TRAICTE DE L'EPILEPSIE,
Maladie vulgairement appellée au pays de Prouence, la gouttete aux
petits enfans.
Compofé par M. Iean Taxil, Docteur en Medecine, natif des Sainctes Maries,
Medecin d'Arles.
A Lyon, M. DCII.
LIVRE II, Chapitre 1
De la cure de l'Epilepfie idiopathique, & premierement
du regime de viure.
Nous auons amplement par cy deuant mõftré
qu'il y à des Epilepfies idiopathiques lefquelles ont les caufes & le Virus
dans le cerueau mefmes, & d'autres qui fe font par fympathie qui ont le virus &
les caufes dans les autres parties du corps, & montées au cerueau produifent
l'Epilepfie, à toutes lefquelles efpeces faut donner des propres & particuliers
remedes. Nous commencerons à celle qui eft faicte au cerueau mefme, puis nous
traicterons de la cure de celles qui font faictes par fympathie. Pour doncques entrer
en befoigne, il fe faut fouenir que Galen dict que toute curation de maladie en general
fe faict par l'vne de ces trois parties de medecine, fçauoir eft, ou par diette,
ou par pharmacie, ou par chirurgie, & biẽ fouuẽt par toutes enfemble,
ou par deux feulement : en cefte maligne é perverfe maladie, toutes les trois
feront conuenables & neceffaires.
La premiere, qui eft diette, n'eft autre cho- | fe qu'vne forme & façon de viure ordonnée felon les fix
chofes non naturelles, & confifte en l'air, au boire, manger, & tout ce que pour le nouriffement fe prend par dedans,
au mouuement & repos de tout le corps, ou de quelque partie d'iceluy, au dormir, au veiller, à la rétention,
& deiection des excremens, & aux affectiõs de l'efprit, fous l'air font auffi compris les bains, & le
coït, ou acte Venerien foubs le mouuement. Si nous voulions mettre icy par efcrit particulierement tout ce qu'il faudroit
dire touchant les chofes nõ naturelles, nous ferions par trop prolixes, parquoy me contenteray d'en dire ce qui eft
de plus notable, renuoyant le lecteur aux chapitres particuliers que nous auons faict cy deuant. Quant à l'air, il
peut beaucoup, tant à la guerifon des maladies, comme pour conferuer la fanté : car il eft impoffible à
l'homme qu'il puiffe viure fans le refpirer, de mefme comme il eft impoffible aux poiffons de pouuoir viure hors de l'eau,
ioint auffi que les efprits prennent vne grande force & vertu de l'air : car fi l'air eft mauuais & infecté,
les efprits font merueilleufement offenfez, & par confequent le cur, & principalemẽt le cerueau qui
en reçoit la premiere attaque : car comme il eft merueilleufement delecté par les fuaues & bien refpirantes
odeurs, auffi eft il fort offenfé par les mauuaifes & malignes : telle eft la fumée & vapeur de certains
fimples, comme du foufre, la fumée de la |N3| corne de cheure, & du cerf, & l'odeur du foye d'iceux, comme
auffi du bouc, &c. tous lefquels fimples offenfent fi fort le cerueau, que facilement le rendent fufceptible de ce mal.
Il faut dõcques aduifer qu'on ne hume point telles vapeurs. Il nous faut prendre garde fi l'air qui refpire le malade
eft pur, clair, ou gros, & nubileux, exceffiuement froid, ou exceffiuement chaud : car celuy eft tres-falutaire à
ce mal qui eft pur, & ferain, & tendant à vne petite chaleur, pluftoft qu'a vne froideur ou humidité
: tel pourrons nous rendre par artifice l'air de la chambre ou le malade dormira, en parfumant la chambre des herbes capitales,
& la parfumant des bonnes & fuaues odeurs lefquelles refiouyffent fort le cerueau : il euitera l'air gros &
nubileux, comme auffi le trop grand froid, & le trop grand chaud, & il faut fur toutes chofes qu'il euite le ferain,
& les rayons de la Lune, comme auffi le vent du marin : & fi l'air de la ville ou le malade fait habitation, eft
ordinairement meflangé des exhalations & vapeurs des eftangs & marets, & lieux paluftres, & que cefte
maladie fe rende opiniaftre & rebelle aux remedes, fera tresbien aduifé de faire changer d'air au malade, felon
le confeil de Hippocrate qui nous apprend que cefte maladie eft guerie par le changement du lieu, auec l'aâge &
façon de viure. Du manger, & du boire, font tirées beaucoup d'incommoditez, d'autant que bien que par
le boire, & | manger, les efprits & fubftances qui ordinairement fe diffipent dans noz corps foyent reparées,
& comme de nouueau refaictes, fi eft ce que fi on fe nourrift de certaine forte de viande, quoy qu'on en mange fobrement,
on tombe en certaines maladies : c'eft pourquoy il ne fe faut farcir indifferement de toute forte de viande, & de breuuage,
fans obferuer ny heure, ny ordre : car fi on faict cela, fans doubte le corps fe trouuuera oppreffé de plufieurs
caufes nuifibles : il faut doncques que les malades foyent fobres, & qu'ils ne mangent que viandes qui engendrent vn
bon & louable fang : le pain fera faict d'vn beau & bon froment, qui ne foit point accompagné d'iuroye, que
nous appellons en Prouençal, gyol, car le cerueau eft fort debilité du pain ou il y à tel grain : fi
le malade à le ventre trop referré, fera conuenable de mefler dans le froment vn peu de feigle, attendu que
c'eft aliment eft aucunement laxatif, & bien que dans le froment il y aye de nielle, il ne fe faut peiner de cela, car
la niella à quelque particuliere vertu pour le ceruueau en confumãt les humiditez qui sõt en yceluy
: pour la chair, il mangera du mouton, & s'abftiendra tant qu'il pourra des chairs trop groffieres, & de difficile
digeftion : & entre autres des chairs de chieure, & de bouc, car on croit que tels animaux
font perpetuellement affligez de fieure, & fort fubiects au mal caduc : on s'abftiendra auffi nommémẽt
des chairs & teftes |N4| des brebis & moutons, & principalement de ceux qui font morts du mal
caduc, qu'on appelle lourdege, & de cefte maladie qu'on appelle vulgairement Gamadeure : car c'eft vne efpèce
de lepre à ce beftail, comme plus amplement a efté dict en vn chapitre à part, & toutes telles
chairs ont pouuoir d'engendrer ce mal comme a efté affez fuffifamment preuué aux caufes. Les lieures vieux
font auffi fufpects en ce mal, comme auffi les oifeaux de riuiere, des marets & paluns, pour eftre d'vn fuc craffe,
melancholique, & de mauuaife d'igeftion, finon le canard lequel pourra eftre permis à raifon de fon fang, qui
eft tenu pour vn contreuenin, c'eft pourquoy il entre en plufieurs compofitions alexipharmaques. Au contraire les oyfeux
des montagnes font tres-propres : la chair des cailles fera reiettée comme
nuifible, & comme ayant certaine propriété d'exciter des conulfions fi nous croyons à Galen
: comme auffi les paffereaux & autres qu'on fçait qu'ils tombent de ce mal. Le cocu à
vne grande proprieté au tefmoignage de plufieurs bõs autheurs d'alleger les Epileptiques, & partant quand
on en pourra auoir, fera fort bon d'en manger, comme aufsi du tourdre, & de l'arondelle. Quand à l'vfage
du fourmage, il n'eft guieres bon, pource qu'il engẽdre par trop d'humeur craffe, & vifcueux, ny aufsi le grand
vfage des fcargots, defquels on mange abondamment en la ville d'Arles, s'ils ne font appreftez | comme nous auons dit en
vn chapitre expres. Pour les poiffons les folles font permifes en oftant la peau, & les rougéz, & principalement
ceux qu'on prend loing des emboucheures du Rhofne, car les autres qu'on prẽd pres du Rhofne ne valent rien, pource
qu'ils font tous plain de bouë. Les
barbeaux ne valent rien, d'autãt que les ufs de ce poiffon font veneneux ; car fi on en mange, ils baillent
de fi grandes extorfions comme fi on auoit auallé d'hellebore, iufques à exciter des conulfions, & principalement
en certain temps de l'année. Les anguilles font mauuaifes pour eftre trop vifceufes, ny generalemẽt
tous les poiffons qui font engendrés de putrefaction, & qui font d'vn fuc craffe & vifcueux. Les poiffons
de rapine en general font fort bons. Au refte i'aduertis meffieurs de la ville d'Arles en paffant, que ce feroit chofe fort
vtile, voire tref-neceffaire au public, de faire vn puits dans la poifonnerie, duquel on pourroit puifer de l'eau, &
pourroit-on mettre le poiffon tout vif dãs des baffines, & par ce moyen on l'acheteroit tout frais, comme on
faict à Lyon, car c'eft vne honte à nous qui auons les paluns contre nos portes, de permettre qu'õ
nous vende le poiffon qui le plus fouuent eft à demy pourry. Galen deffend à l'Epilepfie tous les poiffons
cartilagineux, excepté la torpille, laquelle il permet libremẽt, de laquelle nous en auons faict vn chapitre
expres. Il condãne |N5| auffi tous les
poiffons à coquille, cõme font huictres, tellines, &c. & auffi ceux qui font velus & de trop groffe
efcaille, comme font chats marins, daulphins, & autres femblables.Pour les herbes, il efuitera celles qui font
trop vapoureufes, & trop vifceufes, cõme font oignons aux raues, &c. Les raiforts font permis par Galen en
petite quantité, bien qu'Auicenne ne les approuue pas, pour le perfil ou hache, on en pourra vfer excepté
les femmes ençaintes,, pour raifon des caufes cy deffus alleguées en vn chapitre expres. Il fera permis d'vfer
de bourrage, des bettes, & efpinars, comme auffi aucunesfois des courges, mais non pas trop fouuent, pource qu'elles
engendrent vn fuc cras, & des laictues auffi quelquefois, & non pas trop fouuent, car elles engendrẽt bien
beaucoup de fang, mais il n'eft pas bon ny louable, en fomme les herbes chaudes font meilleures que les froides, comme font
l'hyfoppe & la fauge. Les champignons font fort nuifibles, & partant fe faut garder d'en manger. On
efuitera auffi l'vfage du faffran, d'autãt qu'il excite mal de tefte, & le parofyxme de l'Epilepfie. Les
febues font expreffement deffenduës, & toute autre efpece de legume, exepté les lentilles lefquelles Galen
permet, mais le bouillon d'icelles eft meilleur que la fubftãce : car c'eft vn contre-venin, au tefmoignage de plufieurs
naturalistes : c'eft pourquoy les Arabes en font grand eftat pour la verol- | le des petits enfãs ; les poix, ciches
auffi pourront eftre permis quelquesfois. En fomme on f'abftiendra generalemẽt de toute autre viande qu'on coignoftra
eftre trop vapoureufe, comme de celles qui font trop falées, efpicées, & autres femblables : car il feroit
difficile de les enrouller toutes ; les capres à l'entrée de table font bonnes, & les oliues auffi, pourueu
qu'õ ne s'en charge. Entre les fruicts on permettra l'vfage des pruneaux, des figues, des meures, et des dattes,
& des autres qui defcendent facilement dans l'eftomach, & qui tiennent le ventre lafche, comme font les pommes.
Pour le boire, il feroit tres-bon de ne boire que de l'eau pure : car l'vfage du vin eft fufpect en ce mal, & ie crois
que le malade qui s'en abftiendroit du tout, trouueroit vn grand allegement en fon mal, car les Turcs ne font point fubiects
à ce mal, tãt à caufe qu'ils ne boyuent point du vin, qu'à caufe de la clemence de leur clymat,
comme defia a efté monftré cy deuant, car le vin eft tref-mauuais à ce mal, pour autant qu'il debilite
fort les nerfs, & le cerueau, par vne infinité de vapeurs qu'il charrie en haut : que s'il n'y à moyen
de s'en abftenir, ou qu'il y aye quelque iufte caufe qui contraigne en boire, comme vne debilité d'eftomach, pour
le moins on le trempera fort. Or entre les vins que ie voudrois permettre font les vins rouges, gros & couuerts, &
qui ont bouilly plufieurs nuicts, & tout vin blanc nous eft | fufpects, bien que Galen femble approuuer celuy qui eft
aftringent : mais en ce pays nous n'en auons point qui foyent adftringens, ains font tous de fubtiles parties, & fort
vapoureux par deffus les rouges. Quant à l'eau celle que nous beuuons en la ville d'Arles emporte le prix de toutes
les eaux du monde, comme affes amplement à efté verifié. Ceux qui ferõt trop moleftés
de ce mal, pourroyẽt s'accouftumer à boyre fouuent de l'Oxymel fchyllitic, car Galen en faict tant d'eftat
qu'il promet la fanté à l'enfant Epileptic qui en boira durãt quarãte iours, ayãt efté
premierement purgé, & apres auoir pris de la decoction d'abfynthe durant deux matins. Quãd à l'exercice,
i'exhorte tels malades de s'exercer modeftement fans s'efchauffer ny s'alterer par trop, & qu'ils fe faffent quelquesfois
frotter les extremités auec certains linges, afin que par cefte fruition les pores foyẽt ouuerts, & par
ce moyen plufieurs excremens fubtils diffipez. On deffendra aux enfans de ne fe vireuouter point en rond, car cela offenfe
le cerueau, & trouble merueilleufement les efprits. On efuitera le fon trop efclattant des trompettes, clairons, tonnerres,
artilleries & arquebufes, car tels fons fi impetueux offensent fort le cerueau, & aydent fort à anticiper
l'acces de ce mal, par les raifons qu'ont efté alleguées aux caufes. L'acte venerien exercé modeftement
(quibus licet) n'eft dommageable aux grands, & robuftes, mais il feroit | bon que les nourrices ne l'exerçaffent
du tout point, car le laict de celles qui l'exercent ordinairement reffent le bocquin, & n'eft quieres bon. Il faut
auffi que le mary fe dõne garde de ne venir auec fa femme ayant fes purgations, car fi elle conçeuoit en ce
temps là l'enfant feroit attaint de cefte maladie, ou de quelque autre fort graue. Quand au fõmeil, il eft
fort neceffaire à l'entretiẽ de la vie, d'autant que par iceluy les forces font remifes à ceux qui font
trauaillés & debiles, l'efprit eft rendu plus ouuert, & plus gaillard, & toutes les operations du corps
font mieux faictes, mais auffi fi on en abufe & qu'on dorme par trop, on deuient tout ftupide, & lourd, & le
cerueau fe treuue faifi d'vne infinité d'excremens ; le dormir donques du midy, & du matin fera fufpect, &
les Epileptiques inueterés fe contenteront de dormir fept ou huict heures pour le plus, car cela fuffit pour l'entretiẽ
de la fanté, quand aux enfans il n'y a point de temps limité. Il faut que les veilles foyẽt mediocres,
pource que fi on vouloit trop veiller, le cerueau fe trouueroit eftourdy, pour eftre efpuifé de plufieurs efprits
diffipés. Il faut donner ordre que les malades foyent lafches du ventre, ou par nature ou par art, au moins vne fois
dans vingt quatre heures, pour ce que les excremens retenus enuoyent plufieurs vapeurs au cerueau qui l'offenfent, ce qui
fera commodement faict, fi on mange du borrage dans le potage, & des bettes, & | quelques pruneaux à l'entrée
de table. Les perturbations & paffions de l'ame ont grãde puiffance de bleffer le temperament de noz corps, &
principalemẽt du cerueau, car nous voyons qu'il n'y a partie de noftre corps qui fe reffente plus facilement d'vne
trifteffe & fafcherie que celle là, car à la moindre affliction auffi toft on voit defcouler les larmes
d'icelle, ce qui fe faict par certaine compreffion de fes parties. Il faut donques que tels malades fe prẽnẽt
garde de ne laiffer vaincre aux fafcheries, car eftant defia d'vn naturel melencholique, pourryẽt tumber encore en
des plus grands accidens. On tiendra les enfans ioyeux, les gardãt de pleurer par trop, & les nourrices fe tiendront
ioyeufes auffi, pour donner vn alimẽt plus louable aux enfans, voila en general ce qui appartient à la premiere
partie de la medecine, touchant la curation generale de cefte maladie, toutes lefquelles chofes cy deffus efcrites pourront
eftre obferuées en toute efpece d'Epilepfie.