TRAICTE DE L'EPILEPSIE,
Maladie vulgairement appellée au pays de Prouence, la gouttete aux petits enfans.

Compofé par M. Iean Taxil, Docteur en Medecine, natif des Sainctes Maries, Medecin d'Arles.

A Lyon, M. DCII.


LIVRE I, Chapitre 15

Que la plus part des Epileptiques font hommes de grand entendement, & que là ou il y a beaucoup d'Epileptiques, là auffi y a beaucoup d'hommes de grand entendement.


Les accidens, aufquels font fubiects, ceux qui font Epileptiques (qui font tels que nous auons par cy-deuant dit, & que nous dirons cy apres) font fuffifans, pour faire detefter ce mal, & recoignoiftre l'inimitié que cefte furie infernale à auec le genre humain : mais fi à tout cela nous adiouftons qu'elle vexe & tourmente principalement les hommes d'entendement, & de grande ceruelle, de combien fera-elle encore renduë plus odieufe ? Ariftote Prince des peripateticiens a efté le premier, à mon aduis, qui à prins garde à ce cas eftrange, & du defpuis la plufpart de ceux qui ont traicté de ce mal, fe font là arreftés, & des hommes plus fignalés, & plus cognus, ce philofophe en faict un catalogue, propofant vn Hercule, vn Aiax, Bellerophon, Socrates, Platon, Empedocles, Meracus Siracufin, & les Sibylles, aufquels nous pourrions adioufter Iule Cæsar, & Caligula Empereurs, Liuius Drufus, premier tribũ du peuple Romain, Petrarche ; & encore que ce deteftable Mahomet, ne me |I5| rite d'eftre mis au catalogue de ces grands perfonnages, fi eft ce qu'on eftime qu'il eftoit fort cauteleux, auoit grand entendement à conduire fa malice, & de faict que par cefte maladie il en tiroit grand aduancement en fon eftat, car à la furie d'icelle, & à fon paroxyfme en tombant, il faifoit croire au peuple qu'il eftoit rauy au ciel, & qu'il apprenoit l'euenement des chofes, & le fuccés de ces affaires ; & ce qui embaboynoit ce peuple beftial eftoit, à mon aduis, qu'il n'auoit veu pas vn tant, & ainfi affligé de ce mal, comme luy : car au temoignage d'Hippocrate, tels peuples ne font point fubiects à l'Epilpefie, pour la bonté du climat, & clemence du ciel cõme difent fes interpretes là deffus : & de noftre temps, noz practiciens nomment entre les grands Epileptiques, encores vn Charles Quint, Empereur & Roy des Efpaignes, grãd Monarque & d'vn tres-fubtil efprit. Quand à moy i'ay pris garde à ceft inconuenient, & i'ay prefque toufiours trouué veritable, tellement qu'il me feroit facile d'en mettre icy en conte plufieurs qui font ainfi de grand entendement, qui font fubiects à ce mal. Mais pour tous ie ne veux mettre en ieu qu'vn feigneur fort cogneu en Prouence, lequel tire en admiration ceux qui confiderent fon entendement : car eftant dés fa naiffance priué de l'ouye qui eft le propre organe des difciplines, toutefois fans icelle il a habitué fon ame aux fciences des Mathematiques, comprenant | fort bien la valeur des lettres, lifant & faifant fes refponfes pertinẽtes par efcript; ne sẽble-il pas que l'ame de ce feigneur ayãt appris fans fon propre organe tant des chofes, que quafi par vne fimple apprehenfion comme les anges, & par la grandeur de fon iugement, aye faict cela ? Si Ariftote viuoit encores auec tous fes naturaliftes, ils feroyẽt biẽ empefchés de fçauoir comme ce perfonnage à apprins ce qu'il fçait, fans louye & fans la voix, & m'affeure qu'ils admiroyẽt plus fur cela qu'ils n'en refouldroyent. C'eft affes fourny d'exemples, & affes d'authorités pour la verité de cefte propofition, refte de l'illuftrer de raifon. Ariftote & tous fes fectateurs difent, & concluent qu'iceux Epileptiques font tels, parce qu'ils font melancholiques, qu'ils foyent melancholiques, nous en auons ia cy deuant apporté tant de raifons & authorités, que ce ne feroit qu'ennuy de les repeter : mais que les melancholiques foyẽt hommes de fi braue iugement c'eft la principalement où ie me veux vn peu arrefter, Ariftote lequel eft fuiuy de plufieurs, baille tant de force à ce temperament, qu'il veut que par la force d'iceluy l'ame difcoure des fciences mefmes, qu'elle n'aura iamais apprins, difãt, que les Sibylles n'auoyent leur don de prophetie d'ailleurs, que d'vn certain degré de ce temperament. Ciceron eftoit là mefme logé, quand il dit, que ceux qui par le vice de fanté ont efté & font melancholiques, ont en | leurs efprits quelque diuinité & prophetie, & fe fafche d'ailleurs de n'eftre ainfi melancholique, difant, qu'il eftoit lourd d'efprit, pource qu'il n'eftoit pas melancholique adulte. La raifon de tout cela eft, à mon aduis, parce que vn homme ainfi temperé à toutes les chofes propres, & requifes à vn grand entendement : car nous eftimons vn homme de grande ceruelle, celuy qui à les organes du cerueau bien difpofées, & nettes, & qui a les efprits chauds & fubtils, auec vne confiftence mediocre : Il faut premierement qu'il aye les organes nettes, car par les canaux les Idées de chafque chofe font apportées d'vn ventricule en l'autre, & de l'imagination, à l'entendemẽt, pour en faire iugement, & de là mis en la memoire : mais fi ces canaux eftoyent immondes, & remplis d'humidités, ces chofes ne fe pourroyent faire, ou fe feroyent plus mal, comme nous voyons aux apoplectiques & lethargiques; en apres faut que l'efprit, le plus proche inftrument de l'ame, foit chaud & mediocrement fubtil, car par la chaleur il eft rendu lumineux, & par tel moyen les efpeces font mieux apprehendées, & par la mediocre fubtilité mieux reprefentées, ayãt l'ame le moyẽ de plus longuement & profondement efplucher la nature des chofes, et en faire iugemeẽt. Or les melancholiques ont toutes ces chofes par deffus les autres natuels ; car par la ficcité de leurs corps, & par confequent du cerueau, les organes demeurent nettes, & mondes, | & par leur fang chaud d'vne qualité proportionnée. Les efprits animaux font engendrés de qualité femblable, retenant la nature de leur principe, & les hommes fanguins, & pituiteux, ne font tãt propres à cela, car pour auoir telles gens, la chair molle, & delicate, les organes du cerueau font remplies, d'humidité, & leurs efprits ne font affez clairs, & fubtils, c'eft pourquoy Galen au cõmentaire premier de natura humana, dit que telles gẽs ainfi tẽperés font bons & fimples, & quand aux bilieux, bien qu'ils ayẽt cefte ficcité propre aux organes, & la chaleur propre aux efprits, fi eft-ce qu'ils ont faute de confiftence mediocre, en la fubftãce d'iceux, car pour eftre trop fubtils, ils remuent tant d'efpeces, à la fois fans s'arrefter à icelles, qu'ils demeurẽt irrefolus le plus fouuent, c'eft d'eux que parle Galen au liure de l'art de la medecine chapitre douziefme, difant, que la chaleur faict les hommes furibonds, legers, & inconftans en leurs opinions. Mais ceft humeur melancolique eft bien tant propre pour l'entendement, que lon voit fes effects reluire iufques aux animaux irrefonnables : car au recit de tous les naturaliftes, il n'y en a point de plus dociles, plus fins, & plus aduifés, & qui ayent plus diftinct naturel, à la conferuation de leur eftre, & propagation de leur efpece, que ceux qui font melancholiques : comme il fe peut voir en l'Elephant, au ferpent, à la formis, à l'abeille, & tels autres animaux melan- | choliques en tel degré, ie dis en tel degré : car toute forte de melancholie n'eft pas propre à faire vn bon entendement, car la craffe eft par trop froide, (que l'on peut cõfondre auec la pituite) & qui n'eft aucunemẽt efchauffée, tant s'en faut qu'elle rende les hommes braues, & ingenieux qu'au contraire elle les rẽd lourds, ftupides & beftiaux : mais i'entends (comme il eft aifé à coniecturer par mon difcours) de la melancholie efchauffée, & attenuée. Tellemẽt que par ces raisõs, authorités, & experiences ; on peut conclurre que les hõmes melancholiques font de plus braue entendement que les autres, & de là tirer en cõfequence, que là où fe trouuent beaucoup d'Epileptiques, & par confequent de melancholiques, que là auffi fe treuuent beaucoup d'hommes d'entendement. Rondelet que i'ofe appeler l'aigle des Medecins de fon tẽps, en contemplation de cecy, dit qu'il ne fe faut pas eftonner fi les Florentins eftans fort fubiects, à l'Epilepfie, font de grand entendement, car ils font (dit-il) fort melãcholiques. I'oferois affirmer le mefme, de noz Prouençaux, que comme ils font fort fubiects à l'Epilepfie, par deffus leurs voifins, ils font auffi plus melãcholiques, & qu'ils ne font pas des dernieres bien nés aux bõnes lettres, & principalement triomphẽt-ils, à la poefie, & Mathematiques. Que fi la ville d'Arles eft ainfi subiecte à l'Epilepfie, comme nous auons dit, n'auroit-elle point fa bõne part de cefte belle | prerogatiue que d'auoir enclos dans foy, des hõmes ainfi qualifiés ? Si ie n'auois peur d'eftre eftimé flateur, i'en reprefenterois plufieurs lefquels ne cedent ne grandeur d'entendement à nul autre, & ne voudrois feulement qu'entrer en vne feule maifon, où huict freres tous Docteurs font efté appelés pour leur fçauoir, en Théologie, Médecine, & Loix, aux plus notables charges de leur doctorat, & au pres des plus grands de la Frãce, & leurs efcripts & doctrine, font foy de ce qu'ils font. Que fi l'antiquité ne nous auoit perdu les memoires, nous en trouuerions plufieurs qui sõt fortis de l'amarry de cefte Cité, qui feroyent dignes d'eftre mis au rang des plus illuftres. Ie me fouuiens auoir leu que cefte ville d'Arles auoit produit ce grãd perfonnage, Fauorinus philofophe Stoic, duquel Aule Gelle faict tant d'eftat, par toutes fes œuvres, l'appellant tref-docte, tres-fage, & tres-eloquent, & ce grand perfonnage Conftantin fils du grand Conftantin, n'eftoit-il pas forti du fein de cefte Cité ? Vn Pomponius Paulinus cheualier renommé ? vn Clodius Quirinalis grand orateur ? Ie laiffe à part ceux de noftre temps, comme vn Nicolay appellé par toutes les Italies le grand Nicolay pour la profondité de fa doctrine ; ie tayfe ce docte & eloquent Euefque de Senés, Meffire Pierre de Quinqueran iffu de l'illuftre maifon, de Beaujeu, qui à efcript trois beaux liures des loüanges de noftre Prouence, rẽplis | d'vne grande doctrine. Ie ne dis rien auffi de ce grand perfonnage Marius qui (cõme Marius Romain adminiftra iadis fept fois le cõfulat à Rome) auffi il a efté fept fois Recteur de la fameufe Vniuerfité de Paris. Ie laiffe à part plufieurs autres qui ne cedent en rien à ceux-cy, de doctrine & d'entendement, que ie paffe foubs filence, pour efuiter prolixité, tellement qu'on peut conclurre hardiment, que les Epileptiques font la plufpart hõmes d'entendement, & encore que là où il s'en trouue beaucoup, c'eft vn indice que les habitans de tel lieu font la plufpart habiles gens.