|
Les Américains l'appellent
CSAR (Combat Search and Rescue) et les Français Resco (Recherche
au sauvetage au combat). Mais l'idée, qui fait aujourd'hui
florès en occident, est la même : sauver les équipages
tombés en territoire ennemi. Je vais donc faire un tour d'horizon
exhaustif des doctrines et des matériels.
"Blam !" Le pilote a senti et vu l'explosion plus qu'il
ne l'a entendue. L'avion s'est violemment cabré, tandis qu'un
éclair aveuglant envahissait son champ de vision. La suite
a été une affaire de réflexes : l'ultime tentative
pour récupérer le contrôle de l'appareil, la
brève communication radio "Tiger 27 je m'éjecte",
et l'éjection elle-même. A quelques centaines de
kilomètres de là, l'AWACS de permanence a recueilli
le message d'urgence. Il a constaté la disparition de l'avion
sur ses écrans et diffusé l'alerte : Tiger 27 vient
d'être abattu en territoire ennemi. Le premier acte d'une
mission CSAR vient d'être joué.
La Combat SAR, ou Resco, symbolise aujourd'hui
un étonnant paradoxe : les forces armées occidentales
n'ont jamais perdu aussi peu d'hommes en opération et pourtant
elles n'ont jamais consacré autant de moyens, financiers
et humains, à leur récupération. Les succès
militaires de ces dix dernières années ont conduit
l'opinion publique à croire que les guerres se menaient et
se gagnaient sans pertes. C'est une erreur, bien entendu, mais l'idée
a fait son chemin, si bien qu'au premier appareil abattu dans n'importe
quelle opération, des voix s'élèvent immédiatement
pour demander si l'intervention en cours mérite véritablement
autant de sacrifices. L'idée d'aller récupérer
un pilote abattu, particulièrement avec un autre moyen aérien,
n'est pour-tant pas neuve elle est aussi vieille que l'emploi de
l'avion lui-même, et la Première Guerre mondiale recèle
d'incroyables interventions débouchant sur le sauvetage,
bien souvent au nez et à la barbe de l'ennemi, de pilotes
abattus (lire l'en-cadré historique). L'idée fut perfectionnée
pendant la Seconde Guerre mondiale et le sauvetage de pilotes abattus,
empirique trente ans plus tôt, s'est organisé avec
la constitution d'unités spécialisées. Mais
la discipline bute sur les capacités des avions eux-mêmes,
rarement capables de se poser à l'improviste sur n'importe
quel terrain. Ce n'est donc pas un hasard si le théâtre
d'operation privilégié pour le sauvetage au combat
est avant tout maritime, les hydravions pouvant se poser à
proximité des clients à repêcher. La maturation
de l'hélicoptère au cours des années cinquante
bouleverse la donne et ouvre un champ d'application immense pour
la Resco qui gagne ses lettres de noblesse A pendant la guerre
du Vietnam. Les techniques et les matériels ont depuis été
sans cesse affinés pour aboutir à la discipline à
part entière que nous connaissons aujourd'hui. Les forces
armées font les guerres, mais ce sont les gouvernements qui
les déclenchent, et ils le font pour suivre des buts politiques.
C'est à l'aune de ces buts politiques que se mesure le coût
humain des combats, sous l'oeil scrutateur des opinions publiques,
ou de ceux qui les font. Si le coût dépasse ce
que l'on peut retirer de l'objectif, il faut renoncer. Dans ce contexte,
et sachant que pour des conflits limités il n'est accepté
qu'un taux de pertes très marginal, la Resco est un «
modérateur de prix ». Un outil parmi d'autres pour
tirer vers le bas le coût humain d'un engagement et préserver
sa rentabilité... La Resco est également un outil
essentiel de contre-propagande les équipages abattus, qui
se comptaient par dizaines de milliers pendant la Seconde Guerre
mondiale offraient peu d'intérêt en matière
de propagande. La denrée était trop commune. Cinquante
ans plus tard, la denrée étant devenue beaucoup plus
rare, son prix est monté en flèche... au point que
pendant la guerre du Golfe, Saddam Hussein offrait ouvertement des
récompenses pour quiconque lut amènerait un pilote
abattu. Si perdre un appareil est humiliant, se faire capturer un
pilote l'est encore plus. En récupérant in extremis
un pilote éjecté, on fait coup double : on prive l'ennemi
d'une bonne opération de propagande et on annule l'effet
désastreux de la perte de l'avion, l'audace du sauvetage
effaçant magie les mauvais souvenirs dans l'opinion publique.
Abattu en juin 1995 au-dessus de la Bosnie (lire l'encadré),
le capitaine O'Grady devient un héros lors de sa récupération
six jours plus tard et l'US Air Force sort grandie de toute l'opération.
Une spécialité
jeune
D'un point de vue plus prosaïque, la présence
d'une force CSAR compétente offre un certain réconfort
moral pour les équipages. Ceux-ci sont également des
spécialistes précieux dont la formation a coûté
très cher à la nation : investir quelque argent dans
leur récupération n'est pas non plus un mauvais choix
de gestionnaire. Citons également la récupération
possible par les forces CSAR d'équipements importants ou
confidentiels sur les appaeils abattus et nous aurons fait le tour
des principales motivations préludant à la constitution
d'un savoir-faire CSAR. Notons enfin que les forces armées
ne peuvent que se féliciter de la naissance d'un tel outil
: la CSAR est une spécialité jeune, synonyme de défis
à relever, de matériels de pointe, d'expérimentations
enthousiasmantes, de terrains à défricher. Un cas
de figure que l'on ne retrouve pas tous les jours dans le monde
de l'après-guerre froide... Différentes méthodes
d'insertion des équipes de sauvetage existent. Par voie terrestre,
par dépose en mer, par parachutage tous les moyens sont étudiés.
L'hélicoptère reste toutefois le principal outil de
la CSAR par sa flexibilité et le compromis qu'il présente
entre maniabilité, vitesse, discrétion et autonomie.
Epaulé par un avion spécialement équipé
comme le HC-130 Hercules, l'hélicoptère gagne encore
en efficacité. Capables de ravitailler les hélicoptères
en vol, les HC-130 peuvent également fournir une aide en
navigation, servir de PC volant au plus près de la zone des
opérations en mettant à profit leurs moyens de communication
renforcés. Des baies d'observation latérales permettent
également à des observateurs de scruter le sol pour
participer à des recherches visuelles. L'avion de transport
tactique peut également participer directement aux opérations
de sauvetage et remplacer l'hélicoptère quand une
capacité de transport ou une autonomie plus importante est
demandée. L'entraînement se fait notamment en larguant
envol des embarcations souples ou encore des véhicules tout-terrains,
en particulier les RAU (Rescue Ail Terrain Transport) des Pararescuemen,
spécialement conçus pour récupérer des
blessés en zone de combat. Ces véhicules furent intensément
utilisés pendant l'opération Juste Cause au Panama,
lorsque les premiers assauts contre deux terrains d'aviation sous
contrôle panaméen débouchèrent sur de
nombreuses pentes du côté des SEAL, des forces Delta
et des Rangers.
Une affaire cemplexe
Les moyens CSAR de l'us Air Force sont placés sous le
contrôle de l'Air Combat Command (ACC) et de l'Air Force Special
Operations Command(AFSOÇ). L'Air Force dispose au total d'une
centaine de HH-60G Pave Havvk parfaitement équipés
pour les missions CSAR, auxquels s'ajoutent les MH-60 des forces
spéciales, plus particulièrement chargés de
la dépose clandestine et de l'extraction de forces spéciales.
Toutefois, les MH-60 comptent parmi leurs missions secondaires la
Combat SAR. Ces appareils bénéficient tous des innovations
et des matériels développés pour la Combat
SAR au cours des trente cinq dernières années, au
premier rang desquels figure la capacité de ravitaillement
en vol. Anecdotique sur un théâtre d'opération
étroit comme par exemple le Kosovo, le ravitaillement en
vol devient vite indispensable sur des territoires plus vastes,
comme par exemple l'irak où la majorité des appareils
abattus pendant la guerre du Golfe le furent très profondément
en territoire irakien, hors de portée des hélicoptères
(sauf à tenter des ravitaillements en vol profondément
en territoire ennemi, un exercice de haute volée... Bien
que les matériels européens récemment développés
disposent également de cette capacité (EC-725 d'Eurocopter
et Merlin Mk3 d'EH Industries), les Américains restent à
ce jour les seuls à parfaitement maîtriser cette technique
an opération. Leaders technique, les Américains montrent
également la voie en matière de doctrine, ayant largement
ou le temps depuis la guerre du Vietnam de conceptualiser les opérations
et de tester les solutions retenues. La mission CSAR s'exécute
donc dans un cadre organisationnel très rigoureusement défini,
où prolifèrent les acronymes dont sont friands les
cousins d'Amérique. Ce qui fait dire à certains
que le premier ennemi du pilote abattu est la complexité
des armées modernes, des organigrammes, des partages de responsabilités
et de la multiplication des niveaux de décisions et des inter-venants.
Une complexité portée à de nouveaux sommets
quand il est question de coalitions, comme c'est de plus en plus
souvent le cas. La centralisation et la coordination des moyens
ne constituent donc pas la moindre des difficultés de telles
opérations : elles sont l'affaire d'un JSRC (Joint Search
and Rescue Center) qui coordonne l'action des moyens CSAR et organise
tes différentes phases de l'opération. Le JSRC est
ensuite relayé sur le terrain par différents niveaux
de responsabilités, de manière à permettre
une articulation sans heurt des différentes phases de l'opération
CSAR.
C pour "Combat"
Il n'y a aucune ambiguïté là-dessus : l'opération
de Combat SAR est une opération de guerre et obéit
donc à quelques principes simples au premier rang desquels
figure l'emploi de forces massives. L'équité du combat
doit être proscrite au profit de la disproportion des forces
et toute opposition à l'opération de sauvetage doit
être balayée le plus rapidement possible. Ce ne
sont donc pas deux hélicoptères qui partent en mission
ÇSAR, mais une task for-ce complète pouvant englober
plusieurs dizaines d'appareils aptes à traiter toutes les
formes de menace. Trois niveaux de menaces potentielles sont
en fait considérés pour une mission CSAR. Au plus
bas niveau correspondent des forces ennemies peu nombreuses, clairsemées,
dotées d'armes individuelles et d'armes collectives légères,
éventuellement de lance-roquettes et de missiles antiaériens
portables. Ces forces ne sont pas supposées pouvoir conduire
de puissantes opérations coordonnées. Une menace de
moyenne intensité est synonyme de troupes constituées,
de présence aérienne ennemie dans la zone et de l'emploi
de systèmes antiaériens à guidage radar ou
optiques. Pour ce qui est de la menace de haute intensité,
on a là affaire à des troupes nombreuses, bien organisées
et mobiles, dotées du plus large échantillonnage de
matériels qui soit. Si l'attaque en zone de menace faible
peut se faire avec une préparation minimale tout en se contentant
de mesures de protections passives (tirs de leurres), la menace
de haute intensité demande une préparation minutieuse
avec l'engagement de très nombreux moyens pour couvrir toutes
les éventualités. Placés sous la direction
d'un Mission Commander; extension locale du JSRC, typiquement embarqué
dans un AWACS ou un EC-130ABCCC (C-130 de commandement tactique),
ces moyens comprendront notamment des appareils spécialisés
dans la lune antimissile, le brouillage électronique, l'écoute
et les communications, le guidage radar, le ravitaillement en vol,
etc.: une RESCAP (Rescue Combat Air Patrol) chargée de garantir
la maîtrise complète du ciel: une RESCORT (Rescue Escort)
en charge de l'escorte directe des hélicoptères qui
vont assurer la récupération proprement dite. Cette
RESCORT peut être composée d'hélicoptères
de combat ou de chasseurs-bombardiers, typiquement des A-10 à
la puissance de feu phénoménale. Le désavantage
des avions est de présenter une trop grande vitesse d'évolution
vis-à-vis des hélicoptères. Ils sont également
moins maniables et moins capables de les suivre en vol tactique
dans des terrains très accidentés, particulièrement
par mauvais temps. A l'inverse, les hélicoptères de
combat peuvent coller aux appareils de transport <même
Si on risque d'assister au phénomène inverse dans
je futur : l'EC-725, future monture CSAR française, est notablement
plus rapide que le Tigre qui pourrait lui servir d'escorte). Leur
principal handicap vient d'une puissance de feu inférieure
aux voilures fixes et surtout à leur faible allonge qui leur
interdit de suivre les hélicoptères de transport lorsque
ceux-ci sont ravitaillés en vol, sauf à disposer de
points de ravitaillement clandestins au sol. Enfin, signalons
que l'on parle de RESCORT "attachée" ou "détachée"
suivant que l'escorte suit de près ou à distance les
appareils de transport. Chaque formule possède ses avantages
et ses inconvénients, suivant que l'on cherche à être
discret, puissant, etc. L'ensemble de cette task force protège
la force de sauvetage proprement dite des menaces terrestres et
aériennes. Elle contribue également à l'authentification
et à la localisation en phase terminale du survivor
» (nom générique donné au personnel en
détresse).
En mai 1972, un chasseur-bombardier Phantom de l'US Air Force
fut abattu au nord-est d'Hanoi, au Nord-Vietnam. Le navigateur de
l'appareil parvint à échapper aux Vietnamiens pendant
une durée record de 23 jours, tout en maintenant le contact
avec les forces amies. La zone dans laquelle il se trouvait était
jugée Si dangereuse que la récupération de
l'homme, qui fut exécutée finalement avec succès,
mobilisa une grande partie des moyens de l'Air Force présents
dans la région.
S pour "Search"
La principale difficulté de toute mission de récupération
est de pouvoir positionner avec la plus grande précision
possible le «survivor », tout en déniant à
l'ennemi le droit d'en faire autant. Les équipements radio
jouent ici un rôle prépondérant. Une étude
en profondeur engagée en 1995 par les forces armées
américaines avait alors montré que l'erreur moyenne
de localisation initiale d'un "survivor" était
d'une dizaine de kilomètres, tandis que le temps moyen de
mise en place d'une mission CSAR complexe était de 7 heures.
Un effort de formation et d'entraînement engagé sur
plus de trois ans, et s'adressant tout autant aux pilotes éjectés
qu'aux forces de sauvetage, permet d'améliorer de façon
spectaculaire ces résultats : l'erreur de localisation devenait
inférieure au kilomètre, tandis que te temps était
diminué de moitié et passait à environ 3h30.
L'objectif actuel du Pentagone est de pouvoir dès le début
de l'opération CSAR localiser un "survivor" à
100 m prés et d'organiser son recueil en moins de deux heures.
Les outils pour arriver à ce résultat seront avant
tout un meilleur entraînement des différents intervenants
et un matériel de survie de nouvelle génératon,
centré en particulier sur le CSEL. Ces efforts ne sont
pas gratuits : une localisation rapide augmente de manière
importante les chances de réussite de l'opération.
D'après les statistiques amorça mes de la guerre du
Vietnam, un pilote qui n'a pas été récupéré
au cours des quatre premières heures dispose de moins de
20% de chances d'être sauvé. (Peut-être ce chiffre
restera-t-il valabe dans les années à venir. Mais
une chose semble certaine l'introduction de nouveaux matériels,
dotés d'une plus grande autonomie, de liaisons satellitaires
et de positionnement par GPS, couplée à la généralisa-tion
de systèmes de vision nocturne très performants pour
les sauveteurs devraient permettre d'accélérer les
opérations de recueil.) En plus de permettre le positionnement
du pilote, hier par triangulation ou par homing aujourd'hui par
transmission de coordonnées GPS, la radio de survie sert
également aux communications entre le "survivor"
et ses sauveteurs. Pendant sa descente en parachute, ou bien une
fois arrivé au sol, le pilote appelle sur la fréquence
de détresse, s'identifie avec son signe tactique, donne sa
condition physique, sa position exacte s'il la connait. Si le contact
n'est pas immédiat, il essaiera de nouveau à heures
fixes. Le maître mot est discrétion, avec des communications
aussi brèves que possible, sachant que la radio est une arme
à double tranchant, sujette à interception et capable
de révéler la position du "survivor" aux
amis aussi bien qu'aux ennemis.
R pour "Rescue"
La nuit favorise les soldats entraînés et équipés
pour l'affronter, elle est une protection idéale pour ceux
qui savent s'en accommoder. A ce petit jeu, les Occidentaux, et
particulièrement les Américains, sont encore les meilleurs,
et les opérations CSAR dans les zones très difficiles
se dérouleront encore longtemps de nuit pour offrir aux sauveteurs
une couverture efficace. Deux systèmes permettent aujourd'hui
de travailler dans l'obscurité : le FLIR (Fonnard Looking
Infra Red) travaillant dans l'infrarouge, qui détecte les
être vivants et les objets par la chaleur rayonnée;
les amplificateurs de lumière, qui utilisent la lumière
résiduelle (lune, étoiles...), l'amplifient artificiellement
et restituent une image exploitable par l'utilisateur. Ces systèmes
sont complémentaires, offrent chacun avantages et inconvénients
et sont donc tous deux intensivement employés par les équipes
CSAR. Les JVN sont inefficaces en l'absence totale de lumière
résiduelle (absence de lune, couverture nuageuse masquant
les étoiles) et elles ont de faibles performances à
grande distance. Leur avantage tient à leur moindre coût
comparé au FLIR et à leur légèreté
qui leur permet d'être montées directement sur les
casques. Le FLIR est quant à lui trop lourd pour équiper
individuellement les combattants ou pilotes. Il est en général
monté dans une tourelle gyrostabilisée ce qui offre
toutefois certains avantages : l'image stabilisée sur trois
axes est de bonne qualité à grande distance et la
possibilité existe d'asservir automatiquement la caméra
aux objectifs détectés. Le FLIR voit en revanche
ses qualités dégradées par les mauvaises conditions
atmosphériques (pluie, neige. .) et offre une image de mauvaise
qualité à courte distance. Rapporté à
la CSAR, on peut en conclure que le FLIR doit être utilisé
à grande distance pour la détection du "survivor"
et l'étude de son environnement. Dans les derniers instants
du vol, a courte distance, l'équipage passera alors sur JVN
pour assurer le posé de la machine et la récupération
proprement dite. Mais dans ce domaine encore rien n'est définitif
: de nouveaux systèmes en phase d'expérimentation
s'apprêtent à fusionner différents capteurs
et différentes techniques de restitution de l'image, pour
finalement permettre la détection et l'identification de
jour comme de nuit, à toutes les distances, dans pratiquement
toutes les conditions de luminosité et de météo.
Dernière étape du sauvetage, la récupération
proprement dite du "survivor" est aussi la plus délicate
et regorge de dangers autant pour l'homme au sol que pour l'équipe
CSAR. Pour le premier, il s'agit de sortir de sa cachette et de
se montrer pour être repéré par les secours.
Pour ceux-ci, il s'agit de venir se placer en position de vulnérabilité,
à faible vitesse et faible hauteur, en plein territoire hostile,
avec la quasi-certitude que des troupes ennemies patrouillent dans
le secteur à la recherche du "survivor". Une
des plus grandes incertitudes qui demande à être levée
concerne l'authenticité réelle de celui-ci. Des expériences
cuisantes ont montré au Vietnarn qu'un ennemi intelligent
pouvait sans peine utiliser la radio d'un prisonnier (ou le contraindre
a l'utiliser) ainsi que la soif de réussite des forces de
secours pour attirer celles-ci dans des embuscades très couteuses.
La doctrine OTAN est aujourd'hui très claire sur ce point
: les moyens CSAR, qui représentent de très gros investissements
en hommes connme en matériels et sont donc des cartes de
très grande valeur, ne doivent être engagés
qu'à coup sûr, après identification formelle
du "survivor". Le moindre doute sur l'identité
de l'utilisateur de la radio de survie ou sur sa réelle liberté
de manoeuvre devra suffire à maintenir à l'écart
les hélicoptères de récupération. Corollaire
logique, ne sont justifiables d'opérations CSAR que les personnels
ayant reçu un entraînement spécifique leur permettant
de parfaitement jouer leur partition et de justifier ainsi les risques
encourus par les sauveteurs. Certaines circonstances exeptionnelles
peuvent toutefois commander une intervention très rapide,
avec une identification incomplète du pilote. La procédure
privilégiée serait alors de l'embarquer dans les hélicoptères
et de procéder en cours de route à son identification
formelle. Des procédures "anti-détournement"
ont sans doute été définies parmi les équipes
CSAR afin d'éviter tout problème dans l'hélicoptère
en question... A cela peuvent se greffer des considérations
politiques, les guerres étant conduites de plus en plus souvent
par des coalitions multinationales aux liens parfois fragiles. Sacrifier
en vain des hommes d'une nation participante pour en sauver un seul
d'une autre nationalité pourrait être une chose mal
perçue par les opinions publiques. Obtenir une certitude
sur l'identité et la liberté de mouvement du "survivor"
est un enjeu majeur de toute l'opération CSAR. C'est à
la RESCORT de finaliser la localisation et l'authentification du
personnel au sol, laissant les appareils de sauvetage en retrait,
en attente d'un feu vert final. C'est là un des domaines
les plus sensibles de la CSAR, car il ne repose en pratique sur
aucun matériel et fait pleinement appel à l'intelligence
et aux "feelings" du "survivor" et de ses correspondants.
Chaque navigant engagé sciemment au-delà des lignes
ennemies dispose d'un dossier individuel rassemblant une grande
variété d'informations. Ces dossiers, appelés
ISOPAEP (Isolated Personel Report), sont gardés dans les
unités et transmis en cas de besoin au JSRC. Ils contiennent
des informations classiques, comme la taille, la couleur des yeux,
les empreintes digitales, la photo du sujet, etc. Mais quatre entrées
permettent également de consigner des informations beaucoup
plus inhabituelles, faisant appel à des souvenirs personnels,
immuables et facilement mémorisables et n'appartenant en
aucun cas au domaine public. Une information de ce type pourrait
être par exemple : "Ma première voiture était
une Renault 16 blanche".
Une batterie de mois-clés
et de codes
La première chose à garder en tête est
qu'une opération Resco peut s'étaler sur plusieurs
jours et nécessiter plusieurs tentatives avec à chaque
fois une identification complète à reprendre à
zéro. Il convient alors de gérer au plus près
les informations contenues dans les ISOPREP qui, par définition,
ne sont pas renouvelables et qui doivent être considérées
comme "grillées" une fois lâchées
sur les ondes. L'interlocuteur du "survivor" s'attachera
donc à ne jouer dans un premier temps qu'avec un élément
partiel d'information. Pour reprendre l'exemple précédent,
il demandera par exemple de quelle couleur était la première
voiture. Il sera toujours temps plus tard de demander la marque
et le modèle exact...
Une autre information contenue dans l'ISO-PRER est un nombre à
quatre chiffres. Toujours dans le but de faire durer l'information,
on demandera par exemple au "survivor" la somme du premier
et du troisième chiffre. Inversement, ces chiffres pourraient
servir aux forces CSAR pour s'identifier auprès du "survivor",
Si celui-ci en venait à avoir des doutes sur l'identité
réelle de son interlocuteur en cas de tentative de supercherie
de la part de l'ennemi.
Aux informations personnelles des ISO-PRER s'ajoute toute une batterie
de mots-clés, lettres codes, chiffres, couleur du jour ou
même signaux visuels préconvenus communs à l'ensemble
des forces déployées sur un même théâtre
d'opération. Ces instructions sont publiées à
intervalles réguliers dans les CSAR SPINS (Special Instructions)
qui accompagnent par exemple les ATO (Air Tasking Orders,
document rédigé par l'état-major détaillant
la répartition des missions aériennes entre les différentes
unités). En même temps qu'il prend connaissance de
l'activité à venir, chaque pilote est tenu de "réviser"
encore et toujours les CSAR SPINS.
Le recueil proprement dit est l'affaire en règle générale
de deux hélicoptères, un leader et son ailier
Pendant que le leader se pose pour la récupération,
l'ailier reste en réserve en l'air, cerclant à basse
altitude pour suivre les opérations au sol tout en gardant
un oeil sur les environs. Les combinaisons possibles sont très
nombreuses, une autre manière de faire étant par exemple
un survol rapide par le leader de la zone de posé. Si tout
semble bon, le leader dégage dans une direction convenue
et l'ailier, qui arrive derrière, peut se poser et récupérer
le "survivor". Face à une situation incertaine,
le leader dégage dans la direction opposée, l'ailier
renonce à se poser et les deux appareils se regroupent à
bonne distance pour envisager la suite des événements.
A l'inverse, l'atterrissage des deux hélicoptères
peut se révéler indispensable pour, par exemple, permettre
à l'ensemble des commandos de sécuriser la zone.
Des centaines d'heures d'entrainement
Tout ce savoir-faire ne s'improvise pas et demande un long entraînement.
Du coté américain, la sélection et l'entraînement
des pilotes d'hélicoptères (une dizaine sont formés
chaque année) aux opérations CSAR est le travail d'une
unité spécialisée établie sur l'immense
base de Nellis, dans le désert du Nevada. Tous les pilotes
sélectionnés pour suivre cet entraînement sont
déjà des instructeurs sur UH-60 Blackhawk et disposent
d'une expérience d'au moins un millier d'heures de vol.
L'ensemble du cursus long de six mois comprend une trentaine de
missions, correspondant à une centaine d'heures de vol et
300 heures d'enseignement théorique au sol. Les domaines
abordés vont de la maniabilité de l'hélicoptère
jusqu'au traitement de la menace sol-air en passant par le combat
air-air qui prend une importance croissante pour les voilures tournantes.
Dans ce dernier cas, toutes les menaces possibles sont abordées,
depuis les hélicoptères de combat (Cobra, Apache...),
les hélicoptères armés jusqu'aux chasseurs-bombardiers
(F-16, A-10, etc.>. L'enseignement se clôt par la réalisation
sur le terrain de Nellis de missions aux scénarios complexes
mettant en oeuvre des escortes complètes. Une douzaine d'avions
prennent part à l'exercice autour des hélicoptères
qui doivent également affronter des menaces sol-air simulées
au cours de l'opération de récupération.
Tout n'est pourtant pas affaire d'organisation minutieuse. Les exemples
existent également d'opérations CSAF montées
dans l'urgence, la rapidité d'exécution étant
le critère primordial de réussite dans des environnements
sans doute pas aussi complexes que pour un conflit en Europe, mais
tout aussi dangereux.
En octobre 1993, au cours de l'opération
|