14/04/2013

Hypocauste

 

 

Dans l'Antiquité, ce dispositif était utilisé pour le chauffage d'habitations luxueuses et de thermes publics.

  ●  Salles et bassins froids (non chauffés) : frigidarium
  ●  Salles et bassins tièdes de transition : tepidarium
  ●  Salles et bassins chauds : caldarium
  ●  Salles très chaudes (étuves sèches) : laconicum
  ●  Salles très chaudes et humides : sudatorium
  ●  Bain, baignoire, cuve, petit bassin, vasque : solium
  ●  Vestiaire parfois chauffé et jouant quelquefois le rôle de gymnase : apodytorium

 

Origines

Le terme hypocauste provient du grec hupokauston = brûler dessous, puis plus tard du latin hypocaustum = chauffé en dessous ou par le dessous. C'est un dispositif de plancher chauffant à circulation d'air à très forte inertie. Le chauffage par hypocauste était connu des Grecs dès le début du IVe siècle B.C. (*). Des vestiges ont été mis au jour à Syracuse (canalisations passant sous certaines parties de la pièce à chauffer). Le premier hypocauste continu, c'est à dire au sol entièrement surélevé sur pilettes de briques, apparaît à Olympie (Ier s. B.C.). Des exemples ont également été mis au jour à Zevgolatio près de Corinthe, aux thermes du nord-est à Épidaure, à ceux de l'est à Delphes et à ceux d'Argos.

Ce principe fut perfectionné par les Romains dans leur utilisation intensive des thermes qui servaient de bains publics et se voulaient avant tout hygiéniques. Le bain romain est un procédé déjà connu et consistant en un choc thermique du chaud au froid. Après quelques exercices physiques pratiqués en extérieur (palestre) ou en intérieur (gymnase) afin d'élever la température du corps et d'initier le processus de sudation, on passait généralement dans une succession de pièces : une salle tiède (tepidarium) puis une salle chaude (caldarium) suivi d'une salle froide (frigidarium) et des salles de repos où l'on pouvait se retrouver pour discuter. Plusieurs variantes étaient pratiquées, néanmoins c'est ce circuit qui imposa la structure architecturale des bâtiments antiques comportant des thermes. Les salles très chaudes, sèches ou humides, étaient réservées aux établissements les plus luxueux.

Les premiers thermes romains, appellation à réserver à bains publics, plutôt urbains, au IIe siècle B.C., étaient payants. Par la suite, ils furent ouverts à tous gratuitement, avec des horaires ou des installations distinctes pour les hommes et les femmes. Ces thermes étaient un lieu d'hygiène et de soin, de repos et de loisir, de rencontre et de culture, mais surtout une ressource sociale majeure de la civilisation romaine. Les propriétaires terriens les plus riches se sentaient obligés d'utiliser de telles installations dans leurs propriétés rurales. Leur construction, comme celle d'autres grands édifices publics (forum, amphithéâtre, théâtre) capables de séduire les populations locales, fut un moyen efficace de romaniser les Gaulois... de propager le mode de vie romain, de pacifier des populations et d'agrandir le territoire de la Rome antique. Incluant amélioration des routes, ports et aqueducs, l'état romain a pourvu l'empire d'un système d'infrastructures sans précédent. Ces bienfaits techniques s'étendaient dans tout l'empire, un véritable outil de propagande.

Par la suite au VIIe siècle A.D., un chauffage par hypocauste est identifié dans une abbaye près de Metz (Saint Pierre aux Nonains). La technique évolue ensuite lentement et se retrouve au sein de l'abbaye royale de Saint Denis au Xe siècle A.D.

 

Technique

C'est une installation fixe de chauffage. La source de chaleur était assurée par un foyer (le praefurnium) composé d'une chambre voûtée dépourvue de cheminée. Le foyer disposait d'une ouverture sur l'extérieur facilitant l'alimentation en combustible et bien ventilée pour la combustion du feu de bois ou de charbon de bois. Le sol du foyer, sa base, était composée de dalles de tuiles plates ou de larges briques plates. Le tout se trouvait souvent dans un espace semi-enterré, aménagé dans la partie interne des fondations du bâtiment.
Les gaz chauds générés circulaient dans un espace réalisé sous le plancher des pièces à chauffer (faux plancher). Ce plancher était supporté par des petits piliers, de petites piles de briques, genre de pilotis, nommés pilettes (pilae). Plus simples, plus robustes mais moins efficaces que les pilettes, des murets ou une maçonnerie comportant des canalisations (conduits-couloirs de chaleur rayonnants ou parallèles) pouvaient supporter les sols des pièces à chauffer et laisser les gaz chauds s'évacuer. Un soin particulier était apporté à la qualité du plancher, constitué d'un lit de mortier ou de béton étanche recouvert d'un dallage. Le tout forme un plancher suspendu (la suspensura) isolant des fumées du sous-sol et limitant les infiltrations éventuelles d'eau descendant vers le foyer.

Des sortes de braseros (récipients métalliques sur pieds contenant des braises et percés de trous) pouvaient être utilisés en compléments mobiles dans différentes pièces. Trop dangereux, ils furent abandonnés avec l'apparition des parois chauffantes intégrées aux bâtiments au cours de l'époque flavienne (IIe moitié du Ier siècle A.D. (*)).

Les fumées et l'air chaud s'échappaient par un réseau de canalisations-tubulures en terre cuite (les tubuli) noyé dans la maçonnerie et installé sous les enduits des murs des pièces à chauffer. L'évacuation des fumées du dispositif se faisait généralement au niveau des toitures.

La hauteur des pilettes (pilae) était de 50 cm à 1 m. Elles étaient constituées de briques en terre cuite plates carrées, rondes ou en demi-lune. Ces briques étaient liées à l'argile crue, employée seule ou avec un faible ajout de chaux et de sable, parfois liées au mortier de chaux sableux (chaux + sable) ou liées au mortier de tuileau (chaux + sable + tuile ou brique en terre cuite pilée). Différentes compositions de joints de pilettes sont identifiés (variations des dosages...) et correspondent à des évolutions des techniques artisanales.

Les briques plates carrées (les bessales) furent préconisées par Vitruve (architecte romain du Ier s. B.C.). Leurs dimensions standards étaient de 20 x 20 cm (bessales = 2/3 de pied romain). Il existe de rares exemplaires en pierre réfractaire, ainsi qu'une variante de pilette composée de mortier de tuileau, avec un joint de même nature.

Des pilettes conçues d'un seul bloc de terre cuite, d'une pierre locale monolithe (grès...) ou de plusieurs pierres empilées ont été mises au jour dans des installations publiques. Leurs formes étaient variées : cylindrique ou tronconique, carrée ou octogonale. Au cours de fouilles et pour une même installation, il n'est pas rare d'identifier différentes techniques mises en oeuvre, suite à des réparations ou réaménagements.

En général, on donne plus d'importance aux pilettes se trouvant en périphérie de la pièce, près des bords, et devant soutenir les murs équipés de canalisations de chauffage (tubuli).

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Éclaté d'un hypocauste

Au sommet des pilettes était posées une, deux voire trois couches de larges briques carrées recouvertes d'un béton de tuileau (mortier + gravier + tuile pilée) suivi d'un mortier fin étanche. Ces larges briques les bipedales = 2 pieds romain = environ 60 x 60 cm) dont les dimensions devaient être suffisantes pour reposer solidement sur 4 pilettes. Suivant la richesse des lieux, le sol de la pièce chauffée (ou du bassin) était un pavage quelconque, un dallage de pierre noble (marbre), ou un pavement de mosaïque. L'épaisseur de tous ces éléments pouvait atteindre 40 cm.

 

Un foyer unique pouvait chauffer plusieurs pièces et bains. Ce feu unique demandait une maîtrise technique certaine pour diriger parfaitement la chaleur vers les pièces à chauffer. Un système de trappes métalliques installées plutôt près du foyer permettait, en réduisant ou en orientant la chaleur, de régler la température dans certains secteurs et de limiter la propagation de fumées toxiques.

Les canalisations de chauffage (tubuli) prenaient naissance dans la "chambre" de l'hypocauste, parfois désignée area. Un montage adéquat de ces tubuli dans les murs permettait, en plus d'évacuer les fumées, d'obtenir différentes températures adaptées à la destination des pièces à chauffer et des bains (salle à manger, thermes...). Ces différentes températures pouvaient être effectuées à l'aide de vannes manuelles (clapets ou trappes) en métal, actionnées selon les besoins. L'ensemble, véritable système de chauffage centralisé est un énorme accumulateur de chaleur, qu'il restitue doucement pendant des heures, par conduction et rayonnement.

La longueur d'un conduit d'évacuation (tubulus) était de 20 à 50 cm. Sa surface extérieure était souvent couverte de petites stries rectilignes ou ondées, quadrillées ou croisées, favorisant l'adhérence des mortiers de maçonnerie. L'assemblage vertical des tubuli était maintenu par des clous spéciaux et couvrait généralement les murs chauffant de façon discontinue.

Certains tubuli de section rectangulaire, encastrés dans les murs, pouvaient "communiquer" entre eux latéralement (1 ou 2 trous dans les 2 petites faces latérales) et permettre aux gaz chauds de circuler entre ces différentes colonnes de chauffage. Le rendement et l'échange thermique en étaient ainsi améliorés et la température était plus homogène sur toute la largeur de la paroi de la pièce à chauffer.
On a pu observer de véritables parois creuses verticales entourant les pièces chauffées. Elles étaient réalisées avec des tubuli juxtaposés ou avec de grandes tuiles plates spéciales, munies de tétons ou mamelons (tegulae mammatae) permettant un écartement au mur. Ces parois creuses pouvaient également être conçues à l'aide de carreaux en terre cuite éloignés du mur avec de petites entretoises en céramique (bobines) façonnées au tour de potier. Ces bobines et les tétons des tegulae mammatae permettaient de conserver un écartement constant entre le mur et les tuiles. Le tout était fixé à l'aide de clous spéciaux ou de fiches métalliques de forme variable puis recouvert d'enduit pour l'étanchéité.

Des plafonds et voûtes chauffantes auraient aussi été réalisés à l'aide de tuiles plates ou de tubuli.

Rassemblés dans des canalisations au sommet des parois, les gaz n'étaient évacués vers l'extérieur que par de rares conduits percés en oblique au sommet des murs, sous le niveau des charpentes ou par l'intermédiaire d'une ouverture prévue dans la toiture (tegula à oculus - tuile plate percée d'un orifice d'évacuation - ou tegula à rebord à lucarne).

Les expérimentations récentes permettent d'estimer la température maximale pour une pièce chauffée par le sol à 30°C. De même, une température de près de 60°C pouvait être atteinte dans les pièces très chaudes des thermes (laconica) au sol et aux parois chauffés. Dans le sudatorium (sorte de sauna), la température est estimée à 55°C avec un taux d'humidité de près de 95%.

Afin de ne pas se brûler les pieds dans les salles les plus chaudes (laconica...) chauffées par le sol, les usagers été chaussés de socques (sandales à semelles de bois). La tongue de l'Antiquité.

L'approvisionnement et l'évacuation de l'eau étaient également des sujets techniques délicats à régler. L'eau dite potable est conduite par des canalisations en bois, en terre cuite ou en plomb. Les raccordements étaient réalisés à l'aide de colliers métalliques pour les tuyaux de bois, par emboîtement pour la poterie et par soudure à l'étain ou par manchon de plomb coulé pour les tuyaux de plomb. L'étanchéité des installations est souvent réalisée à l'aide de plomb (feuille ou soudure).

Pour les bains, certaines liaisons thermiques entre les gaz chauds et le "baigneur" était réalisées en pierre ou en bronze (baignoire, cuve ou chaudron rempli d'eau...). La baignoire se trouvait simplement en contact avec le sol chauffé (la suspensura), accolée, voire encastrée dans un mur chauffé ou encastrée dans le sol. Un soin particulier était apporté à cet encastrement, au joint de liaison qui devait conserver son étanchéité (gaz et fuites d'eau).

Des réservoirs métalliques pouvaient stocker l'eau chaude avant son utilisation pour les bains. Le chauffage de l'eau pouvait être réalisé à l'aide de canalisations d'eau froide en contact avec les parties chaudes de l'hypocauste ou ses tubulures d'évacuation des gaz. Sous ces citernes d'eau, la mise en place d'un chauffage d'appoint plus conventionnel (foyer de combustion de bois) était également possible.
D'autres dispositifs de chaleur, de type chaudière, ont été identifiés lors de fouilles archéologiques. Il s'agissait notamment d'une cuve métallique (miliarium), élément principal d'une chaudière,
implantée au-dessus du praefurnium de l'hypocauste ou au dessus d'un canal de chauffe.
Aux Thermes de Cluny à Lutèce, deux cuves métalliques (bronze et plomb ?) servaient de réservoirs d'eau chaude pour une partie des bains, bassins et vasques de cet établissement public. D'autres exemples de cuves de ce genre ont été identifiés dans l'empire romain (en Gaule romaine, en Italie, en Syrie et en Egypte).

Les contraintes thermiques, la toxicité des gaz générés, l'humidité et la "fragilité" des matériaux utilisés imposaient un entretien attentif (fuite d'eau ou de gaz...) et une reconstruction du dispositif de chauffage tous les 5 à 10 ans. Pour l'ensemble des parois des salles chaudes et humides, les dégradations subies imposaient une réfection tous les 20 à 25 ans.

Dans une version très simplifiée, ce type de construction serait encore réalisé aujourd'hui en Espagne, tout en respectant les réglementations et les normes de sécurité en vigueur actuellement.

 

Hypocauste de la villa de Moulon

Pour la villa gallo-romaine de Moulon, ce chauffage est à usage privé. L'hypocauste est de forme carrée, sa superficie est de 10 m2. Il n'y a plus trace de la suspensura, en place, effondrée ou déplacée dans le périmètre qui n'a pu être fouillé jusqu'à présent. Le sol du foyer (praefurnium) est couvert d'un dallage de tuiles plates (tegulae) retournées. Les rebords sont enfouis dans le sol. Ce sol intérieur en dur, grisâtre à petit gravier, a une épaisseur de 15 cm. Il comporte des fragments de mortiers, de briques, de tuiles et d'enduits peints provenant d'anciens revêtements de murs de l'habitation. Le tout repose sur un radier de pierre meulière (taille jusqu'à 10 cm de côté). Un liant de mortier de chaux est partiellement présent sur certains blocs de meulière. Les pilettes sont très majoritairement liées au mortier d'argile (présence de kaolinite et de sable siliceux). La chaux est rarement présente. Aucune trace de mortier de tuileau n'est identifiée à ce jour.

Les pilettes au nombre évalué à 90 et constituées de briques plates (19,5 cm x 19,5 cm x épaisseur 2,5 cm) sont distantes de 8 à 15 cm les unes des autres.

Il n'y a pas d'indice formel nous permettant d'affirmer qu'il y avait plusieurs salles chauffés, ainsi que des bains chauffés par hypocauste. Si toutefois ces derniers furent construits, l'eau utilisée provint probablement du puits réalisé dans la cave nord.

 

Éclaté d'un hypocauste :

 

 

Coupe d'un hypocauste des Thermes du Forum à Ostie (Port de Rome) (d'après Jean-Pierre ADAM, La construction Romaine, 1984) :

   A : briques de protection du praefurnium

H : plaques de marbre

   B : paroi d'isolation (mortier gris)

I : pilettes (pilae) de brique (parfois, comme ici,     alternativement simples et doubles)

   C : tubuli

J : briques larges (bipedales) sur 3 assises

   D : mortier de tuileau (tuile pilée)

K : feuilles de plomb d'étanchéité

   E : briques

L : béton de tuileau à gros fragments

   F : mortier de tuileau

M : mortier gris

   G : mortier gris

N : plaques de marbre

 

 

Principes de construction d'un hypocauste (d'après Jean-Claude Bessac et al., La construction. Les matériaux durs : pierre et terre cuite, 2004) :

 

 

Découverte de l'hypocauste de la villa gallo-romaine de Moulon, juillet 1994 (Orsay, 91) :

 

 

Thermes de Gisacum, partiellement restaurés (Vieil-Evreux, Eure) (IIIe siècle A.D.) :

 

 

Thermes de Cassinomagus (Chassenon, Charente) (Ier au IIIe siècle A.D.) :

 

 

Thermes de Constantin en Arles (IVe siècle A.D.) (caldarium = salle et bain chaud) :

 

 

Thermes de Labitolosa (ville ibéro-romaine des Pyrénées espagnols, Ier au IIIe siècle A.D.) :

                               

                                                                                  1) L'air chaud montait par des conduits de chaleur                      2) Praefurnium taillés dans des blocs de grés de grand appareil.     

 

 

Les Thermes de La Ciudad de Carteia en Espagne :

 

 

Villa ibéro-romaine de Rio Caldo en Espagne:

 

 

Tubuli de section cylindrique encastrés dans un mur à Pompeï (Ier siècle A.D.) :

 

 

"Salle à manger" d'une luxueuse habitation à Augusta Raurica en Suisse (après restauration et mise en valeur) :

 

 

Complexe thermal de la villa gallo-romaine de Boscéaz en Suisse :

 

 

Villa vinicole sur les bords de la Moselle pièce servant à accélérer le vieillissement du vin) (Piesport, Allemagne, IIIe au Ve siècle A.D.)  (cliché J.-P. Brun) :

 

 

Villa de Bignor (West Sussex, Angleterre, IIe au IVe siècle A.D.) :

 

 

Villa romaine Del Casale di Piazza Armerina en Sicile (tepidarium = salle et bain tiède) :

 

 

Plancher d'un caldarium sur le site de Leptis Magna en Libye :

 

 

Thermes romains dans la ville basse de Beyrouth :

 

 

Thermes romains de Scythopolis à Bet She'an en Israël :

 

 

Bains du quartier nord-est de la ville d'Apamée en Syrie :

 

 

Bains romains de Karnak en Egypte, les plus éloignés de Rome (cliché Thibaud Fournet 2012) :

 

 

Bibliographie sommaire

 

VITRUVE (ingénieur et architecte romain du Ier siècle B.C.)

"De Architectura", Livre V

Traduction aux éditions Errance, 1986

 

 

(*)  B.C. : Before Christus (avant J.-C.)

      A.D. : Anno Domini (Année du Seigneur = après J.-C.), ou A.C. : After Christus (après J.-C.)

 

 

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