phénomène de l'ennui peut-être de façon pathologique, mais je l'ai fait parce que je voulais m'ennuyer. Le problème est que quand on s'ennuie partout, c'est fichu, n'est-ce pas?

Bach est un dieu pour moi. Il m'est inconcevable de penser qu'il y a des gens qui ne comprennent pas Bach, et pourtant cela existe... Quelqu'un qui n'est pas sensible à la musique souffre d'une infirmité énorme.

Donc rien de ce qui fait le sens de la musique ne passe dans l'écriture. Et pourquoi écrire dans ces conditions? Et de toute façon pourquoi écrire en général?... Tout le monde écrit trop d'ailleurs.

Donc celui qui écrit c'est quelqu'un qui se vide. Et au bout d'une vie, c'est le néant. C'est pour cela que les écrivains sont si peu intéressants.

(À propos de ses premières années à Paris:)
Il fallait tout faire pour ne pas gagner sa vie. Pour être libre, il faut supporter n'importe quelle humiliation et c'était presque le programme de ma vie... Cependant, comme j'avais décidé de tout accepter, sauf faire ce que je n'aime pas, ça compliquait énormément ma vie... Tout cela a disparu, c'est fichu maintenant.

On ne peut pas vivre totalement en paradis - je veux dire en parasite.

Les seules années importantes sont celles de l'anonymat. Être inconnu, c'est une volupté.

Ce n'est pas la peine de faire des phrases, etc.

(À propos du communisme:)
Le drame de ces régimes, c'est l'optimisme obligatoire.

(À propos de la démocratie en Roumanie:)
Les concepts purs n'ont aucune chance dans les Balkans.

Une promenade au cimetière est une leçon de sagesse presque automatique. Moi-même, j'ai toujours pratiqué ce genre de méthodes; ça ne fait pas très sérieux, mais c'est relativement efficace... Si vous avez la conscience du néant, tout ce qui vous arrive garde ses proportions normales et ne prend pas les proportions démentes qui caractérisent l'exagération du désespoir.

En fin de compte, l'expérience de la vie, c'est l'échec. Ce sont surtout les ambitieux, ceux qui se font un plan de vie, qui sont touchés, ceux qui pensent à l'avenir. C'est pour cela que j'envoie les gens au cimetière.

Je trouve qu'il ne faut plus écrire, il faut savoir renoncer... Et puis je me dis que j'en ai assez de pester contre le monde et contre Dieu, ce n'est pas la peine.

Tout est apparence — mais apparence de quoi ? Du Rien.

J’ai en moi un fond de scepticisme sur lequel rien n’a de prise, et qui résiste à l’assaut de toutes mes croyances, de toutes mes velléités métaphysiques.

Cette fièvre à l’état pur, stérile, et ce cri gelé !

Avoir le sentiment obsédant de son néant, ce n’est pas être humble, tant s’en faut. Un peu d’humilité, un peu d’humilité, j’en aurais besoin plus que personne. Mais la sensation de mon rien me gonflé d’orgueil.

Sensation d’insecte fixé à une croix invisible, drame cosmique et infinitésimal, appesantissement sur moi d’une main féroce et insaisissable.

Je dois me fabriquer un sourire, m’en armer, me mettre sous sa protection, avoir quoi interposer entre le monde et moi, camoufler mes blessures, faire enfin l’apprentissage du masque.

Une vie de raté, de roulure, de tristesses inutiles et épuisantes, de nostalgies sans objet et sans direction ; un rien qui se traîne sur les chemins, et qui se vautre dans ses douleurs et ses ricanements…

Ah ! si je pouvais me convertir à mon essence ! mais si elle était corrompue ? Décidément, je m’infirme et tout m’infirme. Il n’y a plus de trace de moi en moi-même.

Quand les autres ont cessé d’exister pour nous, nous cessons d’exister à notre tour pour nous-même.

Mon père est mort il y a exactement six mois.

L’ennui me reprend, cet ennui que je connus dans mon enfance certains dimanches, et puis celui qui dévasta mon adolescence. Un vide qui évacue l’espace, et contre lequel l’alcool seul pourrait me défendre. Mais l’alcool m’est défendu, tous les remèdes me sont défendus. Et dire que je m’obstine encore ! Mais en quoi je persévère ? Sans doute point dans l’être.

Ma pusillanimité m’a empêché d’être moi-même. Je n’aurai eu le courage ni de vivre ni de me détruire. Toujours à mi-chemin entre ma quasi-existence et mon néant.

" Un seul jour de solitude me fait goûter plus de plaisir que tous mes triomphes ne m’en ont donné. " (Charles Quint)

À vingt ans, j’avais un insatiable désir de gloire ; — je ne l’ai plus maintenant. Et sans lui comment agir ? Il ne me reste plus que la consolation d’une pensée intime et inefficace.

Depuis des mois, je vis tous mes moments d’angoisse dans la compagnie d’Emily Dickinson.

Je sens que je vais me réconcilier avec la poésie. Il n’en saurait être autrement : je ne peux penser qu’à moi-même…

L’abdication de Charles Quint est le moment de l’histoire le plus cher à mon cœur. J’ai littéralement vécu à Ouste dans la compagnie de l’empereur goutteux.

Renoncer à la " conversation des créatures ", j’y aspire depuis longtemps, et n’y arrive cependant que rarement, par à-coups, et à regret !

Je me fortifie par le mépris que les hommes veulent bien me dispenser, et ne demande qu’une grâce : celle de n’être rien à leurs yeux.

Le Livre selon mon âme : une Imitation sans Jésus.

Le succès n’appelle pas forcément le succès ; mais l’échec appelle toujours l’échec. Destin est un mot qui n’a de sens que dans le malheur.

Puissances du Ciel ! que je languis après le temps où l’on pouvait vous invoquer, où l’on ne s’exclamait pas dans le vide, où le vide même n’existait pas encore !

Jeune, j’ai tant pensé à la mort, que, vieux, je n’ai plus rien à en dire : un effroi rebattu.

"S'appesantir, s'expliquer, démontrer - autant de formes de vulgarité."
"Toutes les eaux sont couleur de noyade."
"J'ai perdu au contact des hommes toute la fraîcheur de mes névroses."
"Comment peut-on parler honnêtement d'autre chose que de Dieu ou de soi ?"
"C'est en vain que l'Occident se cherche une agonie digne de son passé."
"On déclare la guerre aux glandes, et on se prosterne devant les relents d'une pouffiasse... Que peut l'orgueil contre la liturgie des odeurs, contre l'encens zoologique ?"
"Nous sommes tous des farceurs : nous survivons à nos problèmes."
"S'il y a quelqu'un qui doit tout à Bach, c'est bien Dieu."
"Prémisse des fainéants, de ces métaphysiciens-nés, le Vide est la certitude que découvrent, au bout de leur carrière, et comme récompense à leurs déceptions, les braves gens et les philosophes de métier."
"Une poésie digne de ce nom commence par l'expérience de la fatalité. Il n'y a que les mauvais poètes qui soient libres."
"S'il me fallait renoncer à mon dilettantisme, c'est dans le hurlement que je me spécialiserais."
"Par la barbarie, Hitler a essayé de sauver toute une civilisation. Son entreprise fut un échec - elle n'en est pas moins la dernière initiative de l'Occident. Sans doute ce continent aurait mérité mieux. À qui la faute s'il n'a pas pu produire un monstre d'une autre qualité ?".
"Vitalité de l'amour : on ne saurait médire sans injustice d'un sentiment qui a survécu au romantisme et au bidet."
"Un livre qui, après avoir tout démoli, ne se démolit pas lui-même, nous aura exaspérés en vain."
"En elle-même, toute idée est neutre ou devrait l'être; mais l'homme l'anime, y projette ses flammes et ses démences; impure, transformée en croyance, elle s'insère dans le temps, prend figure d'événements : le passage de la logique à l'épilepsie est consommé... Ainsi naissent les idéologies, les doctrines et les farces sanglantes."
"Ne me demandez plus mon programme : respirer n'en est-ce pas un ?"
"Je ne vis que parce qu'il est en mon pouvoir de mourir quand bon me semblera : sans l'idée du suicide je me serais tué depuis toujours."


" Tout nouveau-né est pour moi un malheureux de plus, comme tout mort un de moins. C'est chez moi une réaction mécanique. Condoléances pour la naissance, félicitations pour la mort… "

" Depuis toujours, tous les hommes ont vécu en vain, et sont morts en vain. La grande erreur, c'est donc bien la naissance… "

" Il faudrait renoncer à porter un jugement d'ordre moral sur qui que ce soit. Personne n'est responsable de ce qu'il est ni ne peut changer de nature… "

" La seule chose que je me flatte d'avoir comprise très tôt, avant ma vingtième année, c'est qu'il ne fallait pas engendrer. Mon horreur du mariage, de la famille et de toutes les conventions sociales vient de là. C'EST UN CRIME DE TRANSMETTRE SES PROPRES TARES A UNE PROGENITURE, et l'obliger ainsi à passer par les mêmes épreuves que vous, par un calvaire peut-être pire que le vôtre. Donner la vie à quelqu'un qui hériterait de mes malheurs et de mes maux, je n'ai jamais pu y consentir. Les parents sont tous des irresponsables ou des assassins. " 

" Quand on pense aux salons littéraires allemands romantique, à Henriette Herz, à Rachel Levin, à l'amitié de celle-ci, juive, avec le prince Louis-Ferdinand, et quand on songe qu'un siècle après on allait assister, dans le même pays, au nazisme ! Décidément, la croyance au progrès est la plus niaise et la plus stupide de toutes les croyances… " 

" Le prochain, dans le sens physique du mot, non, je ne l'ai jamais aimé : et d'ailleurs, on ne peut l'aimer. Il est essentiellement haïssable, pour tout le monde. Et si on ne peut aimer le prochain qu'on connaît, à quoi rime d'aimer le prochain qu'on ignore… En résumé, on peut avoir pour les hommes de la pitié, mais de l'amour… "

" L'homme aurait du s'en tenir à la brouette. Tout perfectionnement technique est néfaste et doit être dénoncé comme tel. On dirait que le seul sens du progrès est de contribuer à l'augmentation du bruit, à la consolidation de l'enfer … "


" Devant le téléphone, la voiture, devant le moindre instrument, j'éprouve un insurmontable mouvement de dégoût et d'horreur. Tout ce qu'a produit le génie technique m'inspire une terreur presque sacrée. Sentiment d'inappartenance totale devant tous les symboles du monde moderne… "

" Partout des gens qui veulent... Mascarade de pas précipités vers des buts mesquins ou mystérieux ; des volontés qui se croisent. Chacun veut. La foule veut. Des milliers tendus vers je ne sais quoi. Je ne saurais les suivre, encore moins les défier ; je m'arrête stupéfait : quel prodige leur insuffla tant d'entrain ? Mobilité hallucinante : dans si peu de chair tant de vigueur et d'hystérie ! Ces vibrions qu'aucun scrupule ne calme, qu'aucune sagesse n'apaise, qu'aucune amertume ne déconcerte... Ils bravent les périls avec plus d'aisance que les héros: ce sont des apôtres inconscients de l'efficace, des saints de l'Immédiat, des dieux dans les foires du temps… "

" Le bruit me rend fou, particulièrement celui de la radio qui me jette dans des convulsions d'épileptique. La civilisation, qu'on ne s'y trompe pas, c'est la production du bruit, l'organisation du vacarme… La technique confère à n'importe qui des pouvoirs de monstre… "

" Le drame ce n'est pas de mourir c'est de naître… "


" Il nous répugne, c'est certain de traiter la naissance de fléau : ne nous a-t-on pas inculqué qu'elle était le souverain bien, que le pire se situait à la fin et non au début de notre carrière , Le mal, le vrai mal est pourtant derrière, non devant nous. C'est ce qui a échappé au Christ, c'est ce qu'a saisi le Bouddha… avant la vieillesse et la mort, il place le fait de naître, source de toutes les infirmités et de tous les désastres… " 


" Toute réussite, dans n'importe quel ordre entraîne un appauvrissement intérieur. Elle nous fait oublier ce que nous sommes... Plus quelqu'un est comblé de dons, moins il avance sur le plan spirituel. Le talent est un obstacle à la vie intérieure... "

" Voici une des rares choses dont je suis sûr : la seule, l'unique raison qu'ont les hommes de vivre en commun, c'est pour se tourmenter, pour se faire souffrir les uns les autres. Je ne me lasserai jamais de ressasser cette évidence… "


" La folie des agités prévaudra toujours sur la sagesse des pacifiques… C'est qu'effectivement la vie n'est pas d'essence divine mais démoniaque… " 

On voudrait parfois être cannibale, moins pour le plaisir de dévorer tel ou tel que pour celui de le vomir.

Nous n'avons le choix qu'entre des vérités irrespirables et des supercheries salutaires.

J'ignore totalement pourquoi il faut faire quelque chose ici-bas, pourquoi il nous faut avoir des aspirations, des espoirs et des rêves.

 


Le fait que j'existe prouve que le monde n'a pas de sens.

 


Pour être sincère, je devrais avouer que je me fiche pas mal de la relativité de notre savoir, car ce monde ne mérite pas d'être connu.

 


Seul un médiocre souhaitera, pour mourir, atteindre le stade de la vieillesse. Souffrez donc, enivrez-vous, buvez la coupe du plaisir jusqu'à la lie, pleurez ou riez, poussez des cris de joie ou de désespoir- il n'en restera rien de toute manière. Toute la morale n'a d'autre but que de transformer cette vie en une somme d'occasions perdues.

 


Puisque le renoncement et la solitude ne peuvent me valoir l'éternité, puisque je suis destiné à mourir comme tous les autres, pourquoi mépriserais-je qui que ce soit, pourquoi brandirais-je ma propre voie comme la seule véritable?

 


Qui ne pactise pas avec le diable n'a aucune raison de vivre, car le diable exprime symboliquement la vie mieux que Dieu lui-même.

 


Oeuvrer de toutes ses forces pour le seul amour du travail, tirer de la joie d'un effort qui ne mène qu'à de accomplissements sans valeur, estimer qu'on ne peut se réaliser autrement que par le labeur incessant- voilà une chose révoltante et incompréhensible.

 


Personne ne fait de la psychologie par amour: mais plutôt par une envie sadique d'exhiber la nullité de l'autre, en prenant connaissance de son fond intime, en le dépouillant de son auréole de mystère.

 


Il me suffit d'entendre quelqu'un parler sincèrement d'idéal, d'avenir, de philosophie, de l'entendre dire "nous" avec une inflexion d'assurance, d'invoquer les "autres", et s'en estimer l'interprète,- pour que je le considère mon ennemi.

 


Après chaque conversation, dont le rafinement indique à lui seul le niveau d'une civilisation, pourquoi est-il impossible de ne pas regretter le Sahara et de ne pas envier les plantes ou les monologues infinis de la zoologie?

 


Comme il est malaisé d'approuver les raisons qu'invoquent les êtres, toutes les fois qu'on se sépare de chacun d'eux, la question qui vient à l'esprit est invariablement la même: comment se fait-il qu'il ne se tue pas?

 


Tous les êtres sont malheureux; mais combien le savent?

 


Pouvoir disposer absolument de soi-même et s'y refuser, est-il don plus mystérieux? La consolation par le suicide possible élargit en espace infini cette demeure où nous étouffons.

 


Nous ne sommes nous-même que par la somme de nos échecs.

 


Par quelle supercherie deux yeux nous détournent-ils de notre solitude? Est-il faillite plus humiliante pour l'esprit?

 


Antiphilosophe, j'abhorre toute idée indifférente: je ne suis pas toujours triste, donc je ne pense pas toujours. Quand je regarde les idées, elles me paraissent plus inutiles encore que les choses; aussi n'ai-je aimé que les élucubrations des grands malades, les ruminations de l'insomnie, les éclairs d'une frayeur incurable et les doutes traversés de soupirs

 


Nous méprisons à juste titre ceux qui n'ont pas mis à profit leurs défauts, qui n'ont pas exploité leurs carences, et ne se sont pas enrichis de leurs pertes, comme nous méprisons tout homme qui ne souffre pas d'être homme ou simplement d'être. Ainsi l'on ne saurait infliger offense plus grave que d'appeler quelqu'un "heureux", ni le flatter davantage qu'en lui attribuant un "fond de tristesse"... C'est que la gaité n'est liée à aucun acte important et, qu'en dehors des fous, personne ne rit quand il est seul.

 


L'idée du néant n'est pas le propre de l'humanité laborieuse: ceux qui besognent n'ont ni le temps ni l'envie de peser leur poussière; ils se résignent aux duretés ou aux niaiseries du sort; ils espèrent: l'espoir est une vertu d'esclaves.

 


Toute amertume cache une vengeance et se traduit en un système: le pessimisme,- cette cruauté des vaincus qui ne sauraient pardonner à la vie d'avoir trompé leur attente.

 


J'appelle simple d'esprit tout homme qui parle de la Vérité avec conviction: c'est qu'il a des majuscules en réserve et s'en sert naïvement, sans fraude ni mépris.

 


Et avec quelle quantité d'illusions ai-je dû naître pour pouvoir en perdre une chaque jour!


Il n’y a aucune raison de ne pas être triste.

Le monde est trivial

Rien, voilà tout.

La lucidité : avoir des sensations à la 3ème personne.

 

L’ennui : tautologie cosmique.

Il n’y a rien à faire ici. Si le diable qui est en moi ne me retenait pas, je ne serais plus là.


 Je ne vis pas, je simule.

Quand il croit, il ne croit pas qu’il croit, et quand il ne croit pas, il ne croit pas qu’il ne croit pas.


Etre ou ne pas être ?
Ni l’un ni l’autre.

La lucidité est l’équivalent négatif de l’extase.

Il n’y a aucune différence entre mourir demain et mourir dans 30 ans.

Libre dans un désert…

 «Est-ce que j’ai la gueule de quelqu’un qui doit faire quelque chose ici-bas ? » - Voilà ce que j’aurais envie de répondre aux indiscrets qui m’interrogent sur mes activités.

 

Quand un seul chien se met à aboyer à une ombre, dix mille chiens en font une réalité.

Ressembler à un coureur qui s’arrêterait au plus fort de sa course pour essayer de comprendre à quoi elle mène. Méditer est un aveu d’essoufflement.

 

Si un jour vous avez des projets, allez visiter un cimetière, et dites-vous que ces gens-là ont eu des projets, eux aussi, un jour.


Presque tout ce que je fais pour gagner ma vie porte cette marque d’inutilité, car tout ce qui ne m’intéresse pas absolument m’apparaît d’une gratuité qui confine au supplice.

S’éterniser dans un équilibre instable.

Pendant que le sage réfléchit, le fou réfléchit aussi… 

J’hésite.

On ne devrait pas signer ce qu’on écrit. Quand on cherche la vérité, qu’importe le nom ?

La vie ; un rien qui invite à la stupeur. 

Il vaut mieux périr dans sa propre loi, que de se sauver dans celle d’un autre.

L’esprit défoncé par la lucidité.

Concevoir une pensée, une seule, mais qui mettrait l’univers en pièces.

Pour moi, le bonheur, c’est de m’ennuyer en compagnie de moi-même.

La vie est espoir, la mort est oubli.


Mon sentiment de la vie : je me trouve au fond d’un enfer dont chaque instant est un miracle.

Le sentiment d’être tout et l’évidence de n’être rien 

Dans un hôpital, une salle d’attente pour éphémères.

Ne méprise que celui qui comprend.


L’homme n’est la proie du désir que parce qu’il ne voit pas les choses telles qu’elles sont.

Il n’y a pas qu’une manière de tout posséder : ne rien désirer.

 

Sur la porte d’un cimetière :
            « Nous avons été ce que vous êtes.
            Vous serez ce que nous sommes. »

  

"Ne me demandez plus mon programme : respirer, n'en est-ce pas un ?"

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"Le spermatozoïde est le bandit à l'état pur."

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"Quelqu'un emploie-t-il à tout propos le mot "vie" ? Sachez que c'est un malade."

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"D'aussi loin qu'il me souvienne, je n'ai fait que détruire en moi la fierté d'être homme. Et je déambule à la périphérie de l'Espèce comme un monstre timoré, sans assez d'envergure pour me réclamer d'une autre bande de singes."

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"La cellule nerveuse s'est si bien habituée à tout, qu'il nous faut désespérer de concevoir jamais une insanité qui, péénétrant dans les cerveaux, les ferait éclater."

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"Avec Baudelaire, la physiologie est entrée dans la poésie; avec Nietzsche, dans la philosophie. Par eux, les troubles des organes furent élevés au chant et au concept. Proscrits de la santé, il leur incombait d'assurer une carrière à la maladie."

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"Nous sommes tous des farceurs: nous survivons à nos problèmes."

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" Théorie de la bonté.

 

" - Puisque pour vous il n'y a point d'ultime critère ni d'irrévocable principe, et aucun dieu, qu'est-ce qui vous empêche de perpétrer tous les forfaits ?"

" - Je découvre en moi autant de mal que chez quiconque, mais, exécrant l'action, - mère de tous les vices - je ne suis cause de souffrance pour personne. Inoffensif, sans avidité, et sans assez d'énergie ni d'indécence pour affronter les autres, je laisse le monde tel que je l'ai trouvé. Se venger présuppose une vigilance de chaque instant et un esprit de système, une continuité coûteuse, alors que l'indifférence du pardon et du mépris rend les heures agréablement vides. Toutes les morales représentent un danger pour la bonté; seule l'incurie la sauve. Ayant choisi le flegme de l'imbécile et l'apathie de l'ange, je me suis exclu des actes et, comme la bonté est incompatible avec la vie, je me suis décomposé pour être bon." "

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"L'odeur de la créature nous met sur la piste d'une divinité fétide."

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"S'il me fallait renoncer à mon dilettantisme, c'est dans le hurlement que je me spécialiserais."

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"Rien ne dessèche tant un esprit que sa répugnance à concevoir des idées obscures."


 


.SOMMAIRE.