Auteur : #Atil Date : 08/05/2002 22:19
Pour affirmer les supériorités raciales, il faut supposer l’existence de races humaines; le raciste sous-entend ou pose clairement qu’il existe des races pures, que celles-ci sont supérieures aux autres, enfin que cette supériorité autorise une hégémonie politique et historique. Or ces trois points soulèvent des objections considérables.
D’abord, la quasi-totalité des groupes humains actuels sont le produit de métissages, de sorte qu’il est pratiquement impossible de caractériser des «races pures». Il est déjà très difficile de classer les groupes humains selon des critères biologiques toujours imprécis. Enfin, la constante évolution de l’espèce humaine et le caractère toujours provisoire des groupes humains rendent illusoire toute définition de la race fondée sur des données ethniques stables.
Bref, l’application du concept de pureté biologique aux groupes humains est inadéquate. Ce concept est un terme d’élevage, où la race, prétendument pure, est d’ailleurs obtenue par des métissages contrôlés. Quand on l’applique à l’homme, on confond souvent groupe biologique et groupe linguistique ou national; ainsi en est-il de la notion d’homme aryen, dont se sont servis Gobineau et ses disciples nazis. Il n’est pas impossible enfin que cette notion contienne implicitement la référence à un phantasme de la pureté.
De toute manière, en supposant qu’une telle pureté existe, pourquoi relier pureté biologique et supériorité et en quoi consisterait cette dernière? Si, par hypothèse encore, des supériorités biologiques existent, en liaison avec des traits ethniques, il n’est nullement démontré qu’elles conditionnent des supériorités psychologiques ou culturelles, sur lesquelles insiste le racisme.
En outre, en admettant que soient réelles de telles supériorités, provisoirement ou définitivement, liées ou non à une éventuelle pureté, pourquoi légitimeraient-elles une hégémonie politique?
Il est clair qu’on n’est pas en présence d’une conséquence scientifiquement établie mais d’un choix politique, d’un vœu ou d’une volonté d’établir une telle hégémonie, fallacieusement appuyée sur des arguments biologiques ou culturels.
Enfin, une dernière et insurmontable confusion se décèle dans le racisme: l’inadéquation entre groupes ethniques, groupes culturels, peuples et nations rend en tout cas illégitime un comportement politique qui se baserait sur des caractères ethniques ou culturels.
En conclusion, le racisme n’est pas une théorie scientifique, mais une pseudo-théorie, un ensemble d’opinions, sans articulations logiques certaines avec des données biologiques plus ou moins précises.
Les essais de légitimation
On comprend maintenant pourquoi une définition du racisme est si difficile. D’abord, le principe du racisme – la notion de race, appliquée aux humains – est un concept indéterminé ou plus exactement une notion à laquelle il est pratiquement impossible de découvrir un objet défini. Ensuite, l’argumentation issue de cette notion douteuse est elle-même douteuse et, de plus, peu cohérente dans son développement.
Cependant, le rapprochement entre la fragilité des bases scientifiques du racisme et l’ampleur des conclusions qui en sont tirées n’est pas sans intérêt. La passion des racistes, la ténacité et l’extension du phénomène, comparées aux confusions, aux glissements de sens et aux contradictions auxquels elles donnent lieu, prouveraient, s’il en était besoin, que le racisme trouve son assise non dans la logique mais dans l’affectivité et l’intérêt. Il faut ici renverser la perspective: l’accusation renvoie à l’accusateur plus qu’à l’accusé; le racisme, loin d’être une science ou une théorie scientifique qui dicterait une attitude et une conduite, cherche au contraire à se légitimer par une construction intellectuelle, une rationalisation, qui se trouve ainsi alimentée et sous-tendue par les exigences psychologiques de ce même comportement.
Le raciste met l’accent sur une différence biologique, réelle ou supposée, à partir de laquelle il déduit une conduite qu’il veut légitime, et souvent, par extension, une politique et une philosophie sociale, quelquefois une métaphysique. Ainsi, la couleur et les traits physiques des Noirs, qui seraient le signe de leur infériorité biologique, autoriseraient les Blancs à les gouverner. Le Juif, caractérisé d’abord par une description biologique, devient un «être du mal», à la fois maudit et générateur des pires catastrophes pour les autres.
La différence biologique est seulement un point de départ, l’assise d’une construction qui la dépasse infiniment. Pour asseoir sa démonstration, le raciste fait flèche de tout bois: tantôt il s’appuie sur l’indice céphalique, qui serait le meilleur critère de l’état mental et spirituel du sujet; tantôt il privilégie un détail psychologique du comportement individuel, qu’il étend ensuite à tout un groupe; tantôt il croit déceler un trait collectif, qu’il attribue à tout individu du groupe. Même quand le trait est réel, il n’est pas forcément légitime de lui donner une telle extension, ni une telle signification; dans tous les cas, la différence, qu’elle soit biologique, psychologique, culturelle ou sociale, est toujours à l’avantage du sujet raciste.
Une telle analyse conduit à mettre de nouveau en question le terme de racisme: il s’agit en effet ici d’un mécanisme beaucoup plus vaste et probablement plus profond qu’il ne semble. Le mot «racisme» veut signifier une théorie des races humaines; ne serait-il pas plus exact alors d’utiliser le terme de «raciologie»? En outre, cette signification projetée n’est presque jamais seule concernée; le racisme contient implicitement une condamnation et un refus d’individus ou de groupes tenus pour appartenir à une autre race; s’il ne s’agit pas tant – ou pas seulement – de constater une différence biologique, mais d’agresser un peuple ou un groupe humain sous l’alibi de l’argument biologique, ne serait-il pas plus exact de parler d’«ethnophobie»? Ce dernier terme s’offre pour désigner un phénomène humain largement répandu et dont le racisme ne serait qu’une variété peut-être historiquement provisoire.
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