DANTE

Purgatoire (X, 121-139)





[121-39]
  O superbi cristiani, miseri lassi,
si della vista et della mente infermi,
fidanza havete ne' ritrosi passi.

  Non v'accorgete voi che noi sian vermi,
nati a formare l'angelica farfalla
che vola alla iustitia sanza schermi ?

  Di che l'animo vostro in alto galla ?
Voi sete quasi entomata in defecto,
si chome verme in cui formation falla.

  Chome per sostentare solaio o tecto,
per mensola tal volta una figura
si vede giugnere le ginocchia al pecto,

  La qual fa del non vero vera rancura
nascere, a chi lor vede, chosí facti
vid'io coloro quando posi ben cura.

  Vero e che piu et men eron contracti,
secondo che havien piú et meno adosso,
et qual piú patientia havea ne gl'acti

  Piangendo parea dicer : « Piú non posso ».


Traduction de F. Lamennais (1855)

 
O chrétiens superbes, malheureux débiles qui, infirmes de la vue de l'esprit, vous fiez aux pas rétrogrades,

  Ne savez-vous donc point que nous sommes des vers nés pour devenir l'angélique papillon qui, sans que rien l'en défende, vole devant la Justice ?

  De quoi gonflée, vôtre âme en haut flotte-t-elle ? Qu'êtes-vous que d'informes insectes, semblables au ver en qui avorte la transformation ?

  Comme, pour soutenir un plafond ou un toit, à la place d'une console se voit quelquefois une figure joindre les genoux à la poitrine.

  Laquelle, de ce qui n'est pas vrai, fait naître en qui la voit une vraie douleur, ainsi vis-je faits ceux-là, quand je fus bien attentif.

  A la vérité, ils étaient plus ou moins contracté, selon leur charge plus ou moins grande ; et qui, en sa contenance, paraissait le plus patient,

  Pleurant semblait dire " Je n'en peux plus".





Commentaire de Cristoforo Landino, 1497.


[121-23] Usa acerba exclamatione inverso e christiani superbi, e quali veramente son miseri, havendo pel peccato perduta la divina gratia. Et sono lapsi, i. traschorsi et caduti da quella, perché chosí importa questo vocabolo lapso in lingua latina ; o vero diremo non lapsi, ma lassi, et alhora significa "stracchi" ; infermi della vista et della mente : la vista è o dell'occhio corporale, o dello 'ntellecto ; qui intende infermi della vista, i. dell'achume et sottiglieza dello 'ngegno. Quasi dica : voi siate di ciecho intellecto, perché non conoscete el vero bene, et sete infermi della mente, i. della volontà, perché non lo volete. Adunque veramente miseri, poiché né conoscete il bene, né lo volete. Et da questo nasce, che voi havete fidanza ne' ritrosi passi, cioè nell'operationi vitiose ; « retrosici » in latino significha "all'indietro". Et perché chi procede nell'operationi virtuose va innanzi, et appressasi a Dio, che è el suo sommo bene, seguita, che chi fa vitiose operationi, fa e passi ritrossi, cioè all'indrieto, perché si discosta da Dio. Quale adunque è maggior miseria, et maggior cecità di mente, che pigliar fidanza in quelle chose, che ci dilungan dalla nostra salute, et dal sommo bene ?

[124-26] Non v'accorgete voi, che noi sian vermi : sono molti vermi et maxime e bigatti, che fanno la seta, e quali benché sieno animali imperfecti, nientedime no concepono in sé una farfalla, la quale crepando, el vermine escie, et vola via. Chosí l'huomo è quasi un vil vermine. Onde dice el psalmista : « ego autem sum vermis et non homo, obprobrium hominis, et abiectio plebis ». Ma chosí vermi siamo apti a formare la farfalla chome el bigatto. Questa è in noi l'anima inmortale, la quale se rectamente reggiamo, et adirizialla nella via della virtú, crepato dipoi el nostro corpo, i. risoluto dalla morte, l'anima chome farfalla vola fuori al cielo. Ma se escie lorda di vitii, el peso di quegli l'aggrava, et falla rovinare alio 'nferno. Et dixe farfalla piú tosto che altra chosa, che voli, perché havendo decto verme secondo la sacra scriptura, et nascendo del vermine la farfalla, stecte in quella translatione ; nati a formare : non è l'huomo quello che forma, cioè crea, l'anima. Ma Idio la crea di niente, et creando la 'nfonde ; ma perché viene nel corpo sanza cognitione d'alchuna chosa, ma apta a riprendere, però dice, che l'huomo è nato a formare l'anima, perché la natura l'ha prodocto, accioché instruischa et amaestri l'anima sua ; angelicha : perché l'anima nostra, benché vi sia alchuna differentia, nientedimeno è essentia rationale, chome l'angelo. Onde el psalmista : « minuisti eum paulo minus ab angelis ». Chiamala anchora angelica, perché fu creata da Dio per riempiere le sedie de gl'agnoli caduti da cielo ; che vola alla giustitia sanza schermi : sanza difensioni. Imperoché uscita del corpo va al giudicio sanza difension alchuna.

[127-29] Di che I'animo nostro in alto galla ? : di che chosa exaltate voi ? quasi dicha : non è l'huomo si excellente chosa sanza la gratia di Dio, che lui debba insuperbire o gloriarsi. Onde Paulo <...> ; voi sese quasi entomata in defecto : ritorna a quel, che dixe disopra, et conchiuse, che noi siamo imperfecti, chome e vermini, se siamo sanza le virtú, et sanza la divina gratia. Imperoché chome el verme è imperfecto, perché non viene formato a compimento, chosí l'huomo, el quale è creato per servire a Dio suo sommo bene, è imperfecto, se è privato d'esse virtú, per le quali possi unirsi con Dio. Onde sancto Augustino dice : « fecisti nos ad te, et inquietum est cor nostrum, donec requieschamus in te ». « Entoma » in greco, et in latino « insecta », son tutti e vermi, che non hanno tutti e membri distincti, chome ape, formiche, et simili.

[130-35] E pesi grandi, e quali questi portavano, gli facevon si chinare, et rannicchiare, che 'l pecto toccava le ginocchia. Il perche parevano tali, quali sono certe mensole di legname, le quali si mectono nel muro sotto la trave de' tetti, o de' solai, o vero palchi, le quali spesso s'intagliano in forma d'uno huomo, che sostengha la trave, et per gran peso fa, che si pieghi, et rannicchi, et quasi appoggi el pecto in su le ginocchia ; et benché tal figura non duri faticha, perché è legno, et non huomo, nientedimeno fa del non vero, vera rancura, i. benché non sia vero, che tal peso l'aggravi o lo noi, nientedimeno ingenera, a chi lo guata, vera rancura, i. vero increscimento.

[136-39] Vero è che piu et meno eron contracti : benché fussino sotto gravi pesi, pure l'havea men grave un, che un altro, secondo, che havean meno, o piú, peccato in superbia.



Traduction du commentaire de Landino (M. Lantheaume, 2004).


[121-23] Il emploie une exclamation acerbe envers les chrétiens orgueilleux, lesquels sont vraiment miseri (malheureux) ayant à cause du péché perdu la grâce de Dieu. Et ils sont lapsi c'est-à-dire qu'ils ont trébuché et sont tombés hors d'elle, car c'est ce que signifie ce mot lapso en latin ; ou bien nous dirons non pas lapsi mais lassi et alors cela veut dire "épuisés". Infirmes de la vue et de l'esprit : la vue appartient soit à l'oeil corporel, soit à l'intelligence ; il entend ici infirmes de la vue comme privés de la pénétration et de la finesse de l'esprit. Comme s'il disait : vous avez l'intelligence aveuglée parce que vous ne connaissez pas le bien véritable, et vous êtes infirmes de l'esprit, c'est-à-dire de la volonté parce que vous ne le voulez pas. Vous êtes donc véritablement malheureux, puique vous ne connaissez pas le bien ni ne le voulez. Il découle de cela que vous vous fiez aux pas rétrogrades, c'est-à-dire aux actions mauvaises ; "retrosici" en latin signifie "à reculons". En effet ceux qui accomplissent des actions vertueuses vont de l'avant et s'approchent de Dieu qui est le bien suprême ; il s'ensuit que ceux qui font de mauvaises actions font des pas rétrogrades, c'est-à-dire à reculons, parce qu'ils s'éloignent de Dieu. Y a-t-il donc plus grande misère et plus grand aveuglement de l'esprit que de se fier à ces choses-là qui nous éloignent de notre salut et du bien suprême ?

[124-26] Ne voyez-vous pas que nous sommes des vers : il y a de nombreux vers et surtout les vers à soie lesquels, malgré leur imperfection d'animaux, conçoivent pourtant en eux-mêmes un papillon qui, à la mort du vers, sort et s'envole. Ainsi l'homme n'est-il qu'un pauvre vers. Comme dit le psalmiste :"ego autem sum vermis et non homo, obprobrium hominis, et abjectio plebis". Mais nous sommes ainsi vers capables de former un papillon comme fait le vers à soie. Ce papillon est notre âme immortelle qui, si nous la dirigeons droitement et la menons sur la voie de la vertu, une fois notre corps privé de vie, c'est-à-dire défait par la mort, notre âme comme un papillon s'envole jusqu'au ciel. Mais si elle en sort chargée de vices, leur poids l'appesantit et la fait précipîter en enfer. Il dit papillon plutôt qu'autre chose qui vole parce qu'ayant dit vers selon la sainte écriture et du fait que le papillon nait d'un vers, il s'en tient à cette comparaison. Nés pour former : ce n'est pas l'homme qui forme, c'est-à-dire crée, notre âme. C'est Dieu qui la crée à partir de rien et qui en la créant l'inspire. En effet, comme elle vient dans notre corps sans aucune connaissance mais avec la capacité d'apprendre, il dit donc que l'homme est né pour former son âme parce que la nature l'a fait naître afin qu'il instruise et éduque son âme. Angélique : parce que notre âme, bien qu'il y ait quelque différence, est néanmoins essence raisonnable comme l'ange. D'où ce que dit le psalmiste : « minuisti eum paulo minus ab angelis ». Il la dit encore angélique parce qu'elle fut créée par Dieu pour remplir les sièges des anges tombés du ciel. Qui sans écrans vole vers la justice : sans protections ; en sorte que sortie du corps elle va vers le jugement sans aucune protection.

[127-29] "De quoi s'enfle si haut votre âme ?" (trad. J. Risset) de quoi vous exaltez-vous ? comme s'il disait : l'homme n'est pas une excellente chose sans la grâce de Dieu pour qu'il doive s'enorgueillir ou se glorifier. D'où les paroles de Paul : [.....]. Vous n'êtes qu'insectes avortés : il revient à ce qu'il a dit plus haut et conclu que nous sommes imparfaits comme des vers si nous sommes sans vertu et privés de la grâce de Dieu. C'est pourquoi, comme le vers est imparfait parce qu'il n'est pas arrivé à son terme, ainsi l'homme qui est créé pour servir Dieu son bien suprême est-il imparfait s'il est privé de ces vertus par lesquelles il puisse s'unir à Dieu. D'où ce que dit Saint Augustin : "fecisti nos ad te et inquietum est cor nostrum donec requieschamus in te". "Entoma" en grec et en latin "insecta" sont toutes les larves dont on ne distingue pas toutes les pattes, comme les abeilles, les fourmis et autres.

[130-35] Les charges pesantes que portaient ceux-ci les faisaient se baisser et se recroqueviller sur eux-mêmes au point que leur poitrine touchait leurs genoux. C'est la raison pour laquelle ils ressemblaient à des consoles de bois qui se placent sur un mur sous une poutre de toit ou de plancher et qui souvent sont sculptées en forme d'homme qui soutient la poutre et qui, en raison du grand poids, se courbe et se recroqueville et pour un peu appuie sa poitrine sur ses genoux. Bien que cette figure ne se fatigue pas, parce qu'elle est de bois et non pas homme, cependant le non vrai fait naître un vrai regret, c'est-à-dire que bien qu'il ne soit pas vrai que pareil poids l'écrase ou le gêne, il suscite pourtant chez qui le regarde un vrai regret c'est-à-dire une véritable repentance.

[136-39] C'est vrai qu'ils étaient plus ou moins contractés : bien qu'ils fussent sous des charges pesantes, ils en portaient une plus ou moins lourde selon qu'ils avaient plus ou moins péché par orgueil.


* Commentaire d'un Anonyme latin (XIVe s.).


(v. 123) Dicit retrosi, quia semper vita nostra retro incedit, idest ad mortem

(v. 124) Intelligit de corporibus nostris, que vermes sunt.

(v. 125) Idem formare animam que angelica et inmortalis est, cum discedit a corpore tendit ad iustitiam sine scuto ; idest quod nec latere nec se tueri potest.

(v. 126) Anthomata dicuntur animalia defectuosa in aliqua parte corporis, ex defectu nature seu que non gratia sui nata et creata sunt, sed ad producendum aliud, sicut sunt vermes facientes sericum ; qui vermes corrumptur, et ex eis nascuntur sive evolant alii vermes cum alis volantes. Et simili modo vult dicere auctor quod humanum genus non gratia sui corporis natum [est], set causa formandi animam, que postea mortuo corpore evolat et tendit ad iusticiam.

(v. 131) Mensola est quoddam edificium edificium quod ponitur sub penetrali domus ad substinendum ipsum ab una parte, ita quod penetral requiescit super ipsum edificium a parte illa. Set hic ponitur pro pictura que fit aliquando in muris, scilicet ymago hominis contracta, que videtur substinere edificium superius situm, tenendo manus super tibias et cervicem curvam ; quia tales videbantur illi de quibus loquitur.

* Vincenzo CIOFFARI. Anonymous Latin commentary on Dantes's Commedia, Reconstructed text. Centro Italiano di Studi sull'Alto Medioevo. Spoleto, 1989.