HIPPOCRATE

DE  LA  MALADIE  SACREE


traduction du grec
Emile LITTRE
1861


1. (La maladie sacrée ou épilepsie n'est pas plus sacrée que les autres maladies. Vigoureuse critique des théories qui rattachent cette affection à une intervention surnaturelle, et des pratiques magiques et superstitieuses par lesquelles des charlatans prétendent la guérir.) Voici ce qu'il en est de la maladie dite sacrée : elle ne me paraît avoir rien de plus divin ni de plus sacré que les autres, mais la nature et la source en sont les mêmes que pour les autres maladies. Sans doute c'est grâce à l'inexpérience et au merveilleux qu'on en a regardé la nature et la cause comme quelque chose de divin ; en effet elle ne ressemble en rien aux autres affections. Mais si l'impuissance où l'on est de s'en faire une idée qui lui conserve un caractère divin, d'autre part ce caractère lui est enlevé par la facilité d'employer le traitement que les gens mettent en oeuvre, traitement qui consiste en purifications et en incantations. Veut-on la supposer divine à cause du merveilleux qu'elle présente ? mais alors il y aura beaucoup de maladies sacrées et non une seule ; car je montrerai que d'autres maladies, que personne ne considère comme sacrées, ne sont ni moins merveilleuses ni moins effrayantes. En effet, d'un côté, les fièvres quotidiennes, tierces et quartes ne me paraissent aucunement moins sacrées ni moins dûes à la divinité que cette maladie, et cependant personne ne s'en émerveille ; d'un autre côté, je vois des hommes saisis de transport et de délire sans aucune cause manifeste faire une foule d'actes insensés ; j'en vois beaucoup qui dans le sommeil poussent des gémissement et des cris, qui sont suffoqués, qui s'élancent, fuient au dehors et délirent jusqu'à ce qu'ils soient réveillés ; puis les voilà sains et raisonnables comme auparavant, restant néanmoins pâles et faibles, et cela, non pas une fois, mais plusieurs. Je pourrais citer encore des cas de genre nombreux et variés ; mais ce serait trop allonger le discours que d'entrer, pour chacun, dans le détail. Ceux qui, les premiers, ont sanctifié cette maladie, furent à mon avis ce que sont aujourd'hui les mages, les expiateurs, les charlatans, les imposteurs, tous gens qui prennent des semblants de piété et de science supérieure. Jetant donc la divinité comme un manteau et un prétexte qui abritassent leur impuissance à procurer chose qui fut utile, ces gens, afin que que leur ignorance ne devînt pas manifeste, prétendirent que cette maladie était sacrée. A l'aide de raisonnements appropriés, ils arrangèrent un traitement où tout était sûr pour eux, prescrivant des expiations et des incantations, défendant les bains et divers aliments peu convenables à des malades : en fait de poissons de mer, le mulet, le mélanurus, le muge, l'anguille (ces poissons sont en effet ceux qui incommodent le plus) ; en fait de viandes, celle de chèvre, de cerf, de cochon de lait, de chien (ces viandes sont en effet celles qui dérangent le plus le ventre) ; en fait d'oiseaux, le coq, la touterelle, l'outarde, et, en général, tous les oiseaux dont la viande passe pour être très-substantielles ; en fait de légumes verts, la menthe, l'ail, l'oignon (en effet ce qui est âcre ne convient pas àun malade) ; voulant qu'on ne porte pas un vêtement noir (le noir est mortel), qu'on ne couche pas sur une peau de chèvre et qu'on n'en porte pas, qu'on ne mette pas un pied sur l'autre, une main sur l'autre (tout cela forme autant d'empêchements). Ces observances, ils les imposent en vue du caractère divin du mal, se donnant l'air d'en savoir plus que les autres et alléguant diverses causes, afin que, si le malade guérit, la gloire en revienne à leur habileté, et que, s'il meurt, ils aient des apologies toutes prêtes, et puissent détourner d'eux la responsabilité du malheur et la jeter sur les dieux ; car ni les aliments qu'ils aient donnés à manger, ni médicaments qu'ils aient faire boire, ni bains où ils aient cuit les patients, n'en peuvent être accusés. Pour moi je pense que, parmi les Libyens habitant à l'intérieur des terres, nul ne se porte bien, vu qu'ils couchent sur des peaux de chèvres et se nourissent de viandes de chèvre, n'ayant ni couchette, ni couverture, ni chaussure qui ne vienne de cet animal. En effet leur bétail consiste uniquement en chèvres et en boeufs. Si employer ces choses et s'en nourrir engendre et accroit la maladie, et n'en pas manger la guérit, la divinité n'y est pour rien, les expiations sont complètement inutiles ; ce sont les aliments qui guérissent et qui nuisent, la puissance divine disparaît. Donc, à mon avis, ceux qui entreprennent la cure de telles maladies par de tels moyens ne considèrent ces affections ni comme sacrées ni comme divines. Car lorsque des maladies se déplacent par l'influence des expiations et d'un traitement de cette sorte, qui empêche que par d'autres pratiques analogues on ne les appelle et fasse tomber sur les hommes ? A ce point, la cause n'est plus divine et elle est tout humaine. Celui qui, par des purifications et de la magie, a le pouvoir de chasser une telle affection, celui-là est en état, par des procédés différents, de la provoquer ; et une telle argumentation supprime, sans plus, l'intervention divine. Avec ces discours et ces artifices ils se donnent pour posséder un savoir supérieur, et trompent le monde en prescrivant des expiations et des purifications ; car ils ne parlent guère que de l'influence des dieux et des démons. Dans leur opinion de tels discours vont à la piété ; mais, dans la mienne, ils vont bien plutôt à l'impiété, et nient l'existence des dieux ; ce qui, d'après ces gens, est religieux et divin, est, comme je vais le faire voir, irréligieux et impie. En effet ils prétendent savoir les moyens de faire descendre la lune, d'éclipser le soleil, de provoquer l'orage et le beau temps, la pluie et la sécheresse, de rendre la terre et la mer infécondes, et tant d'autres merveilles. Quelle que soit la cause, soit rites, soit toute autre connaissance ou pratique, dont les gens de ce métier disent tenir leur pouvoir, ils ne m'en paraissent pas moins être dans l'impiété et ne pas croire qu'il y ait des dieux, ou, le croyant, penser que ces dieux sont sans force et dans l'impuissance d'empêcher aucune de ces merveilles suprêmes qu'ils promettent. Or, exécutant de pareilles merveilles, comment ne seraient-ils pas redoutables aux dieux mêmes ? Si un homme, par des arts magiques et des sacrifices, fait descendre la lune, éclipse le soleil, provoque le calme ou l'orage, je ne vois là rien qui soit divin ; bien au contraire, tout est humain, car la puissance divine est surmontée et asservie par l'intelligence d'un homme. Sans doute il n'en est pas ainsi ; mais des gens pressés par le besoin s'ingénient de mille manières et ont les imaginations les plus diverses pour la maladie dont il s'agit comme pour tout le reste, attribuant, pour chaque forme de l'affection, la cause à un dieu. Car ils rappellent ces idées non pas une fois mais cent : si le malade imite le bêlement de la chèvre, s'il grince des dents, s'il a des convulsions du côté droit, ils disent que la Mère des dieux est la cause du mal. Pousse-t-il des cris plus aigus et plus forts ? ils le comparent à un cheval et accusent Neptune. Si quelque peu d'excrément est rendu (ce qui arrive souvent par les efforts que fait faire la maladie), le surnom est la déesse Enodie. Si ces excréments sont plus ténus et plus fréquents comme chez les oiseaux, le surnom est Apollon Nomius. Avec l'écume à la bouche et des battements de pieds, c'est Mars qui est inculpé. Quand, la nuit, surviennent des peurs, des terreurs, des délires, des sauts hors du lit, des visions effrayantes, des fuites hors de la maison, ce sont, disent-ils, des assauts d'Hécate, des irruptions des Héros. Alors ils emploient les purifications et les incantations, faisant, à mon sens, de la divinité ce qu'il y a de moins saint et de moins divin ; car ils purifient les personnes atteintes de la maladie avec du sang et autres choses de ce genre, comme si c'étaient gens ayant quelque souillure, des scélérats, des individus frappés d'un charme, ou ayant commis quelque action sacrilège. Loin de là, il faudrait employer des pratiques contraires, sacrifier, prier, et, allant dans les temples, implorer les dieux ; mais ils n'ont recours à rien de tout cela, et n'emploient que les purifications. Quant aux objets purifiants, ils les cachent dans la terre, ils les jettent dans la mer, ils les transportent dans les montagnes, là où personne n'y touchera, ni ne marchera dessus. Mais il faudrait porter ces objets dans les temples et en faire offrande à la divinité, si tant est que la divinité soit en cause. Pour moi, je pense que le corps de l'homme n'est pas souillé par la divinité, ce qu'il y a de plus frêle par ce qu'il y a de plus pur. Mais s'il arrive que ce corps reçoive, d'autre part, souillure ou souffrance, il sera sans doute nettoyé et purifié par le dieu loin d'être souillé. C'est donc la divinité qui nettoie et purifie les plus grandes et les plus impies de nos fautes, c'est elle qui nous lave ; nous-mêmes nous traçons autour des temples des dieux et de leurs enceintes des limites que personne ne doit franchir s'il n'est en état de pureté ; et, les franchissant, nous faisons des ablutions, non pas comme recevant quelque souillure, mais comme nous purifiant de toute tache si nous en apportons quelqu'une. Voilà quelle est mon opinion sur les expiations.

2. (La cause de l'épilepsie est naturelle comme celle de toutes les autres maladies.) Quant à la maladie dont il s'agit ici, elle ne me paraît pas plus divine que le reste, mais elle a la nature qu'ont les autres maladies, et la cause dont chacune dérive. Cela (la nature et la cause) est le divin d'où provient tout le reste. Elle est curable, et elle ne l'est pas moins que les autres affections, pourvu qu'un long temps ne l'ait point enracinée de manière à la rendre plus forte que les remèdes administrés. Elle naît, comme les autres maladies, par hérédité ; si, en effet, d'un phlegmatique naît un phlegmatique, d'un bilieux un bilieux, d'un phthisique un phthisique, d'un individu à rate malade un individu à rate malade, où est l'obstacle que la maladie dont le père ou la mère a été affecté n'affecte aussi quelqu'un des enfants ? car le sperme, venant de toutes les parties du corps, vient sain des parties saines, malade des parties malades (Des Airs, des Eaux et des Lieux, § 14, t. II, p. 60). Une autre grande preuve que cette affection n'est en rien plus divine que le reste, c'est qu'elle survient naturellement chez les phlegmatiques et n'attaque pas les bilieux ; cependant, si elle était plus divine que les autres, il faudrait qu'elle attaquât indistinctement tous les tempéraments et qu'elle ne fît acception ni de bilieux ni de phlegmatiques.

3. (Le cerveau est l'origine de l'épilepsie comme de toutes les autres très-grandes maladies. Description des veines, dont deux grosses sont supposées partir du foie et de la rate, et se rendre au cerveau.) La vérité est que le cerveau est l'origine de cette affection comme de toutes les autres très-grandes maladies ; de quelle façon et par quelle cause ? je vais l'expliquer clairement. Le cerveau est double chez l'homme comme chez tous les autres animaux ; le milieu en est cloisonné par une membrane mince. Aussi la souffrance ne se fait-elle pas toujours sentir dans le même point de la tête, mais elle est tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, et quelquefois aussi partout. Des veines y arrivent de tout le corps, nombreuses et menues, mais deux grosses, l'une du foie, l'autre de la rate. Celle du foie se comporte ainsi : une certaine partie de la veine descend à droite le long du rein et des lombes jusqu'au dedans de la cuisse et arrive au pied, on la nomme veine cave ; l'autre portion marche en haut à travers le diaphragme droit et le pôumon, elle donne une branche au coeur et au bras droit, le reste monte par la clavicule à la droite du cou sous la peau même, où elle est visible. Près de l'oreille elle se cache et là se divise : la portion la plus grosse, la plus grande et la plus creuse se termine dans le cerveau ; l'autre portion se rend d'une part dans l'oreille droite (et ce n'est qu'une veine menue), d'autre part dans l'oeil droit, d'autre part enfin dans la narine. Telle est la disposition des veines provenant du foie. Quant à celle de la rate, elle se distribue à gauche en bas et en haut comme celle du foie ; elle est plus menue et plus faible.

4. (Les veines attirent l'air, et l'air est l'entretien de la sensibilité ; comparez Des Vents, § 14.) Par ces veines nous attirons la plus grande partie de l'air ; car ce sont pour nous des soupiraux du corps qui aspirent l'air. Elles le distribuent partout à l'aide des petites veines : puis elles l'exhalent, ayant ainsi procuré le rafraichissement. Car le souffle ne peut rester en place, mais il va en haut et en bas ; en effet, s'il s'arrête en quelque point et y est intercepté, la partie où il s'arrête devient incapable de se mouvoir. En voici la preuve : quand, assis ou couché, des veines sont tellement comprimées que l'air ne puisse y passer, il survient aussitôt un engourdissement. Telle est la condition des veines et du reste.

5. (Théorie de la purgation du cerveau, soit dans l'utérus, soit après la naissance, à l'effet d'expliquer la santé ou la maladie des enfants.) La maladie dont il s'agit attaque les phlegmatiques et non les bilieux ; le germe en commence chez l'embryon encore enfermé dans l'utérus. En effet, le cerveau, comme les autres parties avant la naissance, se purge et a une efflorescence. Par cette purgation, si elle s'opère bien et dans une juste mesure, et qu'il ne s'écoule rien de trop ni rien de trop peu, l'individu aura la tête la plus saine. Mais si l'écoulement de tout le cerveau est trop abondant et qu'il y ait une fonte considérable, il aura, grandissant, la tête malsaine, pleine de bruit, et ne pourra supporter ni le soleil, ni le froid. Si l'écoulement provient d'une seule partie, de l'oeil par exemple, ou de l'oreille, ou si quelque veine s'est contractée, cette partie est lésée en proportion de la fonte qui a eu lieu. Enfin si la purgation ne s'est pas opérée, et qu'il y ait eu concentration dans le cerveau, le sujet sera nécessairement pituiteux. Ceux qui, dans leur enfance, ont des éruptions à la tête, aux oreilles et au reste du corps, et sont affectés d'écoulements salivaire et nasal, ceux-là se portent le mieux à mesure qu'ils avancent en âge ; car de cette façon se décharge et se purge le phlegme dont l'économie aurait dû se débarasser dans l'utérus. Ainsi purifiés, ils ne sont guère exposés à cette affection ; mais ceux dont le corps est net et qui n'ont ni ulcération, ni flux muqueux, ni flux salivaire, sans avoir, dans la matrice, passé par la purification préalable, sont dans le danger d'être ainsi affectés.

6. (Points où se porte la fluxion venant du cerveau. Comparez Des Lieux dans l'homme, §§ 10 et suiv.) Si le flux prend sa marche vers le coeur, il survient des palpitations, de la dyspnée, la poitrine s'altère, quelques-uns même deviennent bossus. En effet la pituite froide, descendant sur le poumon ou sur le coeur, refroidit le sang ; les veines, saisies violemment par ce refroidissement, battent contre le poumon et le coeur, le coeur palpite et il en résulte nécessairement la gêne de la respiration et l'orthopnée, car le patient ne reçoit pas le souffle autant qu'il le veut, tant que le phlegme affluant n'a pas été surmonté, échauffé et dispersé dans les veines. Alors cessent les palpitations et la dyspnée, et elles cessent dans la mesure de la quantité du flux, c'est-à-dire plus lentement si le flux est plus considérable, plus vite s'il est moindre. De la même façon, des flux qui se répètent fréquemment produisent des accès fréquents ; éloignés, des accès éloignés.

7. (Production de l'épilepsie. Explication des accidents.) Le flux est-il au contraire coupé de ces voies, et pénètre-t-il dans les veines que j'ai indiquées plus haut ? le sujet perd la voix et étouffe, l'écume lui sort de la bouche, il grince des dents, les mains se tordent, les yeux divergent, toute connaissance est perdue, quelquefois même il y a sortie des excréments. De tels accidents se manifestent tantôt à gauche, tantôt à droite, tantôt des deux côtés. Je vais expliquer comment chacun de ces accidents survient. Le sujet perd la voix parce que le phlegme, descendant tout à coup dans les veines, intercepte l'air, qui n'est plus reçu ni dans le cerveau, ni dans les veines caves, ni dans les cavités, la respiration étant interceptée. En effet, quand on aspire le souffle par la bouche et les narines, ce souffle va d'abord au cerveau ; puis la plus grande partie va dans le ventre, et le reste dans le poumon et dans les veines ; de là il se répand, par les veines, dans les autres parties. La portion qui va dans le ventre raffraîchit le ventre et n'a pas d'autre usage. Mais l'air qui va dans le poumon et dans les veines, s'introduisant dans les cavités et dans le cerveau, concourt et produit ainsi l'intelligence, et, dans les membres, le mouvement. De la sorte, quand par le phlegme l'air est exclu des veines, qui ne le reçoivent plus, le patient perd la voix et la connaissance. Les mains deviennent impuissantes et se tordent, vu que le sang demeure immobile et ne se répand pas comme à son ordinaire. Les yeux divergent parce que les veines ne reçoivent plus l'air et battent. L'écume qui sort de la bouche provient du poumon ; car, l'air n'y pénétrant pas, cet organe jette de l'écume et bouillonne comme si la mort approchait. Les excréments sortent par la force de la suffocation, suffocation qui est le résultat de la pression du foie et du ventre en haut contre le diaphragme et du resserrement du conduit (oesophage) de l'estomac. Cette pression survient quand le souffle n'entre pas dans la bouche comme à l'ordinaire. Le malade frappe des pieds parce que l'air est intercepté dans les membres et ne peut s'en dégager à cause du phlegme. L'air, s'agitant en haut et en bas dans le sang, cause spasme et douleur ; de là les coups de pieds. Tous ces accidents s'offrent à la fois quand le phlegme froid coule dans le sang, qui est chaud ; il le refroidit et l'arrête. Si le flux est abondant et épais, la mort est immédiate, car il triomphe du sang par le froid et le coagule ; s'il est moindre, dans le moment il a le dessus, interceptant la respiration ; puis, au bout de quelque temps, s'étant répandu dans les veines et mêlé au sang, qui est abondant et chaud, il a le dessous, les veines admettent l'air et la connaissance revient.

8. (Chez les enfants très-petits les accidents sus-énumérés causent la mort, ou, s'ils sont moindres, laissent des traces, paralysie, faiblesse, contractures.) Les enfants tout petits qui sont pris de cette affection, succombent pour la plupart, si la fluxion est considérable et que le vent souffle du midi. Les veines étant menues ne peuvent recevoir une pituite épaisse et abondante, le sang se refroidit et se coagule, et la mort survient. Mais si la fluxion, étant petite, se porte dans les deux veines ou dans celle d'un côté, le sujet survit, mais en conservant des marques de la maladie ; ou la bouche est déviée, ou bien un oeil, ou le cou, ou une main, suivant la veine qui, remplie par la pituite, a été surmontée et amoindrie. Nécessairement donc, en raison de cette veine, la partie du corps qui est lésée se trouve plus incomplète et plus faible ; mais c'est un mal qui à la longue a de l'utilité, le sujet n'est plus exposé à l'épilepsie, une fois passée cette expulsion du mal. En voici la raison : sous cette influence morbide les autres veines s'altèrent et se contractent dans une certaine proportion, de manière que, tout en recevant encore l'air, elles cessent de recevoir avec la même facilité le flux de pituite. Mais il est évident que, les veines ayant ainsi souffert, les membres doivent devenir plus faibles. Si au contraire il se fait une fluxion très-peu considérable pendant le vent du nord et du coté droit, le patient réchappe sans en conserver de marque ; mais il est à craindre que le mal ne se nourisse et ne s'en accroisse avec le sujet si on ne le combat par des remèdes appropriés. C'est de cette façon ou d'une façon très-analogue que les choses se passent chez les enfants.

9. (L'épilepsie est moins grave chez les adultes ; elle reprend de la gravité chez les vieillards.) Mais à un âge plus avancé, l'épilepsie, quand elle survient, ne cause ni la mort ni des distorsions ; en effet, les veines sont amples et pleines d'un sang chaud. La pituite ne peut ni l'emporter ni refroidir le sang de manière à le coaguler ; au contraire elle est promptement vaincue et se mêle au sang. De la sorte, les veines reçoivent l'air, l'intelligence ne se perd pas, et les signes indiqués plus haut se manifestent avec moins de force à cause de la vigueur du sujet. A un âgetout à fait avancé, l'épilepsie, si elle survient, cause la mort ou la paralysie, parce que les veines sont vides et que le sang est en petite quantité, ténu et aqueux. Si donc la fluxion se fait avec abondance et pendant l(hiver, elle tue ; car elle obstrue les issues et congèle le sang, si elle s'opère des deux côtés ; elle paralyse si elle ne s'opère que d'un côté. En effet, le sang, étant ténu, froid et peu abondant, ne peut vaincre la pituite, mais, vaincu lui-même, il se congèle, et les parties où le sang a subi cette altération deviennent impuissantes.

10. (Prédispositions à l'épilepsie et causes de cette affection.) La fluxion se fait plus souvent à droite qu'à gauche, parce que les veines sont, à droite, plus amples et plus nombreuses ; en efet les veines viennent du foie et de la rate. La fluxion et la fonte d'humeur surviennent chez les enfants surtout, quand ils ont eu la tête échauffée par le soleil ou par le feu et qu'un froid subit a saisi le cerveau. Alors en effet la pituite se sépare. Elle se fond par la chaleur et la dilatation du cerveau, elle se sépare par le refroidissement et la contraction ; et c'est ainsi que s'opère la fluxion. Chez les uns telle est la cause déterminante ; chez d'autres, c'est quand le vent du midi, succédant subitement à des vents du nord, détend et relâche subitement le cerveau resserré et vigoureux, de sorte que la pituite abonde et que la fluxion s'opère. Une cause non apparente peut encore la produire, par exemple une crainte, si l'enfant a peur de quelqu'un qui crie, ou encore l'impossibilité de reprendre promptement haleine dans l'intervalle de cris et de pleurs, ce qui arrive souvent à cet âge. Sous l'influence d'une quelconque de ces causes, le corps est saisi d'un froid soudain, le sujet, perdant la voix, ne respire plus ; dès lors le souffle demeure en repos, le cerveau se resserre, le sang s'arrête, et ainsi la pituite se sépare et s'écoule. Ce sont là chez les enfants les causes déterminantes de l'épilepsie au commencement. Chez les personnes âgées l'hiver est la saison la plus défavorable ; en effet, quand ces personnes, s'étant échauffé la tête et le cerveau près d'un grand feu, viennent à l'air libre et sont saisies du froid, ou réciproquement si elles passent du froid à un lieu couvert et se mettent auprès du feu, elles éprouvent les mêmes accidents et deviennent épileptiques comme il a été dit plus haut. Le danger est grand encore de contracter cette maladie pendant le printemps, si la tête est frappée par le soleil. C'est en été que le risque est le moindre, vu qu'alors il n'y a point de brusque changement. Passé vingt ans on n'est guère attaqué de cette maladie, à moins que le germe n'en date de l'enfance ; et elle ne survient que chez peu ou point de sujets ; alors les veines sont pleines de sang, le cerveau est consistant et compact, de sorte qu'il ne se fait point de fluxion dans les veines ; ou, s'il en fait, la fluxion ne triomphe pas du sang, qui est abondant et chaud.

11. (L'épilepsie est dûe à une accumulation de liquide dans la tête ; c'est ce que prouve l'ouverture du crâne des chèvres épileptiques. Argument tiré de ce fait contre ceux qui disent que cette maladie est de nature divine.) Mais celui chez qui le germe date de l'enfance et a grandi, prend l'habitude d'éprouver ces acidents aux changements de vents. C'est alors la plupart du temps que les accidents le prennent, surtout quand souffle le vent du midi. Et la guérison est difficile ; car le cerveau est devenu plus humide que dans l'état naturel, et le phlegme y abonde. De la sorte, d'une part les fluxions sont plus fréquentes ; de l'autre le phlegme ne peut plus être évacué ; et le cerveau, incapable de se dessécher, demeure tout pénétré d'humidité. Vous vous en apercevrez très-bien chez les animaux affectés de cette maladie, et particulièrement chez les chèvres, qui y sont le plus exposées : ouvrez la tête, et vous trouverez le cerveau humide, rempli d'eau d'hydropisie et sentant très mauvais ; et là vous reconnaîtrez évidemment que c'est, non pas la divinité, mais la maladie qui altère ainsi le corps. Il en est de même pour l'homme aussi ; en effet, quand l'épilepsie a duré longtemps, elle n'est plus curable, le cerveau est rongé par la pituite, et il se fond ; la portion ainsi fondue devient de l'eau qui entoure en dehors le cerveau et le baigne, ce qui rend les accès plus fréquents et plus faciles. D'autre part, la maladie dure longtemps, parce que le liquide affluent, étant ténu à cause de son abondance, est aussitôt vaincu par le sang et echauffé.

12. (Les malades pressentent les accès et se cachent ; mais ce n'est pas par crainte de la divinité ; témoin les enfants.) Les patients qui sont déjà habitués à la maladie pressentent quand ils vont avoir un accès ; ils fuient loin des regards, chez eux, si leur logis est proche ; sinon, dans le lieu le plus solitaire, là où leur chute aura le moins de témoins, et aussitôt ils se cachent. Ils agissent ainsi par honte de leur maladie, et non, comme plusieurs le croient, par crainte de la divinité qui les obsède. Voyez en effet les enfants : d'abord ils tombent là où ils se trouvent, à cause qu'ils ne sont pas habitués ; puis, quand ils ont eu plusieurs accès, ils pressentent l'attaque et s'enfuient près de leur mère ou de la personne qu'ils connaissent le plus, et cela par la terreur du mal qui les menace ; car, à des enfants, la honte est encore étrangère.

13. (Influence des vents sur l'épilepsie.) C'est dans les changements de vents que l'épilepsie se produit. Au premier rang sont les vents du midi, puis viennent les vents du nord, ensuite les autres vents. En effet les vents du midi et du nord sont les plus forts et les plus opposés pour la lutte et la puissance. Voici, suivant moi, la raison de cette influence : le vent du nord contracte l'air, en dissipe la partie brumeuse et nuageuse, et le rend clair et transparent ; il exerce une même action purifiante sur tout ce qui s'élève de la mer et des eaux ; en effet, de tout, même du corps de l'homme, il sépare ce qui est humide et trouble, aussi est-il le plus salubre des vents. Celui du midi a des effets contraires ; d'abord il commence par fondre et raréfier l'air condensé, ne soufflant pas tout aussitôt avec force, mais, au début, apportant la tranquilité, vu qu'il ne peut au premier moment triompher de l'air devenu antérieurement dense et resserré. Cependant peu à peu il le dissout ; il exerce la même influence sur la terre, sur la mer, sur les fleuves, sur les fontaines, sur les puits, sur tout ce que le sol engendre, sur tout ce qui renferme de l'humidité ; or, tout en renferme, ici plus, là moins. Tout donc se sent de ce souffle et devient terne de brillant, chaud de froid, humide de sec. Les vases de terre pleins de vin ou de quelque autre liquide qui sont dans les maisons ou sous terre éprouvent l'action du vent du midi et sont modifiés dans leur forme. Enfin le soleil, la lune et les astres perdent beaucoup de leur éclat. Puis donc que des choses si grandes et si puissantes en éprouvent une telle influence, et que le corps se ressent des changements de ces vents et en est modifié, il résulte nécessairement que les vents du midi relâchent le cerveau, le remplissent d'humidité et élargissent les veines, et que les vents du nord réunissent la partie la plus saine du cerveau et séparent la partie la plus malsaine et la plus humide, de sorte que l'humeur le baigne au dehors et que les fluxions se produisent lors des changements de ces vents. Ainsi cette maladie naît et s'accroît et par ce qui entre dans le corps et par ce qui en sort, elle n'est pas plus embarassante que les autres, soit à traiter soit à connaître, et n'a rien de plus divin.

14. (L'intelligence, le moral et la folie dépendent du cerveau.) Il faut savoir que, d'une part, les plaisirs, les joies, les ris et les jeux, d'autre part, les chagrins, les peines, les mécontentements et les plaintes ne nous proviennent que de là (le cerveau). C'est par là surtout que nous pensons, comprenons, voyons, entendons, que nous connaissons le laid et le beau, le mal et le bien, l'agréable et le désagréable, soit que nous distinguions ces choses par les conventions d'usage, soit que nous les reconnaissions par l'utilité qu'elles nous procurent, ressentant, dans cette utilité même, le plaisir et le déplaisir, suivant les opportunités, les mêmes objets ne nous plaisant pas. C'est encore par là que nous sommes fous, que nous délirons, que des craintes et des terreurs nous assiègent, soit la nuit, soit après la venue du jour, des songes, des erreurs inopportunes, des soucis sans motifs, l'ignorance du présent, l'inhabitude, l'inexpérience. Tout cela, nous l'éprouvons par le cerveau quand il n'est pas sain, c'est-à-dire quand il est trop chaud, ou trop froid, ou trop humide, ou trop sec, ou quand il a éprouvé quelque autre lésion contre nature à laquelle il n'est pas habitué. La folie provient de son humidité ; en effet, devenu trop humide, il se meut nécessairement ; se mouvant, ni la vue, ni l'ouïe ne sont sûres, le patient voit et entend une chose tantôt une autre ; la langue exprime ce qu'il voit et entend. Mais, tout le temps que le cerveau est dans le repos, l'homme a sa connaissance.

15. (Effets différents de la bile et de la pituite sur le cerveau.) L'altération du cerveau se fait par la pituite ou par la bile. Voici les signes distinctifs : les fous par l'effet de la pituite sont paisibles et ne crient ni ne s'agitent, les fous par l'effet de la bile sont criards, malfaisants, toujours en mouvement, toujours occupés à faire quelque mal. Telles sont les causes qui font que la folie est continue. Si le patient est en proie à des craintes et à des terreurs, cela provient du changement qu'éprouve le cerveau ; or, le cerveau change quand il s'échauffe, et il s'échauffe grâce à la bile qui s'y précipite du reste du corps par les veines sanguines ; alors la crainte assiège le patient jusqu'à ce que la bile rentre dans les veines et dans le corps ; c'est à ce moment que le calme revient. D'autre part, le patient est livré à des tristesses et à des angoisses sans motif quand le cerveau se refroidit et se contracte contre son habitude ; c'est là un effet de la pituite. Cette affection produit encore la perte de la mémoire. Ce sont au contraire des cris et des clameurs que le patient pousse la nuit si le cerveau s'échauffe subitement. Cet échauffement survient chez les bilieux et non chez les phlegmatiques, et il survient quand le sang afflue en abondance au cerveau et y bouillonne ; le sang y arrive en abondance par les veines susdites quand le patient se trouve avoir un songe effrayant qui le frappe de terreur. De même donc que, dans l'état de veille, le visage s'enflamme et les yeux rougissent surtout quand l'individu a de la crainte et que l'esprit médite quelque action violente, de même ces phénomènes se manifestent dans le sommeil ; mais cet état cesse quand le réveil ramène la connaissance et que le sang se dissipe de nouveau dans les veines susdites.

16. (C'est l'air qui donne l'intelligence au cerveau.) Pour ces raisons je regarde le cerveau comme l'organe ayant le plus de puissance dans l'homme, car il nous est, quand il se trouve sain, l'interprète des effets que l'air produit ; or, l'air lui donne l'intelligence. Les yeux, les oreilles, la langue, les mains, les pieds agissent suivant que le cerveau a de la connaissance, en effet tout le corps participe à l'intelligence dans la proportion qu'il participe à l'air ; ou, pour l'intelligence le cerveau est le messager. Quand l'homme attire en lui le souffle, ce souffle arrive d'abord au cerveau, et c'est de cette façon que l'air se disperse dans le reste du corps, laissant dans le cerveau sa partie la plus active, celle qui est intelligente et connaissante. Si en effet l'air se rendait d'abord dans le corps, pour se rendre de là au cerveau, il laisserait l'intelligence dans les chairs et dans les veines, il arriverait échauffé au cerveau, et il y arriverait non pur mais mêlé avec l'humeur provenant des chairs et du sang, de sorte qu'il n'aurait plus ses qualités parfaites.

17. (Le cerveau est l'interprète de l'intelligence, à laquelle le diaphragme et le coeur sont étrangers. Réfutation de ceux qui placent l'intelligence dans le coeur). Je dis donc que le cerveau est l'interprète de l'intelligence. Mais le phren (diaphragme) a un nom (de fronew, penser) qu'il doit au hasard et à l'usage, mais non à la réalité et à la nature. Je ne vois pas en effet quelle influence il a pour la pensée et l'intelligence. A la vérité, quand on éprouve à l'improviste un excès de joie ou de chagrin, il tressaille et cause des soubresauts ;mais cela tient à son peu d'épaisseur et à ce que dans le corps il est le plus étendu en largeur. Il n'a point de cavité où il puisse recevoir lebien ou le mal qui survient ; mais il est troublé par l'une et l'autre de ces passions à cause de la faiblesse de sa nature. Il ne ressent rien avant les autres parties du corps, et c'est en vain qu'il a un tel nom et une telle attribution, comme cet appendice du coeur qu'on appelle oreille et qui ne contribue en rien à l'ouïe. Quelques-uns disent que nous pensons par le coeur, et que cet organe est ce qui éprouve le chagrin et les soucis ; il n'en est rien. Le coeur se contracte comme le diaphragme et davantage encore pour ces causes-ci : des veines se rendent de tout le corps au coeur, et il les ferme, de sorte qu'ils se ressent de tout travail, de toute tension qui arrive à l'individu. En effet, nécessairement, dans l'état de chagrin, le corps a le frisson et se contracte ; il en est de même dans l'excès de la joie. De tout cela le coeur et le diaphragme se ressentent le plus. Toutefois ni l'un ni l'autre n'a part à l'intelligence ; c'est le cerveau qui est la cause de tout ce que j'ai indiqué. Donc, de même que, avant toute autre partie du corps, il reçoit l'impression de l'intelligence qui provient de l'air, de même, s'il arrive quelque changement notable dans l'air par l'effet des saisons et que l'air devienne différent de lui-même, le cerveau le premier en reçoit l'impression. Aussi je maintiens que le cerveau est exposé aux maladies les plus aigües, les plus considérables, les plus dangereuses et de la crise la plus difficile pour les médecins inexpérimentés.

18. (Conclusion.) Quant à cette maladie dite sacrée, elle naît des mêmes influences que les autres, c'est-à-dire de ce qui arrive et de ce qui s'en va, de la froidure, du soleil, des vents qui changent sans cesse et ne sont jamais en repos. Ces choses-là sont divines, de sorte que cette maladie n'a aucun caractère qui la fasse regarder comme plus divine ; mais toutes sont divines et toutes sont humaines. Chaque maladie a, par elle-même, sa nature et sa puissance, et aucune n'est inaccessible et réfractaire. La plupart sont curables par les mêmes influences qui les produisent ; car ce qui est aliment pour une chose est destruction pour une autre. Donc c'est une connaissance que le médecin doit avoir, afin que, discernant l'opportunité de chaque cas, il donne l'aliment à ceci qui en sera augmenté et le retranche à cela qui, par ce retranchement, sera diminué. Il faut, dans cette maladie comme dans toutes les autres, ne pas accroître le mal, mais se hâter de l'abattre en administrant ce qui lui est le plus contraire, et non ce qui lui est favorable et habituel. En effet le mal prospère et s'accroît par ce qui lui est habituel, mais se consume et se détruit par ce qui lui est contraire. Quiconque sait produire chez l'homme un tel changement et peut, par le régime, rendre le corps du sujet et humide, et sec, et chaud, et froid, est capable aussi de guérir cette maladie, à la condition de distinguer l'opportunité des moyens utiles, sans les purifications, les artifices magiques et tout ce charlatanisme.



FIN DU LIVRE DE LA MALADIE SACREE