GALIEN

DES LIEUX AFFECTES
Chap. X-XI-XII

traduction du
Dr. Ch. Daremberg
1856



Chapitre X. – Substitution des affections épileptiques et mélancholiques. – Causes et symptômes de la mélancholie. – Généralités sur le traitement de cette maladie. – Variétés de la mélancholie. – Passage d'un ouvrage de Dioclès à ce sujet. – Observations particulières à Galien.

Il existe une différence non médiocre dans les affections primaires de la tête comme dans les affections sympathiques. Ainsi, les humeurs épaisses amassées dans la substance même de l'encéphale le lèsent, tantôt comme partie organique, tantôt comme partie homoïomère : comme partie organique, quand elles obstruent les conduits, comme partie homoïomère, quand elles en altèrent le le tempérament. C'est pourquoi on trouve cette observation à la fin du sixième livre Sur les Epidémies (sect. VII, § 31) : "Les mélancholiques deviennent d'ordinaire épileptiques, et les épileptiques deviennent d'ordinaires mélancholiques. L'une ou l'autre de ces affections se produit de préférence selon que le mal prend l'une ou l'autre direction. Si elle se dirige vers le corps, on devient épileptique, et mélancholique si c'est vers l'intelligence." Ce passage indique d'abord que ce n'est pas toujours, mais fréquemment qu'à lieu la transformation de l'une de ces affections en l'autre. En effet, l'épilepsie étant produite non-seulement par l'humeur atrabilaire, mais encore par l'humeur phlegmatique, celle qui est engendrée par l'humeur atrabilaire se transforme parfois en mélancholie, et celle qui est engendrée par l'humeur phlegmatique se change en une autre affection dont je parlerai un peu plus loin, mais elle ne produit pas une mélancholie. Une seconde observation, non sans importance, est renfermée dans cette phrase d'Hippocrate. En effet, puisque l'âme est un mélange des qualités actives, ou qu'elle est altérée par le mélange de ces qualités, il dit que la bile qui tourmente l'encéphale comme partie organique se tourne vers le corps, et cela se fait par obstruction, tandis que celle qui le lèse comme partie homoïomère se tourne vers l'intelligence, attendu qu'elle pervertit le tempérament du cerveau.
Mais il me semble nécessaire, avant tout, de définir un point omis par les médecins. En effet, de même qu'au tempérament (mélange) identique apparaît parfois dans toutes les parties visibles du corps, comme dans l'ictère, dans l'affection appelée élephantiasis, dans les hydropisies et aussi dans les cachexies, et encore dans les décolorations hépatiques et spléniques, tandis que parfois une seule partie ayant reçu une humeur bilieuse ou phlegmatique, ou atrabilaire, change seule de crase ; de même il arrive parfois que l'encéphale, tout le sang des veines étant devenu atrabilaire, est lésé lui-même en conséquence de l'affection commune. Parfois, tandis que le sang demeure exempt d'affection dans tout le corps de l'homme, le sang seul de l'encéphale est altéré, et cela arrive de deux façons, soit que l'humeur mélancholique s'y jette en venant d'un autre lieu, soit qu'elle ait été engendrée sur place. Or, elle est engendrée par la chaleur considérable du lieu, laquelle brûle la bile jaune ou la partie la plus épaisse et la plus noire du sang.
Voici une distinction qui n'est pas d'une médiocre importance pour le traitement : lorsque le corps tout entier a un sang atrabilaire, il convient de commencer par une saignée. Quand le sang de l'encéphale seul est dans ce cas, le patient n'a pas besoin d'être saigné, eu égard à cette diathèse ; car, sous un autre rapport, il peut en avoir besoin. Comme diagnostic, examinez donc si le corps tout entier a une humeur atrabilaire, ou si une telle humeur est amassée dans l'encéphale seulement. Je vous engage à considérer d'abord quelle est la complexion du corps, en vous rappelant que les individus mous, blancs et gras, ont très peu d'humeur atrabilaire ; que les individus maigres, bruns, velus et ayant de larges veines sont très-propres à engendrer une semblable humeur. Parfois même, les individus au teint très-coloré tombent subitement dans le tempérament atrabilaire. Après eux viennent les blonds, surtout lorsqu'ils sont exposés à des insomnies, à des fatigues nombreuses, à des inquiétudes et soumis à un régime peu fortifiant. Il existe d'autres indications de la même espèce que celle-ci : une suppression d'hémorroïdes ou de quelque autre évacuation habituelle de sang, ou de flux menstruel chez les femmes. Après celles-ci viennent les indications fournies par les aliments employés : ceux qui engendrent un sang atrabilaire ou les aliments contraires. Le sang atrabilaire est engendré par la chair des chèvres et des boeufs, plus encore par celle des boucs et des taureaux, plus encore celle des ânes et des chameaux dont quelques personnes font usage, comme aussi par celle des renards et des chiens. La chair des lièvres n'engendre pas à un moindre degré un pareil sang, et celle des sangliers en engendre beaucoup plus. Les escargots aussi engendrent un sang atrabilaire, si l'on en fait un usage fréquent, aussi bien que les chairs salées de tous les animaux terrestres. J'en dirai autant de celle des animaux aquatiques suivants : thon, baleine, phoque, dauphin, chien de mer et tous les cétacés. – Parmi les légumes, le chou est seul presque capable d'engendrer un pareil sang, tandis que les pousses d'arbres confites dans la saumure seule ou dans la saumure et le vinaigre, je veux dire les pousses du lentisque, du thérébinthe, de la ronce et de l'églantier le produisent. Parmi les mets farineux, la lentille est l'aliment qui engendre le plus le sang atrabilaire, puis les pains dits pains de son, et ceux composés de petite épeautre et des mauvaises graines que certains peuples emploient au lieu de froment. Mais nous avons défini leurs propriétés dans le premier livre Sur les facultés des aliments. – Parmi les vins, les vins épais et noirs sont les plus propres à engendrer l'humeur atrabilaire, si après en avoir fait un usage copieux, on demeure par hasard dans un endroit très-chaud. Les vieux fromages aussi engendrent très-facilement une semblable humeur lorsqu'ils se trouvent échauffés outre mesure dans le corps. Si donc tel était le régime suivi par un individu avant sa maladie, on peut en tirer une indication nouvelle. Si sa nourriture est succulente, il faut s'enquérir des exercices auxquels il se livre, de son état de tristesse, d'insomnie, d'inquiétude. Il est des gens chez qui l'humeur atrabilaire s'est produite dans les maladies fiévreuses mêmes, comme il a été dit. Plusieurs circonstances ne contribuent pas peu à mieux fixer le diagnostic : c'est la saison de l'année, l'état passé et présent de l'atmosphère, et de plus le lieu du séjour et l'âge.
Après avoir examiné préalablement tous ces points, si vous supposez que le sang atrabilaire est contenu dans les veines du corps entier, obtenez le plus sûr diagnostic en saignant à la veine du coude. Il est préférable d'inciser la veine moyenne, parce qu'elle est commune aux deux veines, à celle qu'on nomme humérale et à celle qui à travers l'aisselle se porte au bras. Si le sang ne paraît pas être atrabilaire, arrêtez-en aussitôt l'écoulement. S'il paraît tel, tirez-en autant que vous jugerez suffisant d'après la complexion du malade. Il existe, pour la mélancholie comme pour l'épilepsie, une troisième variété qui tire son origine de l'estomac. Quelques médecins appellent la diathèse même, maladie hypochondriaque et flatulente. Il me suffira de transcrire les symptômes qui lui ont été assignés par Dioclès dans le livre intitulé : Affection, cause, traitement. Voici les termes mêmes employés par Dioclès : "il existe une autre affection de l'estomac, différente des précédentes : les uns l'appellent mélancholique, les autre flatulente. Elle est accompagnée, après les repas, quand surtout les aliments sont de digestion difficile et de nature à causer des ardeurs, de crachements humides abondants, d'éructations aigres, de vents, de chaleur dans les hypochondres, de fluctuation, non pas immédiatement, mais un peu après l'ingestion de ces aliments. Parfois aussi surviennent de violentes douleurs d'estomac qui se propagent jusqu'au dos. Elles s'apaisent quand les aliments sont cuits (digérés) ; puis les mêmes accidents reviennent après le repas ; parfois même ils se produisent à jeun ou après le souper. Les aliments vomis sont encore crus, et le phlegme un peu amer, est si chaud, si acide, qu'il cause de l'agacement aux dents. La plupart de ces accidents se montrent dès la jeunessse ; mais, de quelque façon qu'ils surviennent, ils persistent chez tous." – A la suite de ce préambule, Dioclès donne immédiatement la cause en ces termes : "Il faut supposer que les individus dits flatulents ont plus que la chaleur convenable dans les veines qui reçoivent la nourriture de l'estomac et que leur sang est épaissi. Ce qui indique une obstruction dans ces veines, c'est d'abord que le corps ne reçoit pas la nourriture et qu'elle reste dans l'estomac sans être élaborée, tandis qu'auparavant ces canaux la recevaient et en rejetaient la plus grande partie dans le ventre inférieur, et ensuite que le lendemain on vomit, attendu que l'aliment n'a pas été distribué dans le corps. On comprend facilement, par les ardeurs qui surviennent chez eux et par ce qui se passe après l'ingestion des aliments, que la chaleur de ces malades excède la chaleur naturelle. En effet, ils paraissent soulagés par les aliments froids. Or de pareils aliments refroidissent et éteignent le feu de l'estomac." – A ces observations, Dioclès en ajoute d'autres, ainsi exprimées : "Quelques-uns disent que dans de pareilles affections l'orifice de l'estomac contigu à l'intestin est enflammé, et qu'à cause de l'inflammation il est obstrué et empêche les aliments de descendre dans l'intestin au temps voulu. Il résulte de là que, séjournant dans l'estomac plus que le temps convenable, ils engendrent les tumeurs, les ardeurs et les autres accidents déjà signalés." – Tels sont les symptômes énumérés par Dioclès ; il a omis dans la liste les plus essentiels de toute la série qui caractérisent la mélancholie et l'affection flatulente et hypochondriaque. Il les a omis, ce me semble, parce qu'ils étaient manifestement indiqués par la dénomination de la maladie, Hippocrate (Aph. VI, 23), nous ayant enseigné que, si la crainte et l'abattement persistent longtemps, cela indique une affection mélancholique. Pourquoi, dans l'énoncé de la cause, Dioclès décrit-il les causes des autres symptômes et n'explique-t-il pas celle de la lésion même de l'intelligence ? Cependant, c'est une question qui mérite examen. En effet, qu'il y ait excès de chaleur des veines de l'estomac ou inflammation de la région du pylore, il omet d'expliquer pourquoi les symptômes mélancholiques suivent ces accidents. Que le ventre se remplisse de pneuma flatulent, qu'ensuite il en soit soulagé par des éructations et de plus par les vomissements indiqués par Dioclès, cela est bien évident, quoiqu'il n'en ait pas parlé. Mais il était difficile de rattacher les symptômes propres de la mélancholie à l'affection de l'estomac qu'il venait de décrire. Ajoutons donc cela, et expliquons clairement quelle est la diathèse de l'estomac dans de semblables affections. Il semble qu'il y ait une inflammation dans l'estomac, et que le sang renfermé dans la partie enflammée soit épais et atrabilaire. De même donc que, si de l'estomac il remonte aux yeux quelque exhalaison fuligineuse ou fumeuse, ou, en général, certaines vapeurs très-épaisses, il se produit des symptômes semblables à ceux des suffusions (cataractes) ; de même dans le cas actuel, quand l'exhalaison atrabilaire, semblable à de la suie ou à de la fumée, remonte à l'encéphale, il se produira dans l'intelligence les symptômes mélancholiques. Il est certain que nous voyons très-souvent des douleurs de tête résulter de la bile jaune contenue dans l'estomac, de même que cette douleur disparaît immédiatement dès que la bile est vomie. Parmi ces douleurs, il en est de mordicantes et de rongeantes, ou de tension, ou d'assoupissement. Les meilleurs médecins s'accordent à dire que ce ne sont pas seulement ces affections, mais encore l'épilepsie, qui se jettent sur la tête en dérivant de l'estomac. Les mélancholiques sont toujours en proie à des craintes ; mais les images fantastiques ne se présentent pas toujours à eux sous la même forme. Ainsi, l'un s'imaginait être fait de coquilles, et en conséquence évitait tous les passants de peur d'être broyé. – Un autre, voyant chanter des coqs qui battaient des ailes avant de chanter, imitait la voix de ces animaux et se frappait les côtés avec ses bras. – Un autre redoutait qu'Atlas, fatigué du poids du monde qu'il supporte, ne vînt à secouer son fardeau, et de cette façon ne s'écrasât lui-même en même temps qu'il nous ferait tous périr. Mille idées semblables leur traversent l'esprit. – Il existe des différences entre les mélancholiques. Tous sont en proie à la crainte, à la tristesse, accusent la vie et haïssent les hommes, mais tous ne désirent pas mourir. Il en est, au contraire, chez qui l'essence même de la mélancolie est la crainte de la mort. D'autres vous paraîtront bizarres ; ils redoutent la mort et en même temps la désirent. Aussi Hippocrate paraît avec raison avoir ramené sous deux chefs tous les symptômes propres aux mélancholiques : la crainte et la tristesse. C'est par suite de cette tristesse que les mélancholiques haïssent tous ceux qu'ils voient, et paraissent continuellement chagrins et pleins d'effroi, comme des enfants et des hommes ignorants qui tremblent dans une profonde obscurité. De même, en effet, que les ténèbres extérieures inspirent la peur à presque tous les hommes, si ce n'est aux individus naturellement très-audacieux ou instruits ; de même la couleur de la bile noire, en obscurcissant, comme le font les ténèbres, le siège de l'intelligence, engendre la crainte. Que les humeurs, et généralement le tempérament du corps, altèrent les fonctions de l'âme, c'est un point sur lequel les médecins et les philosophes les plus illustres sont d'accord, et que j'ai démontré dans un livre où je prouvais que les facultés de l'âme suivent les tempéraments du corps . Aussi ceux qui ignorent la faculté des humeurs, et de ce nombre est Erasistrate, n'ont rien osé écrire sur la mélancholie. A cet égard, l'on peut remarquer avec étonnement les notions connues du vulgaire, et certaines de ses opinions, au sujet desquelles beaucoup de philosophes et de médecins sont plongés dans une profonde ignorance. Ainsi, tout le monde appelle cette affection mélancholie, indiquant par le nom quelle humeur est en cause. Si donc les premiers symptômes se déclarent dans l'estomac, et que leur développement soit suivi d'affections mélancholiques, que le patient soit soulagé par les déjections et les vomissements, par les vents d'en bas et par les éructations, nous nommerons, dans ce cas, la maladie hypochondriaque et flatulente, et nous dirons que la tristesse et la peur en sont les symptômes. Mais quand apparaissent de graves symptômes propres à la mélancholie, qu'il ne s'en montre aucun ou seulement de peu d'importance dans l'estomac, alors il faut croire à une affection primaire de l'encéphale par une accumulation de bile noire. En conséquence, on doit distinguer, et c'est ce que nous avons dit un peu auparavant, si une semblable humeur est contenue dans l'encéphale seul ou dans le corps tout entier. Je veux citer le fait suivant dont mes amis ont été témoins : j'ai guéri, à l'aide de bains nombreux et d'un régime succulent et humide, une semblable mélancholie, sans autre remède, lorsque l'humeur incommode, n'ayant pas séjourné longtemps, n'était pas difficile à évacuer. Si la maladie est déjà invétérée, elle réclame d'autres remèdes plus énergiques, outre ceux que nous avons signalés. Une semblable mélancholie naît à la suite de diathèses chaudes de la tête, soit échauffement, inflammation ou phrénitis. Elle survient encore à la suite d'inquiétudes et de chagrins avec insomnie. Il suffit de ces détails sur la mélancholie.


Chapitre XI. – Des diverses espèces d'épilepsies : par affection primaire de l'encéphale, par influence sympathique de l'orifice de l'estomac sur les centres nerveux ; enfin par ascension d'une
aura. – Explication de la production de cette dernière espèce par l'action des venins sur le corps. – Sentiments de Pélops, maître de Galien, sur l'épilepsie avec aura. – Moyen de reconnaître la gravité de l'apoplexie.

Il faut distinguer soigneusement les affections épileptiques, car celles-ci surviennent, tantôt par suite d'une affection primaire de la tête, et tantôt par sympathie. En effet, presque tous les médecins ont négligé de distinguer les épilepsies, lesquelles présentent les trois espèces de mélancholie. Les épilepsies ont toutes cela de commun, que l'encéphale est affecté, soit que l'affection y ait pris naissance, comme cela arrive chez la plupart des épileptiques, ou que l'orifice de l'estomac appelé ordinairement στόμαχος par les médecins, elle soit remontée par sympathie à l'encéphale. C'est ainsi qu'à l'occasion d'une affection de l'orifice de l'estomac se produisent aux yeux des symptomes semblables à ceux qu'on voit dans les suffusions (cataractes). Il se présente, mais rarement, une autre forme ou espèce ou variété d'épilepsie, comme vous voudrez l'appeler, l'affection commençant par une partie quelconque, puis remontant vers la tête d'une manière sensible pour le patient même. Jeune encore, j'ai vu ce phénomène, pour la première fois, chez un garçon de treize ans ; je l'ai vu avec les médecins les plus distingués de mon pays, réunis pour se concerter sur le traitement. J'entendis l'enfant raconter que la diathèse avait commencé à la jambe, et que de là elle était remontée directement au cou par la cuisse, la région iliaque, les côtés et le cou jusqu'à la tête, et qu'aussitôt la tête atteinte, il n'avait plus eu conscience de lui-même. Interrogé par les médecins sur la nature de cette substance qui remontait à la tête, l'enfant ne put répondre.
Un autre jeune homme, qui était assez intelligent, capable de sentir ce qui se passait en lui, et plus apte à l'expliquer aux autres, répondit qu'une sorte de souffle froid montait en lui. Mon maître Pélops croyait de deux choses l'une, qu'il y avait ascension d'une certaine qualité, ascension produite par l'altération des parties contigües, ou qu'il s'agissait d'une substance vaporeuse. Rien d'étonnant, disait-il, que l'humeur contre nature engendrée dans la partie affectée ait une faculté énergique analogue à celle des venins chez les animaux malfaisants. Qui croirait, en effet, si nous n'avions été souvent témoins du fait, qu'un aiguillon enfoncé par un scorpion ou la morsure des phalanges (espèce d'araignées), animaux si petits, causerait dans le corps entier une altération grave et extraordinaire, bien que l'animal n'ait introduit dans le corps qu'une substance si peu abondante ? Ainsi, à propos de la morsure d'une phalange, quoique l'animal soit petit, nous pouvons supposer que le venin sorti de sa bouche a pénétré dans le corps mordu. L'aiguillon de la pastenague marine (espèce de raie), comme celui du scorpion de terre, se termine manifestement en une pointe très-aigüe, mais privée d'ouverture par laquelle elle lancerait le venin. Cependant nous devons supposer qu'il existe une substance soit vaporeuse, soit humide, qui, sous le plus petit volume, possède une faculté très-puissante. Dernièrement, un individu, piqué par un scorpion, disait qu'il se sentait comme frappé par la grêle ; il était complètement glacé, couvert d'une sueur froide ; il fut traité et sauvé à grand'peine. Pélops disait donc qu'il n'est pas impossible qu'une semblable substance soit engendrée dans le corps sans cause extérieure, et que venant à se former dans une partie nerveuse, elle fasse remonter par continuité sa faculté jusqu'au principe des nerfs, soit qu'une altération se produise ainsi que je le disais, soit qu'une substance vaporeuse comme un souffle se porte dans une région supérieure. En effet, lorsque le scorpion enfonce son aiguillon dans un nerf, une artère ou une veine, les individus ainsi atteints, on le voit manifestement, sont souvent pris des symptômes les plus graves (voy. VI, v, med.).
Il est possible que l'aiguillon du scorpion, ayant traversé tout le derme, pénètre profondement dans le corps ; mais la morsure des petites phalanges entame seulement la surface du derme, ce qui démontre que par le derme seul parfois la puissance du venin se répand dans le corps entier. En effet, tout le derme est continu et nerveux. Il n'est donc aucunement impossible que la puissance du venin dardé se propage rapidement dans le derme tout entier, que du derme elle passe par contact dans chacune des parties sous-jacentes, puis de celles-ci dans d'autres parties contigües, puis encore de ces dernières parties affectées dans d'autres, et qu'enfin, lorsqu'elle est arrivée dans quelqu'un des organes essentiels, l'individu soit en danger de périr. L'utilité manifeste des ligatures appliquées, dans ce cas, aux parties supérieures, m'a conduit à adopter cette manière de voir. J'en ai fait l'expérience dans des cas de morsure de vipères et de scorpions et même d'aspics ; ce qu'on serait moins porté à croire si on considère qu'après cette morsure il y a danger imminent de mort. Toutefois, comme je me trouvais à Alexandrie, un paysan, voisin de la ville, ayant été mordu au doigt par un aspic, serra avec un lien très-fort la racine de ce doigt près du métacarpe, et, courant à la ville chez son médecin ordinaire, se fit couper tout le doigt, à partir de son articulation avec le métacarpe, dans l'espérance que cet accident n'aurait pas de résultat fâcheux. Cette espérance se réalisa en effet, car il fut sauvé sans autre traitement. – Je vis un autre individu qui, mordu également par un aspic, fut guéri à l'aide d'une potion à la vipère, employée après l'amputation du doigt. – Je vis un autre paysan qui, mordu par une vipère dans toute la longueur du doigt, coupa avec la faucille qu'il tenait à la main, car il était vigneron, la partie mordue, à partir de la dernière articulation, et fut guéri sans prendre aucun médicament, le doigt ayant été cicatrisé par les moyens ordinaires.
Chez le garçon dont il a été parlé plus haut, l'épilepsie partait des jambes. Les médecins réunis en consultation tentèrent de le guérir. Il s'avisèrent, après l'avoir purgé complètement, d'appliquer sur la partie un médicament composé de thapsie et de moutarde ; il avaient lié d'abord le membre au-dessus du point primitivement affecté, et prévinrent ainsi le retour de l'accès qui avait lieu chaque jour. Ceci soit dit par digression, pour qu'on ne s'étonne pas comment une affection si grave prend naissance de quelque partie sans importance.
Il nous reste encore à rechercher la cause des convulsions épileptiques qui surviennent dans de semblables sympathies. En effet, Pélops n'a rien dit de bien vraisemblable à cet égard, non plus qu'aucun autre de ceux avec qui j'ai eu des rapports. – Ayant vu une fois un individu atteint d'une affection sympathique de cette nature tomber sans convulsions violentes, mais agité par intervalles de légers mouvements saccadés, il me parut probable qu'il existait quelque chose de semblable à ce qu'on voit très-fréquemment se produire dans l'orifice de l'estomac à propos des hoquets. Quant à moi, par exemple, s'il m'arrive d'avaler un peu trop de poivre, à l'instant je suis pris de hoquets ; et j'ai vu ce même fait se produire chez un assez grand nombre de personnes qui avaient l'orifice de l'estomac très-sensible. On a dit plus haut que cet orifice est ordinairement appelé στόμαχος, non-seulement par les médecins, mais encore par tout le monde. J'ai vu dans la chute d'épileptiques atteints d'une affection sympathique et non pas idiopathique de l'encéphale, se manifester, non une convulsion continuelle, mais une sorte d'agitation saccadée revenant par intervalles, de façon que je conjecturai qu'il se produisait dans l'encéphale un mouvement semblable à celui qui parfois secoue l'orifice de l'estomac incommodé par certaines substances. En effet, qu'il soit surchargé d'aliments ou mordillé par leur altération, il paraît tourmenté de hoquets. J'ai vu plus d'une fois, non pas seulement le hoquet, mais encore une convulsion de tout le corps, produite par une humeur âcre. Cette convulsion cessait aussitôt après le vomissement de l'humeur mordicante. Il n'y a donc rien d'étonnant que le principe des nerfs soit agité d'un mouvemen tel qu'il écarte avec empressement tout ce qui remonte à lui de la partie primitivement affectée. Il me semble encore que tous les autres symptômes qui agitent le système nerveux surviennent de cette façon, et que ceux qui amènent une chute avec perte du sentiment sans mouvement convulsif ou saccadé, résultent d'un refroidissement brusque. Tel est le cas aussi de la léthargie.
L'apoplexie, parce qu'elle se déclare subitement, indique qu'une humeur foide, ou épaisse, ou visqueuse, remplit instantanément les principales cavités de l'encéphale et qu'elle ne résulte pas d'une dyscrasie de toute sa substance, comme le léthargus, la phrénitis, les manies, les mélancholies, les folies, les pertes de mémoire, l'affaiblissement des sens et la paralysie des mouvements. Dans toutes les affections de cette nature, telles que l'apoplexie, mesurez la gravité du danger à la gravité de la lésion qu'a subie la respiration (cf. chap. XIV med.) De même, en effet, que chez les gens endormis la respiration s'exécute, bien qu'il n'accomplissent aucune autre fonction volontaire, mais que, couchés sur le dos, ils soient étendus sans mouvement dans leur lit, de même aussi dans toutes les affections avec assoupissement, bien que le corps n'éprouve ni sensation ni mouvement, cependant la respiration seule, qui est l'oeuvre des muscles moteurs du thorax, est conservée. Nous avons de ce fait une notion confirmée par la méthode démonstrative, comme aussi nous savons que le principe du mouvement résulte pour tous les muscles des nerfs qui s'y insèrent. Or l'anatomie nous a très-clairement enseigné que l'encéphale est le premier principe de tous les nerfs. Je n'ai pas dit simplement le principe, j'ai ajouté le premier, à cause de la moelle épinière. On voit en effet beaucoup de nerfs sortir de la moelle, mais c'est l'encéphale même qui transmet à la moelle les facultés dont elle jouit. Lors donc que vous voyez la respiration très-gênée et s'exécutant à peine, supposez pour toutes les maladies avec assoupissement qu'il existe une diathèse morbide assez grave dans l'encéphale.


Chapitre XII. – Des phénomènes qui accompagnent le vertige et de ses causes. – Sentiment d'Archigènes sur cette affection.


Toutes ces affections naissent donc manifestement dans la tête, et de plus l'affection appelée vertige, et dont le nom même (skotwma, obscurité) indique la nature. Les personnes qui y sont sujettes sont prises d'obscurcissement de la vue pour les moindres causes, au point même de tomber parfois, surtout lorsqu'elles tournent en rond. Ce qui arrive à d'autres après un grand nombre de tours, leur arrive à elles après un seul tour. Elles sont prises de vertige à la vue d'une autre personne qui tourne, d'une roue ou de quelque autre chose qui tournoie, et de ce qu'on appelle tourbillons dans les fleuves. Elles y sont encore plus sujettes lorsqu'elles sont exposées au soleil ou qu'elles ont la tête échauffée par quelque autre cause. Ainsi donc ce qui chez d'autres résulte de nombreux tours faits en rond se manifeste chez elles sans qu'elles tournent. Or chez les personnes qui tournent souvent en rond, on est d'accord qu'il se produit un mouvement inégal, tumultueux et désordonné des humeurs et du pneuma. Il est donc naturel que les personnes sujettes au vertige ressentent quelque chose de semblable. Il en est qui ont éprouvé du soulagement de la section des artères ; elles se font inciser profondément et de part en part les artères situées derrière les oreilles, en sorte qu'il existe une cicatrice complète entre les deux sections (cf. Paul d'Egine, VI, IV). Mais il est constant que toutes ne sont pas guéries par ce moyen ; car d'autres artères plus considérables que ces dernières remontent vers l'encéphale, à sa base, par le plexus dit rétiforme (voy. Util. des parties, IX, IV), lesquelles artères engendrent l'affection, cela est probable, un pneuma vaporeux et chaud s'élevant par ces artères et remplissant l'encéphale. Il est possible aussi que, dans l'encéphale même, il se produise quelque dyscrasie inégale qui peut engendrer un semblable pneuma. Mais que cette affection soit propre à la tête, cela est manifeste par le sentiment même des personnes sujettes au vertige ; elle dérive soit d'une affection primitive de la tête, soit d'une affection sympathique avec l'orifice de l'estomac.
Archigène reconnaît ce fait dans le premier livre des Signes pathognomoniques des maladies chroniques, où il parle en ces termes de l'affection vertigineuse : "Cette affection aussi a une double origine, la tête et les hypochondres." Puis il cherche à distinguer les deux espèces, disant "que le vertige qui provient d'une affection primaire de la tête est précédé de tintements d'oreilles, de douleurs et de pesanteurs de tête, ou de la lésion de l'odorat, ou de quelque autre altération des parties qui viennent de là." C'est lui-même qui a ajouté à sa phrase ces mots parties qui viennent de là (ἐντεῦθεν), voulant indiquer, selon moi, les sensations qui ont leur point de départ à la tête. Il dit que le vertige qui dérive de l'orifice de l'estomac est précédé de tiraillements et de nausées. Mais, comme je l'ai déjà remarqué précédemment plus d'une fois, quand même la tête éprouve une affection par sympathie avec une autre partie, c'est à elle qu'il faut attribuer les affections qui surviennent.