ESQUIROL Etienne

Des maladies mentales
considérées sous les rapports médical, hygiénique et médico-légal

1838


VI.

DE L'EPILEPSIE

(1815)



Les symptômes de l'épilepsie sont tellement extraordinaires, tellement au-dessus de toute explication physiologique ; les causes organiques de cette maladie sont tellement inconnues, que les anciens ont cru quelle dépendait du courroux des dieux. Quoique Hippocrate ait combattu ce préjugé, il a conservé à l'épilepsie le nom de maladie sacrée, Arétée l'appelle mal d'Hercule. C'est le morbus comitialis de Pline ; le morbus sacer et major de Celse ; le morbus sonticus d'Aulu-Gelle ; le morbus caducus de Paracelse : les auteurs sacrés donnent le nom de lunatiques aux épileptiques. L'épilepsie, confondue avec l'éclampsie par beaucoup de modernes, est désignée en France par les noms de mal caduc, haut-mal, mal de terre, mal de saint Jean, mal des enfans. Dans l'ouest de la France, on appelle les épileptiques tombeurs.
L'épilepsie éclate ordinairement par un cri, le malade tombe, les convulsions se manifestent, mais avec des nuances infinies entre le plus léger mouvement convulsif et les convulsions les plus violentes et les plus
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effrayantes ; il y a suspension complète de la sensibilité.
Les cheveux se hérissent, le front se crispe, les sourcils s'abaissent et se rapprochent, les yeux sont saillans, hagards ou louches ; les paupières fermées exécutent quelquefois un mouvement d'élévation et d'abaissement très vif et continuel, laissent apercevoir la partie inférieure du globe de l'oeil qui est fixe ; dans d'autres les paupières restent ouvertes ; les yeux fortement injectés s'élancent hors de l'orbite et s'ouvrent convulsivement. La face se gonfle, devient très rouge, livide, ecchymosée. Les muscles de la face produisent des grimaces hideuses, les lèvres s'allongent, se portent en avant, ou s'élargissent vers les oreilles, et se couvrent d'une salive écumeuse. La mâchoire inférieure est serré contre la supérieure, ou s'en écarte jusqu'à se luxer. La langue s'allonge, se tuméfie, sort de la bouche, est saisie, meurtrie, déchirée, coupée entre les dents. Le grincement des dents est si fort qu'elles se brisent en éclats. La voix n'est que gémissemens et soupirs, semblable à la voix d'une personne qu'on étrangle, quelquefois les épileptiques poussent des hurlemens plus ou moins prolongés, plus ou moins effrayans. Il en est qui disent des mots sans suite, extravagans, bigarres, que des fripons ont fait passer, et que des gens simples ont prises pour des inspirations des démons.
Les vaisseaux de la tête sont tellement gonflés, les carotides battent avec tant de force, qu'ils semblent prêts à se rompre. La tête entière exécute des mouvemens de rotation, on se porte à droite, à gauche,
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d'avant en arrière, quelquefois elle est fixe dans l'une ou l'autre de ces attitudes ou est rejetée en arrière ; le cou est raide : cette fixité, cette raideur ne sauraient être surmontées par les plus grands efforts.
Le tronc renversé brusquement, tantôt sur le dos, tantôt sur l'abdomen, se soulève pour retomber encore ; il se tord en divers sens, se courbe, se roule sur le sol, on bien reste dans un véritable état tétanique. Les bras, les mains, les doigts, les cuisses, les jambes, les pieds, les orteils participent à cet état. La flexion du pouce est si fréquente qu'on l'a regardée comme un signe d'épilepsie.
Les muscles de la vie organique ne sont pas étrangers à cette scène de douleur et d'effroi. Le pouls, d'abord petit, se développe, devient fréquent, dur, inégal, quelquefois il s'efface. La respiration est ralentie on précipitée, convulsive, stertoreuse. Les éructations, les borborygmes, le vomissement ; l'émission involontaire de l'urine, du sperme, des fèces ; la sueur qui inonde le malade ; le sang qui coule du nez, des yeux, des oreilles ; tout exprime l'état violent de l'organisme. La sensibilité semble éteinte, tant il est impossible de la réveiller, quelque moyen qu'on emploie pour cela.
Mais alors que l'existence de l'épileptique semble succomber par tant de violence, alors que le malade est près de suffoquer, les muscles se relâchent, la respiration devient plus facile, le pouls se ralentit ou se développe, la sensibilité se rétablit, les convulsions diminuent, la physionomie reprend son ton ordinaire, la tête est lourde, les yeux appesantis s'ouvrent, le regard est étonné ; les
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membres fatigués, endoloris, ont besoin de repos ; quelques épileptiques, après un sommeil plus on moins prolongé, reprennent leurs forces ; d'autres, après un long sommeil comateux, s'éveillent et restent pâles, languissans, faibles pendant quelques heures et même pendant quelques jours ; immédiatement après l'accès, avant de recouvrer les sens, les uns et les autres ont de la carphologie. L'exercice de la pensée se rétablit aussitôt chez les uns ; chez les autres il ne redevient libre qu'après quelques heures et après quelques jours.
Aucun épileptique ne conserve le souvenir de ce qu'il vient d'éprouver, aucun n'en a sans doute le sentiment. Tous, après l'accès, sont tristes, comme honteux et d'une très grande susceptibilité.
Les accès des épileptiques ne sont pas toujours aussi épouvantables ; les convulsions ne sont pas toujours générales ; il est des malades qui n'ont que les avant-coureurs de l'accès ; d'autres n'éprouvent que le commencement de l'accès qui cesse brusquement. Quelquefois ce n'est qu'un étourdissement, un frissonnement général, suivis de raideur, on bien un simple mouvement convulsif d'un membre, de la tête, des lèvres, avec privation instantanée du sentiment. J'ai été consulté pour une jeune dame, dont le père est épileptique, qui est prise de ses accès au milieu d'un cercle, à la promenade, à cheval ; elle n'est point renversée, les jeux sont convulsif, le regard est fixe ; l'accès ne dure que peu de secondes, et la malade reprend la conversation, la phrase où elle les a laissées, sans se douter nullement de ce qui vient de lui arriver et à moins qu'elle ne pousse un cri, personne ne s'aper
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çoit de ce qui s'est passé : avec les progrès de l'âge, les accès sont devenus plus complets. Poupart (1) cite un fait semblable. Quelques épileptiques ne font que secouer la tête, les bras, les jambes ; d'autres ferment seulement la main, quelques-uns courent, d'autres tournent sur eux-mêmes. Le docteur Esparen a reconnu un accès d'épilepsie à un simple mouvement convulsif des lèvres. Les seules convulsions des yeux et du thorax avaient fait porter le même jugement à Pechlin. Ces accès, qui peuvent être méconnus, servent de prélude à des accès qui peu-à-peu, ou avec l'âge, deviennent complets, ou bien ils s'intercalent avec des accès complets qui ne laissent aucune incertitude sur la nature des uns et des autres : c'est le vertige épileptique.
Chez les enfans, l'accès est moins violent et peut être confondu avec les convulsions ordinaires. Les enfans ont des vertiges, leurs jambes sont vacillantes ; des sueurs leur montent à la face, qui devient rouge, bleuâtre ; les yeux convergent et se fixent vers la racine du nez ; les convulsions sont générales ou partielles, les mâchoires se serrent ou les lèvres se couvrent d'écume. Lors même que l'accès a été léger, les enfans conservent le regard hébété, ils ont de la somnolence, ils se plaignent de la tête, y portent la main ; ils ne veulent pas téter. Si l'accès a été fort, ils tombent dans un profond sommeil d'où ils sortent stupides.
Il est des accès qui éclatent brusquement sans aucun phénomène qui les précède, particulièrement dans l'é

(1) Mémoires de l'Académie royale des sciences, 1705.
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pilepsie essentielle. ll en est d'autres qui s'annoncent par divers accidens, surtout dans l'épilepsie sympathique ; ils sont presque toujours prévus avant la perte de la connaissance. Les épileptiques éprouvent des mouvemens convulsifs, des douleurs aigües ; ils sentent un froid, une vapeur (aura epileptica) à la tête, à la face, à l'un des bras, aux mains, aux cuisses, aux jambes, aux orteils, à la poitrine, à l'estomac, à l'abdomen, à l'utérus ; ces diverses affections se propagent comme une vapeur le long des membres, du tronc, du cou, vers la tête, et lorsque cette vapeur est arrivée au cerveau, l'accès éclate. Les épileptiques profitent de ces pressentimens pour se garantir des accidens graves qui sont l'effet de la chute : c'est alors qu'on applique les ligatures, que quelques praticiens ont conseillé l'extension des membres, la marche, l''inspiration de quelque substance fortement aromatique ou excitante, etc. La rougeur de la racine du nez, le gonflement des veines du cou, le battement des temporales, la coloration de la face, les vertiges, l'assoupissement, le tintement d'oreilles, les rêves affreux, les palpitations, le larmoiement des yeux sont les signes précurseurs de l'épilepsie angioténique ou pléthorique. Quelques épileptiques sentent avant l'accès des odeurs désagréables ; d'autres ont de la répugnance pour les alimens ; les vomissemens, les borborygmes, les déjections involontaires présagent l'épilepsie gastrique. Quelques-uns sont plus irritables, plus colères ; quelques autres ont les facultés intellectuelles plus exaltées, la veille et le jour de l'explosion de l'accès. Immédiatement avant l'accès,
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dit Arétée, les épileptiques croient voir une lumière éclatante, pourprée, noirâtre ; d'autres entendent du bruit comme si on les frappait à coups de pierre ou de bâton. Il en est qui ont des hallucinations. Nous avons, à la Salpetrière, une épileptique qui tourne sur elle-même pendant quelques minutes ; une autre qui court à toutes jambes jusqu'à ce quelle tombe : rien ne peut les arrêter.
L'état d'un épileptique averti, par des phénomènes internes, d'un accès plus ou moins prochain, est si, pénible, si douloureux pour plusieurs épileptiques, qu'ils désirent vivement que l'accès éclate, recherchant les circonstances que l'expérience leur a appris à être favorables à l'invasion des accès. Il est des épileptiques qui, dans ce but, boivent du vin, des liqueurs ; il en est d'autres qui s'excitent à la colère en cherchant querelle au premier venu.
La durée des accès est très variable, il en est qui ne durent que quelques secondes ; plusieurs ont la durée de quelques minutes, la durée moyenne est de cinq à quinze minutes.
La fréquence des accès n'est pas non plus déterminée ; ils reviennent tous les ans, tous les six mois, tous les mois, tous les quinze jours, tous les huit jours, tous les deux jours, tous les jours, plusieurs fois le jour. Il est des épileptiques qui ont des accès complets très forts avec des intervalles très longs ; pendant ces intervalles, il y a des vertiges. Les accès des uns ont des temps fixes de retour ; ils reviennent à des époques bien déterminées. Il en est qui reviennent à jours fixes, par
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ticulièrement chez les femmes ; quelquefois les accès alternent pour intensité : il y en a de forts et de faibles ; c'est ce qu on appelle dans les hospices le grand et le petit mal. Plus rarement, les accès reparaissent à des périodes indéterminées, les épileptiques ont alors plusieurs accès successifs et rapprochés. Il est des accès qui éclatent pendant le jour, d'autres pendant la nuit, d'autres enfin pendant le sommeil. J'ai donné des soins à un jeune homme qui n'était instruit de ses accès que par la fatigue et l'engourdissement qu'il éprouvait au réveil. Plusieurs fois on a pu lui cacher qu'il avait eu des accès. Je soigne un homme âgé de 32 ans, dont l'épilepsie est compliquée de fureur et de démence. Il n'est pris de ses accès que pendant le sommeil. S'il arrive, ce qui est très rare, qu'il ait des accès pendant le jour, il s'endort immédiatement avant ; si on s'oppose au sommeil, ou si on l'éveille à temps, l'accès est prévenu. J'ai conseillé un malade de ne pas se coucher, et de combattre le sommeil par la distraction : l'accès a manqué, mais le sommeil du lendemain a rappelé les accès. Il n'est point de maladie qu'on ait regardée comme plus dépendante du cours de la lune, à cause de sa périodicité, et cependant la coïncidence des accès avec les phases lunaires n'est pas aussi constante ni aussi régulière qu'on pourrait le croire. Dans les grandes réunions d'épileptiques, je n'ai point observé que les accès fussent plus fréquens à certaines phases de la lune que dans d'autres.
Les auteurs rapportent que l'épilepsie a cessé après le rétablissement des hémorrhagies supprimées, des éruptions cutanées déplacées, après des douleurs aux
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cuisses, après des ulcères à la gorge, à la jambe, après l'engorgement des seins, des testicules, après la cécité : cette dernière crise n'es pas très rare.
L'épilepsie n'est pas seulement une maladie épouvantable par la violence de ses symptômes, désespérante par son incurabilité, elle l'est encore par ses funestes effets sur le physique et le moral de ceux qui en sont atteints ; les uns sont les conséquences nécessaires de la répétition des accès ; les autres sont accidentels et peuvent être prévenus.
Les effets accidentels de l'épilepsie, que j'appelle locaux, qui peuvent être prévus, dépendent de la chute a lieu au début de l'accès. Un épileptique peut tomber dans le feu, dans l'eau, se précipiter par une croisée, etc. ; en tombant, il peut se blesser, se brûler, se meurtrir le visage, se fracturer un membre, se noyer. Ces accidens sont assez fréquens, assez graves pour fournir des indications importantes dans la distribution d'un local, d'un hospice destiné à réunir un grand nombre d'épileptiques.
Les perturbations violentes et souvent répétées du système nerveux produisent nécessairement, à la longue, des lésions dans les organes de la vie de nutrition, aussi bien que des altérations du cerveau et de ses fonctions. Les traits de la face grossissent ; les paupières inférieures se gonflent ; les lèvres deviennent épaisses ; les plus jolis visages enlaidissent. Il y a dans le regard quelque chose d'incertain ; les yeux sont vacillans, les pupilles dilatées. On observe des mouvemens convulsifs de quelques muscles de la face. Les épileptiques ont
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une démarche particulière. Leurs bras et leurs jambes grêles ne sont pas en rapport avec l'épaisseur du reste du corps. Ces malades deviennent difformes, paralytiques (1). Une épileptique de la Salpêtrière, après un violent accèes, conserve les jambes fléchies sous les cuisses, et ne peut marcher. Un an après, pendant l'accès, les jambes s'étendent et se fléchissent alternativement. La personne qui était auprès de la malade, maintient avec effort l'extension des membres, et par cet heureux secours, l'épileptique recouvre la faculté de marcher.
Les fonctions de la vie organique s'altèrent, languissent. Les épileptiques sont sujets à la cardialgie, aux flatuosité, aux lassitudes spontanées, au tremblement ; ils font peu d'exercice ; ils tombent dans l'obésité ou l'amaigrissement ; ils sont très enclins aus plaisirs de l'amour, à l'onanisme. Peut-être les excès auxquels ils se livrent produisent-ils les lésions organiques, et les désordres qui se manifestent lorsque l'épilepsie a persisté pendant longtemps. En général, les épileptiques ne parviennent pas à une longue vieillesse. Les fonctions cérébrales, les facultés intellectuelles se dégradent peu-à-peu.
Arétée qui a si bien décrit les symptômes de l'épilepsie n'a pas négligé de parler de l'influence de cette maladie sur les fonctions du cerveau. Van Swieten, dans ses Commentaires sur Boerhaave, dit avoir vu

(1) La planche qui est jointe à ce chapitre donnera une idée de la dégradation physique dans laquelle jette l'épilepsie, le dessin en a été fait d'après nature, par M. Desmaisons, jeune élève en médecine, qui s'occupe avec succès de l'étude des maladies mentales.
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plusieurs infortunés qui étaient fous dès leur enfance, et que tous ceux dont il avait pu connaître l'histoire, avaient eu des accès d'épilepsie.
L'intelligence s'altère, s'affaiblit peu-à-peu ; les sensations n'ont plus la même vivacité, la mémoire se perd, l'imagination s'éteint ; les épileptiques tombent dans la démence incurable. Ces funestes effets sont d'autant plus à craindre que les accès sont plus violens et plus fréquens.
Aidé de M. Calmeil, médecin surveillant de l'hospice de Charenton, et alors élève de l'hospice de la Salpêtrière, j'ai recueilli avec le plus grand soin l'histoire des femmes qui habitent le quartier des épileptiques, au nombre de trois cent quatre-vingt-cinq.
Sur ce nombre, quarante-six femmes sont hystériques ; l'hystérie présentant quelquefois des symptômes tels, qu'on a souvent confondu les hystériques avec les épileptiques. Il est des hystériques qui sont en même temps épileptiques, et chez lesquelles, avec un peu d'habitude, on distingue très bien à laquelle des deux maladies appartiennent les convulsions auxquelles ces malades sont actuellement en proie. Les hystériques ont des accès de manie, presque toutes sont hypocondriaques ; mais elles ne tombent pas dans la démence.
Je n'ai plus à rendre compte que de trois cent trente-neuf épileptiques, par la soustraction des quarante-six hystériques.
De ce nombre, douze sont monomaniaques.
Trente sont maniaques, parmi elles quelques-unes ont du penchant au suicide, et ont fait plusieurs tentatives pour se détruire.
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Trente-quatre sont furieuses ; chez trois, la fureur n'éclate qu'après l'accès.
Cent quarante-cinq sont en démence ; seize sont constamment dans cet état ; les autres ne le sont qu'après l'accès, deux ont des paroxysmes de fureur.
Huit sont idiotes ; l'une d'elles n'est épileptique que depuis sept à huit mois, et n'a eu que cinq accès.
Cinquante sont habituellement raisonnables, mais elles ont des absences de mémoire plus ou moins fréquentes, on bien des idées exaltées ; quelques-unes ont un délire fugace ; toutes ont de la tendance vers la démence.
Soixante n'ont aucune aberration de l'intelligence, mais elles sont d'une très grande susceptibilité, irascibles, entêtées, difficiles a vivre, capricieuses, bizarres ; toutes ont quelque chose de singulier dans le caractère.
Donc deux cent soixante-neuf de nos trois cent trente-neuf épileptiques, c'est-à-dire les quatre cinquièmes, sont plus ou moins aliénées ; un cinquième seulement conserve l'usage de la raison, et quelle raison !
Quelques épileptiques éprouvent des sensations internes, desquelles naissent des pressentimens qui les avertissent qu'un accès va éclater, et que, quoiqu'ils viennent d'en avoir un, ils en auront bientôt un second.
Plusieurs, avant la suspension de toute sensibilité, ont les hallucinations les plus variées ; ils croient voir des corps lumineux, qui leur font craindre d'être embrasés ; ils croient voir des corps noirs qui s'étendent, deviennent immenses, et les menacent d'être enveloppés dans d'épaisses ténèbres. Ils entendent des
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bruits semblables aux éclats de la foudre, au roulement des tambours, au cliquetis des armes ; tumulte des combats ; ils sentent les odeurs les plus fétides ; il leur semble qu'on les frappe, qu'on les roue de coups. Tontes ces hallucinations leur inspirent la plus grande terreur. Peut-être est-ce ce sentiment qui imprime sur la physionomie de la plupart des épileptiques, caractère d'effroi ou d'indignation qui est propre à ces malades pendant l'accès.
Presque tous les épileptiques, en sortant de la somnolence qui suit l'accès complet, ou après le vertige, sont dans un état de démence qui se dissipe peu-à-peu ; le rétablissement de la sensibilité organique précède toujours celui de la raison ; plusieurs épileptiques sont pris d'une sorte de carphologie, et font des paquets avec du linge ou d'autres objets qui se rencontrent sous leurs mains, on bien ils agitent vaguement leurs mains comme pour chercher à ramasser et à réunir des effets, alors qu'ils n'ont rien à leur portée.
La fureur des épileptiques éclate après l'accès, rarement avant, elle est dangereuse, elle est aveugle, et en quelque sorte automatique ; rien ne peut la dompter, ni l'appareil de la force, ni l'ascendant moral, qui réussissent si bien à l'égard des autres maniaques furieux. Cette fureur est si redoutable et si redoutée, que j'ai vu dans un hospice du midi tous les épileptiques enchaînés chaque soir sur leur lit, par la crainte qu'ils inspiraient.
Je ne puis déterminer si la manie chez les épileptiques a quelque rapport avec la fréquence des accès,
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ou avec les vertiges ; elle éclate chez des épileptiques déjà en démence, et même chez des sujets qui jouissent habituellement de leur raison.
La démence est l'espèce d'aliénation mentale qui menace le plus ordinairement les épileptiques. Un jeune homme, âgé de 26 ans, devenu épileptique pour s'être livré à la masturbation, était très irritable après ces accès ; la plus légère contrariété le mettait en fureur : il avait pris tous ses parens en aversion. A ces accidens, s'est jointe une sombre mélancolie avec penchant au suicide ; les toniques, les bains froids, rien ne peut l'empêcher de tomber dans la démence, dont il se manifeste déjà quelques symptômes. Une dame, aujourd'hui âgée de 34 ans, était épileptique dès l'enfance. Son esprit était très faible ; à l'âge de la puberté, elle devient maniaque ; on la marie ; elle a un enfant ; quelques chagrins domestiques l'ont jetée dans la fureur ; l'accès a duré près d'un an. Depuis cette époque, c'est-à-dire depuis l'âge de vingt-quatre ans, cette dame a souvent du délire, et quelquefois de la fureur. Les accès d'épilepsie ont lieu pendant la nuit : c'est avant l'accès que la fureur éclate. La démence est imminente.
Relativement à la durée, l'alénation mentale des épileptiques tantôt est éphémère, n'a lieu qu après les accès, particulièrement la manie avec fureur et penchant au suicide ; néanmoins sa durée s'étend depuis quelques instans, quelques heures, jusqu'à plusieurs jours. Tantôt l'aliénation mentale est permanente, particulièrement la démence ; elle est indépendante du retour des accès et persiste d'un accès à l'autre.
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Quelles que soient la forme et la durée de l'aliénation mentale des épileptiques, elle a lieu quelquefois dès le premier ou les premiers accès, particulièrement dans l'enfance. Chez quelques enfans épileptiques, la raison ne se développe point, ils sont idiots ; chez d'antres, elle se développe, mais elle se perd de bonne heure. Lorsque l'épilepsie éclate après la puberté, et surtout dans l'âge consistant, la raison se perd plus lentement ; mais chaque accès ajoute à l'affaiblissement de l'intelligence avant que la démence soit complète.
Les progrès vers la démence sont en rapport avec le nombre des années depuis l'invasion du premier accès ; ces progrès sont plus à craindre et plus rapides lorsque les accès se rapprochent, tandis que la raison se conserve lorsque les accès sont rares, lorsqu'ils ne se répètent pas plusieurs fois dans le même jour, et lorsqu'il n'y a pas de vertiges.
Cette tendance vers la démence est plus directement liée à la fréquence des vertiges qu'à celle des accès épileptiques ; les vertiges ont une influence plus active, plus énergique sur le cerveau, que ce qu'on appelle le grand mal, ou l'accès complet.
Les vertiges tuent l'intelligence et plus vite et plus certainement que les accès, quoiqu'ils n'aient qu'une durée presque inappréciable ; puisqu'il est des individus qui ont des vertiges en présence de personnes qui ne peuvent s'en apercevoir, à moins d'être prévenues.
Lorsque l'épilepsie cesse, lorsqu'elle est suspendue pendant plus ou moins long temps (et elle cesse quelquefois pendant des années), lorsque les accès s'éloi
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gnent sans que la malacie ait cessé, alors l'intelligence se rétablit progressivement ; le caractère de ces individus s'améliore, ils sont moins irritables, plus dociles, plus sociables ; mais je n'en ai vu aucun qui ne conservât une susceptibilité physique et morale très prononcée.
Comment se fait-il que le vertige, dont la durée est si courte, dont les convulsions sont à peine percevables, ait une action plus funeste sur le cerveau, tue plus promptement l'intelligence que les accès complets d'épilepsie, dont les convulsions sont plus violentes et plus durables ?
Comment se fait-il que les convulsions hystériques, qui sont si intenses, qui persistent pendant plusieurs heures et même pendant plusieurs jours, ne jettent pas dans la démence, comme les accès épileptiques et surtout comme les vertiges ?
Cette dernière observation ne tendrait-elle pas à infirmer l'opinion de gens qui prétendent que l'hystérie et l'épilepsie ont l'une et l'antre le cerveau pour siège primitif ?
Telle est la marche générale de cette terrible maladie.
A travers tant de symptômes si variés, quels signes nous feront reconnaître l'épilepsie ? Le renversement, la chute au début ou pendant l'accès a lieu dans la syncope, l'asphyxie, et l'apoplexie. Les convulsions, qui tantôt sont générales, tantôt partielles, tantôt très violentes, tantôt à peine sensibles, ne sont pas constantes et appartiennent à d'autres névroses. Il en est de même de l'écume à la bouche qui se montre quelquefois dans
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l'apoplexie, l'asphyxie, l'hystérie. L'émission involontaire de l'urine, du sperme n est pas un symptôme exclusif de l'épilepsie. La forte contraction du pouce, son occlusion n'est pas plus constante.
Le caractère pathognomonique de l'épilepsie consiste dans les convulsions, la suspension de toute sensibilité et la perte de connaissance.
L'épilepsie est donc une maladie convulsive, ou clonique, avec perte de connaissance.
L'épilepsie diffère de l'apoplexie : dans celle-ci, la respiration est stertoreuse ; il y a peu ou point de convulsions, le pouls est à peine altéré ; il est rare qu'elle ne soit pas funeste an deuxième ou au troisième accès. On ne peut confondre l'épilepsie avec la syncope, de laquelle elle est suffisamment distinguée par la coloration de la face, la liberté du pouls, le relâchement des muscles et le souvenir de l'état auquel échappe celui qui était en syncope. On a souvent pris l'hystérie pour l'épilepsie, et réciproquement ; cependant l'hystérie ne se manifeste qu'à la puberté ou après. L'accès n'éclate pas brusquement ; il est précédé ou accompagné du globe hystérique, ou de constriction de la gorge. Dans l'épilepsie, les convulsions se concentrent et semblent se rapprocher de l'axe du tronc, elles sont plus fortes d'un côté du corps, ou dans un membre ; dans l'hystérie, les convulsions sont, pour ainsi dire, expansives, les membres s'étendent, se projettent au loin, se développent davantage, les convulsions sont plus uniformes ; les traits sont moins altérés, la face est moins hideuse et moins injecté. Dans l'hystérie, l'abdomen est volu
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mineux, il y a des borborygmes, les malades ne perdent pas la connaissance, ils ne tombent pas dans l'état comateux après les convulsions, ils conservent le souvenir de ce qu'ils viennent d'éprouver, il y a moins d'affaissement après l'accès. Dans les intervalles, toujours quelque symptôme hystérique trahit la nature de la maladie. L'hystérie même prolongée ne détruit pas les facultés intellectuelles
Les causes de l'épilepsie sont générales ou individuelles, éloignées ou prochaines.
Quelques auteurs assurent que l'épilepsie est endémique dans quelques contrées. N'est-elle pas plus fréquente dans les pays montagneux ? Hippocrate la classe parmi les maladies du printemps. L'épilepsie est-elle contagieuse ? Oui, par l'effroi qu'inspire la vue d'un accès. Les impressions morales et fortes, reçues par la mère pendant la grossesse, se communiquent au foetus ; celles que reçoit la nourrice, en altérant les qualités du lait, ont aussi causé l'épilepsie. Les enfans qui ont été conçus dans les temps des menstrues, sont-ils purs exposés à cette maladie ?
L'épilepsie attaque tous les âges ; cependant elle est si fréquente dans l'enfance, si rare dans l'âge consistant, surtout dans la vieillesse, qu'on lui a donné le nom de mal des enfans. La faculté pour la contracter est en raison inverse de l'âge, mais il faut ajouter que si cette maladie est plus commune dans les premières périodes de la vise, elle est aussi plus facile à guérir.
L'extrême délicatesse du système nerveux, la pré
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sence du méconium, les vers intestinaux, le travail de la dentition, les mauvaises qualités du lait des nourrices qui se livrent à des écarts de régime, ou à leurs passions, sont autant de circonstances qui exposent plus particulièrement les enfans à l'épilepsie ; les chutes, les ligatures trop fortes dont on étreint les enfans, dont on ceint leur tête, ont souvent causé cette maladie.
Les femmes et les enfans étant plus faibles, plus susceptibles, plus impressionnables que les hommes, sont plus sujets à l'épilepsie. Cette prédisposition, relativement au sexe, n'est point apercevable depuis la naissance jusqu'à l'âge de 7 ans ; mais alors que les caractères de chaque sexe se dessinent, se prononcent, se diffférencient ; alors seulement le nombre des femmes épileptiques prédomine En comparant le nombre des épileptiques de l'hospice de la Salpêtrière, à celui des hommes reçus à Bicêtre, on trouve près du tiers de femmes épileptiques. Il y a à Bicêtre cent soixante-deux épileptiques, et trois cent quatre-vingt-neuf à la Salpêtrière (31 décembre 1813).
Les tempéramens mélancoliques, les constitutions scrofuleuses, affaiblies, cachectiques, prédisposent à l'épilepsie, ainsi que le scorbut, le rachitis, la syphilis.
Les écarts de régime, l'onanisme, l'insolation, les coups et les chutes sur la tête, l'abus des boissons alcooliques, les poisons, sont des causes excitantes de l'épilepsie.
M. C..., né à Boston, âgé de 19 ans, fait la traversée pour la France. Pendant la navigation sous la ligne,
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M. C.., se couche sur le tillac et s'endort. Peu après, il est éveillé par un horrible mal de tête et par une inflammation de la face et du cuir chevelu. Toute la tête devient énorme, le malade a du délire, on le croit perdu. Cependant il est saigné plusieurs fois et copieusement, l'inflammation diminue et cesse au neuvième jour ; mais aussitôt des accès d'épilepsie se manifestent. Le jeune malade est débarqué à Lorient, où il est traité pendant six mois, après lesquels il est envoyé à Paris et confié à mes soins. Voici l'état dans lequel j'observai le malade pour la première fois. La taille est moyenne, les cheveux sont blonds, les yeux bleus, très vifs, la physionomie est mobile, l'embonpoint médiocre. Céphalagie habituelle, constipation opiniâtre ; accès épileptiques renouvelés tous les sept à huit jours. L'accès débute par un état maniaque ; tout-à-coup le malade se promène dans sa chambre ; bientôt après, il marche par saccades et renverse tout ce qui se rencontre devant lui ; il se jette avec une sorte de fureur sur les personnes qui l'entourent, et après quelques instans de lutte, il pousse un cri ; les convulsions de la face, des yeux, des membres, et la perte de connaissance complètent l'accès qui dure six à sept minutes et qui est suivi d'un état comateux pendant une demi-heure, d'où le malade sort avec la plénitude de la connaissance et un mal de tête très aigu. Tous les remèdes conseillés contre l'épilepsie avaient échoués à Lorient. Ayant égard à la céphalalgie, qui se renouvelait très souvent dans le cours de la journée, et à la constipation opiniâtre qui annonçait toujours le retour des accès ; après avoir prescrit un ré
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gime alimentaire approprié, et beaucoup d'exercice, je mis le malade à l'usage de pilules préparées avec l'extrait de coloquinte, d'assa-foetida et de muriate de mercure doux. En même temps, le jeune malade allait exposer sa tête an robinet d'une douche d'eau froide. Cette impression du froid, répétée plusieurs fois par jour, en diminuant la céphalalgie, rendit d'abord les accès moins violens, et finit, dans l'espace de trois mois, par faire disparaître la céphalalgie et les accès. Ce jeune homme passa encore quelques mois à Paris, et partit pour Boston, où il est arrivé très bien portant, et d'où j'ai su qu'il continuait à jouir d'une bonne santé.
La métastase d'une éruption cutanée chronique, la suppression d'un ulcère, la cessation d'une évacuation habituelle, sont autant de causes d'épilepsie. Les médecins militaires ont en occasion d'observer que la suppression de la transpiration rend quelquefois les soldats épileptiques. Une femme âgée de 70 ans, dit Zacutus, avait, depuis dix-huit ans, un ulcère sur l'aile du nez ; un charlatan guérit l'ulcère par une application externe ; vingt-quatre heures après, elle eut un premier accès, et plusieurs ensuite, jusqu'à ce qu'on eût établi deux cautères aux jambes. Un homme, âgé de 30 ans, reçoit un coup sur la tête ; un an après, la plaie se cicatrice, l'épilepsie éclate ; la plaie est rouverte avec le cautère, l'épilepsie cesse. Un chirurgien mal avisé provoque la cicatrisation, les accès se renouvellent, et disparaissent de nouveau par l'application d'un caustique.
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Le docteur Maisonneuve (1) parle d'un jeune homme âgé de 19 ans, qui, à l'âge de 8 ans, s'étant lavé la tête plusieurs fois avec de l'eau froide, pour se guérir de la teigne, parvint à la faire disparaître ; quelques jours après, il fut épileptique ; les accès étaient plus rares pendant l'été. Carthenser avait remarqué que le mauvais usage établi en Suède de répercuter la teigne avec des lotions froides, y rendait l'épilepsie fréquente. L'épilepsie est causée par la syphilis : Omobon Pison, Scardona, en rapportent des exemples. Cullerier a fait insérer dans le Journal général de Médecine (t. XIV, p. 271) deux observations d'épilepsie. causée par la syphilis, et guérie par le traitement anti-vénérien. Dans ces deux observations, et dans une troisième rapportée par M. Maisonneuve, les intervalles des accès étaient marqués par des souffrances qui trahissaient la présence d'une cause morbide toujours agissante. Tissot assure que l'épilepsie a été par la suppression brusque de la salivation provoquée par l'usage du mercure. Hoffmann parle du mercure comme pouvant causer l'épilepsie chez les personnes faibles. M. Landré-Beauvais l'a souvent observée à la suite du traitement mercuriel.
L'épilepsie est symptomatique et passagère chez les enfans atteints de petite-vérole, de rougeole, de scarlatine, elle a lieu lorsque ces éruptions ne se font pas dans les temps convenables, ou lorsqu'elles sont brusquement supprimées. Les accoucheurs ont regardé

(1) Recherches et observations sur l'épilepsie, Paris, 1803, in-8.
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comme épileptiques les convulsions qui compliquent le travail de l'accouchement.
Les violentes commotions morales, les passions fortes, telles que le chagrin, la colère et surtout la frayeur sont les causes les plus fréquentes de l'épilepsie. Cette maladie est causée aussi par de fortes contentions d'esprit, associées à un mauvais régime ; la vue d'un accès épileptique, l'habitude de simuler l'épilepsie ont provoqué cette maladie. Un maçon, âgé de 21 ans, fort et robuste, est effrayé pendant un songe ; il devient épileptique. Une servante déliant une courroie nouée de trois noeuds, s'imagine que ces noeuds sont l'ouvrage d'une sorcière ; elle est épouvantée et est prise d'un accès d'épilepsie. Une femme est effrayée par un aliéné, elle devient épileptique. Une fille âgée de 9 ans s'amuse à fixer le soleil ; après quelques minutes, elle croit voir au milieu du soleil une grosse tête noire ; elle s'effraie, et le soir même, en racontant à sa mère ce qu'elle a vu, elle est saisie d'un premier accès.
Les mêmes phénomènes physiques et moraux, qui ont déterminé le premier accès d'épilepsie, deviennent cause des accès suivans, quoique ces phénomènes aient moins d'intensité. Une femme a un violent chagrin, elle devient épileptique ; le plus léger chagrin provoque les accès. Un enfant est effrayé par un chien, et devient épileptique ; il a un accès chaque fois qu'il entend aboyer un chien. Un autre devient épileptique après un accès de colère ; la plus légère contrariété provoque les accès. Une petite fille âgée ; de 10 ans joue avec ses compagnes, qui lui chatouillent la plante des pieds, elle devient épi
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leptique ; l'accès éclate chaque fois qu'on la menace d'être chatouillée. Les impressions faites sur les sens, un bruit imprévu, certaines couleurs, certaines odeurs, ramènent les accès. La chaleur d'un appartement, le mouvement d'un grand nombre de personnes réunies, le plus léger écart de régime, les vicissitudes atmosphériques, les veilles, etc. ; en un mot, tout ce qui a provoqué le premier accès devient cause des accès suivans. Un soldat monte à l'assaut, une bombe éclate auprès de lui, il est frappé d'épilepsie, et guéri au bout d'un an : vingt ans après, la vue des mêmes remparts lui rend les accès.
De cette facilité qu'ont les accès à se reproduire, pour la plus légère cause excitante, il semble démontré qu'il reste après les premiers accès dans l'organisme, dans le système nerveux, une disposition spéciale qui, à la moindre cause, est mise en action, et détermine de nouveaux accès. Cette disposition, que Tissot appelle proégumène, mérite la plus grande attention dans le traitement prophylactique ; mais elle n'est pas plus facile à expliquer que la périodicité de l'épilepsie, on n'en retrouve pas plus de traces dans l'organisme, que nous ne trouvons dans les organes les lésions propres à faire connaître le siège de l'épilepsie.
Après avoir signalé les causes de l'épilepsie, j'indiquerai les organes sur lesquels ces mêmes causes semblent s'exercer et agir primitivement pour produire cette maladie : tantôt les causes agissent sur quelque organe plus ou moins éloigné du cerveau, et produisent l'épilepsie sympathique ; tantôt elles agissent directement
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sur le cerveau pour produire l'épilepsie idiopathique.
Dans l'épilepsie sympathique, les causes agissent primitivement sur les organes de la vie de nutrition, ou bien sur les organes de la vie de relation.
L'appareil digestif est-il le siège de l'épilepsie ; les accès éclatent lorsqu'il existe une vive irritation gastrique, ou lorsqu'il s'est accumulé dans l'estomac ou dans les intestins, particulièrement chez les enfans, des matières muqueuses, acides on autres, ou bien lorsqu'on a introduit dans ce viscère des substances irritantes, délétères. Ces malades éprouvent des douleurs à l'estomac, de la tension à la région épigastrique, avec tous les signes de l'embarras gastrique, ils sont dégoûtés ; peu avant l'accès, ils ont des défaillances, des maux de coeur, des nausées, des vomissemens, qui se renouvellent pendant l'accès. Lorsque l'épilepsie est causée par les vers, les malades offrent tous les signes qui annoncent leur présence ; l'épilepsie que j'appellerais intestinale s'annonce par des signes certains. Les enfans qui, sans chute, sans frayeur, deviennent épileptiques, qui en même temps ont le teint pâle, les joues bouffies, les yeux ternes, les pupilles dilatées, les déjections grisâtres, l'abdomen volumineux, la démarche triste, abattue, dont l'accès s'annonce par des borborygmes, ne laissent aucun doute sur le vrai siège du mal.
Lorsque le foie est primitivement affecté, la respiration est entrecoupée, le diaphragme est douloureusement tiraillé, les muscles abdominaux se meuvent convulsivement, le malade perd connaissance, et, quelques instans après, viennent les éructations et les bor
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borygmes. La jaunisse, qui se manifeste avant ou après l'accès, se dissipe lentement ; le malade se plaint d'une douleur à la région du foie, et vomit des matières jaunes. Hippocrate a signalé la bile nomme cause de l'épilepsie ; Fabricius l'a attribué à des concrétions biliaires.
C'est d'après un grand nombre de faits, qu'Hippocrate, et tous les observateurs qui l'ont suivi, ont regardé la pléthore sanguine comme une des causes de l'épilepsie, surtout dans la jeunesse. Le tempérament sanguin, l'approche de la puberté, le retard ou la suppression des menstrues, la cessation de quelque hémorrhagie habituelle, telle que saignement du nez, hémorroïdes ; tout ce qui peut porter le sang à la tête ; l'insolation, les exercices violens, l'abus des boissons alcooliques, sont les circonstances qui provoquent l'épilepsie sanguine ou pléthorique. Le malade perd tout-à-coup connaissance ; le visage se gonfle, est très rouge, se couvre de sueur ; les yeux sont brillans, la respiration bruyante, les convulsions ne sont pas très fortes et durent peu. Après l'accès, le malade passe des heures et quelquefois des jours dans un état comateux, dont il ne revient que lentement, auquel succède le délire, quelquefois la fureur, ou la paralysie de quelque membre. Les accès sont moins rapprochés que dans les autres espèces ; ils ne reviennent ordinairement que tous les mois. Dans l'intervalle d'un accès à l'autre, les malades ont des vertiges, des étourdissemens. Après l'ouverture des corps, on trouve les vaisseaux de la tête dilatés, gorgés de sang ; la substance
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cérébrale fortement injectée. La suppression des menstrues cause plus souvent l'épilepsie que celle des hémorrhoïdes ; parce que les menstrues sont un phénomène physiologique, tandis que les hémorroïdes sont un signe de dérangement de la santé.
Les organes de la reproduction sont aussi le site sur lequel agit primitivement la cause épileptique, et d'où, comme par irradiation, partent les premiers phénomènes de l'accès. Cette variété, qu'on peut appeler génitale, est plus fréquente chez les femmes, diffère, comme nous l'avons déjà dit plus haut, de l'hystérie. Il y a tant d'analogie entre un léger accès épileptique et l'orgasme spasmodique qui accomplit l'acte de la reproduction, que les anciens ont défini le coït, epilepsia brevis. Cet acte est quelquefois suivi d'épilepsie. Sauvages parle d'une personne chez qui le coït était constamment suivi d'un accès. G. Cole cite l'exemple d'une femme qui, trois jours après son mariage, devint épileptique. L'onanisme prédispose à cette terrible maladie, en devient la cause excitante, même dans l'enfance. Zimmermann a connu un jeune homme qui avait un accès chaque fois qu'il s'était livré à l'onanisme. Un jeune homme, âgé de 12 à 13 ans, se livre à la masturbation ; quoique fort et robuste, il devient d'une susceptibilité extrême, et à l'âge de 15 ans, il est pris d'accès d'épilepsie. Les accès coïncident avec le premier quartier et le plein de la lune et éclatent tout-à-coup ; le malade est renversé, pousse un cri, les convulsions sont générales, les yeux ouverts et fixes sont injectés, les pupilles sont très dilatées ;
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après l'accès, qui dure trois à quatre minutes, le malade reste très fatigué pendant toute la journée ; il a des vertiges rares d'un accès à l'autre, il est habituellement d'une susceptibilité extrême, se chagrinant et se fâchant pour le plus léger prétexte. Les toniques, le quinquina, la valériane, les bains de rivière, la natation, les exercices du corps, une vie très active, contribuent, après six mois, à diminuer ses accès. Après un an, les accès ne se renouvellent plus ; on croit M..., guéri. Le plaisir de revoir sa mère, dont M... était séparé depuis deux ans, rappellent les accès, ils sont plus faibles. Enfin, après six mois encore du même traitement, ce jeune homme est rendu à la santé parfaite. Depuis, il s'est livré au commerce, a beaucoup voyagé ; sa santé s'est fortifiée ; il s'est marié à 27 ans, et se porte à merveille. Je ne fais qu'analyser cette observation qui, soit dit en passant, prouve mieux que tous les raisonnemens l'efficacité du régime et des exercices du corps, pour triompher d'une maladie aussi grave et aussi rebelle. La continence a quelquefois produit l'épilepsie ; mais ici l'excès est moins à redouter que l'abus contraire. Relativement à l'état du mariage, je dois à l'amitié le docteur Hébreard, médecin à Bicêtre, la note suivante : sur cent soixante-deux hommes épileptiques existans à Bicêtre, le 31 décembre 1813, cent dix-neuf sont garçons, trente-trois mariés, sept veufs, un divorcé.
Le retard, la suppression, le dérangement des menstrues, la grossesse, le travail de l'accouchement ont causé l'épilepsie. M. Maisonneuve parle d'une fille de 22
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ans qui devint épileptique par le dérangement des menstrues, et qui fut guérie par leur rétablissement. Une autre fille, âgée de 23 ans, avait des accès à chaque époque menstruelle, à moins que l'écoulement fût abondant. Le même auteur cite l'exemple d'une veuve, âgée de 31 ans, dont les règles furent supprimées par une impression vive, et qui devint épileptique. Fernel et Schenckius ont vu des femmes dont les accès ne se renouvelaient que pendant la grossesse. Horstius parle d'une femme de 32 ans dont les menstrues coulaient peu, et qui devint épileptique. Les accès revenaient tous les quinze jours : s'étant mariée neuf mois après, elle devint enceinte et fut guérie. J'ai vu quelques épileptiques devenir enceintes sans avoir remarqué la moindre modification dans l'intensité et la fréquence des accès. Lamotte parle d'une femme qui avait eu, en huit grossesses, cinq filles et trois garçons ; elle avait plusieurs accès d'épilepsie chaque fois qu'elle était grosse des garçons, et jamais pendant la grossesse des filles. Mauriceau a vu l'épilepsie éclater après l'accouchement.
Si l'épilepsie a son siège dans l'appareil digestif, dans le système de la circulation, dans les organes reproducteurs, il est des causes qui agissent primitivement sur les organes placés à l'extérieur. Résumerai-je ce qui a été observé à cet égard. Fernel a vu les symptômes précurseurs, les premiers symptômes de l'accès, se faire sentir au sommet de la tête, et se renouveler chaque fois qu'on pressait la tête. Le docteur Vigné, médecin distingué de Rouen, fut consulté par un jeune homme, âgé de 18 ans, devenu épileptique par la rétrocession d'un vice
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psorique : le malade ressentait un froid glacial an milieu du front, par lequel il était averti de l'invasion de l'accès. Pendant trois ans, le docteur Viigné s'applique à rappeler l'éruption à la peau, il réussit, et le malade fut guéri. Brunner a guéri en appliquant un moxa à la nuque, sur le point où se manifestaient les premiers accidens. Fabrice a eu le même succès en extrayant un globe de verre dont l'introduction dans l'oreille avait causé l'épilepsie. Donat soignait une religieuse, qui sentait, au début des accès, une douleur au sein droit, d'où l'aura montait au cerveau ; si le sein s'ulcérait, l'accès était prévenu. Hollier dit que, chez un jeune homme, l'accès commençait par l'épaule, le bras était saisi de tremblement, les mâchoires se serraient, l'accès éclatait chez un autre, l'engourdissement de la main droite était le premier symptôme, les trois premiers doigts se tordaient fortement, le bras se tordait aussi, le corps se courbait, et le malade tombait. L'accès d'un autre commençait par le petit doigt de la main gauche. Tissot rapporte l'exemple d'un homme qui faisait avorter l'accès en appliquant au bras un tourniquet, qu'il serrait dès qu'il sentait le mal à la main gauche. M. Maisonneuve a connu un homme chez lequel l'accès éclatait par les convulsions du bras et des paupières du côté droit. Si au début de ces convulsions on tirait fortement le bras, l'accès, était prévenu : il en était de même si le malade se mettait à courir. Ceci rappelle cet autre malade qui prévenait les accès en renversant fortement la tête en arrière. Le professeur Alibert, raconte qu'un épileptique diminuait la gravité des accès et conservait le sentiment, en faisant
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tirer autour de lui plusieurs coups de fusils, le jour où les accès devaient avoir lieu.
Dans d'autres cas, l'accès commence par la jambe, d'où s'élève une vapeur, comme un vent froid, le long de la cuisse, du dos, de la nuque jusqu'à la tête, l'accès alors éclate, ou bien l'accès s'annonce par une douleur au dos du pied, d'où s'élève un vent froid vers la tête. Un homme, porteur d'un ulcère à la jambe, le fait cicatriser, l'épilepsie se déclare, chaque accès commence par un vent froid, qui s'élève de la cicatrice : une ligature, au-dessus des genoux, arrête l'accès. Une dame ayant fait beaucoup de remèdes est guérie par l'amputation de la première phalange du gros orteil, d'où partait l'aura epileptica. Un enfant de onze ans avait deux ou trois accès par semaine dès l'âge de deux ans ; l'accès s'annoncait par un sentiment de malaise et de froid qui partait du côté droit. Le docteur Carron découvrit, au pouce d'un épileptique, une petite tumeur indolente : il pratiqua, sur la tumeur, une incision, en retira des petits corps durs de la grosseur chacun d'un grain de mil, de nature sébacée ; l'enfant fut guéri. Le docteur Pontier a guéri un épileptique par la cautérisation du nerf saphène de chaque jambe. Ces deux dernières observations se trouvent dans le Journal général de médecine de Paris, tom. XIII, pag. 242, et tom, XVI, pag. 261.
Il faut donc reconnaître des causes d'épilepsie qui agissent d'abord sur les organes intérieurs ou sur les organes situés à l'extérieur, avant d'exercer leur action sur le cerveau. Quelque inexplicables que soient ces
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phénomènes ; quelque peu de rapports qu'il y ait entre ces impressions locales et un accès complet d'épilepsie, on ne peut nier que la première cause du mal agisse primitivement ailleurs que sur le cerveau. Willis, Pison, Demoore prétendent que l'épilepsie a toujours son siège primitif dans le cerveau. Le contraire n'est-il pas démontré par les observations d'épilepsie sympathiques recueillies par tous les auteurs ; n'est-il pas démontré par les guérisons qui arrivent après l'évacuation du méconium, des matières muqueuses, acides, jaunes, noires, des vers, des concrétions biliaires dans les épilepsies gastriques ? Les guérisons qui ont lieu après la première éruption menstruelle, après le rétablissement des règles, après le mariage, après la grossesse dans les épilepsies utérines ; la guérison par les saignées, les évacuations dans les épilepsies pléthoriques ; la guérison par l'extraction des corps étrangers, par la cautérisation, par l'amputation, par le rétablissement d'un ulcère, l'avortement des accès par la ligature du membre d'où s'élève l'aura epileptica, par l'extension des membres, ne sont-ce pas des preuves nombreuses et incontestables que l'épilepsie n'a pas toujours son siège primitif ou son premier point de départ, dans le cerveau ?
L'épilepsie idiopathique commence presque avec la vie, elle a des caractères qui lui sont propres, elle est le désespoir des médecins. La première invasion a lieu dès la première enfance, ces accès sont d'abord incomplets, éclatent sans signes précurseurs, les convulsions sont peu fortes, elles sont plus prononcées à la face ; leur durée est courte, leur retour est irrégulier, mais rap
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proché ; quelquefois les accès cessent pendant de longs intervalles pour reparaître après plusieurs années. Suivant Hippocrate, ils disparaissent à la puberté ; mais ils peuvent persister jusqu'à la vieillesse, ils ne paraissent pas abréger la vie. La cessation des menstrues tantôt augmente, tantôt diminue la fréquence et la gravité des accès.
La disposition héréditaire, les fortes impressions de la mère pendant la grossesse, des accès d'épilepsie pendant l'accouchement, de vives commotions morales de la nourrice, sont les causes prédisposantes les plus ordinaires dans l'épilepsie idiopathique, quoique niées par quelques auteurs. Tissot, dans son Traité de l'épilepsie, admet d'abord l'influence héréditaire ; plus tard, il la rejette. Doussin Dubreuil se prononce contre l'hérédité. D'autres observateurs croient que l'épilepsie peut être transmise héréditairement, et citent des faits à l'appui de leur opinion. Saillant (1), Maisonneuve, Hoffmann, citent de nombreux exemples aussi intéressans que concluans pour l'hérédité de l'épilepsie. D'après les renseignemens que j'ai recueillis sur nos femmes épileptiques de la Salpêtrière, l'épilepsie est plus souvent transmise par le père que par la mère, le contraire a lieu pour la folie. Lorsque les enfans ont les yeux convulsifs, des tumeurs au cou, la voix grèle, lorsqu'ils sont tourmentés par une toux sèche et opiniâtre ; lorsque, devenus plus grands, ils éprouvent des douleurs au ventre sans diarrhée ; lorsqu'il survient des

(1) Mémoires de la société royale de Médecine, t. III, p. 305, et t. V, p. 89.
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gonflemens aus testicules ; lorsqu'une main maigrit, que l'un des bras est impotent, ou lorsque les jambes sont faibles sans cause sensible ; lorsque les enfans sont saisis de frayeur, sans sujet : losqu'ils crient, pleurent, bâillent, se frottent habituellement le front ; lorsque leur sommeil est entrecoupé par des rêves ; s'ils ont des convulsions, on doit soupçonner l'existence de l'épilepsie, surtout si le père et la mère sont affectés de la même maladie. S'il survient des convulsions dans un âge plus avancé, ces signes commémoratifs aident à reconnaître l'épilepsie essentielle ; ils peuvent servir à apprécier l'influence des accidens qu'on retarde comme la cause prochaine de l'épilepsie, tels que les embarras digestifs, les vers, la suppression des menstrues, etc. Ces désordres ne sont-ils pas l'effet de l'épilepsie préexistante, où celui des circonstances qui ont favorisé le développement de la maladie ? Alors quel jugement porter sur des médicamens propres à évacuer, rétablir les menstrues, à chasser les vers. Hébréard (1) prouve que l'expulsion des vers ne suffit pas pour détruire l'épilepsie ; leur présence n'étant souvent qu'une complication. Les médicamens ont augmenté, rapproché les accès, parce qu'on ne remontait pas à la vraie source du mal.
A ces causes de l'épilepsie essentielle, on en a joint un grand nombre ; la pléthore sanguine est admise par tous les auteurs, nous en avons parlé plus haut. Hippocrate admet la surabondance de la pituite comme

(1) Bibliothèque médicale.
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une des causes de l'épilepsie idiopathique. Les affections morales, en agissant sur le cerveau, produisent l'épilepsie essentielle ; celle qui est causée par la colère est moins durable ; la frayeur et le chagrin font des impressions plus profondes et plus fortes, dont les effets sont plus difficiles à guérir . On range aussi parmi les causes de l'épilepsie idiopathique, les vices de conformation du crâne, les lésions des méninges et du cerveau. L'analyse rapide de ce qui a été observé dans l'ouverture des cadavres des épileptiques, sera le moyen de déterminer, s'il est possible, le siège de l'épilepsie idiopathique ou essentielle.
Leduc avait remarqué que la tête des épileptiques est très grosse, les os du crâne très épais, et les sutures effacées. Lorry a confirmé cette observation.
Bontius a vu le crâne déformé, et Morgagni l'a observé de même chez un grand nombre de sujets. Le célèbre Dumas a mesuré l'angle facial de plusieurs épileptiques, il conclut de ses recherches, que les enfans sont d'autant plus exposés à devenir épileptiques, qu'ils ont l'angle facial plus rapproché de 70 degrés.
Bontius a trouvé une fois l'os occipital ayant neuf lignes d'épaisseur. Zacchias a rencontré la table intérieure de l'occipital dévorée par la carie.
Bontius a vu un enfant de six semaines, que la pression des plis du béguin rendait épileptique et qui fut guéri en supprimant le béguin. Le même auteur rapporte l'exemple d'un jeune homme qui, ayant reçu dans l'enfance des coups sur la tête, devint épileptique : Bonet cite des faits semblables.
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On a souvent rencontré des concrétions osseuses développées sur la dure-mère, sur son repli falciforme ; ces concrétions sont tantôt rondes, tantôt allongées, aiguës. En faisant l'ouverture d'une épileptique âgée de 23 ans, morte pendant l'accès, j'ai trouvé adhérente à la face interne de la dure-mère, une tumeur osseuse ovoïde, de huit lignes de diamètre, déprimant les circonvolutions supérieures du cerveau.
Les divers épanchemens observés entre les méninges et le crâne, dans la cavité arachnoïdienne, ne sont-ils pas plutôt les effets que la cause de la maladie ? On a rencontré souvent les vaisseaux des méninges dilatés, engorgés, variqueux, contenant des concrétions fibreuses, osseuses.
Que conclure des altérations du cerveau ? Morgagni dit que chez une femme épileptique depuis deux ans, le tiers antérieur du lobe gauche du cerveau très affaissé était réduit à une extrême mollesse ; chez un jeune homme les couches de nerfs optiques du côté droit ressemblaient à de la bouillie brunâtre. Le cerveau de huit épileptiques a paru ramolli à Greding (1). Morgagni, Greding, Meckel, Boerhaave ont trouvé le cerveau des épileptiques dur et même calleux.
La capacité des ventricules du cerveau, la présence d'un fluide plus ou moins abondant dans ces ventricules, les kystes séreux développés dans le tissu des

(1) Ludwig. Adversaria medico-practica. Lipsiæ, 1769-1772, 3 vol. in-8. C'est dans cotte collection que J.-C. Greding a publié ses nombreuses observations sur l'emploi de divers médicamens dans l'épilepsie.
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plexus choroïdes, offrent des variétés sans nombre et ne fournissent aucune donnée positive.
On a trouvé dans le crâne d'individus morts épileptiques des tumeurs squirrheuses, tuberculeuses, fibreuses, osseuses développées dans les ventricules et dans la substance même du cerveau. Bauhin, Borrichius ont vu des abcès dans la substance blanche. Bartholin a extrait une portion d'épée restée dans le cerveau. Didier a retiré une balle de fusil de la partie antérieure de cet organe.
La glande pinéale contient si souvent des concrétions osseuses, que cette altération ne prouve rien. Baillie, Soemmerring ont trouvé la glande pinéale très ferme, Greding l'a rencontrée molle sur vingt-cinq épileptiques : ce dernier assure que sur vingt épileptiques, dix avaient la glande pinéale entourée de sérosité.
La glande pituitaire a été un objet de recherches particulières pour Wenzel. Cet auteur a signalé plusieurs altérations de la portion osseuse qui forme la selle turcique et les apophyses qui la couronnent. Tantôt ce sont des vices de conformation, tantôt des caries. Sur vingt épileptiques, Wenzel a trouvé sept fois la glande pituitaire volumineuse ; dix fois il a vu dans son intérieur une matière jaune, solide, pulvérulente ; cinq fois, au lieu de cette substance solide, c'était un fluide trouble, visqueux ; souvent cet organe lui a offert des traces d'inflammation, tandis qu'il n'y avait aucune altération du cerveau ou des méninges ; constamment Wenzel a observé quelque altération de la glande pinéale, mais ces lésions, dit cet auteur, sont-elles la cause ou reflet de l'épilepsie ?
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Les altérations du crâne, les lésions des organes intra-crâniens n'apprennent pas quel est le siège de l'épilepsie, quelles sont les lésions organiques dont cette maladie est l'expression. Les auteurs ont négligé de mentionner, dans leurs autopsies, l'état des membranes et de la moelle rachidiennes : secondé par M. Amussat, alors élève de la Salpetrière, et aujourd'hui placé si haut dans l'estime publique, j'ai cherché à réparer cet oubli. Pour découvrir facilement et extraire la moelle, M. Amussat inventa l'instrument appelé rachitome, ce qui nous permit de constater l'état de la moelle des épileptiques qui succombaient. Sur douze cadavres de femmes épileptiques, mortes au nombre de dix, du 1er février au 1er juin, nous trouvâmes les méninges injectées une fois et deux fois d'un aspect grisâtre ; neuf fois des concrétions plus ou moins multipliées, disséminées dans toute l'étendue de la face externe de l'arachnoïde rachidienne. Ces concrétions, de forme lenticulaire, avaient une à trois lignes de diamètre, une ligne d'épaisseur, la plupart étaient cartilagineuses, les autres étaient osseuses. Nous trouvâmes quatre fois la substance du prolongement rachidien, altéré, ramolli, particulièrement la portion lombaire, la membrane arachnoïdienne contenait une fois un grand nombre d'hydatides. Ainsi, dix ouvertures de cadavres d'épileptiques faites sans choix, ont présenté neuf fois des lésions de la moelle rachidienne ou de ses membranes. Dans le même temps, M. Mitivié, élève à l'hôpital des Enfans, trouva les mêmes concrétions sur deux enfans morts épileptiques. Qui n'eût été tenté de
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conclure que les organes contenus dans le canal vertébral étaient le site de l'épilepsie, puisque douze cadavres d'épileptiques avaient présenté quelque lésion de ces organes ?
Une femme, àgée de 53 ans, est effrayée ; elle a des convulsions, et reste épileptique. Les accès reviennent tous les deux à trois jours et sont très violens. Depuis quelques mois les accès se rapprochent ; cette femme meurt à 56 ans, après un accès qui l'a laissée pendant cinq jours dans un état comateux.
A l'autopsie du cadavre. — Hydatides de divers volumes que nous trouvâmes groupées autour du bulbe du cerveau, d'où elles se propagaient en grand nombre jusqu'à l'extrémité coxale du canal rachidien, contenues dans le sac formé par l'arachnoïde ; ramollissement de la portion lombaire de la substance médullaire. La glande pituitaire contenait un kyste rempli d'un fluide d'un brun-rougeâtre.
Un enfant a eu des convulsions lors de la première dentition. Elles dégénèrent en accès épileptiques ; à 4 ans, les accès sont plus fréquens ; à 5 ans et demi, il a quatre ou cinq accès par jour, devient paralytique. Cet enfant est mort à 6 ans et demi.
A l'autopsie. — Arachnoïde rachidienne injectée, ramollissement de la substance médullaire vers la sixième et la douzième vertèbres dorsales. La substance ramollie paraît un peu jaunâtre.
Musel disséquant deux épileptiques, a trouvé les vaisseaux rachidiens variqueux, gorgés de sang. Bonet a vu le canal rachidien plein de sérosité.
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De toutes ces recherches, particulièrement de celles de Bonet, de Morgagni, Baillie, Greding, Meckel, Wenzel, que conclure ? Rien. Wepfer, Lorry ont tiré cette triste conclusion. Avouons franchement que l'anatomie pathologique a jusqu'ici répandu peu de lumière sur le site immédiat de l'épilepsie. Cependant il ne faut pas se décourager, la nature ne sera pas toujours rebelle aux efforts de ses investigateurs.
Que dirai-je des rêveries sans nombre qu'on a débitées sur la cause immédiate de l'épilepsie? Les anciens l'attribuaient à l'influence de la lune, à la vengeance céleste, à des enchantemens. Les modernes ont-ils mieux rencontré, avec leurs systèmes ? Où est cette matière qui irrite les nerfs ? Qui a vu les esprits animaux ; qui a mesuré la force de leur élasticité ? on a attribué l'épilepsie à l'archée, à un mouvement tumultueux et confus du principe vital ou de l'âme rationnelle. Hoffmann accuse le dérangement du cours des humeurs qui s'oppose à la distribution de leur partie spiritueuse. Quelques-uns veulent que la contraction de la dure-mère, des enveloppes du cerveau et des nerfs, cause l'épilepsie, etc., etc. C'est trop s'arrêter à ces rêves de l'imagination. Passons au diagnostic.
De l'analyse des symptômes qui caractérisent l'épilepsie, de la connaissance des causes qui la produisent, de la lésion des organes sur lesquels ces causes sont présumées agir primitivement, on peut établir les espèces suivantes. Nous n'attachons du reste à cette classification d'autre importance que celle d'offrir, dans un cadre rétréci, des indications thérapeutiques.
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L'épilepsie se divise en essentielle, sympathique et symptomatique.

L'épilepsie essentielle idiopathique a son siège dans le cerveau ou ses dépendances. Elle peut être divisée en trois variétés.
1° L'épilepsie idiopathique, produite par des causes extérieures, telles que la compression trop forte exercée sur le crâne, les contusions, les fractures, l'insolation.
2° L'épilepsie idiopathique, qui dépend d'un vice d'organisation du crâne, d'une lésion des méninges ou du cerveau, ou des épanchemens séreux ou sanguins dans la cavité du crâne.
3° L'épilepsie idiopathique, qu'on pourrait appeler nerveuse, est produite par les affections morales, soit de la mère, soit de la nourrice, soit du malade lui-même ; parmi ces causes morales, la colère, la frayeur, l'imitation sont les plus à craindre.

L'épilepsie sympathique présente cinq variétés bien tranchées
1° L'épilepsie sympathique dont le siège est dans l'appareil digestif ; elle est causée par le méconium, les matières accumulées dans l'estomac ou dans les intestins, par les vers intestinaux, par l'ingestion d'alimens ou de substances de nature irritante.
2° L'épilepsie sympathique, angioténique, qui a son siège dans le système sanguin : epilepsia plethorica de Bonet ; epilepsia polyposa de F. Hoffmann. La suppression des menstrues, des hémorrhoïdes, des hémorrhagies habituelles, les écarts de régime, l'abus des liqueurs la provoquent.
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3° L'épilepsie sympathique, qui a son siège dans le système des vaisseaux blancs ; epilepsia humoralis, metastatica, des auteurs ; epilepsia cachectica de F. Hoffmann ; epilepsia serosa de Charles Pison ; epilepsia scorbutica, syphilitica de Bonet. Les sujets pâles, chlorotiques, rachitiques, scrofuleux y sont prédisposés ; la rétrocession de la teigne, de la gale, d'un ulcère, de la syphilis, de la goutte causent cette espèce.
4° L'épilepsie sympathique, qui a son siège dans les organes de la reproduction : epilepsia genitalis ; epilepsia uterina de Sennert ; epilepsia ab utero de Jonston. L'abus des plaisirs vénériens, l'onanisme, la continence ; la grossesse, l'accouchement, en sont les causes éloignées ou prochaines.
5° L'épilepsie sympathique, qui a son siège dans les organes extérieurs : epilepsia sympathica, des auteurs. Toute cause apparente ou cachée, qui irrite quelqu'une des parties extérieures et dont l'effet secondaire irradie vers le cerveau, produit cette variété d'épilepsie.

L'épilepsie est symptomatique des phlegmasies cutanées, du retard de la dentition, de l'éruption, de la petite-vérole, de la rougeole, de la scarlatine, etc., ou de la disparition subite de ces éruptions.

Quant à l'épilepsie simulée ou feinte, elle peut être causée par plusieurs motifs, celui d'obtenir une chose ardemment desirée, comme chez cette fille qui, ayant vu qu'on conseillait le mariage aux épileptiques, feignit l'épilepsie pour obtenir le remède. On simule l'épilepsie pour éviter une chose qui répugne ; nos jeunes conscrits ont eu recours à ce moyen ; j'ai connu un vieil offi
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cier qui avait été traduit devant le tribunal révolutionnaire, qui simula un accès d'épilepsie et fut sauvé ; des écoliers, pour ne pas aller à l'école, ont aussi trompé leurs parens ; mais un médecin ne saurait s'y méprendre pour peu qu'il soit attentif
J'ai parlé plus haut des crises de l'épilepsie ; il nous faut dire quelque chose du pronostic qui n'est pas tout-à-fait aussi désespérant qu'on le croit généralement.
L'épilepsie est une maladie longue, dangereuse ; rarement est-elle funeste au premier accès.
Quand elle est héréditaire et connée, elle ne guérit pas.
L'épilepsie sympathique guérit plus facilement que l'épilepsie essentielle, quoique celle-ci ne soit pas toujours incurable,
L'épilepsie atteint rarement les enfans qui ont des gourmes à la tête.
Quelquefois l'épilepsie disparaît pendant plusieurs années pour reparaître après, sans nouvelle cause appréciable.
Ceux qui sont attaqués peu après la naissance, guérissent rarement ; s'ils ne guérissent pas à la puberté, ils restent incurables.
Ceux qui deviennent épileptiques vers l'âge de trois à quatre ans, jusqu'à celui de dix, guérissent s'ils sont traités à temps.
Ceux qui sont pris d'épilepsie peu avant la puberté, guérissent lorsque cette crise est finie.
Ceux qui deviennent épileptiques après la puberté
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guérissent quelquefois, quoique Hippocrate ait pensé le contraire.
Le mariage ne guérit que l'épilepsie génitale, il augmente les autres espèces.
Une femme enceinte, qui devient épileptique, court de grands dangers.
Lorsque les accès se rapprochent et acquièrent de l'intensité, on doit craindre la mort.
La mort a lieu, non pendant l'horreur des convulsions, mais pendant la période d'affaissement qui les suit.
L'épilepsie compliquée d'aliénation mentale ne guérit jamais
Le médecin, dit Hippocrate, qui saura, par le régime, changer le tempérament, le rendre froid ou chaud, sec ou humide, parviendra à guérir l'épilepsie, Cependant il est peu de malades pour lesquelles on ait proposé un plus grand nombre de médicamens et de médicamens plus absurdes. Les uns n'ont vu que l'état du conduit alimentaire, et ont prescrit les évacuans ; les autres ont saigné ; ceux-là ont voulu calmer les fureurs de l'accès ; ceux-ci ont tâché de donner de la fixité aux nerfs trop mobiles ; enfin les toniques les plus énergiques ont été prodigués. Ne pouvant découvrir un traitement rationnel, on a cherché des spécifiques qui se sont multipliés à l'infini.
Les meilleurs esprits, trahis par les médicamens les plus vantés, ont regardé l'épilepsie comme au dessus des ressources de la médecine, et l'ont déclarée incurable au grand détriment des malades. Les épileptiques sont de
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venus la proie des charlatans. Si l'on eût accordé aux secours que présente l'hygiène, l'importance qu'ils méritent, et qu'on ne leur eût pas exclusivement préféré les médicamens et les drogues, on eût obtenu plus de succès.
Avant d'entrer dans les détails du traitement, je dirai ce que j'ai observé sous ce rapport, à la Salpêtrière, dans la division des épileptiques, dont j'ai fait le service pendant dix ans. J'avais à soigner trois cent quatre-vingt-cinq femmes ou filles de tout âge, passé la puberté, appartenant à la classe pauvre. Dans ce nombre quarante-six étaient hystériques et trois cent trente-neuf épileptiques ; la plupart, comme je l'ai dit page 285, étaient plus ou moins habituellement aliénées. Je n'étais pas plus satisfait de la description que les auteurs ont donnée de l'épilepsie, des résultats des ouvertures cadavériques qu'ils ont publiés, que du succès des médicamens qu'ils ont proposés pour combattre cette maladie presque toujours rebelle. Je voulus soumettre à mon observation l'efficacité des remèdes les plus variés. J'essayai successivement les évacuations sanguins, les purgatifs, les bains à toute température, les exutoires, le cautère, le feu, les antispasmodiques, végétaux et minéraux. Je m'arrêtai à l'acide hydrocyanique ; je me procurai, j'achetai des remèdes secrets. Tous les printemps et tous les automnes, je choisissais trente femmes épileptiques, de la maladie desquelles je connaissais mieux le commémoratif, les causes et les symptômes ; les femmes étaient préparées à l'avance, en excitant leur imagination par la promesse répétée d'une guérison certaine. J'étais merveilleusement secondé par
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la surveillante et les élèves. Toujours une nouvelle médication suspendait les accès pendant quinze jours ; chez les unes ; pendant un mois, deux mois chez d'autres, et même pendant trois mois. Après ce terme les accès reparaissaient successivement chez toutes nos femmes, avec les caractères qui avaient présentés les années précédentes. Plusieurs de nos épileptiques se sont prêtées à mes essais plusieurs années, mais l'avouerai-je ! je n'ai pu obtenir de guérison. Dans ma pratique particulière, je n'ai guère été plus heureux, si les accès ont été suspendus, ils l'ont été moins par l'action des médicamens que par l'effet de la confiance qui détermine un malade à consulter un nouveau médecin. Cette rémission, ou même cette suspension, n'a-t-elle pas été généralement observée par les médecins qui ont à traiter des maladies chroniques, particulièrement des maladies, dites nerveuses ?
J'ai bientôt reconnu que l'épilepsie est rarement curable. Il est arrivé qu'on a publié des guérisons d'hystérie, qu'on avait prises pour des épilepsies. La méprise est facile tant cette dernière maladie ressemble à l'hystérie épileptiforme Les auteurs ont dû prendre pour guérison la suspension spontanée des accès, leur suspension par l'influence de toute médication nouvelle ; l'erreur est d'autant plus possible que les malades sont perdus de vue par le médecin qui n'est pas consulté au retour des accès. L'observation suivante justifiera mes défiances sur les guérisons de l'épilepsie, et mettra en garde contre la précipitation de nos jugemens.
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Lorsque je pris le service des épileptiques de la Salpêtrière, le docteur Landré-Beauvais, qui avait été chargé de ce service, me remit des notes sur les malades auxquelles il faisait subir un traitement A cette époque, on préconisait l'efficacité du nitrate d'argent, mon collègue l'avait essayé: il me remit la note suivante sur N... : N... a fait un long usage du nitrate d'argent, elle n'a pas eu d'accès depuis 6 mois ; ses menstrues qui étaient supprimées se sont rétablies. Six mois se passent, N... demande sa sortie de l'hospice, parce qu'elle est guérie depuis un an, et qu'elle se porte très bien. Avant de face le certifcat de sortie, voulu par le réglement de l'hospice, j'adresse à N... plusieurs questions sur les causes de sa maladie et sur sa guérison. Avec ses réponses, N... me fait les révélations suivantes : « Ia jalousie, le chagrin supprimèrent mes règles, aussitôt je fus prise d accès ; j'entrai à l'hospice, on me fit beaucoup de remèdes. M. Landré-Beauvais m'ordonna des pilules d'argent, j'en pris pendant quelques semaines ; ne me trouvant pas mieux, je n'en pris plus ; je ne le dis pas, dans la crainte de fâcher M. Beauvais, qui était très bon pour nous. Quelque temps après, une femme de l'hospice me donna une tisane très forte pour faire venir mes règles ; elles revinrent ; les accès d'épilepsie n'ont plus reparu depuis un an ; mes règles sont régulières, abondantes ; je n'ai plus d'accès, ni de vertiges ; je me porte très bien ; je vais rentrer chez mes maîtres. » Deux mois après sa sortie, N... vint solliciter sa rentrée dans l'hospice, les accès avaient reparu. Le nitrate n'avait pas guéri la malade. Aussi, mon con
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frère, également bon observateur et sage praticien, s'était-il contenté d'écrire sur ses notes : N... a fait usage du nitrate d'argent, ses règles se sont rétablies il y a six mois ; depuis, il n'y a plus d'accès, il n'ajoute pas, N... est guérie.
Ce fait, entre mille, prouve combien il faut être en défiance sur l'administration et les effets des médicamens ; combien il faut être réservé avant de proclamer la guérison d'une maladie et surtout d'une malade du systèm nerveux.
Pour traiter l'épilepsie, il faut non seulement attaquer la cause, mais encore détruire la disposition au retour des accès ; il faut prévenir les accès lorsqu'ils s'annoncent par des signes précurseurs, et écarter les causes accidentelles qui peuvent les provoquer. Les meilleurs praticiens sont d'avis qu'il n'y a rien à faire pendant l'accès, mais il faut prendre des précautions pour que le malade ne se blesse pas.
Si l'on a donné quelque attention aux symptômes propres à révéler la cause de l'épilepsie et l'organe sur lequel cette cause s'exerce primitivement, on aura pressenti les principes du traitement qui convient, non à l'épilepsie en général, mais à chaque espèce ou variété en particulier.
Ainsi l'épilepsie, qui a son siège dans le système digestif, sera traitée, s'il y a embarras gastrique, par les vomitifs, les purgatifs choisis parmi ceux qui ne débilitent pas. Galien employait l'oximel scillitique avec le plus grand succès : s'il y a irritation, on prescrit des évacuations sanguines, des calmans. Le semen-contra, le mercure doux
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sont employés lorsqu'il y a des vers dans le canal intestinal. Les eaux minérales de Balaruc, de Spa, de Pyrmont ont été utiles. Le malade évitera tout ce qui peut surcharger l'estomac, tels que les substances graisseuses, le beurre, les salaisons. Si l'on soupçonne quelque engorgement du foie, le petit-lait avec la crême de tartre, les acides minéraux, particulièrement l'acide sulfurique, sont recommandés ainsi que les chicoracées, la saponaire, les bains tièdes. Ces moyens, que l'habileté des praticiens doit modifier, seront combinés avec les toniques, le quinquina, la valériane, etc.
L'épilepsie, qui a son siège dans le système sanguin, doit être combattue suivant d'autres vues thérapeutiques. S'il y a pléthore, congestion cérébrale, la saignée générale même réitérée, les ventouses, les sangsues appliquées aux tempes, ou derrière les oreilles, particulièrement chez les enfans, sont utiles : on rappelle les évacuations sanguines, normales ou pathologiques supprimées. Si la puberté, si la première apparition des menstrues ne font pas cesser la maladie, elle sera traitée comme l'épilepsie essentielle ; si les désordres menstruels sont l'effet de l'épilepsie, on doit craindre d'exaspérer le mal par l'administration opiniâtre des emménagogues : l'on évitera l'erreur, si, remontant à la première enfance, on retrouve les premières nuances de l'épilepsie, c'est-à-dire des convulsions ou des accès incomplets. Quant au régime, on insiste sur les moyens propres à modérer le cours du sang, à prévenir sa trop forte impulsion vers la tête, à rendre l'hématose peu abondante ; on évite l'insolation, les assemblées nombreuses dans les
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lieux chauds et peu aérés, les exercices violens, les liqueurs, les passions vives, on s'oppose à la constipation.
L'épilepsie qui a son siège dans les vaisseaux blancs, dans le système absorbant, qui reconnait pour cause la suppression de la transpiration, la suppression d'un ulcère, la rétrocession de la gale, des dartres, de la goutte, exige un traitement propre à rétablir ces diverses affections. C'est dans cette vue qu'on a conseillé l'habitation dans des étables à vaches, contre l'épilepsie causée par la suppression de la transpiration. M. Landré-Beauvais a dirigé les essais tentés dans ce but à l'hospice de la Salpêtrière : on établit quatre lits dans une étable, contenant quatre vaches ; quatre épileptiques jeunes habitèrent cette étable pendant plusieurs mois ; elles furent remplacées par d'autres ; le résultat a été absolument nul. La différence du climat et du régime explique-t-elle pourquoi ce moyen a réussi ailleurs, tandis qu'il a été sans succès chez nous. Au reste, on conçoit qu'un traitement propre à rétablir la transpiration doit être favorable contre une maladie qui aurait pour cause la suppression de cette fonction : ainsi les bains tièdes, les frictions, les exercices modérés au grand air, etc., seront utiles.
Les exutoires ont réussi, lorsqu'on vent provoquer une irritation dérivative, lorsqu'on veut remplacer une affection cutanée, un ulcère, la teigne, les dartres ; les exutoires à large surface doivent être conservés longtemps même après la guérison.
L'épilepsie qui a son siège dans les organes de la reproduction offre des considérations nombreuses qui doivent présider au traitement. Si l'épilepsie est causée
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par le travail de la puberté, c'est un bon régime qui convient au malade, l'exercice, la gymnastique, les bains frais ne seront pas négligés ; si c'est la suppression des menstrues ou le désordre menstruel qui a produit l'épilepsie, il faut rétablir on régulariser cette évacuation, et, dans ce cas, si la constitution de la malade est forte, et qu'on puisse supposer une atonie des organes de la reproduction, le mariage peut être conseillé : en rétablissant l'équilibre dans la distribution des forces, il fera cesser l'épilepsie. Mais il ne faut pas perdre de vue que, souvent, la suppression des menstrues n'est pas la cause de l'épilepsie, que la vraie cause agit quelquefois dès la première enfance, surtout dans l'épilepsie héréditaire ou connée, et chez les enfans confiés à des nourrices mercenaires, ou à des gardes étrangères. Si l'onanisme a jeté dans cette funeste maladie, il faut recourir à tous les moyens qui peuvent, pour ainsi dire, refaire le tempérament ; le quinquina, la valériane, les martiaux, le lait d'ânesse, la diète blanche, les analeptiques sont convenables ; les exercices du corps, du cheval, de l'escrime, de la danse, les bains froids, les bains de rivière, la natation, les affusions, souvent si utiles, seraient dangereux s'il existait de l'engorgement ou de la suppuration dans les viscères.
Les divers exemples que nous avons indiqués précédemment, fournissent au praticien quelques indications particulières. Si la cause qui s exerce primitivement sur un organe est, facile à enlever ou à détruire, on en fait l'extirpation ; on applique le feu, les caustiques, les sétons, les ventouses sur la partie d'où s'élève l'aura épi
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leptica. On a proposé même de couper les nerfs. Les antispasmodiques internes, le régime, doivent seconder les moyens locaux.
L'épilepsie idiopathique peut-elle guérir, si elle dépend d'une lésion organique, d'un vice de conformation ? qu'espérer des médicamens ? Le médecin, sagement observateur, en évite l'usage, se borne à régulariser le régime, et à écarter les circonstances propres à provoquer le retour des accès. L'on a conseillé le cautère, le moxa, le trépan, lorsque le commémoratif et une douleur de tête fixe font espérer d'atteindre la cause du mal ; lorsque les symptômes indiquent l'infiltration du cerveau, des méninges, par de la sérosité, ou de la pituite, comme parlaient les anciens. Le prince de ...., épileptique depuis sa première jeunesse, ne souffrait personne auprès de lui, malgré les instances de sa famille. Avec les progrès de l'âge, les accès sont plus fréquens ; à 57 ans, le prince est pris d'un accès qui le renverse la tête dans le feu. L'ustion, après avoir brûlé le cuir chevelu, pénètre jusqu'à la table externe des pariétaux. Il s'établit une suppuration abondante. La plaie est entretenue par une portion d'os nécrosée. Le malade, impatienté, réclame les secours d'un chirurgien, qui enlève le fragment osseux, et la cicatrisation marche rapidement ; elle est parfaite après quarante-deux jours. Pendant tout ce temps, le malade n'eut point d'accès, mais aussitôt après la guérison de la plaie, les accès reparaissent. L'un des accès est suivi de manie avec fureur. Deux larges saignées font cesser le délire. Dans une consultation nombreuse,
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je proposai de rouvrir la plaie avec le cautère actuel : les consultans préférèrent l'application de deux cautères à la nuque ; ils furent sans efficacité. J'ai toujours regretté depuis que mon conseil n'ait point été suivi. Valentin cite des exemples d'épileptiques guéris par le cautère actuel sur la tète. Henricus ab Heers rapporte l'exemple d'une fille qui, près de se marier, fut effrayée par deux ivrognes qui voulaient la violer ; du beurre d'antimoine appliqué aux deux gros orteils jusqu'à dénudation des os, fit cesser les accès. Lorsque notre éloquent et savant Pariset, alors médecin de Bicêtre, en 1821, fut envoyé à Cadix pour explorer la fièvre jaune, je fus chargé du service des aliénés et des épileptiques de cet hospice. Je trouvai vingt épileptiques soumis aux expérimentations de mon confrère. Des moxas, quelquefois au nombre de deux et même trois, avaient été brûlés sur la partie la plus élevée de la tète, l'ustion avait pénétré jusqu'à la table externe des os. Les plaies furent entretenues avec le plus grand soin. Je ne pus constater aucune guérison. On amena à la Salpêtrière une jeune épileptique dont les accès commençaient par le gros orteil ; sur la foi des auteurs, je crus la guérison certaine : l'orteil fut cautérisé jusqu'à l'os. Loin d'avoir guéri ma jeune malade, les accès ne furent plus annoncés par la douleur de l'orteil, il n'y eut plus d'aura epileptica ; les accès furent plus violens et plus fréquens. Enfin l'épilepsie essentielle doit exciter toute l'attention du praticien ; c'est contre elle qu'on a employé quelquefois avec succès, chez les enfans, la valériane, le quinquina, le fer, le gui de chêne,
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le musc, l'assa-foetida, le mercure, etc. Apprécions rapidement l'importance de ces substances, et fixons le degré de confiance quelles méritent.
La valériane est un des médicamens dont la réputation est le plus généralement constatée ; il n'est pas de praticien qui n'ait à se féliciter de son usage ; sa décoction a peu de propriétés, elle dégoûte les malades ; on la donne en substance jusqu'à la dose d'une à deux onces par jour, réduite en poudre ou en extrait.
La pivoine ne mérite aucune confiance.
Le gui de chêne a été employé dans des vues superstitieuses avec plus d'avantage ; il est abandonné.
Le musc, si utile dans quelques fièvres ataxiques et les convulsions, a été utile, niais il serait nuisible dans l'épilepsie pléthorique
Il en est de même de l'opium, dont l'emploi exige beaucoup de prudence, quoiqu'il ait réussi dans l'épilepsie essentielle causée par des affections morales, dans l'épilepsie sympathique de douleurs locales très violentes, dans l'épilepsie nocturne.
Le quinquina, la feuille d'oranger en substance, sont utiles ; le camphre, l'assa-foetida ont eu leurs preneurs. Le fer est préférable au quinquina, chez les sujets débilités, clorotiques, lorsqu'il faut stimuler particulièrement la circulation.
On a proposé les frictions mercurielles pour combattre l'épilepsie consécutive de la syphilis ; le mercure doux, non pour combattre une infection particulière, mais pour changer l'action générale des organes, pour activer les fonctions du système lymphatique.
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Thouret et Andry (1) assurent que l'on a obtenu quelquefois des heureux effets de l'application des aimans artificiels. En Angleterre, on a essayé l'inspiration d'un mélange de gaz oxigène avec l'air atmosphérique ; les succès ont eté plus qu'incertains ; ces divers essais méritent bien l'attention des observateurs, j'hésite à en dire autant de l'électricité et du galvanisme.
Donnera-t-on le nom de médicament à ces substances dont l'emploi paraît incroyable à ceux qui ne savent pas jusqu'à quel point de dégradation peut descendre l'homme, lorsqu'il est livré à l'ignorance et aux préjugés. Croira-t-on que des médecins ont prescrit des vers de terre, avalés à jeun, de la poudre de pied d'élan, de talon de lièvre, de l'arrière-faix d'un premier né desséché, de la râclure du crâne humain, des vertèbres, du cerveau desséché de l'homme et du corbeau ? Ils ont prescrit le sang humain chaud, les osselets de l'ouïe d'un veau, l'épine du dos d'un lézard rongé par les fourmis, le coeur, le foie de taupe, de grenouille, et tant d'autres substances plus on moins dégoûtantes, plus ou moins absurdes ? Croira-t-on que de nos jours on ait osé proposer l'insertion d'une améthyste sous la peau du bras ou d'un autre membre, comme un spécifique infaillible ? Sans vouloir ranger dans cette révoltante énumération les sels métalliques, je pense qu'ils doivent être proscrits. Leur usage est-il utile ? La perturbation qu'ils apportent dans l'organisme et

(1) A. Portal, dans son ouvrage (Observations sur la nature et le traitement de l'épilepsie, Paris, 1827, in-8), est entré dans de longs détails sur les divers médicamens proposés contre l'épilepsie.
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sur laquelle on fonde l'espoir de la guérison, est trop hasardeuse et souvent trop funeste, surtout s'ils sont employés par des mains téméraires ou inhabiles. Ainsi nous rejetons comme dangereux les sels de cuivre, le nitrate d'argent, quelques miracles qu'on leur ait attribués. On peut en dire autant de la frayeur, conseillée par quelques téméraires ; qui peut calculer les effets de la frayeur, et par conséquent, qui oserait en faire usage comme d'un moyen curatif !
C'est essentiellement aux secours de l'hygiène qu'il faut recourir pour combattre l'épilepsie, ils sont d'une application indispensable, pour refaire en quelque sorte le tempérament des malades. Celui-ci se livrera à la culture de la terre, montera à cheval, s'exercera à la gymnastique, à la danse, à la natation, à l'escrime. Hippocrate veut qu'on change de pays ; Van Swieten a vu plusieurs épileptiques qui n'avaient pas d'accès tout le temps qu'ils étaient restés dans les Grandes-Indes. Marin cite l'exemple d'une demoiselle qui prévenait les accès avec la musique. J'ai connu une demoiselle qui avait ses accès pendant le premier sommeil, et qui souvent les a prévenus en se couchant très tard ; et en se livrant à des distractions douces et agréables avant de se coucher.
Ces dernières considérations rappellent ce qu'on a dit pour prévenir les accès. Dans l'épilepsie sympathique, on prévient quelquefois les accès en faisant marcher à grands pas les malades, dès que les premiers symptômes se manifestent, en tendant fortement le membre d'où part le premier sentiment de l'accès ou l'aura épilep
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itca, en appliquant des ligatures au-dessus de la partie primitivement affectée, en éloignant toutes les causes physiques ou morales qui provoquent le retour des accès. Pinel employait l'inspiration de l'ammoniaque, dès que l'épileptique sentait les préludes des accès.
Il me reste à dire un mot des précautions à prendre pour prévenir les suites de l'épilepsie. L'affaiblissement des forces physiques exige un régime généralement fortifiant ; il faut dissiper la fausse honte qui attriste et décourage les épileptiques, et détruire les préjugés qui les font regarder avec une sorte d'effroi. La tristesse habituelle dans laquelle plusieurs vivent, aggrave leur état. On doit surveiller leurs actions et leur conduite : très enclins aux plaisirs de l'amour, ils se livrent à des pratiques solitaires, plus nuisibles que le mal lui-même.
On évitera les suites des chutes, en choisissant les habitations au rez-de-chaussée, en entourant les épileptiques de personnes qui. les retiennent au moment de la chute, qui les étendent sur un lit un sur le sol, en garantissant la tête des corps durs contre lesquels ils peuvent se heurter dans les convulsions. Dans les divers mouvemens qui les agitent, il faut avoir l'attention de ne pas contraindre les mouvemens, en serrant les membres très fortement. Pour éviter l'amputation de la langue, le brisement des dents ; quelques-uns de ces malades ont l'attention de placer un bourrelet de linge entre les dents ; j'ai connu une dame qui ne se couchait pas sans prendre cette précaution. Si l'accès a lieu pendant la nuit, on peut matelasser le lit, auquel
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on donne la forme d'une boîte, pour éviter les chutes. Dans les grandes réunions d'épileptiques, on préviendra beaucoup d'accidens, en plaçant les épileptiques dans des dortoirs au rez-de-chaussée planchéié, et en faisant usage de lits très bas. Ils ne doivent pas habiter pêle-mêle avec les aliénés, comme cela se pratique dans presque tous les hospices où l'on reçoit les épileptiques et les aliénés. La vue d'un accès d'épilepsie suffit pour rendre épileptique une personne bien portante Combien plus grand est le danger pour un aliéné quelquefois si impressionnable ! Que penser de l'indifférence avec laquelle on laisse errer ces infortunés qu'on rencontre sur la voie publique, et qui ne manquent jamais d'attirer autour d'eux un grand nombre de curieux, de femmes et d'enfans ? Cependant la vue d'un accès d'épilepsie suffit pour rendre épileptique. Ces malheureux, mutilés, souvent couverts de sang, toujours dans l'indigence, excitent la commisération, et obtiennent des secours de toute sorte des assistans ; nul doute que des fripons n'aient recours à ce moyen pour surprendre la charité des passans. Il est bon de signaler cet abus, d'autant plus condamnable, qu'il sert de prétexte à la friponnerie, en compromettant la santé des citoyens.
J'ai dit en commençant cet article, qu'au début des accès, les épileptiques sont renversés sur le dos ou sur l'abdomen. Dans ce dernier cas, ils se meurtrissent, se blessent la face. On en voit qui sont défigurés par les cicatrices des brûlures qu'ils se sont faites en tombant dans le feu. Il arrive bien pis : lorsque les accès ont lieu pendant le sommeil de la nuit, quelques épileptiques se
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retournent la face contre le lit. S`ils ne sont pas secourus lorsque le collapsus a lieu, la face porte sur les traversins ou les oreillers, l'asphyxie termine l'existence de ces malades. On ne saurait trop surveiller les épileptiques qui ont des accès nocturnes, surtout ceux qui, pendant les convulsions, sont renversés sur la face.
L'observation qu'on va lire et par laquelle je finirai ce que j'ai à dire de l'épilepsie, est destinée à donner une idée de l'état épileptique ; elle a pour sujet un malade qui a, dans toute l'habitude de son corps, l'empreinte de la maladie à laquelle il est en proie. Cette observation a été recueillie par M. Leuret, médecin de l'hospice de Bicêtre.

« Joseph B..., aujourd'hui épileptique et contracturé, était autrefois tambour dans un régiment de ligne. Comme beaucoup de militaires, il s'enivrait chaque fois qu'il en trouvait l'occasion ; alors il avait des querelles, et c'est à la suite d'une querelle survenue pendant l'ivresse qu'il a éprouvé sa première attaque. On ignore si, dans sa famille, quelqu'un a été atteint de la même maladie ou de quelque autre affection nerveuse. Il est âgé de 47 ans, il en avait 28 quand il a eu sa première attaque, c'est donc 19 ans de maladie. Sans fortune et ne pouvant par son travail ni suffire à ses besoins, ni se faire soigner, il est entré à Bicêtre. Pendant longtemps ses attaques ont été assez faibles et lui ont permis de se rendre utile dans l'hospice ; on l'occupait comme vitrier. Il y a 8 ans que, se trouvant à un cinquième étage et travaillant de son état, la corde, qui soutenait l'échafaud sur lequel il était, se rompit, le malheureux
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Joseph B... tomba sur le pavé et fut blessé à la tète Dès ce moment, ses attaques déjà très fréquentes le sont devenues davantage, et il est resté dans un état de contracture générale et permanente Il est toujours couché sur le dos, les pieds raides et ne pouvant se fléchir, les jambes tirées vers les cuisses, les mains fléchies sur les avant-bras, les avant-bras sur les bras : en :un mot, les membres sont tellement raides, surtout ceux du côté droit, qu'ils sont presque entièrement incapables d'exercer aucun mouvement volontaire.
« La sensibilité est altérée d'un manière analogue : le gauche sent encore, le tact s'y exerce un peu, il transmet quoique faiblement l'impression du froid et de la chaleur ; le côté droit ne sent presque rien : on touche le bras aou la caisse de ce côté, le malade ne s'en aperçoit pas, on le pince sans produire aucune douleur. En avant, sur le tronc, la démarcation entre les deux côté est bien tranchée ; l'insensibilité cesse à la ligne blanche, pour l'abdomen, à la partie médiane du sternum, pour la poitrine. En arrière, c'est vers le milieu du dos.
« Sa tête est ordinairement tirée en arrière, et les muscles de sa figure, lors même qu'ils sont en repos, ce qui arrive rarement, laissent sur les traits l'empreinte de la convulsion.
« Il est incapable de faire aucun mouvement régulier et complet : s'il veut saisir quelque chose avec la main gauche, qui est la meilleure de ses mains, il n'y arrive jamais du premier coup, ni sans fatigue ; s'il
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veut parler, la langue bredouille, il prononce une ou deux syllabes et ne pouvant achever, il cherche un équivalent au mot que la langue refuse d'articuler. Cette diificulté donne à la parole une grande ressemblanee avec celle d'un homme ivre.

Presque jamais ses muscles ne sont dans un complet repos ; si leurs contractions sont trop faibles pour faire toujours exécuter quelques mouvements aux parties qui sont destinés à faire mouvoir, en appliquant la main sur un endroit quelconque du corps, on les sent agités par une sorte de mouvement vermiculaire, très analogue à celui qui survient dans les fièvres ataxiques et que l'on appelle soubresauts des tendons ; sil ferme les paupières, on les voit trembloter.
« Depuis plus de sept ans, c'est-à-dire après la disparition des accidens immédiats causés par sa chute, il a chaque jour de trois à six attaques d'épilepsie. Un peu moins d'une minute avant l'attaque, il la sent venir par quelque chose qui se passe dans sa tête, il pousse un cri, marmotte quelques mots et perd connaissance en même temps qu'il éprouve les contractions épileptiques : il n'à que rarement de la salive à la bouche. L'attaque dure peu et le malade revient promptement à lui.
« Malgré la longue durée de sa maladie (19 ans), malgré la fréquence des accès, l'ntelligence du malade conserve toute son intégrité. Ses paroles ne sont pas toujours intelligibles, il s'en faut bien ; ses phrases ne sont jamais complètes, l'expression de ses traits n'est pas ordinairement en rapport avec ce qu'il dit, mais il est facile de voir que tout cela dépend de l'instrument
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qui exécute. Ce qu'un mouvement convulsif n'arrête pas dénote une pensée juste, un jugement sain. Sous le rapport moral, il vaut mieux que la plupart de ses compagnons d'infortune, moins affligés que lui. L'épilepsie change le caractère, dispose aux emportemens ; Joseph B... est fort doux, reconnaisant des soins qu'on lui donne, et quand on l'approche, on voit qu'il est toujours disposé à sourire ou à remercier.
« Les fonctions de la vie nutritive s'éxécutent bien ; l'appétit est bon, les garde-robes ont lieu tous les jours, l'urine est excrétée comme dans l'état de santé. Les pupilles sont contractiles ; la respiration et le pouls n'offrent rien d'anormal.
« Il y a, sans doute, fort peu d'exemples d'une maladie aussi longue, d'accès aussi nombreux et aussi fréquens, et dans lesquels l'intelligence se soit conservée comme chez Joseph B... ; pour moi, c'est le seul que je connaisse, et j'ai vu plus de six cents épileptiques. »

Le portrait de ce malade exécuté avec beaucoup d'exactitude et de talent, par M. Desmaisons, fait le sujet de la planche première.