ARISTOTE


Des rêves.

J. BARTHELEMY SAINT-HILAIRE

(Paris, 1847)



CHAPITRE PREMIER. A quelle faculté de l'âme se rapporte le rêve ? Est-ce à l'entendement ou à la sensibilité ? Il y a dans le rêve quelque chose de plus que la sensation : rôle de l'opinion. Le rêve n'appartient exclusivement ni à la sensibilité, ni à l'intelligence, ni à l'opinion : il se rapporte à l'imagination, laquelle n'est elle-même qu'une modification de la sensibilité.
§1. Après avoir étudié le sommeil, il faut passer aux rêves, et rechercher d'abord à quelle partie de l'âme se montre le rêve. Est-ce une affection de l'entendement ou de la sensibilité, les deux seules parties de notre être qui nous fassent connaître les choses ?

§2. La fonction de la vue, c'est de voir ; celle de l'ouïe, c'est d'entendre ; et, en général, la fonction de la sensibilité, c'est de sentir. De plus, il y a certaines choses communes à tous les sens, telles que la forme, le mouvement, la grandeur, et autres qualités de même genre ; et il y en a d'autres qui sont spéciales, comme la couleur, le son, la saveur. Or, quand on ferme les yeux, et quand on dort, on n'est point en état d'avoir la sensation de la vue, on n'a pas davantage les autres ; ainsi, il est clair que nous ne sentons rien durant le sommeil. Ce n'est donc pas par la sensation que nous sentons le rêve.

§3. Nous ne le sentons pas non plus par la simple opinion ; car nous ne disons pas seulement que l'objet qui se présente alors est homme ou cheval ; nous disons encore que cet objet est blanc ou qu'il est beau ; et sans le secours de la sensation, la simple opinion ne pourrait rien nous dire de tout cela, ni de vrai ni de faux. Mais c'est là précisément ce que fait l'âme dans les rêves, puisque nous croyons voir alors, tout aussi réellement que dans la veille, que celui qui se présente est homme, et de plus qu'il est blanc. Dans le rêve, nous sentons donc encore quelque chose de plus que l'objet, de même que dans la veille, quand nous sentons un objet. En effet, souvent nous ne sentons pas seulement l'objet, mais nous en pensons encore quelque chose ; de même aussi dans les rêves, nous pensons quelque fois autre chose encore au-delà des images qui nous apparaissent.

§4. Cela sera parfaitement évident pour quiconque, après le réveil, appliquera son esprit à se rappeler les rêves qu'il a eus. Quelques personnes ont ainsi revu leurs rêves, comme en observant les règles de la mnémonique on apprend à se représenter les choses proposées. En effet, il arrive souvent à ceux qui prennent cette habitude, qu'outre le rêve ils se remettent encore sous les yeux quelqu'autre image, dans le lieu qui reçoit les images.

§5. Ceci prouve bien que la représentation aperçue dans le sommeil n'est pas toujours un rêve, et que ce que pense alors notre intelligence, elle en a connaissance par l'opinion.

§6. Il est évident encore que pour tous les phénomènes de ce genre, la cause qui fait que dans certaines maladies nous nous trompons même tout éveillés, est celle aussi qui, dans le sommeil, produit sur nous l'impression du rêve. Et même, on a beau être en pleine santé, on a beau savoir fort bien ce qu'il en est, le soleil paraît toujours n'avoir qu'un seul pied de large. Mais, soit que l'imagination et la sensibilité soient dans l'âme deux facultés identiques, ou qu'elles soient différentes, le rêve ne se produit pas néanmoins sans que l'on voie et que l'on sente quelque chose. En effet, mal voir, mal entendre ne peut appartenir qu'à un être qui voit et qui entend quelque chose de vrai, bien que ce quelque chose ne soit pas ce qu'il croit. Mais on suppose que dans le sommeil on ne voit rien, qu'on n'entend rien, en un mot qu'on ne sent rien. Faut-il donc admettre que, s'il est vrai qu'on ne voie rien dans le rêve, il n'est pas vrai que la sensibilité n'éprouve rien ? Mais il se peut que la vue et les autres sens éprouvent alors quelque affection ; chacune des impressions agit à peu près comme si l'on était éveillé, et elles frappent la sensibilité d'une certaine manière ; mais ce n'est pas tout à fait cependant comme durant la véritable veille. Ainsi, tantôt l'opinion nous dit que ce que nous voyons alors est faux, comme elle nous le dit dans la veille ; et tantôt, elle est saisie par l'image et se laisse entraîner à sa suite.

§7. Il est donc certain que cette affection que nous appelons le rêve n'appartient, ni à la faculté de l'opinion, ni à celle de l'intelligence. Elle ne relève absolument non plus de la sensibilité ; car alors on verrait, on entendrait tout à fait.

§8. Mais recherchons comment ce phénomène est possible et comment il se passe. Supposons donc, ce qui du reste est évident, que c'est là une affection de la sensibilité, puisque le sommeil en est une aussi ; et en effet, la faculté du sommeil n'appartient pas à tel animal et la faculté du rêve à tel animal différent : elles sont réunies toutes deux dans le même être.

§9. Nous avons déjà parlé de l'imagination dans le Traité de l'âme, et nous y avons dit que l'imagination est la même chose que la sensibilité ; mais que la manière d'être de la sensibilité et celle de l'imagination sont différentes ; nous avons défini l'imagination : le mouvement produit par la sensation en acte. Or, le rêve paraît bien être une sorte d'image ; car nous appelons rêve l'image qui se montre durant le sommeil, qu'elle se produise, soit d'une manière absolue, soit d'une manière quelconque.

§10. Il est donc évident que rêver appartient à la sensibilité, et lui appartient en tant qu'elle est douée d'imagination.

CHAPITRE II. Pour bien comprendre les rêves, il faut étudier les circonstances qui accompagnent le sommeil. L'impression sensible demeure dans les organes après que l'objet sensible a disparu : loi générale de la transmission du mouvement, soit de translation, soit d'altération. Effets consécutifs de certaines sensations trop prolongées. Dans l'acte de la vision, si la vue est passive, elle est certainement active aussi : singulier effet que produisent les miroirs, les yeux des femmes qui sont dans leurs mois : les vins et les huiles sont affectés à distance par les odeurs. – Hallucinations et erreurs des sens dans diverses circonstances ; effets des passions violentes ; la boulette de pain sous les doigts.
§1. Ce qui nous fera le mieux comprendre ce que c'est que le rêve, et comment il a lieu, ce sont les circonstances qui accompagnent le sommeil.

§2. Les choses sensibles produisent en nous la sensation selon chacun de nos organes ; et l'impression qu'elles causent n'existe pas seulement dans les organes, quand les sensations sont actuelles ; cette impression y demeure, même quand la sensation a disparu.

§3. Le phénomène qu'on éprouve alors paraît être à peu près le même que celui qui se passe dans le mouvement des projectiles. Ainsi, les corps qui ont été lancés continuent à se mouvoir, même après que le moteur a cessé de les toucher, parce que ce moteur a d'abord agi sur une certaine portion de l'air, et qu'ensuite cet air a communiqué à une autre partie le mouvement qu'il avait lui-même reçu ; et c'est ainsi que jusqu'à ce que le projectile s'arrête, il produit son mouvement, soit dans l'air soit dans les liquides. Il faut supposer encore la même loi dans les mouvements de simple altération. Ainsi, ce qui est échauffé par une chaleur quelconque échauffe la partie voisine ; et la chaleur se transmet jusqu'au bout. Il y a donc nécessité que ceci se passe également dans l'organe siège de la sensibilité, puisque la sensation en acte n'est qu'une sorte d'altération. C'est là ce qui fait que l'impression n'est pas seulement dans les organes au moment où ils sentent, mais qu'elle y reste encore quand ils ont cessé de sentir, et qu'elle est au fond tout comme elle est à la surface.

§4. Ceci est bien frappant quand nous avons senti quelque objet d'une manière prolongée. Alors, on a beau faire cesser la sensation, l'impression persiste ; et ainsi, par exemple, quand on passe du soleil à l'ombre, durant quelques instants on ne peut voir rien, parce que tout le mouvement, sourdement causé dans les yeux par la lumière, y continue encore. De même, si nous arrêtons trop longtemps notre vue sur une seule couleur, soit blanche, soit jaune, nous la revoyons ensuite sur tous les objets où, pour changer, nous reportons nos regards ; et si nous avons dû cligner les yeux en regardant le soleil ou telle autre chose trop brillante, il nous paraît aussitôt, que quel que soit l'objet que nous regardions après, que nous le voyons d'abord de cette même couleur, puis ensuite qu'il devient rouge, puis violet, jusqu'à ce qu'il arrive à la couleur noire et disparaisse à nos yeux.

§5. Même le mouvement seul des objets suffit pour causer en nous ces changements. Ainsi, il suffit de regarder quelque temps les eaux des fleuves, et surtout de ceux qui coulent très rapidement, pour que les autres choses qui sont en repos paraissent se mouvoir. C'est encore ainsi qu'on devient sourd par suite de bruits trop violents, et que l'odorat s'émousse par l'action de trop fortes odeurs ; et de même pour tout le reste.

§6. Tous ces phénomènes ont lieu de cette façon, évidemment.

§7. Une preuve de la rapidité avec laquelle les organes perçoivent même une très-petite différence, c'est ce qui se passe dans les miroirs, sujet sur lequel on peut s'arrêter soi-même, si l'on désire l'étudier et lever les doutes qu'il peut faire naître. Ce fait des miroirs prouvera également bien que, si la vue souffre quelque chose, elle agit aussi. Quand les miroirs sont parfaitement nets, il est certain que si des femmes qui sont dans leurs mois s'y regardent, il s'étend sur la surface du miroir comme un nuage de vapeur sanguine. Si le miroir est neuf, il n'est pas facile de faire disparaître cette tache ; au contraire, il est facile de l'enlever si le miroir est vieux.

§8. La cause de ce fait, c'est comme nous l'avons déjà dit, que non seulement la vue éprouve quelque chose de l'air, mais aussi qu'elle agit elle-même sur lui et y cause un mouvement, tout comme en causent les objets brillants. La vue, en effet, peut être classée parmi les choses qui brillent et qui ont une couleur. Il est donc tout simple que les yeux des femmes qui sont dans leurs mois, soient dans une même disposition que toute autre partie de leur corps, puisque les yeux sont aussi remplis de veines. A l'époque des règles, le changement qui survient dans les yeux, par suite du trouble général de l'organisation, et de l'inflammation sanguine, peut très bien échapper à notre observation, mais il n'en existe pas moins. Or, la nature du sperme et celle des règles sont les mêmes. Ces deux liquides agissent sur l'air qui les touche ; et cet air communique à celui qui est sur les miroirs et qui ne fait qu'un avec lui, la même modification qu'il ressent lui-même ; puis enfin, cet air agit sur la surface du miroir.

§9. C'est absolument comme pour les étoffes ; les plus blanches et les plus propres sont celles qui se tachent le plus vite, parce que ce qui est propre montre vivement tout ce qui l'atteint, et surtout les mouvements les plus faibles. L'airain, par cela même qu'il est parfaitement uni, sent les contacts les plus légers. Or, il faut regarder ce contact de l'air comme une pression, comme un essuiement, et le frôlement d'un liquide ; et quelque léger que soit cet attouchement, il se marque parce que le miroir est très-pur. Si la tache ne s'en va pas aisément des miroirs neufs, c'est précisément qu'ils sont purs et unis ; car elle entre dans ces miroirs en profondeur et en tous sens : en profondeur parce qu'ils sont purs ; et elle se répand dans tous les sens, parce qu'ils sont unis. La marque ne reste pas sur les vieux miroirs, parce que la tache n'y entre pas autant, et qu'elle demeure davantage à la surface.

§10. Ceci prouve donc que le mouvement peut être produit par de minimes différences, que la sensation est très-rapide, et que non seulement l'organe des couleurs souffre quelque modification, mais qu'il réagit lui-même. On peut citer, à l'appui de cette opinion, les phénomènes qui se passent dans la fabrication des vins et dans celle des parfums. L'huile qu'on a toute préparée prend très-vite l'odeur des parfums qu'on a mis près d'elle ; et les vins éprouvent la même influence. Ils contractent les odeurs non seulement des corps que l'on place près des vases qui les renferment, ou celles des fleurs qui poussent dans le voisinage.

§11. Pour en revenir à la question que nous nous étions proposée au début, il faut admettre ce principe, qui ressort évidemment de tout ce que nous avons dit, à savoir : que même si l'objet sensible a disparu au dehors, les impressions senties n'en demeurent pas moins dans les organes, et y demeurent sensibles.

§12. Ajoutons que nous nous trompons très facilement sur nos sensations au moment même où nous les éprouvons, ceux-ci dominés par telle affection, ceux-là par telle autre tache : le lâche, par sa frayeur ; l'amoureux, par son amour ; l'un croyant voir partout ses ennemis ; et l'autre, celui qu'il aime. Et plus la passion nous domine, plus la ressemblance apparente, qui suffit pour nous faire illusion, peut être légère. On observe aussi que tous les hommes se trompent très aisément quand ils sont sous le coup d'une colère violente ou d'une passion quelconque ; l'erreur leur est alors d'autant plus facile qu'ils sont plus passionnés. De là vient aussi que dans les accès de la fièvre, il suffit de la moindre ressemblance formée par des lignes qui se rencontrent au hasard, pour faire croire au malade qu'il y a des animaux sur la muraille de sa chambre ; et quelques fois ces hallucinations suivent en intensité les progrès du mal. Si l'on est pas très-malade, on reconnait bien vite que c'est une illusion ; mais si la souffrance devient plus forte, le malade va jusqu'à faire des mouvements vers les objets qu'il croit voir.

§13. La cause de tous ces phénomènes tient à ce que ce n'est pas la même faculté de l'esprit, qui est chargée de juger les choses, et qui reçoit en elle les images. Une preuve de ceci, c'est que le soleil paraît n'avoir qu'un pied de largeur. Un autre fait que l'on cite souvent pour démontrer les erreurs de l'imagination, c'est qu'une simple superposition des doigts suffit pour nous faire croire qu'une seule chose devient deux, sans que cependant nous allions jusqu'à dire qu'il y ait réellement deux choses ; car ici le témoignage de la vue l'emporte sur celui du toucher. Mais si le toucher était tout seul, nous jugerions que cette chose qui est une en est deux. Ce qui cause notre erreur, c'est que non-seulement ces apparences se produisent par nous, quand la chose sensible vient à se mouvoir d'une façon quelconque, mais encore quand le sens est en lui-même mis en mouvement, et qu'il reçoit un mouvement analogue à celui qu'il aurait reçu de la chose sensible. Je veux dire, par exemple, que quand on est dans un vaisseau en marche, le rivage semble être en mouvement, bien que la vue soit certainement mise en mouvement par une autre chose que le rivage.

CHAPITRE III. Un certain repos est nécessaire dans le corps pour que le rêve se produise : l'agitation, qui est continuelle pendant la veille, empêche que le centre sensible ne sente le mouvement qui suit les impressions. – Diverses natures des rêves, suivant les organisations et les dispositons. – Rapport des rêves aux hallucinations qu'on a durant la veille. – Les rêves ne sont que des débris des sensations éprouvées, et la conséquence des mouvements donnés aux organes par les impressions sensibles ; moyen de s'en assurer : perceptions réelles durant le sommeil. – Influence de l'âge sur les rêves.

§1. Bien des choses prouvent donc évidemment que ce n'est pas seulement pendant la veille que se produisent les mouvements causés par les sensations, soit que ces sensations viennent du dehors, soit qu'elles surgissent de l'intérieur du corps qui les éprouve ; mais aussi, que ces mouvements se produisent pendant qu'à lieu l'affection spéciale qu'on nomme le sommeil, et que c'est surtout alors qu'ils se manifestent.

§2. Dans le jour, en effet, ils sont écartés, et par les sensations qui agissent sur nous, et par l'exercice de la pensée ; ils disparaissent comme un petit feu devant un feu immense ; comme des maux et des plaisirs légers disparaissent devant des maux et des plaisirs plus grands. Au contraire, quand nous sommes calmés, les choses les plus délicates surnagent [et se font sentir]. Ainsi, pendant la nuit l'inactivité de chacun des sens particuliers, et l'impuissance d'agir où ils sont, parce qu'il y a reflux de la chaleur du dehors au dedans, ramènent toutes ces impressions qui étaient insensibles durant la veille, au centre même de la sensibilité ; et elles deviennent parfaitement claires, quand le trouble est apaisé.

§3. Il faut supposer que, pareil aux petits tourbillons qui se forment dans les fleuves, et que les eaux emportent, chaque mouvement de sensation se répète continuellement ; souvent ces petits tourbillons se reproduisent de la même manière, et souvent ils sont rompus en formes toutes différentes, par les obstacles qu'ils rencontrent et sur lesquels ils se brisent.

§4. Voici pourquoi les rêves ne surviennent pas [immédiatement] après le repas, et pourquoi les enfants très-jeunes n'en n'ont point ; c'est que le mouvement causé par la chaleur qui vient de la nourriture est très-considérable. C'est tout à fait comme dans un liquide qu'on agite vivement ; l'image ne peut pas du tout y paraître ; ou s'il en paraît une, elle y est toute déformée et dispersée, reproduisant l'objet tout autre qu'il n'y est. Au contraire, quand le liquide est en repos, les images sont nettes et parfaitement visibles. De même aussi quand on dort, les images qui se forment alors, et les mouvements qui restent de la veille et proviennent des sensations, sont tantôt tout à fait annulés, quand le mouvement dont on vient de parler est par trop considérable ; tantôt les visions qui apparaissent sont toutes terribles et toutes monstrueuses ; et les rêves sont malsains et incomplets, comme il arrive aux mélancoliques, à ceux qui ont de la fièvre, et à ceux qui ont pris du vin. En effet, toutes ces affections venant des esprits, causent dans l'organisation un grand mouvement et un grand trouble.

§5. Dans les animaux qui ont du sang, une fois que le sang s'est apaisé, et que la séparation s'y est faite, le mouvement qui reste encore des impressions reçues durant la veille par chacun des sens, rend les rêves complets et sains. Alors il se montre des apparences distinctes ; et il semble qu'on voit, grâce aux impressions qui ont été déposées par la vue ; qu'on entend, grâce à celles de l'ouïe ; et de même pour les impressions venues des autres organes des sens.

§6. C'est en effet parce que le mouvement se communique de ces organes au principe de la sensibilité, que parfois même tout éveillé, on croit voir, entendre et sentir certaines choses. C'est aussi parce que la vue semble quelque fois être mue, sans l'être réellement, que nous affirmons que nous voyons ; c'est parce que le toucher nous atteste deux mouvements qu'il nous semble qu'une seule chose en est deux. [Dans ces divers cas] le principe sensible nous informe simplement de la perception qui naît de chaque sens, à moins que quelque autre sens supérieur ne vienne donner un témoignage contraire. L'apparence se montre donc bien complète ; mais l'esprit n'admet pas complètement ce qui se montre ainsi à lui, à moins que la faculté qui juge en dernier ressort, ne soit empêchée et n'ait plus de mouvement propre.

§7. Or, de même que l'on peut être très aisément trompé, comme nous l'avons dit, tantôt par une passion, tantôt par une autre ; de même quand on dort, on est trompé par le sommeil, par l'ébranlement des organes et par toutes les autres circonstances qui accompagnent la sensation. Il suffit alors de la plus petite ressemblance pour que nous confondions les objets entre eux.

§8. Durant le sommeil, en effet, le sang descendant en plus grande masse vers le principe sensible, tous les mouvements qui se trouvent à l'intérieur, les uns en puissance, les autres en acte, s'y rendent avec lui ; et ces mouvements sont disposés de telle sorte que, dans cette concentration, ce sera tel mouvement qui surnagera au-dessus des autres ; et si le premier disparaît, un second prendra sa place. On pourrait d'ailleurs les comparer, dans leurs rapports les uns aux autres, à ces grenouilles factices qui montent à la surface de l'eau, quand le sel qui les enveloppe est fondu. De même les mouvements ne sont d'abord qu'en puissance ; mais ils agissent dès que l'obstacle qui les empêche a cessé ; et perdus dans le peu de sang qui reste alors aux organes, ils prennent la ressemblance des objets qui émeuvent habituellement les sens. Comme ces apparences formées par les nuages qui, dans leurs changements rapides, semblent, tantôt des hommes, et tantôt des centaures.

§9. Tout cela n'est, ainsi qu'on l'a dit, qu'un débris de la sensation en acte ; et quand la véritable sensation a disparu, il en reste dans les organes quelque chose dont il est vrai de dire, par exemple, que cela ressemble à Coriscus, mais non pas que c'est Coriscus. Or, quand le sens qui juge en maître et prononce définitivement, sentait réellement, il ne disait pas que ce fût là Coriscus, bien que ce fût par là qu'il reconnût le Coriscus véritable. Ainsi, certainement pour cette chose dont on disait quand on la sentait, qu'elle était Coriscus, on éprouve [dans le sommeil], à moins que le sang n'y mette un si complet obstacle qu'on soit comme si l'on ne sentait pas, l'impression des mouvements qui sont encore dans les organes ; l'objet semblable paraît être l'objet réel lui-même ; et telle est la puissance du sommeil, qu'elle est assez grande pour nous dissimuler ce qui se passe alors.

§10. Par exemple, quelqu'un qui ne s'apercevrait pas avoir mis le doigt sous son oeil qu'il presse, non seulement verrait la chose double toute simple qu'elle est, mais de plus il croirait qu'elle est double réellement ; si au contraire il n'ignore pas la position de son doigt, la chose lui paraîtra double, mais il ne pensera pas qu'elle le soit.

§11. Il en est de même dans le sommeil : si l'on sent que l'on dort, si l'on a conscience de la perception qui révèle la sensation du sommeil, l'apparence se montre bien ; mais il y a en nous quelque chose qui dit qu'elle paraît Coriscus, mais que ce n'est pas là Coriscus ; car souvent quand on dort, il y a quelque chose dans l'âme qui nous dit que ce que nous voyons n'est qu'un rêve. Au contraire, si l'on ne sait pas qu'on dort, rien alors ne contredit l'imagination.

§12. Afin de se convaincre que nous sommes ici dans le vrai, et qu'il y a dans les organes des mouvements capables de produire des images, on n'a qu'à faire l'effort nécessaire pour se rappeler ce qu'on éprouve quand on est endormi [profondément], et qu'on est réveillé [en sursaut]. On pourra, en effet, si l'on s'y prend avec quelque adresse, s'assurer en s'éveillant que les apparences qu'on voyait durant le sommeil ne sont que des mouvements dans les organes. Souvent, les enfants voient très distinctement, quand ils sont dans les ténèbres, beaucoup d'images qui s'y meuvent ; et leur peur est parfois assez forte pour les forcer à se cacher.

§13. Nous pouvons donc, d'après tout ceci, conclure que le rêve est une sorte d'image, et ajouter qu'il se produit durant le sommeil ; car les apparences que je viens de citer ne sont pas des rêves, non plus que ces autres apparences analogues qui se montrent à nous, même quand nos sens sont libres.

§14. Le rêve n'est pas non plus toute image quelconque qui se montre durant le sommeil ; car d'abord il se peut quelquefois que durant le sommeil on sente en partie le bruit, la lumière, la saveur, le contact ; mais faiblement il est vrai, et comme de très loin. Ainsi, bien des gens qui, en dormant entrevoyaient faiblement une lumière, que dans leur sommeil ils prenaient pour celle d'une lampe, ont reconnu aussitôt après leur réveil, que c'était bien réellement la lumière d'une lampe. Des gens qui entendaient faiblement le chant du coq ou le cri des chiens, les ont reconnus très clairement en se réveillant. D'autres répondent dans leur sommeil aux questions qu'on leur fait.

§15. C'est qu'il se peut, pour le sommeil et pour la veille que, l'un des deux étant absolu, l'autre aussi soit partiel. L'on ne peut dire alors d'aucun de ces deux états, que ni l'un ni l'autre soit un rêve, pas plus qu'on ne peut le dire de toutes les vraies pensées qui nous viennent dans le sommeil, indépendamment des images. Mais l'image produite par le mouvement des impressions sensibles quand on est dans le sommeil, et en tant qu'on dort, voilà ce qui constitue vraiment le rêve.

§16. Il y a des gens qui n'ont jamais rêvé de toute leur vie ; mais ces exceptions sont forts rares, quoiqu'il y en ait pourtant quelques unes. Pour les uns, cette absence de rêves a été perpétuelle ; pour les autres, les rêves ne leur sont venus qu'avec les progrès de l'âge, sans qu'auparavant ils en eussent jamais eu. Il faut croire que la cause qui fait qu'on ne rêve pas, est à peu près la même que celle qui fait qu'on n'a pas de rêves quand on dort aussitôt après le repas ; et que les enfants non plus ne rêvent point. Dans tous les tempéraments où la nature agit de telle sorte qu'une évaporation considérable monte vers les parties supérieures, et produit ensuite, en redescendant, un mouvement non moins considérable, il est tout simple qu'aucun image ne se montre. Mais on conçoit très-bien qu'avec les progrès de l'âge, il arrive des rêves ; car, du moment qu'un changement survient, soit par l'âge, soit par une affection quelconque, il faut aussi qu'il arrive le contraire de ce qui avait lieu auparavant.



NOTES

Chapitre I


§1. Se montre le rêve. J'ai tâché de conserver l'image du texte.
De l'entendement ou de la sensibilité. Voir le Traité de L'Ame pour les théories spéciales sur ces deux facultés, qu'Aristote n'a nulle part plus complètement opposées qu'il ne le fait ici.
De notre être. Le texte dit mot à mot : "qui sont en nous". Voir aussi le Traité de l'Ame, III, IV, 5 et III, VIII, 3.

§2. Certaines choses communes. Voir le Traité de l'Ame. II, VI, 3.
Nous ne sentons rien durant le sommeil. Voir la théorie spéciale sur l'impuissance de la sensibilité durant le sommeil, plus haut, Traité du Sommeil, Ch. I, §.5 et suiv.
Que nous sentons le rêve. Peut-être eût-il mieux valu dire : "Que nous connaissons le rêve". Mais j'ai dû conserver l'expression du texte, tout en la trouvant peu exacte.

§3. Par la simple opinion. Ce qui suit expliquera clairement ce qu'Aristote entend par l'opinion : c'est le mouvement de l'esprit, qui, de la substance de l'objet, se porte aux qualités qui le distinguent. Du reste, cette idée de l'opinion est, en général, assez vague dans Aristote ; voir le Traité de l'Ame, III, III, 4 ; Derniers Analytiques, I, XXXIII, 1 et II, XIX, 8 ; et Topiques, VIII, XIII, 1. On peut voir dans Platon, République, V, p. 315, trad. de Mr. Cousin, des théories beaucoup plus satisfaisantes et plus arrêtées.
Qui se présente alors. J'ai ajouté ce dernier mot.
Qu'il est blanc, qu'il est beau. Qualités diverses de cet objet que nous avons d'abord perçues dans son existence substantielle, indépendamment de tout accident.
Sans le secours de la sensation, chargée de nous apprendre d'abord l'existence même de l'objet.
La simple opinion. Le texte dit simplement, comme plus haut : "l'opinion".
Tout aussi réellement que dans la veille. Le texte, plus concis, dit : "également".
Nous en pensons encore quelquechose, c'est à dire, nous portons un jugement ; nous nous formons une opinion de cet objet. L'opinion, ainsi entendue, se confond alors avec la perception, comme l'entend la philosophie Ecossaise.
Au-delà des images, ou bien "outre les images".

§4. En observant les règles de la mnémonique. Aristote se sert aussi de cette comparaison pour expliquer le rôle de l'imagination ; Traité de l'Ame, III, III, 4. On retrouve encore une indication de l'art de la mnémonique dans les Topiques, VIII, XIV, §.4.
Ils se remettent encore sous les yeux. C'est l'expression dont se sert à peu près Aristote dans le passage du Traité de l'Ame qui vient d'être cité.
Dans le lieu qui reçoit les images. Le texte dit seulement : "Dans le lieu". J'ai rajouté le reste pour être plus clair ; mais cette fin du paragraphe est difficile à comprendre ; et la pensée, malgré les explications des commentateurs reste obscure. Aristote veut dire que dans le rêve, il y a autre chose encore que de simples images ; qu'il y a des actes de l'intelligence indépendamment des sensations reçues, et qu'on peut s'en convaincre en essayant, après le réveil, de refaire son rêve. Il paraît que quelques éditions ont eu une autre variante : "Quelque autre chose dans le lieu des images". C'est la variante qu'adopte Leonicus : je l'ai repoussée parce qu'elle n'a pour elle l'autorité d'aucun manuscrit.

§5. La représentation, ou l'image.
N'est pas toujours un rêve, ou peut-être, "n'est pas toute entière un rêve".
Et que ce que pense par l'entendement.
Par l'opinion. On sait la différence qu'Aristote met entre l'opinion et l'entendement ; voir plus haut, §3.

§6. La cause qui fait. Aristote ne dit pas ici quelle est cette cause. Il revient encore sur ces hallucinations des malades dans l'état de veille, plus loin, ch. II, §12.
On a beau savoir. Je préfère comprendre le mot grec dans le sens de "savoir" plutôt que dans le sens de "voir". Voir le Traité de l'Ame, III, III, 10.
Deux facultés identiques. Voir au Traité de l'Ame, la théorie de l'imagination, III, III, §1.
Quelque chose de vrai. Ce serait peut-être plutôt "quelque chose de réel". J'ai conservé l'expression grecque.
Mais on suppose. Opinion que combat Aristote : peut-être eût-il pu l'indiquer plus nettement.
On ne voit rien ... on ne sent rien.Voir plus haut la théorie du sommeil, dans le Traité du Sommeil, ch.I, §4 et suiv.
Mais il se peut. Ceci est une suite de réponse à la question qui précède.
Alors. J'ai rajouté ce mot.
Ainsi, tantôt l'opinion. Ceci ne semble pas une conséquence très-rigoureuse de ce qui précède.

§7. N'appartient. Sous-entendu : "exclusivement" ; car elle leur appartient en partie, d'après tout ce qui précède.
Absolument. Peut-être ce mot s'applique-t-il aussi, dans la pensée d'Aristote, à ce qui précède, aussi bien qu'à cette phrase même. Il paraît indispensable dans les deux cas.

§8. C'est là une affection de la sensibilité. Une affection d'un certain genre.

§9. Dans le Traité de l'Ame, III, III.
Est la même chose que la sensibilité. Ce n'est pas tout à fait ce qui a été dit dans le Traité de l'Ame. L'imagination n'y est pas complètement confondue avec la sensibilité, §4. L'imagination ne peut exister sans la sensibilité ; mais elle en est profondément distinguée au §7.
Le mouvement produit... Ce sont, en effet, les expressions du Traité de l'Ame, III, III, 13.
D'une manière absolue. Comme image que nous reconnaissons bien pour un rêve.
Soit d'une manière quelconque, c'est à dire de vrai et de faux, de sommeil et de veille.

§10. Il est donc évident. Il semble en effet que cette conséquence s'est fait longtemps attendre, et qu'elle aurait pu être donnée un peu plus tôt. Voir une observation pareille au chapître suivant, §4.

Chapitre II.

§1. Les circonstances qui accompagnent le sommeil. Aristote ne traitera pas ce sujet spécial dans ce qui va suivre. Il semblerait, au contraire, traiter plutôt des circonstances de l'état de veille, et des conséquences qu'entraîne l'exercice de la sensibilité. Je ne vois pas que les commentateurs aient fait cette remarque, qui est pourtant fort exacte. Les manuscrits, d'ailleurs, n'offrent pas de variante. Aristote ne reviendra au sommeil qu'au chapître suivant.

§2. Les sensations sont actuelles, c'est à dire, tout le temps qu'elles durent et qu'elles agissent réellement sur nous.

§3. A cessé de les toucher, au moment même où ils ont été lancés, soit dans l'air, soit dans un liquide.
De simple altération. Voir dans les Catégories, ch. XIV, §§ 3 et 4, ce qui concerne le mouvement d'altération, ou la modification. Ce mouvement, en opposition à ceux qui précèdent, se fait sans aucun déplacement dans l'espace.
Echauffé par une chaleur quelconque. La répétition est dans le texte.
Dans l'organe siège de la sensibilité. Le texte n'est pas tout à fait aussi précis.
N'est qu'une sorte d'altération, qui complète l'animal loin de le diminuer ou de le faire souffrir ; voir le Traité de l'Ame, II, V, 5.

§4. Ceci est bien frappant. Observation frappante, en effet, et parfaitement juste.
Faire cesser la sensation. Le texte dit, par une métaphore, "transporter la sensation", la déplacer.
Sourdement causé. J'ai ajouté le mot "sourdement" pour rendre toute la force de l'expression grecque.
Soit blanche, soit jaune. Je crois que ceci peut s'entendre à toutes les couleurs, surtout au rouge, et en général à toutes les nuances éclatantes.
– Leonicus a remarqué que tout ce paragraphe est un peu prolixe : "Consuetae sibi brevitatis oblitus esse plane videtur". La remarque est vraie ; mais on pourrait presque l'étendre à tout le traité, qui est fort clair, d'ailleurs, précisément parce qu'il n'a pas la concision habituelle d'Aristote. Voir aussi au chapître précédent, §10.

§5. Les autres choses. J'ai ajouté "autres" pour que la pensée fût plus complète et plus claire.
Et de même pour tout le reste. Cette observation a été plusieurs fois répétée dans le Traité de l'Ame, II, XII, 3 ; III, IV, 5 ; III, XIII, 2.

§7. Une preuve de la rapidité. Voici une digression qui justifie la remarque faite plus haut par Leonicus.
Quand les miroirs sont parfaitement nets. Je ne sais si la physiologie moderne peut confirmer ou nier cette observation d'Aristote ; mais si l'on voulait faire cette expérience, il faudrait se rappeler que les miroirs des anciens étaient de métal et non de glace, comme les nôtres.

§8. Elle agit de même. Peut-être cette conséquence n'est-elle pas très-juste, même en admettant les faits que rapporte ici Aristote. La vue n'agit pas dans ce cas en tant que vue : c'est une émanation qui sont des yeux et se répand sur le miroir, tout comme elle pourrait sortir et sort peut-être de toute autre partie du corps ; et c'est ce qu'Aristote semble lui-même indiquer un peu plus bas.
Or, la nature du sperme. La remarque est physiologiquement très-vraie ; mais elle ne semble pas ici bien placée.

§9. C'est absolument comme pour les étoffes. On peut trouver encore que ceci est une digression assez peu utile. Voir plus bas, §11.
Les plus blanches et les plus propres. Il n'y a qu'un seul mot dans le texte.
Les mouvements les plus faibles. Il faut comprendre ici le mot de "mouvements" dans le sens de "changements, modifications" plutôt que dans le sens de déplacement.
Un essuiement et le frôlement d'un liquide. Les mots dont se sert ici Aristote n'ont pas d'équivalents exacts dans notre langue. Il aurait fallu, pour les rendre, une longue paraphrase qui aurait changé toute la forme des expressions.
Les vieux miroirs. Voir plus haut, §7, à la fin.

§10. Ceci prouve donc. Voir plus haut, §7, au début ; il ne semble pas, d'ailleurs, qu'Aristote ait bien directement prouvé la question qu'il s'était posée.
Qu'il réagit lui-même, mais non pas en tant qu'organe des couleurs.

§11. Pour revenir à la question. Cette expression semblerait indiquer qu'Aristote lui-même a senti qu'il s'était laissé aller à une bien longue digression.
Qui ressort de tout ce que nous avons dit. Je ne sais si cette conséquence est bien réellement démontrée de tout ce qui précède, et si le raisonnement est très-conséquent.

§12. Se trompent très-aisément, ou "sont très-aisés à tromper".
Dans les accès de fièvre. Rapprochement très ingénieux et fondé sur des observations très-exactes.

§13. De juger les choses. C'est l'entendement, l'intelligence.
Et qui reçoit en elle les images. La sensibilité ou l'imagination.
Le soleil paraît. Voir plus haut, ch. I, §6, la même idée a déjà été exprimée.
Superposition des doigts. C'est l'expérience qu'on fait faire si souvent aux enfants, pour sentir une boulette de pain entre l'index et le second doigt placé au-dessus.
Le témoignage de la vue. Leonicus rappelle à ce sujet un beau vers de Plaute, où un seul témoin oculaire est mis au-dessus de dix témoins auriculaires. La proportion que le poète établit n'est peut-être pas très-exacte ; mais il est certain qu'en général nous nous en rapportons plus à la vue qu'à tout autre sens.
Est lui-même, soit par un mouvemment interne qui a modifié l'organe indépendamment de l'objet extérieur, soit par un déplacement total de l'être qui sent.
Je veux dire, par exemple. Plus haut, §5, Aristote a cité aussi l'effet consécutif que produit la vue longtemps prolongée des eaux courantes d'une fleuve.
Que par le rivage. Qui ne bouge pas et ne peut causer réellement notre sensation.

Chapitre III.

§1. Bien des choses. Le texte dit : "ces choses" ; et cette indication, selon moi, se rapporte à ce qui suit et non à ce qui précède.
Qu'on nomme le sommeil. Aristote revient à la théorie du sommeil, dont il s'était écarté durant tout le chapître précédent ; voir plus haut, ch. II, §1.

§2. Qui agissent sur nous. Qui sont actuelles : on doit se rappeler le sens spécial qu'ont ces mots dans le système péripatéticien.
Les plus délicates. Mot à mot : "les petites choses".
Et se font sentir. J'ai ajouté ceci pour compléter la pensée.
Reflux de la chaleur du dehors au dedans. Voir plus haut au Traité du Sommeil, ch. III, §12.

§3. Pareil aux petits tourbillons. C'est un phénomène dont l'observation est très-facile et se présente fréquemment.
Se répète continuellement. Le texte dit simplement : "a lieu continuellement".
Et sur lesquels ils se brisent. J'ai ajouté cette dernière phrase pour rendre toute la force de l'expression grecque.

§4. Immédiatement. J'ai ajouté ce mot pour compléter la pensée.
Est très-considérable. Peut-être aurait-il été plus conséquent de dire : "trop considérable".
C'est tout à fait comme dans un liquide. Cette comparaison est exacte et frappante.
Malsains et incomplets. Il n'y a qu'un seul mot dans le texte.
Venant des esprits. Il faut prendre ici le mot "d'esprits" dans le sens de "vent, souffle" comme l'indique l'expression grecque.

§5. La séparation s'y est faite. Voir plus haut des théories analogues dans le Traité du Sommeil, ch. III, §19.
Complets et sains. Le texte n'a ici qu'un seul mot, comme au paragraphe précédent.

§6. Même tout éveillés. C'est ainsi que j'entends ce passage, et je fais également rapporter à la veille ce qui suit. Quelques commentateurs, qui ont peut-être eu un texte différent, font encore rapporter tout ceci au sommeil ; et ils supposent qu'Aristote a voulu dire que tout en dormant on pouvait sentir comme si l'on était éveillé. L'observation est sans doute très-vraie ; mais le contexte ne se prête pas à ce sens.
Semble être mue, durant la veille, comme dans le cas cité plus haut par Aristote, où le mouvement du vaisseau nous fait croire au mouvement du rivage ; voir plus haut, ch. II, §13.
C'est par le toucher. Voir plus haut, id. ibid.
Dans ces divers cas. J'ai ajouté ce petit membre de phrase pour compléter le sens que je donne à tout ce passage.
N'admet pas par l'opinion, pour rendre toute la force de l'expression grecque.
En dernier ressort. Le texte dit : "ce qui surjuge" : c'est l'entendement.
Et n'ait plus de mouvement propre. Je suis l'édition de Berlin, qui met ici une négation d'après l'autorité de trois manuscrits. Il en est plusieurs qui la suppriment ; mais le sens est alors moins satisfaisant.

§7. Comme nous l'avons dit. Voir plus haut, ch. III, §12.
Pour que nous confondions les objets entre eux. Mot à mot : "ce qui a une faible ressemblance paraît cela".

§8. Durant le sommeil, en effet. Voir plus haut le Traité du Sommeil, et particulièrement, ch. III.
Dans cette concentration. Le texte dit encore : "dans ce mouvement", j'ai cru devoir éviter cette répétition.
Au dessus des autres ... le premier ... un second. Le texte est un peu moins précis.
A ces grenouilles factices. Michel d'Ephèse, et, après lui, les autres commentateurs, expliquent ceci : d'ordinaire on avait, dans cette petite expérience assez ingénieuse, cinq grenouilles de bois enduites de sel, qu'on déposait successivement dans l'eau : quand le sel était fondu, elles remontaient à la surface dans l'ordre inverse où on les avait fait descendre au fond.
Perdus. Le texte dit mot à mot : "dissous". L'image est un peu différente.

§9. Ainsi qu'on l'a dit. Plus haut, §1 et suiv.
La véritable sensation, perçue durant la veille.
Dans les organes. J'ai ajouté ceci pour rendre la force de l'expression grecque.
Qu'elle était Coriscus. Le texte dit seulement : "dont on dit cela".
Dans le sommeil. J'ai ajouté ces mots pour être plus clair.
A moins que... Cette phrase est un peu embarassée dans ma traduction qui, en ceci, reproduit fidèlement le texte.

§10. Qu'il presse. J'ai ajouté ces mots pour rappeler plus clairement un petit phénomène que chacun connaît. On sait qu'en pressant le globe de l'oeil on voit les objets doubles, tout simples qu'ils sont.
La chose double. Leonicus semble croire qu'Aristote veut rappeler ici la petite expérience de la superposition des doigts, dont il a été question plus haut, ch. II, §13.
Il croirait, par l'opinion. Les Ecossais diraient ici : "mais de plus, il la percevrait double réellement".
Il ne pensera pas. Même remarque.
Si l'on a conscience de la perception. Le texte n'est pas aussi précis. Ce membre de phrase, du reste, ne fait que répéter celui qui précède. Selon Michel d'Ephèse, quelques manuscrits donnaient ici une variante : "la sensation de la partie sensible". Ce qui signifierait également le rêve. L'édition de Berlin ne donne pas de variante.

§12. Capables de produire des images. Le texte dit mot à mot : "fantastiques".
Endormi profondément. J'ai ajouté ce dernier mot pour rendre toute la portée du texte.
En sursaut. J'ai ajouté ceci pour être plus clair.
Si l'on s'y prend avec quelque adresse. L'expression dont se sert Aristote justifie ce membre de phrase : "il surprendra comme surprend un voleur".
Ne sont que des mouvements dans les organes. L'observation est fort ingénieuse ; mais elle n'est pas facile à faire.

§13. Que je viens de citer, dans les paragraphes précédents.
Ces autres apparences, comme ces spectres que l'imagination des enfants tout éveillés voit dans les ténèbres.
Sont libres. Voir plus haut la définition du sommeil, Traité du Sommeil, ch. I, §§ 8 et 9.

§14. Car d'abord il se peut. Observation très-exacte.
D'autres répondent aux questions, ce sont surtout les gens portés au somnanbulisme. Ces phénomènes sont très-fréquents dans l'enfance. Chacun a pu les observer.

§15. L'un des deux étant absolu. Ainsi, durant la veille, il se peut que l'on dorme en partie ; durant le sommeil, il se peut que l'on veille également.
Les vraies pensées. Par le mouvement naturel de l'esprit qui se continuerait durant le sommeil, si l'on doit tirer une telle conséquence de ce que dit ici Aristote.
Mais l'image produite... Voilà la dernière définition du rêve ; et tout ce qui précède a pour but de la justifier. Peut-être la physiologie moderne accorderait-elle en général, au jeu naturel des organes intérieurs, plus que ne le fait ici Aristote, et accorderait-elle un peu moins aux impressions du dehors.

§16. Il y a des gens. Chacun peut vérifier, par son expérience personnelle, combien ces observations d'Aristote sont exactes, quelles que soit d'ailleurs la valeur des explications qu'il en donne.
Quand on dort aussitôt après le repas. Peut-être cette observation-ci serait-elle contestable. J'ai ajouté le mot "aussitôt". On dort en général après le repas ; mais on ne rêve pas en général dans ce lourd sommeil.
Dans tous les tempéraments. Voir plus haut les conditions physiologiques du sommeil, Traité du Sommeil, ch. III.
Une affection quelconque. Peut-être Aristote veut-il désigner par là l'effet des maladies.