The Blue Wildebeest and the blue feather
(Ou l'histoire d'une mauvaise flèche)

C'est un vol sans encombre qui nous emmène Bertrand et moi jusqu'à l'aéroport Hosea Kutako, nous venons d'atterrir en Namibie, curieuse impression de se poser au milieu de nulle part, un aéroport au milieu d'une immense plaine désertique.
Stéphane et Danie sont là pour nous accueillir, nous avons devant nous 10 jours de chasse.
Une heure de route, puis une demi-heure de piste, nous voilà arrivés à Kowas.
C'est mon deuxième séjour dans cette ferme et je peux admirer les changements que Danie et Ansie Strauss ont apportés à l'architecture du Lodge, c'est tout simplement superbe !!
Nous prenons possession de nos chambres, non sans avoir fait connaissance au préalable de l'ensemble du staff.
Une bière plus tard nous prenons place dans le 4X4 pour une reconnaissance du territoire qui ne fait que 6 000 hectares ...
Les affûts sont spacieux et bien adaptés au chasseur à l'arc.
Ce soir autour du Lapa, nous planifions la journée du lendemain : lever 6h00, un bon petit déjeuner puis départ pour les affûts.
Stéphane nous avait prévenu que les températures étaient extrêmement basses pour la saison et c'était peu de le dire, quelle surprise de casser un bloc de glace d'un centimètre d'épaisseur au point d'eau !!
Aujourd’Hui je ne verrai rien, si ce n'est quelques Blesboks au loin et qui resteront bien loin.

J+2 : je suis à l'affût depuis 7h30 (il fait froid et le vent n'arrange pas les choses), j'ai les mains bien au chaud dans les poches (grossière erreur..)
Un mouvement sur la gauche, me tire de ma rêverie, un gros Phacochère se dirige au petit trot jusqu'au point d'eau et commence à s'abreuver.
Ces animaux ont de particulier qu'ils ne restent que très peu de temps pour boire.
Calé dans la chaise, mon arc est accroché à droite et les flèches sont posées à gauche (moralité : même s'il fait froid ne jamais laisser ses mains dans les poches ...)
En même temps que je m'agenouille, je saisis (tout cela sans faire de bruit) mon arc, j'encoche une flèche, je vise l'animal et décoche.
La flèche traverse l'animal de part en part, bonne hauteur mais un peu en retrait, c'est une flèche de foie qui sera mortelle, mais sur un Warthog qui est un animal très résistant, mieux vaut une atteinte de cœur ou de poumons.
Il n'a rien compris, il s'éloigne un peu, à peine affecté et regarde vers l'affût, je suis aussi surpris que lui. L'idée de lui décocher une seconde flèche me traverse l'esprit, je n'en aurai pas le temps, il part au grand trot, je peux voir le sang qui coule.
J'ai encore en tête de nombreuses histoires de Phacos qui ont la sale manie d'aller se mettre dans un trou pour mourir.
Une demi-heure plus tard, Mathews et moi-même commençons la recherche, la piste est facile.
Malgré le terrain très dégagé, nous ne voyons pas l'animal. Danie qui passait par-là en 4X4, a bien comprit que nous cherchions un animal. Il stoppe son véhicule et là, notre animal qui était couché dans les herbes à environ 50 mètres part au triple galop vers le bush.
Nous pouvons suivre sa course aux jumelles, il montre des signes évidents de fatigue, mais semble encore bien vigoureux
Nous le poursuivons tout en essayant de ne pas le perdre de vue. Il s'affaisse : nous stoppons et reprenons notre souffle.
Il redémarre en vacillant, Danie qui nous avait rejoint me fait comprendre que nous risquons de le perdre. J'acquiesce du regard, il épaule sa 7X64 et cloue l'animal sur place, la tête prête à entrer dans un trou.
C'est un très bel animal, les défenses sont très grandes, nous le chargeons et retournons au camp.
Ce soir l'ambiance est bonne, hier Bertrand s'était lâché sur un Springbok, aujourd’hui un Phaco, cette chasse démarre sur les chapeaux de roues. J'espère pouvoir tirer un Oryx, qui sont nombreux sur la ferme.

J+4 : Toujours aussi froid, je suis à l'affût depuis 8h00, les Wildebeests qui broutaient au loin se mettent en marche et se dirigent vers l'affût. Mathews m'indique un gros male parmi cette harde de vingt animaux.
Je suis prêt dans l'éventualité d'un tir, les animaux sont tous regroupés. Le male sur lequel j'avais focalisé toute mon attention est sans cesse masqué, impossible de tirer. Une fenêtre de tir s'ouvre, mais je n'ai pas saisi ma chance. Le troupeau s'en va. Un tir dans une harde est délicat, il faut sans cesse surveiller tous les mouvements des animaux.
Il est 13H00 un Bleskok suivit de deux femelles et d'un jeune se dirigent vers nous. Il marche et ne semble pas décidé à s'arrêter. Il contourne le point d'eau et se retourne pour regarder vers les femelles : j'ai armé et vise le défaut de l'épaule, l'animal reprend sa progression, j'entends le bruit de l'impact, ma flèche transperce l'animal au niveau des poumons sans le traverser.
Il part droit devant lui dans un nuage de poussière, pour finalement s'écrouler au pied d'un arbre après un galop de 150 mètres.
C'est un très beau male, les cornes sont superbes, Danie pense qu'il s'agit d'une médaille d'or NAPHA (Namibia Professional Hunting Association).
Le soir autour du feu l'ambiance est joyeuse, j'ai droit à une amicale boutade de la part de Danie au sujet du Wildebeest que je n'ai pas tiré, car Danie qui avait suivit toute la scène à distance avait remarqué un male qui s'était écarté du troupeau et présentait un parfait broadside shoot, moi pas.

J+5 : Le scénario de la veille se répète. Les Wildebeests se mettent en marche vers l'affût, je crois rêver. Ca bouge dans tous les sens, les jeunes jouent à saute mouton, j'ai repéré le male de la veille, je suis bien décidé cette fois à ne pas laisser passer une seconde opportunité.
Eh bien non ... je ne trouve pas de fenêtre de tir, masqué, mauvais angle, émotion toujours est-il que le troupeau repart.
Nous sommes autour du feu, ce soir c'est ma fête, Danie me demande si j'ai vraiment envie de tirer un Wildebeest. Il n'a pas son pareil pour mimer le Wildebeest présentant son plus beau profil au chasseur.............

J+7 : Je vous le donne en mille : dans la série voir et revoir, les Wildebeests s'approchent au pas vers l'affût. Une fois de plus je suis prêt, a genoux, flèche encochée. Devant mes yeux c'est le même cinéma, ca bouge beaucoup. Stéphane a repéré un beau mâle que je suis du regard.
J'ai armé en direction du male qui est toujours caché, les animaux passent et repassent. Je maintien la position, ça me semble long.
Voilà qu'une fenêtre se dégage, l'animal est de profil, Stéphane me dit "shoot, shoot..."
Moment d'hésitation, j'aligne ma mire au-dessus de l'antérieur de l'animal et décoche.
Je vois nettement l'impact, bon alignement mais trop haut, l'animal part dans une série de ruades, la flèche n'a que très peu pénétré.
Nous le voyons détaller, ma flèche avec un empennage bleu fichée dans l'animal est nettement visible, nous le suivons du regard puis le perdons de vue.
Je ne comprends pas, comment ai-je pu tirer aussi mal ? Stéphane essaie de me rassurer, ce n'est peut être pas si mauvais, j'ai peut être atteint un organe vital.
J'avoue qu'à ce moment, j'ai l'impression d'avoir le ciel qui m'est tombé sur la tête.
Qu'à cela ne tienne, il faut tout mettre en œuvre pour le retrouver. Entre temps Danie est arrivé, accompagné de Mathews. Les indices au point d'impact sont bien maigres : pas de sang, des traces nombreuses. L'œil affûté d'Adolph (un traqueur local) fait émerger la trace de notre animal parmi toutes les empreintes. C'est encore bien maigre pour me redonner du baume au cœur.
Ce qui est sur c'est qu'il faut tout tenter pour le retrouver, d'une part parce qu'un animal blessé représente un danger potentiel et d'autre part, je veux assumer mon tir jusqu'au bout.
Danie décide de prendre les choses en main : il donne ses instructions : Mathews et moi l'accompagnons sur les traces de l'animal, Stéphane reste en veille radio.
Danie m'annonce que cet après-midi, nous allons faire une longue marche dans le bush..... j'adore l'humour Namibien.
Nous commençons notre traque en suivant les empreintes au sol, mon œil n'est pas aguerri à cet exercice mais j'essaye de me concentrer et de comprendre. Mathews a repéré sur un caillou une minuscule goutte de sang. Ca y est c'est parti, nous commençons la recherche au sang.
Les gouttes sont bien petites et espacées ce qui n'est pas pour me remonter le moral.
Voilà déjà une heure que nous marchons, la trace est fuyante. Soudain en face de nous à environ 200 m, nous apercevons la harde : 3 paires d'yeux scrutent et tentent de repérer l'animal, le vent a tourné et 20 paires d'yeux regardent dans notre direction. Danie me demande si j'ai vu mon animal ? Non...
En moins de temps qu'il ne faut pour le dire le troupeau détalle au galop et m.....
Nous avançons, Mathews mettra 20 minutes pour retrouver le sang, notre animal n'était pas dans la harde il est parti seul dans la direction opposée. Nous progressons, de temps à autre la marque est plus épaisse, l'animal marque des pauses. Je demande à Danie si c'est bon signe ? il me répond oui et non, car notre Blue Wildebeest ne marche pas il galope !! re m.....
Nous arrivons sur une piste, les empreintes au sol sont très lisibles, un vrai boulevard. Voilà déjà une heure et demie que nous sommes derrière lui, une heure et demie que tout en marchant j'essaie d'analyser mon tir : pourquoi ? comment ?
Un appel radio de Stéphane nous parvient, Danie lui demande de venir avec le véhicule. Nous continuons de suivre les empreintes au sol sur cette piste qui ressemble à une autoroute. Un bruit de moteur, Stéphane nous rejoint. Juché sur le capot du 4X4, nous suivons la trace : c'est Morne (11 ans) le fils de Danie qui conduit.
Nos regards sont attirés vers la gauche. A environ 300 m, il est là, nous toisant de toute sa puissance. Je prends les jumelles : " I can see my blue arrow !!" c'est bien notre Blue Wildebeest, il n'y a pas d'erreur. Danie a bondit, il se rapproche, tandis que ce superbe animal continue à regarder dans notre direction. Je me dis à moi-même : "vas-y Danie, accorde-lui le coup de grâce".
Damned !! il part au triple galop, Danie n'a pu ajuster un tir en raison du bush trop dense. Il était si près et si loin à la fois.
L'action qui va suivre peut paraître irréaliste, d'aucun se demanderont si je n'ai pas abusé de Bacardi.
Une course poursuite s'engage, une dépression dans le bush nous sépare de l'animal d'une distance que j'estime à 400m. Je ne le crois pas notre animal galope, nous le rattrapons, puis le dépassons : quelle puissance, quelle course.
Le véhicule stoppe : Danie, Stéphane et Mathews bondissent pour tenter de l'intercepter. Je peux suivre toute l'action aux jumelles
Je ne peux qu'avoir du respect pour cet animal.
Mathews est de retour, nous repartons pour rejoindre Danie, qui furieux contre ce dernier ( qui a du mal comprendre ses instructions) décide de prendre le volant, pousse le véhicule dans les tours et nous gratifie d'une conduite rallye improvisée. J'avoue que je ne comprends pas tout de suite la manœuvre : en fait, il essaie de le dépasser à nouveau et de venir à sa rencontre.
Le véhicule ralenti : nous scrutons le bush.
Mathews fait un signe : jumelles rivées aux yeux, nous pouvons voir un Blue Wildebeest sous un arbre, Stéphane me confirme que c'est le mien, moi je n'en suis pas sur : je lui fais confiance.
Je peux voir ce superbe animal respirant très fort, il nous a vus c'est certain, après cette course folle, a t'il décidé de renoncer et d'attendre ? Non je ne le crois pas. Je continue à l'observer, j'ai du respect pour lui.
Je n'ai même pas remarqué que Danie s'était approché : la 7X64 claque, le Blue Wildbeest s'écroule.
Je m'approche et je peux entendre le dernier souffle de ce superbe animal.
A coté de lui, je peux voir ma flèche a l'empennage bleu qui s'est brisée
Ce soir autour du feu je me remémore cette folle journée : conscient d'avoir décoché une mauvaise flèche, mais quelque part soulagé d'avoir mené cette action de chasse jusqu'à son terme.

J+10 : un Oryx viendra nous saluer au coucher du soleil, je ne tire pas.

J+11 : c'est le jour du départ : lever 4h00, Ansie et Stéphane nous accompagnent jusqu'à l'aéroport. Il est temps de se dire au revoir.
Je n'aime pas les au revoirs qui s'éternisent surtout quand je quitte des amis. Je sers la main de Stéphane, Ansie me prend dans ses bras. C'est une expérience Africaine que je ne suis pas prêt d'oublier.

Thierry

Post-Scriptum

Avec le recul, j'ai essayé d'analyser : jusqu'à présent tous les animaux que j'ai pu tirer étaient isolés.
Un tir dans un harde est loin d'être évident, je n'ai pas assimilé le fait que pendant que je visais l'animal, ce dernier s'était rapproché. J'aurai du changer de mire. Trop d'émotion qui a prit le dessus.
Si j'ai tenu à écrire ce récit c'est à la fois pour faire partager mon expérience et inviter le lecteur à tenter l'expérience Africaine, mais aussi pour dire que j'ai souvent lu ou entendu des récits de chasse ou tout se déroule sans aucun grain de sable dans l'engrenage.
Au fait Stéphane : on repart quand ??