TRAICTE DE L'EPILEPSIE,
Maladie vulgairement appellée au pays de Prouence, la gouttete aux petits enfans.

Compofé par M. Iean Taxil, Docteur en Medecine, natif des Sainctes Maries, Medecin d'Arles.

A Lyon, M. DCII.


LIVRE I, Chapitre 12

Que les teftes & chairs de certains animaux peuuent caufer l'Epilepfie, & qu'il faut fe garder d'en manger.

Bien qu'il foit tres-veritable que le peuple s'abufe en beaucoup de poincts touchãt la medecine, comme il eft amplement demonftré par Mõfieur Ioubert en fes erreurs populaires, fi eft-ce toutesfois qu'il n'en faut pas cõdamner leurs couftumes temerairement, & à la volée com- | me font plufieurs, ains fi faut arrefter, & examiner le tout de pres, croyant qu'il y a toufiours caufe pourquoy ils font ainfi les chofes par couftume. Entre autres chofes qui concernent noftre matiere, ie m'arrefte fur ce que les affligés de cefte maladie Epileptique voyre mefme d'autres affections cephaliques s'abftiennẽt en plufieurs lieux de France de manger d'aucunes teftes, & toutesfois (ce que i'admire) entre tant de grands perfonnages, qui ont traicté de cefte maladie, il y en a bien peu qui ayent faict mẽtion de ce point, qui n'eft pas toutesfois de peu d'importance, parce que tous Epileptiques n'en font pas aduertis (ny voire mefme les ieunes Medecins) ainfi peuuent-ils cõmettre grãds erreurs au regime de viure. Vrayement ie treuue que le peuple à grãde occafiõ de s'abftenir de tels alimens, fçauoir des teftes des animaux, de peur d'en manger des dommageables & nuifibles, à tout le moins parties d'icelles, comme la ceruelle proprement, & principalement, parce que c'eft dans icelle (comme i'ay monftré) où s'engendrent & eft principalemẽt l'Epilepfie. Les raifons qui m'induifent à croire cecy font, que les parties de noftre corps, comme fimilaires attirent & fuccent à elles l'aliment le plus familier, & le plus reffemblant à leur nature qui foit en toute la maffe fanguinaire, lequel eftant toutesfois infecté d'aucun vice, il communique de tant plus facilement à la partie | duquel il eft aliment, qui luy eft propre & familier. Or les cerueaux des animaux eftans plus familiers alimens aux cerueaux des hõmes pour la fimilitude de leur fubftance, s'ils font infectés de cefte maladie, la communiqueront infalliblement, voire l'engendrerõt plus facilement aux hommes que nul autre aliment quel qu'il foit, qu'il y aye plufieurs animaux lefquels foyent fubiects à l'Epilepfie, toutes fortes de probation nous en affeure à mon dire : car ou font les caufes, & y peuuent eftre, là auffi font & peuuent eftre les effects. Les animaux ayant teftes ont cerueaux & ventricules (comme nul ne doubte, & l'experiẽce nous l'enfeigne) ils ont force pituite, force excremens cras, fubiects à eftre encore augmẽtés & corrompus, & par les faifons, & par les alimens qu'ils vfent, & ainfi toute forte de caufe efficiente, laquelle iointe auec la patiente indubitablement engendrent ce mal, finon que par la forme que le Tout-puifsant leur a donné, is refiftaffent à l'infirmité : mais lors que nous voyons l'experience en plufieurs, on eft contraint à le confeffer. Les animaux les plus familiers à noftre cognoiffance & en ce pays, nous en font tefmoins ; ne fçait-on pas que la pie meurt de ce mal, fçauoir tout à coup auec vn fecoüement des aifles, & tirement de iambes, & enfin meurt auec l'efcume au bec ? L'alloete n'ẽ faict elle pas de mefme ? Le paffereau au tef- | moignage de Ioubert en fes paradoxes en eft-il pas auffi tourmenté ? comme auffi les poulets qui naiffent au deffaut de la Lune ? & le mouton auec fon uertige (qu'on appelle en ce pays le lourdege) n'eft-il femblablement attaint de ce mal ? Ceux qui ont recherché curieufement la nature des animaux n'ont pas oublié en leurs efcripts ce que nous difons, mais ils l'ont tres-expreffement dit, Ariftote homme digne de foy, & de grande authorité à fon hiftoire des animaux, monftre bien que plufieurs animaux encourent les mefmes maladies que les hommes, ce que peut encore eftre fortifié par l'autorité d'Auicẽne, au premier chapitre de l'Epilepfie, lequel appelle Hippocrate en tefmoignage, qui affirme le mefme des brebis & cheures, au liure de morbo facro, ce que de noftre temps a efté encore confirmé par Mercurial, vn des premiers medecins de noftre fiecle, au quatriefme liure de fes diuerfes leçons chapitre neufuiefme. De forte qu'eftant cela aueré, que les animaux que nous mangeons font fubiects à ce mal, les teftes d'iceux peuuent aifement communiquer leur Virus aux hommes, que fi les qualités des herbes & alimẽs font communiquées aux animaux, & icelles nous font apres communiquées comme le gouft nous en faict preuue, pourquoy eft-ce que les qualités qui ne font point externes & tranfi- | toires, ains qui font cõme d'habitude en eux, ne nous feront dõnées ? Les graues autheurs nous affeurẽt que le laict des cheures & d'autres animaux qui fe paiffent de l'efcamonec ou d'autre herbe laxatiue eft merueilleufement laxatif, comme tefmoigne Hippocrate au fixiefme des maladies populaires fection cinquiefme texte 34. Nous fçauons que fi les brebis mangent de la paille, leur laict s'en reffent aucunement, de mefmes fi elles mangent du thym. Lors qu'on esbranche les oliuiers, & que les brebis mangent des fueilles leurs chairs fentent euidemment l'oliuier. A ce propos ie cotteray icy vne hyftoire affez plaifante. Quelqu'vn ayant donné à vn homme d'honneur de la ville d'Arles quelques conils vifs, il en laiffa vn dans vn grenier, lequel treuuant des aulx là dedans, en mãgea, comme ie croy quelque iours, à faute poffible qu'on s'oublioit de luy donner de viande.Quelque temps apres qu'on le vouluft manger, l'ayant faict apprefter il fentoit en telle façõ les aulx, qu'eftoit impoffible à aucun de la maifon d'en manger, & bien qu'on le fit bouillir pour corriger cefte qualité, il ne fuft iamais poffible de le manger, tãt il eftoit defplaifant au gouft. Cefte année paffée Monfieur Valleriole, & Monfieur Verdier, hõmes tres-doctes, & moy eftans appellés pour vifiter le fils d'vn de ladicte ville, appellé Antoine Barfillon, attaint d'vne tres-furieufe pleurefie, on nous fift voir vn chappon qu'ils |H| auoyent faict apporter d'vne meterie de Camargue, lequel eftant tout accomodé, & preft d'eftre mis au pot, on s'apperceuft qu'il fentoit en telle façon les aulx, comme s'il en fuft farcy, on nous demãda fi nous eftiõs d'aduis d'en faire le bouillon du malade, ce que nous ne trouuafmes pas bon, car tel bouillon ne fuft efté que tref-chaud & tref-mauuais à vn febricitant, & on nous dit que tel chappõ auoit accouftumé fe nourrir aux champs d'vne efpece d'aulx qu'on appelle vulgairement ciboulle. Il eft donques aifé à voir par ces preuues & experiẽces, que fi les qualités que les animaux reçoyuent de leur alimens (que ne font que de legeres difpofitions en eux) nous font communiquées a plus forte raifon celles qui font en eux confirmées nous ferõt données. C'eft pourquoy l'antiquité auoit ordonné que perfonne ne mangeroit de la chair des animaux, que premièrement on n'euft vifité les entrailles d'iceux, pour voir fi elles auoyent point de vices & tafches, cõme tref-bien à remarqué Cardan au liure fecõd des venins chapitre huictiefme, & principalement regardoit-on fi le foye eftoit bon cõme eftant la partie la plus importante à ceft effect. Et encore il eft à noter que ces anciẽes ne mangeoyent point des teftes ny cerueaux des animaux, ains les auoyent en horreur, & feulement on commença de les manger du temps de Plutarque, comme luy-mefme tefmoigne, & apres luy Mercurial au fecond li- | de fes diuerfes leçons chapitre cinquiefme. Ce qu'ayant diligemment efpluché ceft ancien medecin Arnaud Catalan au regime de fanté qu'il defdia au Roy Aragon chap. 14. dict qu'il faut retirer le cerueau de tous les animaux, excepté celuy du cerf, du liure, & du conil, pource qu'on a remarqué certaine vertu theriacale eftre en iceux. Quãd aux chairs lefquelles nous mangeons en cefte region, faut ie die que nous fommes veritablement beaucoup redeuable à la nature, de nous auoir faict ce biẽ par deffus plufieurs autres nations, que de nous auoir donné des chairs les meilleures, & les mieux tẽperées, qu'õ pourroit defirer, cõme font les chairs de nos moutons, & brebis, lefquelles outre ce qu'elles font d'vn fi plaifant gouft qu'elles ne nous degouftent iamais, encores font-elles tref-falubres, tres-temperées, & tres-propres, à foumẽter noftre humidité radicale par certaine familiarité de fubftance, & ie diray dauantage que fi ces chairs ne nous eftoyent fi communes, ains qu'elles fuffent fi difficiles à recouurer, comme le fayfan, ou la perdrix, elles feroyent trois fois en plus grande eftime, que la perdrix, & le fayfan; Au contraire en Italie, en Barbarie, & en la Grece, ces animaux font fi chauds & fi bouillans, qu'ils ne font pas feulement deffendus aux malades, ains mefmes aux fains, d'autant que à raifon de leur exceffiue chaleur font tomber les gẽs en fiebure, auffi les medecins ayment mieux |H2| ordõner les potages de la chair de veaux aux malades que de ces moutons, ce qu'à efté la caufe pourquoy Hippocrate n'a prefque daigné parler de la chair des moutõs, aux liures qu'il a fait de Diæta, bien qu'en iceux il parle curieufement de toutes les chairs qu'on mangeoit en fon pays. Ou il femble preferer les chairs de cheure à toute autre chair qu'ils euffent. Or bien que les chairs de nos brebis foit fi bonnes, fi eft-ce que nous deuons aduifer fi elles ont point de tafche & vice, & principalement en certaine faifon, fans en achepter indifferement de celles qui font à demy pourries, & infectées des maladies, que vulgairement on appelle en ce pays blefque, marrane, picotte, lourdege, calude, carraque, &c. car quels alimens peuuent donner telles chairs infectes, & contaminées, finon vn aliment mauuais, & capable de caufer la mefme maladie, qu'eft attachée en icelles ? Fernel au liure fecond des caufes occultes, chapitre quatorfiefme, dict, que de fon temps quelques chaffeurs ayant prins vn loup furieux, au refte fort gras, l'accomodarent en plufieurs & diuerfes fortes de viandes, & la plufpart de ceux qui en mangerent, deuinrent furieux & enragez, comme le loup, & mefme plufieurs en moururent, d'où il eft euident, qu'aifement les maladies de certains animaux, peuuent eftre communiquées aux autres, & ie croy qu'a cefte occafion Montpelier, & les autres villes bien pollicées tien- | nent vn hõme gaigé aux portes pour vifiter les pourceaux qui entrẽt dãs la ville, de peur que quelqu'vn qui foit ladre n'entre parmy les fains, lequel mangé, pourroit infecter le peuple de fa maladie, & à la mienne volonté qu'on en fift de mefme en la ville d'Arles, nõ pas pour les pourceaux feulement, ains encore pour les moutons & brebis, & ie croy que pour le paffé en icelle on eftoit bien plus curieux qu'auiourd'huy, des chofes qui concernent la fanté publique, comme il eft aifé de colliger par les œuures de ce grãd perfonnage monfieur Valleriola en fes enarratiõs. Les brebis qui meurent fouuent en grãde quantité au terroir de ladicte ville des maladies fufdites, font en tel vfage entre le peuple, qu'on ne mange point ou bien peu de bouillon, où on n'aye faict bouillir quelque peu de cefte chair, qu'on appelle moutoneffe, laquelle bien qu'aye efté bien falée & accomodée, fi eft-ce qu'elle retiẽt toufiours quelque chofe de fon principe, & à la longue apporte quelque incommodité, & pource que nous auons plufieurs autres caufes icy (come) il à efté dit) qui debilitẽt le cerueau plus aifément, cefte partie eft attaquee pluftoft qu'aucune autre, pour les caufes cy deffus alleguées, à raifon d'vn tel aliment. Que fi au recit d'Hippocrate au fecond des maladies populaires fection quatriefme, & au fixiefme auffi, fection quatriefme, le peuple de la ville d'Aene en Grece, pour avoir vefcu quel- |H3| que tẽps de certain legume, fut attaint d'vne maladie cõmune, fçauoir, des douleurs aux genoux pourquoy eft-ce que l'vfage des animaux epileptiques, & principalement des teftes d'iceux, ne nous pourra de mefme infecter de l'Epilepfie ? Trallian grand perfonnage, au recit de Thomas Aueiga, deffendoit l'vfage des teftes des poyffons aux Epileptiques, de peur qu'on n'en mãgeaft quelqu'vne dommageable. Et entre autres teftes que ie confeille deuoir eftre efuitées, ie fuis d'aduis qu'õ efuite apres celles des brebis, celles des cheures, & des cailles, car les cailles ont vne certaine vertu fpecifique d'exciter ce mal, comme Galien nous tefmoigne auoir veu par experience, au cinquiefme commentaire du fixiefme des maladies populaires d'Hippocrate fectiõ cinqiefme, texte trẽtecinquiefme. Quelques vns m'obiecteront, que tant s'en faut que les parties des animaux foyent mauuaifes & malignes à celles des hommes, qu'elles leur ferueẽt de tres-bon remede contre la rigueur des maux. Gordon grand perfonnage (la practique duquel à efté reçuë de tous les Medecins en grand honneur defpuis trois cens ans,) nous monftre euidemment que les membres des animaux aident à fes femblables, la vefcie de bœuf & de plufieurs autres animaux dit-il, corroborẽt merueilleufement la vefcie de l'homme, auffi le foye des animaux, donne quelque vigueur | au foye de l'homme, d'où eft venu le prouerbe, qui mange de foye, le fien en à ioye. Cecy n'a efté oublié d'Auicenne, lequel à la cure de la debilité des reins, dit qu'il faut fouuent mãger des reins des animaux, de mefme pouuons nous dire de plufieurs autres parties : car il y a remede plus propre aux afthmatiques, & mal habitués des poulmons, que les poulmons de Renard ? meilleur remede à la colique maladie des intestins, que les inteftins du Loup ? meilleur remede à la ratte que la ratte, de certains animauc ? meilleur remede à l'impuiffance de Venus, que le priapus du Taureau, & les tefticules du coq ? meilleur remede à corroborer l'eftomach, que la mẽbrane interieure de l'eftomach des poulailles ? meilleur remede à fortifier & inftaurer le cœur, que le cœur du mouton, comme dit ce grand perfonnage Valleriola, liure quatriefme de fes obferuatiõs, obferuation fixiefme ? En fin meilleur remede à l'Epilepfie que la rafure du crane de l'homme, comme i'ay dit cy deuant, & comme Galen nous tefmoigne ? voire mefme i'oferois dire que le cerueau feroit encore meilleur s'il n'eftoit l'horreur d'vfer de tels remedes, ce que i'ay veu toutes-fois practiquer à vn Empirique, comme chofe fort rare, & fecrete, & mefme en la ville d'Arles y à eu Dame d'honneur qu'eft à prefent morte, qui en faifoit grand cas, & en faifoit vfer aux pauures, & à fes amis qui en |H4| auoyent befoin, difant l'auoir apprins d'vn grand Medecin. A ces obiections ie refpons que telles proprietés font nées aux parties de certains animaux qui ne font pas à toutes les autres efpeces, & par contraire il y peut auoir des parties auffi en certains animaux, qui peuuent engendrer vn venin en femblable parties, comme nous voyons la ceruelle du chat troubler les efprits, & faire venir fol, les poulmons ou haleine feulement fortant d'iceux, infecte les poulmons des hommes, & les rend afthmatiques, comme nous affeure Mattheol à fon fixiefme commentaire fur Diofcoride chap. vingtcinquiefme. Donques s'il y a quelque proprieté maligne, ou bonne aux parties des animaux, elle agira pluftoft & auec plus de violẽce à fes femblables qu'aux autres, parce que la fimilitude de fubftance, qui eft entre elles faict que pluftoft telle vertu eft portée & attirée à fes parties femblables, & ainfi void-on le crane d'vn homme plus fouuerain remede à vn homme, comme nous auons dit en autre part : & celuy d'vne femme à vne femme, pour eftre de tant plus proche, & femblable en fubftance : & par ces raifons ie conclus que les animaux en general eftans fubiects à l'Epilepfie, il eft meilleur, voire tres-bien faict de ne manger d'aucune tefte ou ceruelle d'iceux, pour efuiter la nuifance qui en peut arriuer, que d'en mãger ny d'en vfer aucunement, finõ que ce foit par l'ordonnance du Medecin qui pouruoyra à toutes ces chofes.