HIPPOCRATE

TRAITE DE LA MALADIE SACREE

Dr. Charles DAREMBERG

1894




1. Quant à la maladie qu'on appelle sacrée, voici ce qu'il en est : Elle ne me semble ni plus divine, ni plus sacrée que les autres ; elle a la même nature que le reste des maladies, et pour origine les mêmes causes que chacune d'elles. Les hommes lui ont attribué une nature et une origine divines, par ignorance, et à cause de l'étonnement qu'elle leur inspire ; car elle ne ressemble en rien aux autres maladies. Mais d'un côté, à cause de la difficulté de la bien connaître, on continue d'y rattacher quelque chose de divin, et de l'autre, elle perd ce caractère, à cause de la facilité de la méthode thérapeutique dirigée contre elles, car on la traite à l'aide de purifications et d'enchantements. S'il suffit qu'une chose soit surprenante pour être réputée divine, il n'y aura pas qu'une seule maladie sacrée, mais un très-grand nombre. J'en citerai qui ne sont ni moins étonnantes, ni moins effrayantes, et que cependant personne ne songe à regarder comme sacrée. Exemple : les fièvres quotidiennes, tierces et quartes ne me paraissent pas moins sacrées, ne me semble pas avoir une origine moins divine que cette maladie, quoiqu'elles n'excitent pas l'étonnement. Autre exemple : je vois des gens devenir, sans cause occasionnelle manifeste, maniaques et aliénés, et faire beaucoup de choses étranges. Il y en a, je le sais, qui dans le sommeil crient et gémissent ; certains se sentent pris de suffocation, d'autres sortent de leur lit, s'échappent de la maison et délirent jusqu'à ce qu'ils soient évéillés (somnanbulisme ?) ; après quoi ils se trouvent aussi bien portants, aussi sensés qu'avant ; seulement ils sont un peu pâles et affaiblis. Ces faits n'arrivent pas seulement une fois, mais très-souvent. Il en est beaucoup d'autres, et de très-divers, sur chacun desquels il serait trop long de discourir.
Ceux qui les premiers ont attribués à cette maladie un caractère sacrée, je les compare aux magiciens d'aujourd'hui, aux mages, aux purificateurs, aux jongleurs, aux charlatans, tous gens qui se font passer pour très-pieux et pour en savoir plus [que le reste des humains]. Mettant donc en avant la Divinité pour voiler leur impuissance à precrire un remède efficace contre l'épilepsie [1], et afin de ne pas rendre leur ignorance évidente pour tout le monde, ils ont prétendu que cette maladie était sacrée ; débitant les discours les plus propres à étayer cette opinion, ils ont constitué le traitement de manière à se mettre à couvert contre tout événement, en prescrivant des purifications et des expiations, en interdisant les bains et un très-grand nombre de substances alimentaires qui ne conviennent pas aux malades : parmi les poissons de mer, le mulet, le mélanure, le muge et l'anguille, car ces espèces sont les plus mauvaises ; parmi les viandes, la chair de chèvre, de cerf, de cochon et de chien, car ces viandes produisent le plus souvent des perturbations abdominales ; parmi les oiseaux, le coq, la tourterelle, l'outarde, et généralement tous ceux qui passent pour offrir une très-grande résistance à la digestion ; parmi les végétaux, la menthe, l'ail, l'oignon, car les choses âcres ne conviennent pas aux malades. Ils proscrivent les habillements noirs, car le noir est signe de mort ; ils ne veulent pas que les malades couchent sur des peaux de chèvre, qu'ils en portent pour vêtement, qu'ils croisent les mains et les pieds, car tout cela met obstacle à la guérison. Toutes ces prescriptions, ils les font [soi-disant] pour apaiser la Divinité, laissant entendre qu'ils savent bien d'autres choses ; ils se ménagent par avance des moyens d'excuse, de manière à conserver pour eux, si le malade en réchappe, l'honneur de la guérison et la réputation d'habileté ; et s'il succombe, à trouver la sûreté dans leur apologie ; et à faire valoir un prétexte plausible pour persuader qu'ils ne sont pas les auteurs de la mort, mais bien les Dieux. Car eux n'ont rien donné à manger, ni rien à boire ; ils n'ont fait prendre aucun bain chaud qui puisse en rien les rendre responsables. — Il me semble que [d'après leurs idées], on ne devrait trouver personne en bonne santé parmi les Libyens, qui habitent dans l'intérieur des terres, puisqu'ils couchent sur des peaux de chèvre, qu'ils en mangent la chair, qu'ils n'ont point de lits, point de vêtements, point de chaussures, qui ne soient faits de peaux de chèvre ; car ils n'ont pour troupeaux que des chèvres et des boeufs (Malad., IV, 56). Si faire usage de peaux de chèvre, si se nourrir de leur chair fortifie la maladie, et si, au contraire, s'abstenir de cette alimentation la guérit, certes un Dieu n'en est en rien rien l'auteur, et les expiations ne sont d'aucune utilité ; dès lors que les aliments nuisent ou sont utiles, la puissance du Dieu est annihilée. Ceux donc qui suivent pour ces maladies ce mode de traitement, ne me paraissent les regarder ni comme sacrées ni comme divines, car si elles cèdent à ce mélange de cérémonies expiatoires et de prescriptions médicales, pourquoi ne pourrait-on pas, avec d'autres moyens analogues, en appeler sur les hommes ou les y faire tomber, en sorte qu'il n'y aurait plus aucune possibilité d'admettre une cause divine, mais seulement une cause tout humaine ? Car celui qui est capable de conjurer ce mal (l'épilepsie) par des purifications et des opérations magiques, pourrait certainement aussi la chasser par l'emploi d'autres moyens ; et par cette raison même toute intervention divine est complètement anéantie. Par de telles discours et de telles machinations, on se pose comme plus instruit que le vulgaire, qu'on abuse en mettant sans cesse en avant les expiations et les purifications ; car presque tout ce que ces gens disent a trait à la Divinité et aux Génies. Quant à moi, leurs discours ne me paraissent pas favoriser la piété, mais bien plutôt l'impiété ; ils sont dictés comme s'il n'y avait point de Dieux, et, ainsi que je le montrerai, leur piété et leur invocation du divin ne sont que de l'impiété et du sacrilège. Ceux qui prétendent pouvoir faire descendre la lune, obscurcir le soleil, donner le beau et le mauvais temps, faire tomber la pluie ou amener la sécheresse, rendre la terre et la mer stériles, et mille autre choses semblables dont ils assurent avoir trouvé le pouvoir, soit par l'initiation, soit par quelque autre moyen, soit par l'étude ; ceux-là, dis-je, qui entreprennent de pareilles choses, je les regarde comme des impies, comme croyant qu'il n'y a pas de Dieux, ou que s'il y en a, ils sont sans puissance et ne sauraient arrêter ceux qui se vantent de produire de si grandes merveilles. Comment avec une telle puissance ne se feraient-ils pas craindre des Dieux eux-mêmes ? Car, si par la magie ou par des sacrifices on purifiait la lune, on obscurcissait le soleil, on donnait le bon ou le mauvais temps, je ne croirais pas qu'il y eût là quelque chose de divin, mais seulement une action tout humaine, puisque la puissance de la Divinité serait vaincue par la volonté des hommes et lui serait asservie...
L'épileptique imite-t-il la chèvre, rugit-il, a-t-il des convulsions du côté droit, ont dit que la mère des Dieux (Cybèle) est l'auteur du mal. Ses cris sont-ils plus forts et plus aigus, on les assimile aux hennissements des chevaux, et on dit que c'est Neptune. Les excréments sortent-ils involontairement, ce qui arrive quelquefois, par la violence du mal, on fait dériver le surnom de cette maladie d'Enodie (Mercure). Ses cris sont-ils perçants comme ceux des oiseaux, c'est Apollon le berger qui a produit le mal ; s'il écume et frappe du pied, c'est Mars. La nuit, quand il y a des terreurs, des alarmes, du délire, et que le malade, effrayé, se précipite de son lit et s'enfuit, on attribue ces phénomènes aux artifices d'Hécate ou à la visite des ombres et des héros. Alors on a recours aux purifications et aux enchantements, et on rend, ce me semble, la Divinité bien perverse et bien injuste. On purifie ceux qui sont en proie à cette maladie avec du sang, ou d'autres choses semblables, comme s'il s'agissait d'individus qui ont été infectés par quelques souillures, ou dont la conscience est chargée de crimes, ou qui ont pris quelque breuvage magique, ou enfin qui ont commis quelque sacrilège ; tandis qu'il faudrait agir tout autrement à leur égard, c'est-à-dire sacrifier, prier, les exposer dans les temples et adresser des supplications aux Dieux. Mais on ne fait rien de tout cela, on veut purifier, et les objets qui servent à ces purifications, on les enfonce dans la terre, on les plonge dans la mer, on les transporte sur de hautes montagnes, où personne ne peut les toucher ni marcher dessus ; tandis qu'il faudrait porter ces objets dans les temples et les consacrer au Dieu, si le Dieu est véritablement l'auteur de leur mal. Mais je ne pense pas que le corps de l'homme, ce qu'il y a de plus prompt à devenir impur, puisse être souillé par un Dieu, c'est-à-dire par ce qu'il y a de plus pur. Il me semble qu'un homme pourrait plutôt être purifié et sanctifié par un Dieu, s'il avait reçu quelque souillure étrangère ou quelque dommage, qu'il ne pourrait être souillé par lui. En effet, la Divinité purifie et efface les crimes les plus grands et les plus sacrilèges ; elle est notre protectrice. Nous-mêmes, autour des temples, nous plantons des bois consacrés aux Dieux, et nous traçons des limites qu'il n'est pas permis de franchir, à moins d'être purifié ; et quand nous sommes entrés, on nous soumet à des aspersions, non parce que nous venons de nous souiller, mais pour effacer les taches que nous aurions pu contracter avant. Voilà, ce me semble, ce qu'il en est des purifications.

2. Cette maladie n'a donc, à mon avis, rien de plus divin que les autres ; elle a la même nature que le reste des maladies ; elle a pour origine la même cause occasionnelle que chacune d'elles ; ce qu'elle a de divin dans sa nature et dans ses causes, elle le tire des mêmes circonstances que toutes les autres choses. Elle n'est pas moins curable que les autres maladies, pourvu qu'elle ne soit pas tellement fortifiée par le temps qu'elle résiste aux remèdes qu'on lui oppose. Elle a son principe dans l'hérédité comme toutes les autres maladies, car si des parents phlegmatiques mettent au monde des enfants phlegmatiques ; les bilieux, des enfants bilieux ; les phthisiques, des enfants phthisiques ; si ceux dont la rate est engorgée et dure, ont des enfants dont la rate est engorgée et dure, rien n'empêche que les parents qui sont atteints d'épilepsie aient des enfants qui en soient également atteints, puisque la semence émane de toutes les parties du corps, viciée si elle émane des parties viciées, saine si elle émane des parties saines (Eaux, airs et lieux, § 14). Voici encore une grande preuve que cette maladie n'a rien de plus divin que les autres, c'est qu'elle attaque les constitutions phlegmatiques, et nullement les bilieuses. Si elle était plus divine que les autres, on la verrait s'attaquer indistinctement à toutes les constitutions ; elle n'aurait pas plus de préférence pour les phlegmatiques que pour les bilieuses.

3.
Le cerveau est en réalité la cause de cette maladie, comme de toutes les autres maladies très-graves. — Suivent des considérations sur la forme du cerveau et sur les vaisseaux qui y aboutissent. Les vaisseaux attirent l'air, lequel entretient la sensibilité (cf. Des vents, § 14 [2]). La santé des enfants dépend de ce que, soit dans l'utérus, soit après la naissance, le cerveau se purge bien ou mal (cf. Des lieux dans l'homme, § 10 sq.). — Explication naturelle par la théorie des fluxions de tous les accidents de l'épilepsie, accidents que les imposteurs attribuent à telle ou telle Divinité.

8. Les petits enfants qui sont attaqués de cette maladie, meurent pour la plupart si le phlegme est très-abondant et si le vent est du midi, car les veines ne peuvent, à cause de l'étroitesse de leur canal, recevoir un flux épais et abondant ; le sang est refroidi et coagulé, ce qui cause la mort. Si le flux est petit, et qu'il se jette sur les deux vaisseaux (que l'auteur fait partir de la rate et du foie pour se rendre au cerveau), ou sur un seul, l'enfant survit, mais en conservant quelques marques de la maladie ; ou sa bouche, ou ses yeux sont déviés, ou son cou est distordu, ou ses mains sont contractées. — L'auteur établit ensuite que ces accidents secondaires préservent des retours de l'épilepsie.
Si, au contraire, le flux est petit, s'il se fait à droite et pendant les vents du nord, les malades réchappent sans en porter les marques ; mais il est à craindre que la maladie ne s'alimente et ne s'aggrave si on n'a pas recours aux médicaments convenables. Voilà, ou à peu près, ce qui en est pour l'enfance.

9. Quant aux adultes, cette maladie, quand elle les attaque, ni ne les tue, ni ne les estropie. Lorsque cette maladie attaque les vieillards, elle les tue ou les rend paraplectiques. – L'auteur donne la raison théorique de ces faits ; il indique ensuite quelles sont les causes prédisposantes et déterminantes de l'épilepsie.

10. Après l'âge de vingt ans, cette maladie n'attaque plus personne, ou du moins en très-petit nombre, à moins qu'on y soit sujet depuis l'enfance....
Pour montrer que l'épilepsie vient d'une réplétion du cerveau par le phlegme, l'auteur dit :

11. On peut reconnaître la vérité de ceci sur les animaux qui sont sujets à être attaqués de cette maladie, et surtout les chèvres, chez qui elle est très-fréquente. Si on ouvre la tête d'une chèvre [3], on trouve le cerveau humide, plein d'une eau qui exhale une mauvaise odeur. D'où il ressort évidemment que ce n'est pas un Dieu qui afflige ici le corps, mais bien la maladie. Il en est de même pour l'homme. Quand l'épilepsie date de longtemps, il n'y a plus de guérison possible, parce que le cerveau, dissous par le phlegme, se liquéfie...

12. Ceux qui sont familiarisés avec cette maladie pressentent les attaques : ils fuient les homme et se retirent dans leur maison si elle est proche, sinon ils se réfugient dans quelque endroit solitaire, afin de n'être vus que du plus petit nombre de personnes possible ; ils se voilent aussitôt dans leur chute : ils agissent par un motif de honte que leur inspire leur maladie, mais non par crainte du génie qui les persécute, ainsi que plusieurs le croient. Les petits enfants, dans leur inexpérience [de ce qui va leur arriver], tombent partout où ils se trouvent ; mais, après plusieurs attaques, et quand ils ont appris à les pressentir, ils se jettent dans les bras de leur mère, ou des personnes qu'ils connaissent le plus, par la crainte et la peur que leur cause la maladie ; car, certes, les enfants ne connaissent pas le sentiment de la honte.

13. Suit un long paragraphe sur l'influence des vents, et particulièrement des vents du midi et du nord (comme étant les vents les plus forts), pour la production de l'épilepsie. L'auteur en conclut encore que cette maladie n'a rien de plus embarrassant, ni rien de plus divin, que les autres.

14. Il faut qu'on sache qu'il ne nous vient ni plaisir, ni gaieté, ni joie, ni amusement, si ce n'est du cerveau. Par lui aussi nous viennent la tristesse, le chagrin, l'abattement et les pleurs. Par lui nous sentons, nous pensons, nous voyons, nous discernons ce qui est honteux de ce qui est beau, ce qui est mal de ce qui est bien, ce qui est désagréable de ce qui ne l'est pas, basant notre jugement pour certaines choses sur la coutume, pour d'autres sur l'avantage qui peut nous en revenir, appréciant, suivant le temps, ce qui est agréable et ce qui ne l'est pas ; car les mêmes choses ne nous plaisent pas constamment. C'est encore par le cerveau que nous tombons dans le délire, dans la manie ; c'est par lui que nous viennent la crainte et les terreurs, aussi bien pendant le jour que pendant la nuit ; les rêves, les erreurs, les soucis, l'oubli des choses présentes, l'inertie et l'imprudence. Nous recevons ces fâcheuses influences du cerveau toutes les fois qu'il est malade, qu'il est plus chaud, plus froid, plus humide, plus sec qu'il ne l'est naturellement, ou qu'il est extraordinairement affecté. Nous délirons à cause de l'humidité du cerveau, et, comme il est plus mou, nécessairement il est agité ; or, l'agitation du cerveau fait que la vue et l'ouïe ne sont pas assurées. On voit, on entend une chose pour une autre ; et la langue articule toujours dans le sens des impressions de la vue et de l'ouïe ; toutes les fois que le cerveau demeure en repos, l'homme conserve la connaissance.

15. Des différences de folie suivant que c'est la bile ou le phlegme qui agit sur le cerveau.

16. D'après cela, je suis fondé à croire que le cerveau exerce dans l'homme le plus grand empire. Quand il est sain, il est pour nous l'interprète des changements qui surviennent dans l'air. L'air lui donne la faculté de sentir. Les yeux, les oreilles, la langue, les pieds et les mains exécutent tout ce que le cerveau a pensé ; et tant qu'il est en contact avec l'air, il communique la sensibilité au corps. Le cerveau est le messager de l'intelligence, car le pneuma, aussitôt que l'homme l'aspire, se rend d'abord au cerveau, d'où il se distribue dans tout le reste du corps, après avoir laissé dans l'encéphale ce qu'il y a de plus subtil, d'où naissent le sentiment et l'intelligence. En effet, s'il se répendait d'abord dans le corps pour se rendre ensuite au cerveau, il laisserait l'intelligence dans les chairs et dans les vaisseaux, et arriverait à l'encéphale échauffé, impur, chargé de la vapeur humide des sueurs et du sang, en sorte qu'il ne serait plus parfait.

17. Je soutiens donc que le cerveau est l'interprète de l'intelligence. Quant au centre phrénique (diaphragme, φρενες, de φρην esprit, sentiment) ; c'est par l'effet du hasard qu'il a reçu le nom de [phrénétique], et il l'a conservé bien plus par habitude que pour l'avoir mérité réellement [4] par nature et par essence ; car je ne sais en vérité quelle puissance de sentir ou de penser possède le centre phrénique, si ce n'est que quand on est frappé par quelque mouvement inopiné de joie ou de douleur, il reçoit une commotion et tressaille, à cause de son peu d'épaisseur, et parce qu'il est de toute les parties du corps la plus mince et le plus tendue ; il n'a pas de cavité pour y recevoir les impressions bonnes ou mauvaises, et il est également ébranlé par ces deux sortes d'impressions, à cause de la faiblesse de sa nature. Le centre phrénique n'est pas plus sensible que les autres parties du corps, et son nom est aussi vain que la raison qui le lui a fait donner. De même, pour le coeur, on a nommé oreillettes des parties qui n'ont aucune puissance acoustique. Il y a des gens qui prétendent que nous sentons par le coeur, et qu'il est le siège des chagrins. Mais il n'en est pas ainsi. Le coeur tressaille comme le diaphragme et même davantage, mais pour les causes suivantes : Des veines qui viennent de tout le le corps se rendent au coeur, et en les fermant il peur ressentir toute souffrance, toute tension qui survient dans l'homme ; car dans le chagrin comme dans la joie, le corps frissonne et se resserre. Le diaphragme et le coeur en sont le plus impressionnés ; mais le coeur et le diaphragme ne sont pour rien dans l'exercice de la sensibilité intelligente ; le cerveau en est seul chargé. Comme le cerveau est de toute les parties la première en contact avec l'air et le premier aboutissant de la sensation, de même, s'il se fait dans l'air un changement notable sous l'influence des saisons, le cerveau devient différent de lui-même. Aussi le cerveau sent le premier ; et je déclare que c'est lui qui est le siège des maladies les plus grandes, les plus mortelles et les plus difficiles à reconnaître pour ceux qui manquent d'expérience.

  Hippocrate conclut que cette maladie est naturelle comme toutes les autres, et qu'elle se guérit aussi comme les autres par les contraires.


[1] On remarquera dans Maladie des femmes, l'expression οι υπο ιερης νουσου επιληπτοι. Ainsi l'épilepsie ne signifie que la soudaineté des attaques, et le mot grec n'a pas été primitivement par lui-même un nom propre de la maladie.
[2] L'auteur établit de la manière suivante que l'épilepsie vient de l'air : Le sang est la source de l'intelligence, donc l'intelligence change en même temps que le sang se modifie ; or quand beaucoup d'air est mêlé au sang dans tout le corps, le sang s'arrête ici, se ralentit là, et ailleurs va plus vite. Ces irrégularités expliquent la singularité des phénomènes qui caractérisent l'épilepsie, et en particulier l'écume qui provient du mélange de l'air avec la partie la plus ténue du sang. Mais voici qui est encore plus étrange et qui prouve que notre auteur ne recule devant l'explication d'aucun fait : par l'exercice que lui donnent les souffrances le corps s'échauffe, et avec lui le sang et l'air ; l'air échauffé se dissout (se dilate) et met fin de cette façon à la coagulation du sang ; il s'échappe en partie avec la respiration, en partie avec le phlegme ; la tempête s'apaise, tout rentre dans l'ordre, et l'accès est passé ! – L'auteur du IIe livre des Prorrhétiques étudie les chances de salut ou de mort suivant les âges, suivant le point du corps où l'accès prend naissance, suivant les constitutions, enfin suivant la nature des accidents essentiels à la maladie ou des épiphénomènes.
[3] On remarquera ces premiers essais d'anatomie pathologique faits sur des animaux, comme il était naturel à une époque où on ne disséquait pas de corps humains. L'auteur cnidien du traité Des affections internes (§ 23, t. VII, p. 224) a aussi étudié les hydatides du poumon chez le boeuf, le chien et le porc.
[4] Αι δε φρενες αλλως ουνομα εχουσι τη τυχη κεκτημενον και τω νομω δε εοντι ουχ συδε τη φυσει. Ce passage me semble avoir une analogie frappante avec un autre passage du traité De l'Art (§ 2, fine).