La barronie d'Aspet

D’après Jacques DUCOS, Aspet et son canton, 1993. Editions Pyrégraph, rue Gambetta, 31160 Aspet.
On ignore à quel moment exact s’est constituée la seigneurie d’Aspet. Le premier seigneur dont le nom a été conservé s’appelait Ramon-At(hon). Il vécut autour de 1068.
Plusieurs seigneurs d’Aspet participent aux Croisades, en particulier Arnaud II, qui s’embarque avec Philippe-Auguste à Gênes en 1190.
Au début du XVème siècle, la baronnie passe à la famille de Coarraze, dont la dernière représentante sera dame Catherine, à qui l’on doit en particulier la fontaine qui orne encore la place principale de la ville.
Raymond-Arnaud de Coarraze participe, aux côtés de Jeanne d’Arc, à la prise d’Orléans.
Dame Catherine meurt en 1492 et la baronnie passe ensuite à la maison de Foix. Son dernier baron sera Henri III de Navarre, qui deviendra Henri IV de France. C’est sous son règne que la baronnie sera définitivement rattachée à la Couronne.
Aspet a conservé peu de vestiges de ces temps. On sait que la ville était entourée de murailles, qu’elle avait trois portes, dont la Porte Saint-Martin, dominée par le donjon qui sert aujourd’hui de clocher et qui abrite un carillon célèbre. Derrière le chevet actuel de l’église on voit encore la chapelle seigneuriale, gothique, dont la clef de voûte est ornée des armes de Coarraze.
La tour du Chucaou, qui domine la ville, ne faisait pas partie du système de défense. C’est une simple tour à signaux, comme il en existe d’autres dans la région. On lui donne parfois - à tort- la dénomination de « tour sarrasine ».
 
 

Histoire de la baronnie

La seigneurie d'Aspet était la plus importante de la région après le comté de Comminges. Comment est-elle née ? Nous l'ignorons, ce qui n'est pas rare en la matière. Le premier à porter le nom de "seigneur d'Aspet"est un certain Ramond-At. Il vivait au milieu du XIe siècle.

Au moment où apparaît le seigneurie d'Aspet, le comté de Comminges a déjà une histoire documentée. Nous l'avons dit au chapitre précédent, le premier "comte de Comminges" apparaît au milieu du Xe siècle.

Nous ne savons rien des relations qui ont pu exister, au début, entre la maison de Comminges et la maison d'Aspet. Rien ne permet de préciser s'il existait au départ des liens entre elles ou si elles ont établi leur emprise de façon indépendante.

Première dynastie - Les Croisades

Nous ne savons pratiquement rien des successeurs directs de Ramon-At. Cette première dynastie régnera jusqu'en 1190.

Comme la plupart des nobles, les seigneurs d'Aspet participeront aux Croisades. En 1160, Ramon-At II se rend en Terre Sainte en compagnie de Bernard-Dodon, comte de Comminges.

Arnaud-Raymond II "se croise" en 1190. Il rejoint le roi de France, Philippe-Auguste, à Gênes, et il participe à la prise de Saint-Jean-d'Acre. On suppose qu'il est mort à la croisade ou qu'il s'est établi en Terre Sainte. En tous cas, il n'est plus mentionné à partir de 1190.

Une de ses filles, dont le nom ne nous est pas parvenu, épouse, vers 1190, Fortanier de Comminges. C'est du partage de ses biens effectué par Fortanier que sont issus les seigneurs des trois branches d'Aspet, de Prat et de Bérat.

La branche Aspet tient les localités d'Aspet (avec Sengouagnet, Milhas et Razecueillé), Chein, Escaich, Estadens, Ganties, Labarthe-Inard, Mauvezin, Montastruc, Pointis-Inard, Rouède, Saleich, Alas, Balagué, Montgauch et Portet.

La croisade albigeoise

Au début du XIIIe siècle, la paix va être troublée par une querelle politico-religieuse provoquée par l'hérésie albigeoise.

Face à l'hérésie naissante, le pape avait lancé un "appel à la croisade" pour mobiliser la noblesse contre le danger qu'elle représentait. Le comte de Toulouse prend la tête de la résistance à la croisade menée par les barons du Nord. Le comte de Comminges et le comté de Foix lui apportent leur soutien. Le pays sera ravagé par la guerre. En 1216, Simon de Montfort, qui se dirige vers Saint-Lizier, reçoit près le château d'Aspet, en Comminges, la soumission du seigneur de Castillon. C'est la première fois que le château d'Aspet est cité.

En 1219, Arnaud-Raymond I, répondant à l'appel du comte Raymond VII, accourt à son aide et contribue à la victorieuse défense de Toulouse, assiégée par le prince Louis, fils aîné du roi Philippe-Auguste. Avec son cousin, Arnaud de Comminges, seigneur de Domezan, note P.-E. Ousset, rapportant les propos de la "Chanson de la Croisade, "il garde intrépidement la barbacane neuve".

Armagnac et Foix

Franchissons un siècle. La guerre de Cent Ans éclate. Elle durera de 1337 à 1453.

L'essentiel du conflit c'est l'opposition entre les rois de France et les souverains anglais mais le sud-ouest est particulièrement concerné, les anglais tenant la Guyenne. Des alliances se nouent. Les comtes d'Armagnac et les comtes de Foix prennent des partis différents et la seigneurie d'Aspet se trouvera naturellement impliquée dans les querelles entre ses puissants voisins. En 1362, Roger d'Aspet, qui a pris le parti du comte d'Armagnac est fait prisonnier par Gaston Fébus à la bataille de Launac et amené en captivité à Foix, avec neuf cents autres gentilshommes.

A la mort de Bernard II, en 1370 la seigneurie passe à sa fille Barrave. C'est elle qui donne à la ville et au consulat sa charte des usages et coutumes, libertés et franchises qu'elle jure d'observer et de maintenir, confirmant les usages anciens.

La maison de Coarraze

En 1403, Raymond-Arnaud de Coarraze confirme "tant en son nom qu'au nom de dame Barrave, dont il est procureur", la charte des coutumes. Le 11 janvier de cette même année, il est à Estadens où il prête serment et reçoit l'hommage de ses vassaux. Il porte les titres de baron de Coarraze et seigneur d'Aspet.

P.-E. Ousset avoue l'impossibilité de dire comment la seigneurie entière est passée sous la domination de cette famille : héritage, alliance, échange ou vente ?

Il joue un rôle très actif bien au-delà des limites de sa seigneurie.

Les Coarraze sont des nobles béarnais. Le père de Raymond-Arnaud a même été un conseiller très écouté de Gaston Fébus.

Le nouveau seigneur avait déjà un passé militaire. Il avait participé à une expédition castillane contre le Portugal, avec trois cents béarnais, qui furent écrasés à Aljubarota. Froissart rapporte que "Ramon de Corraza" échappa au massacre, mais que son frère Etienne y périt.

En 1409, il participe à une expédition en Sicile.

En 1412, il est nommé gouverneur provisoire du Comminges jusqu'à ce que soit libérée la comtesse Marguerite, emprisonnée par son mari.

En 1422 son fils Arnaud II lui succède.

Un compagnon de Jeanne d'Arc

On est alors en pleine guerre de Cent Ans. Raymond-Arnaud II est très impliqué dans le conflit. Dès 1423, il rejoint en Guyenne l'armée de Charles de Bourbon, où il exerce "de grands emplois".

En 1428 il accourt à Orléans à la tête d'une compagnie d'hommes d'armes. Il est blessé dans un engagement, échappe peu après au massacre de la journée des Harengs et assure ensuite la défense de la ville jusqu'à l'arrivée de Jeanne d'Arc, qu'il escorte à son entrée dans la ville. Il est des différents assauts qui amènent la levée du siège et la retraite des anglais.

On le trouve ensuite dans tous les autres grands moments de l'épopée de la Pucelle, souvent en compagnie de La Hire. Il est à Patay et on le retrouve à la cérémonie du sacre du Roi à Reims le 17 juillet 1429.

En 1443 il est témoin au traité passé entre le roi Charles VII et le comte Mathieu de Foix, qui prévoit l'incorporation à la couronne du Comté de Comminges.

Il continuera à guerroyer : on le voit en 1449 aux sièges de Mauléon, de Dax, puis de Bayonne. En 1456, maréchal de l'armée béarnaise, il participe à la conquête de la Navarre par le comte de Foix.

A sa mort, vers 1464, il ne laisse que deux filles.

L'aînée, Catherine, est instituée héritière. Elle n'a qu'une quinzaine d'années lorsqu'elle est mariée au comte de Comminges Mathieu de Foix, qui en a plus de cinquante-cinq. Mathieu mourra avant que Catherine hérite de la baronnie. Le gouvernement de Catherine sera troublé par des querelles de famille. En 1479, elle perd le château et la baronnie de Coarraze et se retire à Aspet où elle possède une vaste demeure à usage d'habitation".

En 1483, ruinée par des dissensions familiales dont elle n'est pas l'auteur, elle vend la baronnie à Jean de Foix, vicomte de Narbonne.

Les dernières années de sa vie sont remplis de tristesse : en butte aux agissements de son "beau-fils et gendre" qui, après s'être remarié "la rudoyait et la maltraitait", elle se réfugie au château de Durfort, au village de Galey, en Couserans.

Elle ne pourra revenir à Coarraze qu'en 1488. En 1492 elle fait son testament et elle meurt peu après.

La mémoire de Catherine de Coarraze est restée très vivante dans la baronnie d'Aspet. Les habitants se souvenaient de ses libéralités : ils lui devaient, en particulier, la fontaine qui orne encore la place centrale de la ville.

Les maisons de Foix et d'Albret

La baronnie  passera successivement aux maisons de Foix-Narbonne et de Foix-Lautrec, puis à la maison d'Albret. Elle sera l'objet de multiples querelles, séquestres, transactions, etc..

Entre 1513 et 1521. A la mort du baron Gaston de Foix-Nemours, plusieurs prétendants cherchent à faire valoir leurs droits. La baronnie est alors placée "sous la main du roi", qui l'adjuge à Germaine de Foix. Or Germaine de Foix était alors l'épouse de Ferdinand le Catholique, roi d'Aragon (veuf d'Isabelle la Catholique). Germain était peu intéressée par ses possessions en France et elle les cède en 1519 à Guillaume de Croy, seigneur de Chièvres. Mais en 1519, dès le décès du sire de Croy, le procureur du roi fait saisir la baronnie et François 1er la fait aussitôt passer dans une autre branche de la famille de Foix, la branche Lautrec.

En 1549, la baronnie passe à Henri II d'Albret, roi de Navarre, le plus proche parent de la baronne Claude de Foix-Lautrec, morte sans descendance.

La conversion au protestantisme de Jeanne d'Albret, en 1562, va encore compliquer la situation, embrouillée depuis des decennies par des questions de succession. En 1555, dès son avènement, elle fait prendre possession de la baronnie et nomme un gouverneur de la ville, mais son pouvoir est contesté.

Les autorités consulaires optent résolument pour le parti catholique. Louis de la Mothe, seigneur d'Izaut et Géraud d'Encausse, baron de Save, lèvent trois cents hommes dans la baronnie pour voler au secours de Toulouse, occupée par les huguenots. Les consuls, de leur côté, recrutent des troupes, fournissent des vivres en envoient des secours aux villes assiégées.

La ville ne connaîtra pas d'exactions, à la différence de plusieurs localités voisines : en 1569, Montgomery passe par Saint-Gaudens, Saleich, Ganties et Pointis-Inard, où les soldats huguenots brûlent l'église, 50 à 60 maisons, tuant une quinzaine d'hommes, parmi lesquels le curé de la paroisse.

Le baron protestant Jean-Claude de Lévis-Léran s'empare de Saint-Girons et se vante de "surprendre les villes de Castillon, d'Aspet et toutes autres qui sont près des monts Pyrénées". Mais la menace ne se concrétise pas.

La nouvelle de l'assassinat du duc de Guise fait rebondir le conflit. En 1589, les consuls d'Aspet, comme la plupart des consuls du Comminges, jurent d'être fidèles à la Sainte Union. Ils refusent de reconnaître Henri IV, nouvellement converti au catholicisme, comme roi de France.

Il ne faut pas oublier qu'Henri III de Navarre, qui vient de devenir Henri IV de France et de Navarre a succédé à Jeanne d'Albret comme baron d'Aspet. Le parti que les consuls ont pris officiellement pour la Ligue met la ville et la baronnie dans une situation pour la moins inconfortable. Les consuls reconnaissent Henri pour seigneur et ils lui payent à ce titre les droits de justice et de mutation, mais ils ne le considèrent pas comme légitime prétendant au trône parce que protestant, et ils refusent, de ce fait, le paiement des impôts d'Etat, comme la taille.

Même après la conversion du roi, les consuls prêtent serment de fidélité à la Sainte Union. Il faudra attendre 1597 pour qu'ils rendent enfin hommage au nouveau souverain.

Lorsqu'il avait accédé au trône, Henri IV avait gardé ses possessions personnelles. Ce n'est qu'en 1607 qu'il se résoudra à les rattacher à la couronne : Aspet figure au nombre des cinq baronnies incorporées. La baronnie se compose alors de 27 localités réparties en 15 consulats, à savoir : Aspet, avec Girosp, Sengouagnet et Milhas, Alas avec Balaguier, Arbas, avec Herran et Fougaron, Bareille avec Montgauch, Castelbiague, Chein-dessus et dessous, Estadens avec Pujos et Cerciat, Ganties, Labarthe-Inard, Mauvezin, Montastruc, Pointis-Inard, Portet avec Couledoux et Razecueillé, Rouède, Saleich.

Le roi est "seul seigneur" à Aspet, Castelbiague, Chein, Estadens, Mauvezin, Portet et Saleich ; il est en paréage à Alas-Balaguier (avec Jean de Solan), à Arbas, Montastruc et Rouède (avec César de Tersac), à Ganties (avec Nicolas d'Encausse), à Labarthe-Inard (avec Saure de Coret), à Montgauch (avec le sieur de Bareilles), à Pointis-Inard (avec Gaudens de Saint-Jean).

Dès lors la baronnie d'Aspet entre pleinement dans le domaine royal. Elle est assimilée à une châtellenie et elle est le siège d'une judicature royale.

Vente et rachat de localités de la baronnie

En 1639, donc peu après la réunion à la Couronne, Louis XIII avait ordonné la vente (avec faculté de rachat) de certains domaines du Midi. La baronnie d'Aspet sera vendue en 1642-1643.

Guy d'Encausse se rend acquéreur de Castelbiague, qu'il cède à Guy de Sarrieu ; d'Estadens, cédé à Jean d'Ustou-Montgaillard ; de Ganties, cédé à Jean d'Encausse, co-seigneur ; de Juzet, cédé à Jean d'Ustou-la-Molette, co-seigneur ; de Labarthe-Inard, cédé à Pierre de Saint-Jean ; de Portet, cédé au sieur Bartier.

Géraud Déqué, sieur de Moncaup, acquiert Affis et Mauvezin pour le compte de Jacques de Nosteins ; Montastruc, Arbas, Rouède et Saint-Martin, pour Jacques de Tersac, co-seigneur ; pour sa part il devient seigneur de Saleich.

En 1667, Louis XIV ordonne le rachat des 18 paroisses "engagées" en 1642-1643. Cependant certaines seront de nouveau vendues. C'est le cas de Castelbiague, Portet, Pointis-Inard.

A cette date, le roi restait seul seigneur à Aspet, Chein, Escaich, Estadens, Montgauch, Bareilles et Saleich. Etaient en paréage : Affis, Arbas, Ganties, Labarthe-Inard, Montastruc et Rouède.

La situation "administrative" n'évoluera guère jusqu'à la Révolution de 1789. Mais pendant ce laps de temps, nombreuses seront les tractations, les ventes, les cessions, les échanges, sauf pour Aspet, qui n'eut jamais d'autre seigneur que le roi.

Comme on l'aura vu dans l'ensemble de ce chapitre, le territoire de la baronnie ne correspondait pas au canton d'Aspet actuel : sur les 21 communes du canton 11 seulement appartenaient à la baronnie, mais celle-ci comprenait des villages qui sont aujourd'hui hors du canton, comme Saleich, Castelbiague, Montgauch, Bareilles ou Rouède.