Sujet: Il s'appelait Yeshua, pas Jésus | Auteur : #l-@nge Date : 02/03/2002 16:37
« Regardez l'homme qui descend la rue. Vous l'avez vu auparavant, plusieurs fois, en divers lieux, dans différentes villes, sur plus d'un continent. Il est ce que nous avons de mieux comme témoin.»
L'énigmatique témoin que décrit, dès le début de son dernier livre, l'historien Donald Harman Akenson, c'est saint Paul de Tarse. Saint Paul (Saül, de son nom hébraïque) qui, selon Akenson, est celui qui peut nous en apprendre le plus sur Jésus. Jésus le Sauveur, et Jésus l'homme. «Seulement, il ne nous dit pas les choses directement, et il nous faudra décoder une cascade de métaphores, de mots et de musiques.»
Pour quiconque a été élevé dans la tradition catholique, Saint Saül, A Skeleton Key to the Historical Jesus (Saint Saül: une esquisse du Jésus historique), publié cet automne chez McGill-Queen's University Press, est un ouvrage à la fois fascinant et déconcertant. Fascinant, parce qu'Akenson fait le point avec verve et rigueur sur les recherches visant à découvrir qui fut vraiment Jésus. Déconcertant parce que ce faisant, et en émettant de nouvelles hypothèses, il nous fait réaliser combien la réalité historique est à des lieues de ce qu'on nous a appris lorsque nous étions petits.
À la question «Que sait-on de Jésus, l'homme?» Donald Akenson répond: pas grand-chose. Et pour tirer de l'histoire tout ce qu'on peut en tirer, il vaut mieux se fier à cet homme étrange, saint Paul, plutôt qu'aux Évangiles comme on l'a toujours fait. Oui, à saint Paul qui n'a jamais rencontré Jésus, qui ne s'est converti au christianisme qu'après la crucifixion, pour en devenir ensuite le principal -et controversé- propagandiste hors du monde juif.
«Le Nouveau Testament est un ouvrage massif de suppression et de censure», écrit Akenson. «Ceux qui ont rédigé les Écritures, dit-il aussi, n'étaient pas passifs. En suivant des normes très précises sur ce qui était acceptable, ils ont agi de manière autonome, incorporant ici une anecdote qu'ils avaient entendue, là une parabole tirée d'ailleurs.»
Donald Harman Akenson est professeur d'histoire à l'Université Queen's, à Kingston. Né au Minnesota d'une famille d'origine suédoise, il a fait son doctorat à Harvard, et s'est spécialisé en histoire irlandaise. La religion étant là omniprésente, Akenson a été amené à fouiller l'histoire de la naissance des religions chrétienne et juive. Il a publié il y a deux ans une brique sur la Bible, qui a été fort bien accueillie par les critiques. L'ouvrage présent est une suite plus modeste consacrée à la réalité historique de Jésus.
En la matière, Akenson est loin d'être un pionnier. De nombreux chercheurs ont consacré leur vie à cette quête, sous une forme ou sous une autre. Akenson n'y a travaillé que cinq ans. Mais, historien respecté -plusieurs de ses ouvrages ont été primés- Akenson a reçu l'imprimatur de quelques spécialistes du domaine. «Si vous êtes un historien compétent, vous savez que votre science peut se transmettre d'un sujet à l'autre», a-t-il expliqué lors d'une interview accordée à La Presse. De l'Irlande à Jésus, donc.
Pour comprendre qui pouvait être Jésus, l'homme, il faut d'abord le situer dans son époque. Jésus, insiste Akenson, est juif : «Son nom était Yeshua, pas Jésus. C'est ainsi que l'appelaient son père, sa mère, ses frères et ses soeurs, et c'est par ce nom que ses disciples le connaissaient.»
Jésus est juif, certes, nous le savions. Mais seulement du bout des lèvres, sans accepter (ou comprendre) ce que cela signifie vraiment, déplore l'historien: «Il faut constamment se rappeler que «Jésus» n'était pas chrétien (il n'a jamais entendu ce mot, encore moins l'a-t-il endossé). Il ne tentait pas de créer une nouvelle religion non juive, et il était absolument fidèle à la religion de Yahweh (Dieu), qu'il espérait purifier, pas détruire.»
Yeshua a vécu à une époque d'effervescence religieuse, où florissaient les groupes proposant des interprétations différentes de la foi en Yahweh. Jésus était un prophète parmi d'autres.
Que prêchait Jésus exactement? Nous l'ignorons. Ni Jésus ni ses apôtres n'ont laissé d'écrits. Du moins ne les a-t-on pas découverts.
Alors, comme savoir? Les Évangiles? Les Évangiles, rappelle Akenson, n'ont pas été écrits par Marc, Matthieu, Luc et Jean. Ils ont été écrits par des fidèles de Jésus, à un moment crucial de l'histoire du judaïsme. Après l'an 70.
L'an 70, ça ne dit probablement rien à la plupart des chrétiens qui lisent ces lignes. Et pourtant, note Akenson, cette année-là se produit l'événement qui déterminera l'avenir de la chrétienté et du judaïsme.
En l'an 70, les Romains envahissent Jérusalem et détruisent l'immense Temple qu'y avait fait construire le roi Hérode. Un Temple qui occupait une place centrale dans la foi judaïque. Pour les juifs, la destruction du Temple fait l'effet d'une bombe atomique. Le Temple disparu, leur religion doit être réinventée.
Les auteurs des Évangiles - on ne sait pas qui ils sont - ne cherchent pas à raconter, dans le menu, ce qu'ils ont entendu dire sur la vie de Jésus de Nazareth. Ils tentent plutôt d'établir de nouvelles bases pour une religion s'inspirant des idées de Jésus, et de convaincre les juifs et les non-juifs d'y adhérer.
«Non seulement les auteurs du Nouveau Testament devaient-ils rédiger une histoire qui incluait la vie et la mort de Jésus de Nazareth et la résurrection de Jésus-Christ, mais ils devaient raconter cette histoire à un auditoire bouleversé par la destruction du Temple, un auditoire qui cherchait désespérément une façon de vivre le contrat éternel entre le peuple et Yahweh. Ils avaient besoin d'un Temple invisible.» L'opération sera d'autant plus efficace qu'on attribue les textes à des disciples éminents, ce qui sera fait au milieu du IIe siècle.
Comme source de données historiques, les Évangiles doivent donc être interprétés avec grande prudence. Ce qui n'enlève rien à leur richesse spirituelle, assure Akenson. «Mon analyse n'enlève rien au Nouveau Testament, dit-il. Je suis amoureux des Écritures! Mais en les lisant littéralement, et en les décortiquant sans cesse, nous avons perdu l'essence des Écritures. L'esprit de quiconque les lit en sort transformé.»
Donald Akenson insiste: il voulait avant tout faire oeuvre d'historien, en faisant abstraction des exigences de la religion ou de la Foi. Il s'attaque avec vigueur aux spécialistes qui peuplent le champ des études bibliques, accusant certains d'entre eux au pire de trafiquer les faits, au mieux de laisser leur enthousiasme émousser leur rigueur.
Ce que l'on sait
Parce que le véracité factuelle des Évangiles est plus que douteuse, et parce qu'ils ont été écrits après la destruction du Temple, Akenson croit que les historiens devraient porter davantage attention aux Épitres de saint Paul. Car celles-ci, contrairement aux Évangiles, ont été écrites avant le cataclysme. «Lisez-les en premier», adjure l'historien.
Certes Paul n'a pas connu Jésus, mais il a côtoyé les apôtres et la famille de l'homme de Nazareth. «Le monde d'après 70 -le monde dans lequel ont été créées les Écritures chrétiennes et les textes rabiniques- n'avait rien à voir avec le monde de Saül et de Yeshua: un univers religieux avait pris fin, un autre était né. Les lettres de Saül viennent du premier univers, les Évangiles de son successeur.»
Avant même d'analyser les Épîtres, cependant, on sait certaines choses au sujet de Jésus et de ceux qui l'entourent. Des faits que mentionnent les Évangiles et qui sont confirmés par le grand historien juif de l'époque, Flavius Josèphe. Ainsi:
1) Jean-Baptiste est un prophète qui pratique le baptême.
2) Yeshua de Nazareth est probablement un cousin de Jean.
3) Yeshua entreprend sa vie de prêcheur lorsque Jean le baptise.
4) Yeshua est un disciple de Jean-Baptiste.
5) Yeshua quitte Jean et entraîne avec lui certains des disciples du baptiste.
6) Les mouvements de Jean et de Yeshua se développent en parallèle. Tout indique que l'audience de Jean-Baptiste est plus importante.
7) Après la destruction du Temple, les fidèles de Jean-Baptiste joignent la religion chrétienne émergente.
Flavius Josèphe nous apprend aussi certains faits au sujet de Yacov (Jacques), l'un des frères de Jésus, qui après sa mort, deviendra le leader du mouvement à Jérusalem.
C'est tout. Le reste, estime Donald Akenson, n'est que spéculation.
À moins qu'on ne se penche sur les lettres que saint Paul a portées aux quatre coins du monde antique. Ces lettres ne nous parlent pas des détails de la vie de Jésus. Saül, dans la turbulence suivant la mort de Jésus, s'occupe surtout à imposer son interprétation du message de Jésus.
Les plus anciens fragments des Épîtres de Paul datent du début du IIIe siècle. On sait que les lettres ont été rédigées avant l'an 70 parce que Saül, de toute évidence, ne sait rien de la destruction du Temple. «Saül est le seul auteur chrétien qui nous parle de Jésus et de son mouvement sans avoir à mouler l'histoire pour tenir compte de la destruction du point central du monde judaïque», souligne Akenson.
Puisque Saül parle théologie plutôt qu'anecdotes, que peut-il nous apprendre sur Jésus, l'homme? C'est ici, surtout, qu'Akenson fait preuve d'originalité. «Saül nous révèle plein de choses au sujet du Jésus historique, écrit-il. Mais il le fait presque par accident, et il ne le fait pas en racontant une histoire. Cela fait une histoire difficile à lire.»
Quelle histoire? Quatre «faits de base», affirme Akenson.
D'abord, il est clair que, selon Saül, Jésus ne devient le Christ, le Messie, qu'une fois ressuscité. Or, Saül n'aurait pas pu défendre ce point de vue si Jésus avait, de son vivant, prétendu être le Messie. Les Évangiles le lui font dire mais, Akenson nous le rappelle encore une fois, les Évangiles arrivent quelques décennies plus tard. On le voit, on marche ici en terrain miné.
Cela n'effraie pas l'historien. Il continue. Pour Saül, la résurrection est l'événement central. L'événement qui amènera sa conversion. L'événement qui fait de Jésus le Messie.
Selon Akenson, le témoignage de Paul indique clairement que, selon lui, Jésus n'est pas ressuscité physiquement. L'événement est plutôt de nature spirituelle. Akenson cite en preuve des extraits des Épîtres où saint Paul semble exclure la possibilité de la résurrection physique du corps. Par exemple, cet extrait de l'Épître aux Corinthiens: «Ainsi en est-il pour la résurrection des morts. Semé dans la corruption, le corps ressuscite incorruptible; semé dans l'ignominie, il ressuscite glorieux; semé dans la faiblesse, il ressuscite plein de force; semé corps animal, il ressuscite corps spirituel.»
Troisième fait: Saül ne croit pas en l'Immaculée Conception. Certes, il est absolument convaincu que Jésus est le Fils de Dieu. Mais cela n'a rien à voir avec la manière dont il a été conçu. Il est «né de la postérité de David, selon la chair», dit saint Paul dans son Épître aux Romains.
Enfin, quatrième fait: Saül n'hésite pas à s'inscrire en faux contre les enseignements de Jésus sur la question du divorce. Alors que Jésus ne le tolère en aucune circonstance, saint Paul envisage des situations où le divorce est acceptable.
«À prime abord, les quatre faits que nous fournit (ou plutôt, semble nous fournir) Saül au sujet du Yeshua historique semblent le diminuer, concède Donald Akenson. Ce n'est pas le cas. Ils diminuent les manières légendaire, imaginaire, fantastique ou poétique d'appréhender l'être qui, pour Saül, est le Christ. Mais Saül comprenait la vie de Yeshua autrement qu'en mythifiant l'homme. Toute la glorification de Jésus le Christ se passait à un autre niveau, au niveau céleste.»
Autrement dit, Paul ne sentait nul besoin d'appuyer sa Foi sur un héros, sur un Jésus-Christ superstar. Ce ne fut pas le cas de ses successeurs, deux mille ans durant. Il fallait remplacer le Temple.
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