CERCLOFORUM (spiritualité, sagesse, philosophie)

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Sujet:   Pourquoi Donner son avis sur ce qu'on ignore ?
Auteur : #Atil
Date :   


En 1996, Amélie Nothomb publie le texte "L'existence de Dieu" dans Le Revue Générale, numéro 3 (de 96).

Voici le texte en entier:



Il fut question d’organiser un référendum pour décider démocratiquement si Dieu existait. Cette idée amusa les gens ; ils rirent moins quand ils s’aperçurent que ce n’était pas une idée, mais un projet en cours.

Il fallait reconnaître que les arguments des politiques n’étaient pas mauvais : on ne s’était déjà que trop tués pour cette histoire de Dieu. En dernier ressort, personne ne saurait jamais si oui ou non Il existait.

- En fait, peu importe, disait Richter, l’initiateur du référendum.

- Peu importe, peu importe... Vous en avez de bonnes ! rétorquaient les commissionnaires. C’est de Son existence que dépend le salut de notre âme !

- Admettons. De deux choses l’une : soit Il existe, et notre projet, qui a pour but la paix entre les hommes, ne peut que Lui plaire et donc contribuer au salut de votre âme : soit Il n’existe pas, auquel cas nos pourparlers n’auront que des conséquences administratives.

- Après le pari de Pascal, le pari de Richter ! Nous vous aurions cru plus mystique, quand même !

- Je suis mystique.

- On ne dirait pas.

- Un mystique qui ne se soucierait pas du sort de son prochain vous paraîtrait-il plus convaincant ?

- De là à remettre à un sondage la question de l’existence de Dieu !

- Il faut vivre avec son époque. Et puis, messieurs les puristes, quelle autre solution entrevoyez-vous à la crise sans précédent qui met notre planète à feu et à sang ?

Les commissionnaires n’en virent aucune.

On passa donc à la phase ultérieure. Richter soutenait que le projet devait être mondial ; sinon, il n’aurait aucun intérêt.

- Vous rêvez, mon pauvre ami : proposez cela aux islamistes et vous verrez ! Ou plutôt vous ne verrez pas, parce que vous serez mort.

- Mais c’est précisément pour que notre Terre ne devienne pas une grande Algérie que j’ai eu cette idée.

- Nous savons cela. Encore faut-il rester dans les limites du possible. Il vaut mieux procéder graduellement. Commençons à petite échelle : la France, par exemple.

- Et pourquoi pas le Liechtenstein, tant que vous y êtes ? s’indigna Richter. Nous n’en sortirons jamais, si nous procédons avec une telle lenteur. En outre, nous venons d’élire un nouveau président : si nous invitons nos compatriotes à voter pour ou contre Dieu deux mois après les présidentielles, nous pouvons déjà imaginer le genre de sarcasmes français que cela nous vaudra.

- La francophonie, alors ?

- Non, il ne faut pas choisir un critère linguistique : les langues sont des religions, elles aussi. Prenons l’Europe ! C’est une bonne base de travail, ni trop uniforme, ni trop disparate.

- Mais il n’y a pas assez de différences religieuses entre les Européens.

- Je connais des Irlandais qui pourraient vous contredire. Et puis la nouveauté de notre projet, c’est que l’opposition ne se fera pas entre tenants de telle ou telle religion ; elle aura pour unique critère l’existence de Dieu. La question est d’une telle envergure qu’elle effacera des millénaires sanglants d’ergotages sur les hérésies, la Réforme, les sectes, etc. Enfin un véritable ciment pour une humanité qui, jusqu’ici, s’était égarée dans les détails du phénomène religieux et en avait négligé l’essentiel. Depuis Malraux, on ne cesse de clamer que le vingt-et-unième siècle sera religieux ou ne sera pas. Or, nous voici déjà en 1995 et, à part l’islamisme, je ne vois rien encore qui justifie cette prophétie. Si la politique ne s’en mêle pas, nous sommes condamnés au surplace.

- Un référendum européen sur l’existence de Dieu ! Vous êtes un enfant. Richter : le jour où les Européens s’intéresseront à autre chose qu’à des quotas laitiers, il fera chaud.

- Donnons-leur l’occasion de s’intéresser à autre chose ! Qui sait ? Peut-être que de notre entreprise surgira une dimension nouvelle dont l’Europe a bien besoin : la grandeur, par exemple. Pour la première fois, l’Europe pourrait être le phare des autres continents.

Consternés, les commissionnaires se demandèrent comment ce jeune illuminé avait pu obtenir un poste aussi important :

- Avec qui a-t-il couché pour en arriver là ? - D’après mes informations, avec Dieu. - Dieu est-il un piston ? - Cette question fera partie du sondage.

On eut beau ricaner, une sous-commission de rédacteurs se mit en place. La formulation des questionnaires donna lieu à des débats aussi houleux qu’au concile de Trente.

Les sous-commissionnaires décrétèrent qu’il fallait biaiser ; demander directement aux gens s’ils étaient pour ou contre l’existence de Dieu serait trop abrupt. Ils assuraient que le commun des mortels était incapable d’avoir la moindre opinion sur un sujet pareil. On procéderait donc par interrogatoire prolongé, au terme duquel on serait en mesure d’induire si la population avait besoin que Dieu existe.

Certaines questions furent formulées de manière absurde. Exemple : Etes-vous d’accord avec la phrase suivante : on peut être guéri au cours d’un pèlerinage à Lourdes ?

- Ridicule ! s’insurgea Richter. - Qu’est-ce que vous lui reprochez, à notre question ?

- Je me mets à la place du sondé. Je suppose que si je réponds oui, on me classera parmi ceux qui croient aux miracles - ce qui serait forcer ma pensée. Mais répondre non revient aussi à attribuer à Lourdes un pouvoir surnaturel - négatif cette fois : on ne peut pas être guéri si on va à Lourdes. Pourtant, rien n’empêche un traitement d’agir au moment d’un pèlerinage. En outre, faut-il nommer "miracle " un éventuel effet psychologique favorable, du type placebo?

- Ce sont des arguments d’intellectuels. Nous nous adressons à la majorité de la population, pour laquelle les miracles ont toujours été un élément capital dans les discussions sur l’existence de Dieu.

- Autrement dit, nous ne nous adressons qu’à des imbéciles, c’est ça ? C’est du nivellement par le bas, votre sondage !

- Mon cher enfant, si vous vouliez rester dans la subtilité et la finesse, il valait mieux ne pas recourir à un référendum.

- C’est dans la simplicité que je voulais rester. Un sondage en une seule question, bizarre certes, mais honnête : Etes-vous pour ou contre l’existence de Dieu ? Rien de plus. Il ne nous appartient pas de juger la pertinence des esprits. Le besoin de Dieu est une réalité éternelle qui n’a jamais eu rien à voir avec l’intelligence.

Après des semaines de disputes, les sous-commissionnaires, qui voulaient avoir la paix, donnèrent raison à Richter.

- Encore un détail, ajouta ce dernier. Je propose que ce vote soit obligatoire.

- Vous appelez ça un détail ? C’est du totalitarisme, votre histoire !

- Le vote est déjà obligatoire en Belgique, au Luxembourg, en Italie et en Grèce. Et ce ne sont pas des pays totalitaires.

- S’agissant d’une question pareille, ne serait-il pas choquant de forcer les gens à voter ?

- S’agissant d’une question pareille, ne serait-il pas choquant qu’il y ait des gens qui ne votent pas ?

- En somme, vous voulez forcer les gens à faire ce qui est bon pour eux ? Ça s’appelle du dirigisme.

- Dans l’isoloir, ils auront la liberté de s’abstenir.

Richter menaça de démissionner si le référendum n’était pas obligatoire. On fut tenté de le prendre au mot, mais l’idée des semaines qu’ils avaient consacrées à cette affaire découragea les commissionnaires. On lui accorda tout ce qu’il voulait et on se vengea ensuite en médisant sur son compte.

Le vote fut fixé au 24 août 1995.

Malgré les interdictions gouvernementales, il y eut une campagne électorale sauvage. On vit des gens défiler dans la rue avec des pancartes : Oui à l’existence de Dieu. Leurs enfants arboraient des tee-shirts imprimés : J’ai besoin de Dieu. Pendant ce temps, les opposants collaient des affiches : Que faisait Dieu le 6 août 1945 ? ou Non à l’existence de Dieu, oui a l’existence de l’homme ou encore Dieu ne vote pas pour vous, pourquoi voteriez-vous pour lui ? Ceux que l’on appelait les existencistes se déclaraient pleins de commisération pour les non-existencistes, lesquels s’inquiétaient haut et fort de la santé mentale de leurs ennemis.

L’Eglise s’offusqua. Protestants, catholiques, anglicans, orthodoxes oublièrent les schismes qui les séparaient pour constituer la Ligue Œ*****énique.

Ils se disaient horrifiés que l'on osât confier une telle question à des humains : Comment l'œuvre pourrait-elle statuer sur l'existence de son Créateur ? C'est pire qu'un sacrilège, c'est un non-sens. En outre, c'est une intervention inacceptable du politique clans le religieux. Et puis enfin, qui a eu l'idée ignoble de fixer la date du vote au jour de la Saint-Barthélemy ?

Richter réfutait point par point : Ce que nous faisons n'est guère différent de ce que saint Paul a fait - et vous n'avez pas excommunié Saint Paul, n 'est-ce pas ? Nous ne comptons plus les incursions du religieux dans le politique : pour une fois que l'inverse se produit, c'est un juste retour des choses. Nous nous contentons, en l'occurrence, de pallier les carences de l'Eglise qui ne peut s'en prendre qu'à elle-même si elle ne satisfait plus personne. Quant à la Saint-Barthélémy, ce choix me parait au contraire un beau symbole : que l'anniversaire de l'intolérance soit lavé par une date de réconciliation démocratique. J'ajoute que le 24 août est aussi l'anniversaire de l'éruption qui engloutit Pompéi en 79 après Jésus-Christ : or, aucun Napolitain n'a qualifié notre choix de cynique. Que l'Eglise nous épargne donc ses sempiternels délires paranoïaques. Nous profitons de l'occasion pour lui rappeler que le vote est obligatoire et qu'aucune dérogation ne lui sera accordée.

Le 24 août, les bureaux de vote furent ouverts de huit heures du matin à treize heures : en effet, c'était un jour de semaine et on ne pouvait pas se permettre de faire perdre une journée entière de travail aux entreprise

Les dépouillements eurent donc lieu l'après-midi. Le soir, tous les Européens étaient devant leur poste de télévision pour avoir le résultat (il y eut des esprits forts pour déclarer que Dieu regardait sans doute la télévision pour la première fois de sa vie). Richter ne respirait plus.

Les chiffres s'inscrivirent au même instant sur la totalité des écrans européens: malgré un taux d'abstention record, le oui était largement majoritaire.

Richter poussa des cris de joie : il pouvait se l'avouer à présent, il n'eût pas supporté la victoire du non. Il tomba à genoux en clamant : Mon Dieu, j'ai une excellente nouvelle pour Vous : Vous exister ! Pardonner a la trivialité de ce référendum. Les voies qui mènent a Vous sont impénétrables et j'avoue n 'en pas avoir trouvé d'autres. Mais peu importe le moyen, n 'est-ce pas ? Seul compte le résultat, et il est sensationnel ! Avec Vous comme ciment, les hommes vont enfin cesser de se haïr.

Cela faisait des nuits que Richter ne dormait plus. Epuisé, il alla se coucher et s'endormit du sommeil du juste.

Le 25 août au matin, il se réveilla en pleine forme. Comme la vie est belle quand Vous exister ! pensa-t-il. Il prit son petit déjeuner en écoutant Jésus, que ma joie demeure.

Il ramassa son journal dans la boite aux lettres. Le titre était : La nouvelle nuit clé la Saint-Barthélémy. On avait relevé des milliers de morts dans toutes les villes européennes. Existencistes et non-existencistes s'étaient entre-tués jusqu'à l'aube. Des photos atroces illustraient le massacre.

La dernière phrase de l’éditorial était : A présent, nous avons la réponse au référendum de Monsieur Richter : Dieu est contre l'existence de l'homme.

Richter alla dans la salle de bains. Il commença par vomir. Ensuite il se pendit avec le tuyau de la douche qui supporta sans peine son poids léger.

Quand on le retrouva, il était trop tard. La commission référendaire se réunit une dernière fois. - Comment faire pour qu'une telle horreur ne se reproduise jamais ?

- Il faudrait un livre. Un livre fort qui retrace l'affaire comme elle s'est passée. Un livre insoutenable, donc.

- Un tel livre ne peut pas être écrit par n'importe qui.

Les commissionnaires proposèrent divers noms. Ils finirent par se mettre d'accord : ce serait Amélie Nothomb, écrivain belge de vingt-sept ans, qui offrirait sa plume à cette noble cause.

On la contacta par téléphone : - Pourquoi moi ? s'étonna-t-elle.

- Vous êtes jeune et surtout vous vivez à Bruxelles : il serait emblématique à plus d'un titre que ce soit vous qui racontiez ce drame européen.

- Mais je ne suis pas qualifiée pour écrire ce genre d'histoire.

- Précisément : c'est une habitude européenne que de choisir des personnalités qui ne soient pas compétentes. Richter en fut un exemple frappant.

Elle se fit un peu prier puis accepta à condition qu'on lui versât un cachet exorbitant. Les commissionnaires lui demandèrent pour qui elle se prenait. Elle se contenta de répondre :

- Vous marchandez Dieu ?

On lui paya la somme séance tenante.

Le lendemain, Amélie Nothomb disparut avec l'argent. On ne l'a jamais retrouvée.
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Sujet : Pourquoi Donner son avis sur ce qu'on ignore ?
 Auteur :  at7760
 E-mail :  at7760@chez.com
 Date : 27/06/2002


En 1996, Amélie Nothomb publie le texte "L'existence de Dieu" dans Le Revue Générale, numéro 3 (de 96).

Voici le texte en entier:



Il fut question d’organiser un référendum pour décider démocratiquement si Dieu existait. Cette idée amusa les gens ; ils rirent moins quand ils s’aperçurent que ce n’était pas une idée, mais un projet en cours.

Il fallait reconnaître que les arguments des politiques n’étaient pas mauvais : on ne s’était déjà que trop tués pour cette histoire de Dieu. En dernier ressort, personne ne saurait jamais si oui ou non Il existait.

- En fait, peu importe, disait Richter, l’initiateur du référendum.

- Peu importe, peu importe... Vous en avez de bonnes ! rétorquaient les commissionnaires. C’est de Son existence que dépend le salut de notre âme !

- Admettons. De deux choses l’une : soit Il existe, et notre projet, qui a pour but la paix entre les hommes, ne peut que Lui plaire et donc contribuer au salut de votre âme : soit Il n’existe pas, auquel cas nos pourparlers n’auront que des conséquences administratives.

- Après le pari de Pascal, le pari de Richter ! Nous vous aurions cru plus mystique, quand même !

- Je suis mystique.

- On ne dirait pas.

- Un mystique qui ne se soucierait pas du sort de son prochain vous paraîtrait-il plus convaincant ?

- De là à remettre à un sondage la question de l’existence de Dieu !

- Il faut vivre avec son époque. Et puis, messieurs les puristes, quelle autre solution entrevoyez-vous à la crise sans précédent qui met notre planète à feu et à sang ?

Les commissionnaires n’en virent aucune.

On passa donc à la phase ultérieure. Richter soutenait que le projet devait être mondial ; sinon, il n’aurait aucun intérêt.

- Vous rêvez, mon pauvre ami : proposez cela aux islamistes et vous verrez ! Ou plutôt vous ne verrez pas, parce que vous serez mort.

- Mais c’est précisément pour que notre Terre ne devienne pas une grande Algérie que j’ai eu cette idée.

- Nous savons cela. Encore faut-il rester dans les limites du possible. Il vaut mieux procéder graduellement. Commençons à petite échelle : la France, par exemple.

- Et pourquoi pas le Liechtenstein, tant que vous y êtes ? s’indigna Richter. Nous n’en sortirons jamais, si nous procédons avec une telle lenteur. En outre, nous venons d’élire un nouveau président : si nous invitons nos compatriotes à voter pour ou contre Dieu deux mois après les présidentielles, nous pouvons déjà imaginer le genre de sarcasmes français que cela nous vaudra.

- La francophonie, alors ?

- Non, il ne faut pas choisir un critère linguistique : les langues sont des religions, elles aussi. Prenons l’Europe ! C’est une bonne base de travail, ni trop uniforme, ni trop disparate.

- Mais il n’y a pas assez de différences religieuses entre les Européens.

- Je connais des Irlandais qui pourraient vous contredire. Et puis la nouveauté de notre projet, c’est que l’opposition ne se fera pas entre tenants de telle ou telle religion ; elle aura pour unique critère l’existence de Dieu. La question est d’une telle envergure qu’elle effacera des millénaires sanglants d’ergotages sur les hérésies, la Réforme, les sectes, etc. Enfin un véritable ciment pour une humanité qui, jusqu’ici, s’était égarée dans les détails du phénomène religieux et en avait négligé l’essentiel. Depuis Malraux, on ne cesse de clamer que le vingt-et-unième siècle sera religieux ou ne sera pas. Or, nous voici déjà en 1995 et, à part l’islamisme, je ne vois rien encore qui justifie cette prophétie. Si la politique ne s’en mêle pas, nous sommes condamnés au surplace.

- Un référendum européen sur l’existence de Dieu ! Vous êtes un enfant. Richter : le jour où les Européens s’intéresseront à autre chose qu’à des quotas laitiers, il fera chaud.

- Donnons-leur l’occasion de s’intéresser à autre chose ! Qui sait ? Peut-être que de notre entreprise surgira une dimension nouvelle dont l’Europe a bien besoin : la grandeur, par exemple. Pour la première fois, l’Europe pourrait être le phare des autres continents.

Consternés, les commissionnaires se demandèrent comment ce jeune illuminé avait pu obtenir un poste aussi important :

- Avec qui a-t-il couché pour en arriver là ? - D’après mes informations, avec Dieu. - Dieu est-il un piston ? - Cette question fera partie du sondage.

On eut beau ricaner, une sous-commission de rédacteurs se mit en place. La formulation des questionnaires donna lieu à des débats aussi houleux qu’au concile de Trente.

Les sous-commissionnaires décrétèrent qu’il fallait biaiser ; demander directement aux gens s’ils étaient pour ou contre l’existence de Dieu serait trop abrupt. Ils assuraient que le commun des mortels était incapable d’avoir la moindre opinion sur un sujet pareil. On procéderait donc par interrogatoire prolongé, au terme duquel on serait en mesure d’induire si la population avait besoin que Dieu existe.

Certaines questions furent formulées de manière absurde. Exemple : Etes-vous d’accord avec la phrase suivante : on peut être guéri au cours d’un pèlerinage à Lourdes ?

- Ridicule ! s’insurgea Richter. - Qu’est-ce que vous lui reprochez, à notre question ?

- Je me mets à la place du sondé. Je suppose que si je réponds oui, on me classera parmi ceux qui croient aux miracles - ce qui serait forcer ma pensée. Mais répondre non revient aussi à attribuer à Lourdes un pouvoir surnaturel - négatif cette fois : on ne peut pas être guéri si on va à Lourdes. Pourtant, rien n’empêche un traitement d’agir au moment d’un pèlerinage. En outre, faut-il nommer "miracle " un éventuel effet psychologique favorable, du type placebo?

- Ce sont des arguments d’intellectuels. Nous nous adressons à la majorité de la population, pour laquelle les miracles ont toujours été un élément capital dans les discussions sur l’existence de Dieu.

- Autrement dit, nous ne nous adressons qu’à des imbéciles, c’est ça ? C’est du nivellement par le bas, votre sondage !

- Mon cher enfant, si vous vouliez rester dans la subtilité et la finesse, il valait mieux ne pas recourir à un référendum.

- C’est dans la simplicité que je voulais rester. Un sondage en une seule question, bizarre certes, mais honnête : Etes-vous pour ou contre l’existence de Dieu ? Rien de plus. Il ne nous appartient pas de juger la pertinence des esprits. Le besoin de Dieu est une réalité éternelle qui n’a jamais eu rien à voir avec l’intelligence.

Après des semaines de disputes, les sous-commissionnaires, qui voulaient avoir la paix, donnèrent raison à Richter.

- Encore un détail, ajouta ce dernier. Je propose que ce vote soit obligatoire.

- Vous appelez ça un détail ? C’est du totalitarisme, votre histoire !

- Le vote est déjà obligatoire en Belgique, au Luxembourg, en Italie et en Grèce. Et ce ne sont pas des pays totalitaires.

- S’agissant d’une question pareille, ne serait-il pas choquant de forcer les gens à voter ?

- S’agissant d’une question pareille, ne serait-il pas choquant qu’il y ait des gens qui ne votent pas ?

- En somme, vous voulez forcer les gens à faire ce qui est bon pour eux ? Ça s’appelle du dirigisme.

- Dans l’isoloir, ils auront la liberté de s’abstenir.

Richter menaça de démissionner si le référendum n’était pas obligatoire. On fut tenté de le prendre au mot, mais l’idée des semaines qu’ils avaient consacrées à cette affaire découragea les commissionnaires. On lui accorda tout ce qu’il voulait et on se vengea ensuite en médisant sur son compte.

Le vote fut fixé au 24 août 1995.

Malgré les interdictions gouvernementales, il y eut une campagne électorale sauvage. On vit des gens défiler dans la rue avec des pancartes : Oui à l’existence de Dieu. Leurs enfants arboraient des tee-shirts imprimés : J’ai besoin de Dieu. Pendant ce temps, les opposants collaient des affiches : Que faisait Dieu le 6 août 1945 ? ou Non à l’existence de Dieu, oui a l’existence de l’homme ou encore Dieu ne vote pas pour vous, pourquoi voteriez-vous pour lui ? Ceux que l’on appelait les existencistes se déclaraient pleins de commisération pour les non-existencistes, lesquels s’inquiétaient haut et fort de la santé mentale de leurs ennemis.

L’Eglise s’offusqua. Protestants, catholiques, anglicans, orthodoxes oublièrent les schismes qui les séparaient pour constituer la Ligue Œ*****énique.

Ils se disaient horrifiés que l'on osât confier une telle question à des humains : Comment l'œuvre pourrait-elle statuer sur l'existence de son Créateur ? C'est pire qu'un sacrilège, c'est un non-sens. En outre, c'est une intervention inacceptable du politique clans le religieux. Et puis enfin, qui a eu l'idée ignoble de fixer la date du vote au jour de la Saint-Barthélemy ?

Richter réfutait point par point : Ce que nous faisons n'est guère différent de ce que saint Paul a fait - et vous n'avez pas excommunié Saint Paul, n 'est-ce pas ? Nous ne comptons plus les incursions du religieux dans le politique : pour une fois que l'inverse se produit, c'est un juste retour des choses. Nous nous contentons, en l'occurrence, de pallier les carences de l'Eglise qui ne peut s'en prendre qu'à elle-même si elle ne satisfait plus personne. Quant à la Saint-Barthélémy, ce choix me parait au contraire un beau symbole : que l'anniversaire de l'intolérance soit lavé par une date de réconciliation démocratique. J'ajoute que le 24 août est aussi l'anniversaire de l'éruption qui engloutit Pompéi en 79 après Jésus-Christ : or, aucun Napolitain n'a qualifié notre choix de cynique. Que l'Eglise nous épargne donc ses sempiternels délires paranoïaques. Nous profitons de l'occasion pour lui rappeler que le vote est obligatoire et qu'aucune dérogation ne lui sera accordée.

Le 24 août, les bureaux de vote furent ouverts de huit heures du matin à treize heures : en effet, c'était un jour de semaine et on ne pouvait pas se permettre de faire perdre une journée entière de travail aux entreprise

Les dépouillements eurent donc lieu l'après-midi. Le soir, tous les Européens étaient devant leur poste de télévision pour avoir le résultat (il y eut des esprits forts pour déclarer que Dieu regardait sans doute la télévision pour la première fois de sa vie). Richter ne respirait plus.

Les chiffres s'inscrivirent au même instant sur la totalité des écrans européens: malgré un taux d'abstention record, le oui était largement majoritaire.

Richter poussa des cris de joie : il pouvait se l'avouer à présent, il n'eût pas supporté la victoire du non. Il tomba à genoux en clamant : Mon Dieu, j'ai une excellente nouvelle pour Vous : Vous exister ! Pardonner a la trivialité de ce référendum. Les voies qui mènent a Vous sont impénétrables et j'avoue n 'en pas avoir trouvé d'autres. Mais peu importe le moyen, n 'est-ce pas ? Seul compte le résultat, et il est sensationnel ! Avec Vous comme ciment, les hommes vont enfin cesser de se haïr.

Cela faisait des nuits que Richter ne dormait plus. Epuisé, il alla se coucher et s'endormit du sommeil du juste.

Le 25 août au matin, il se réveilla en pleine forme. Comme la vie est belle quand Vous exister ! pensa-t-il. Il prit son petit déjeuner en écoutant Jésus, que ma joie demeure.

Il ramassa son journal dans la boite aux lettres. Le titre était : La nouvelle nuit clé la Saint-Barthélémy. On avait relevé des milliers de morts dans toutes les villes européennes. Existencistes et non-existencistes s'étaient entre-tués jusqu'à l'aube. Des photos atroces illustraient le massacre.

La dernière phrase de l’éditorial était : A présent, nous avons la réponse au référendum de Monsieur Richter : Dieu est contre l'existence de l'homme.

Richter alla dans la salle de bains. Il commença par vomir. Ensuite il se pendit avec le tuyau de la douche qui supporta sans peine son poids léger.

Quand on le retrouva, il était trop tard. La commission référendaire se réunit une dernière fois. - Comment faire pour qu'une telle horreur ne se reproduise jamais ?

- Il faudrait un livre. Un livre fort qui retrace l'affaire comme elle s'est passée. Un livre insoutenable, donc.

- Un tel livre ne peut pas être écrit par n'importe qui.

Les commissionnaires proposèrent divers noms. Ils finirent par se mettre d'accord : ce serait Amélie Nothomb, écrivain belge de vingt-sept ans, qui offrirait sa plume à cette noble cause.

On la contacta par téléphone : - Pourquoi moi ? s'étonna-t-elle.

- Vous êtes jeune et surtout vous vivez à Bruxelles : il serait emblématique à plus d'un titre que ce soit vous qui racontiez ce drame européen.

- Mais je ne suis pas qualifiée pour écrire ce genre d'histoire.

- Précisément : c'est une habitude européenne que de choisir des personnalités qui ne soient pas compétentes. Richter en fut un exemple frappant.

Elle se fit un peu prier puis accepta à condition qu'on lui versât un cachet exorbitant. Les commissionnaires lui demandèrent pour qui elle se prenait. Elle se contenta de répondre :

- Vous marchandez Dieu ?

On lui paya la somme séance tenante.

Le lendemain, Amélie Nothomb disparut avec l'argent. On ne l'a jamais retrouvée.

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Sujet:   Pourquoi Donner son avis sur ce qu'on ignore ?
Auteur : #Atil
Date :    28/06/2002 07:48


En 1996, Amélie Nothomb publie le texte "L'existence de Dieu" dans Le Revue Générale, numéro 3 (de 96).

Voici le texte en entier:



Il fut question d’organiser un référendum pour décider démocratiquement si Dieu existait. Cette idée amusa les gens ; ils rirent moins quand ils s’aperçurent que ce n’était pas une idée, mais un projet en cours.

Il fallait reconnaître que les arguments des politiques n’étaient pas mauvais : on ne s’était déjà que trop tués pour cette histoire de Dieu. En dernier ressort, personne ne saurait jamais si oui ou non Il existait.

- En fait, peu importe, disait Richter, l’initiateur du référendum.

- Peu importe, peu importe... Vous en avez de bonnes ! rétorquaient les commissionnaires. C’est de Son existence que dépend le salut de notre âme !

- Admettons. De deux choses l’une : soit Il existe, et notre projet, qui a pour but la paix entre les hommes, ne peut que Lui plaire et donc contribuer au salut de votre âme : soit Il n’existe pas, auquel cas nos pourparlers n’auront que des conséquences administratives.

- Après le pari de Pascal, le pari de Richter ! Nous vous aurions cru plus mystique, quand même !

- Je suis mystique.

- On ne dirait pas.

- Un mystique qui ne se soucierait pas du sort de son prochain vous paraîtrait-il plus convaincant ?

- De là à remettre à un sondage la question de l’existence de Dieu !

- Il faut vivre avec son époque. Et puis, messieurs les puristes, quelle autre solution entrevoyez-vous à la crise sans précédent qui met notre planète à feu et à sang ?

Les commissionnaires n’en virent aucune.

On passa donc à la phase ultérieure. Richter soutenait que le projet devait être mondial ; sinon, il n’aurait aucun intérêt.

- Vous rêvez, mon pauvre ami : proposez cela aux islamistes et vous verrez ! Ou plutôt vous ne verrez pas, parce que vous serez mort.

- Mais c’est précisément pour que notre Terre ne devienne pas une grande Algérie que j’ai eu cette idée.

- Nous savons cela. Encore faut-il rester dans les limites du possible. Il vaut mieux procéder graduellement. Commençons à petite échelle : la France, par exemple.

- Et pourquoi pas le Liechtenstein, tant que vous y êtes ? s’indigna Richter. Nous n’en sortirons jamais, si nous procédons avec une telle lenteur. En outre, nous venons d’élire un nouveau président : si nous invitons nos compatriotes à voter pour ou contre Dieu deux mois après les présidentielles, nous pouvons déjà imaginer le genre de sarcasmes français que cela nous vaudra.

- La francophonie, alors ?

- Non, il ne faut pas choisir un critère linguistique : les langues sont des religions, elles aussi. Prenons l’Europe ! C’est une bonne base de travail, ni trop uniforme, ni trop disparate.

- Mais il n’y a pas assez de différences religieuses entre les Européens.

- Je connais des Irlandais qui pourraient vous contredire. Et puis la nouveauté de notre projet, c’est que l’opposition ne se fera pas entre tenants de telle ou telle religion ; elle aura pour unique critère l’existence de Dieu. La question est d’une telle envergure qu’elle effacera des millénaires sanglants d’ergotages sur les hérésies, la Réforme, les sectes, etc. Enfin un véritable ciment pour une humanité qui, jusqu’ici, s’était égarée dans les détails du phénomène religieux et en avait négligé l’essentiel. Depuis Malraux, on ne cesse de clamer que le vingt-et-unième siècle sera religieux ou ne sera pas. Or, nous voici déjà en 1995 et, à part l’islamisme, je ne vois rien encore qui justifie cette prophétie. Si la politique ne s’en mêle pas, nous sommes condamnés au surplace.

- Un référendum européen sur l’existence de Dieu ! Vous êtes un enfant. Richter : le jour où les Européens s’intéresseront à autre chose qu’à des quotas laitiers, il fera chaud.

- Donnons-leur l’occasion de s’intéresser à autre chose ! Qui sait ? Peut-être que de notre entreprise surgira une dimension nouvelle dont l’Europe a bien besoin : la grandeur, par exemple. Pour la première fois, l’Europe pourrait être le phare des autres continents.

Consternés, les commissionnaires se demandèrent comment ce jeune illuminé avait pu obtenir un poste aussi important :

- Avec qui a-t-il couché pour en arriver là ? - D’après mes informations, avec Dieu. - Dieu est-il un piston ? - Cette question fera partie du sondage.

On eut beau ricaner, une sous-commission de rédacteurs se mit en place. La formulation des questionnaires donna lieu à des débats aussi houleux qu’au concile de Trente.

Les sous-commissionnaires décrétèrent qu’il fallait biaiser ; demander directement aux gens s’ils étaient pour ou contre l’existence de Dieu serait trop abrupt. Ils assuraient que le commun des mortels était incapable d’avoir la moindre opinion sur un sujet pareil. On procéderait donc par interrogatoire prolongé, au terme duquel on serait en mesure d’induire si la population avait besoin que Dieu existe.

Certaines questions furent formulées de manière absurde. Exemple : Etes-vous d’accord avec la phrase suivante : on peut être guéri au cours d’un pèlerinage à Lourdes ?

- Ridicule ! s’insurgea Richter. - Qu’est-ce que vous lui reprochez, à notre question ?

- Je me mets à la place du sondé. Je suppose que si je réponds oui, on me classera parmi ceux qui croient aux miracles - ce qui serait forcer ma pensée. Mais répondre non revient aussi à attribuer à Lourdes un pouvoir surnaturel - négatif cette fois : on ne peut pas être guéri si on va à Lourdes. Pourtant, rien n’empêche un traitement d’agir au moment d’un pèlerinage. En outre, faut-il nommer "miracle " un éventuel effet psychologique favorable, du type placebo?

- Ce sont des arguments d’intellectuels. Nous nous adressons à la majorité de la population, pour laquelle les miracles ont toujours été un élément capital dans les discussions sur l’existence de Dieu.

- Autrement dit, nous ne nous adressons qu’à des imbéciles, c’est ça ? C’est du nivellement par le bas, votre sondage !

- Mon cher enfant, si vous vouliez rester dans la subtilité et la finesse, il valait mieux ne pas recourir à un référendum.

- C’est dans la simplicité que je voulais rester. Un sondage en une seule question, bizarre certes, mais honnête : Etes-vous pour ou contre l’existence de Dieu ? Rien de plus. Il ne nous appartient pas de juger la pertinence des esprits. Le besoin de Dieu est une réalité éternelle qui n’a jamais eu rien à voir avec l’intelligence.

Après des semaines de disputes, les sous-commissionnaires, qui voulaient avoir la paix, donnèrent raison à Richter.

- Encore un détail, ajouta ce dernier. Je propose que ce vote soit obligatoire.

- Vous appelez ça un détail ? C’est du totalitarisme, votre histoire !

- Le vote est déjà obligatoire en Belgique, au Luxembourg, en Italie et en Grèce. Et ce ne sont pas des pays totalitaires.

- S’agissant d’une question pareille, ne serait-il pas choquant de forcer les gens à voter ?

- S’agissant d’une question pareille, ne serait-il pas choquant qu’il y ait des gens qui ne votent pas ?

- En somme, vous voulez forcer les gens à faire ce qui est bon pour eux ? Ça s’appelle du dirigisme.

- Dans l’isoloir, ils auront la liberté de s’abstenir.

Richter menaça de démissionner si le référendum n’était pas obligatoire. On fut tenté de le prendre au mot, mais l’idée des semaines qu’ils avaient consacrées à cette affaire découragea les commissionnaires. On lui accorda tout ce qu’il voulait et on se vengea ensuite en médisant sur son compte.

Le vote fut fixé au 24 août 1995.

Malgré les interdictions gouvernementales, il y eut une campagne électorale sauvage. On vit des gens défiler dans la rue avec des pancartes : Oui à l’existence de Dieu. Leurs enfants arboraient des tee-shirts imprimés : J’ai besoin de Dieu. Pendant ce temps, les opposants collaient des affiches : Que faisait Dieu le 6 août 1945 ? ou Non à l’existence de Dieu, oui a l’existence de l’homme ou encore Dieu ne vote pas pour vous, pourquoi voteriez-vous pour lui ? Ceux que l’on appelait les existencistes se déclaraient pleins de commisération pour les non-existencistes, lesquels s’inquiétaient haut et fort de la santé mentale de leurs ennemis.

L’Eglise s’offusqua. Protestants, catholiques, anglicans, orthodoxes oublièrent les schismes qui les séparaient pour constituer la Ligue Œ*****énique.

Ils se disaient horrifiés que l'on osât confier une telle question à des humains : Comment l'œuvre pourrait-elle statuer sur l'existence de son Créateur ? C'est pire qu'un sacrilège, c'est un non-sens. En outre, c'est une intervention inacceptable du politique clans le religieux. Et puis enfin, qui a eu l'idée ignoble de fixer la date du vote au jour de la Saint-Barthélemy ?

Richter réfutait point par point : Ce que nous faisons n'est guère différent de ce que saint Paul a fait - et vous n'avez pas excommunié Saint Paul, n 'est-ce pas ? Nous ne comptons plus les incursions du religieux dans le politique : pour une fois que l'inverse se produit, c'est un juste retour des choses. Nous nous contentons, en l'occurrence, de pallier les carences de l'Eglise qui ne peut s'en prendre qu'à elle-même si elle ne satisfait plus personne. Quant à la Saint-Barthélémy, ce choix me parait au contraire un beau symbole : que l'anniversaire de l'intolérance soit lavé par une date de réconciliation démocratique. J'ajoute que le 24 août est aussi l'anniversaire de l'éruption qui engloutit Pompéi en 79 après Jésus-Christ : or, aucun Napolitain n'a qualifié notre choix de cynique. Que l'Eglise nous épargne donc ses sempiternels délires paranoïaques. Nous profitons de l'occasion pour lui rappeler que le vote est obligatoire et qu'aucune dérogation ne lui sera accordée.

Le 24 août, les bureaux de vote furent ouverts de huit heures du matin à treize heures : en effet, c'était un jour de semaine et on ne pouvait pas se permettre de faire perdre une journée entière de travail aux entreprise

Les dépouillements eurent donc lieu l'après-midi. Le soir, tous les Européens étaient devant leur poste de télévision pour avoir le résultat (il y eut des esprits forts pour déclarer que Dieu regardait sans doute la télévision pour la première fois de sa vie). Richter ne respirait plus.

Les chiffres s'inscrivirent au même instant sur la totalité des écrans européens: malgré un taux d'abstention record, le oui était largement majoritaire.

Richter poussa des cris de joie : il pouvait se l'avouer à présent, il n'eût pas supporté la victoire du non. Il tomba à genoux en clamant : Mon Dieu, j'ai une excellente nouvelle pour Vous : Vous exister ! Pardonner a la trivialité de ce référendum. Les voies qui mènent a Vous sont impénétrables et j'avoue n 'en pas avoir trouvé d'autres. Mais peu importe le moyen, n 'est-ce pas ? Seul compte le résultat, et il est sensationnel ! Avec Vous comme ciment, les hommes vont enfin cesser de se haïr.

Cela faisait des nuits que Richter ne dormait plus. Epuisé, il alla se coucher et s'endormit du sommeil du juste.

Le 25 août au matin, il se réveilla en pleine forme. Comme la vie est belle quand Vous exister ! pensa-t-il. Il prit son petit déjeuner en écoutant Jésus, que ma joie demeure.

Il ramassa son journal dans la boite aux lettres. Le titre était : La nouvelle nuit clé la Saint-Barthélémy. On avait relevé des milliers de morts dans toutes les villes européennes. Existencistes et non-existencistes s'étaient entre-tués jusqu'à l'aube. Des photos atroces illustraient le massacre.

La dernière phrase de l’éditorial était : A présent, nous avons la réponse au référendum de Monsieur Richter : Dieu est contre l'existence de l'homme.

Richter alla dans la salle de bains. Il commença par vomir. Ensuite il se pendit avec le tuyau de la douche qui supporta sans peine son poids léger.

Quand on le retrouva, il était trop tard. La commission référendaire se réunit une dernière fois. - Comment faire pour qu'une telle horreur ne se reproduise jamais ?

- Il faudrait un livre. Un livre fort qui retrace l'affaire comme elle s'est passée. Un livre insoutenable, donc.

- Un tel livre ne peut pas être écrit par n'importe qui.

Les commissionnaires proposèrent divers noms. Ils finirent par se mettre d'accord : ce serait Amélie Nothomb, écrivain belge de vingt-sept ans, qui offrirait sa plume à cette noble cause.

On la contacta par téléphone : - Pourquoi moi ? s'étonna-t-elle.

- Vous êtes jeune et surtout vous vivez à Bruxelles : il serait emblématique à plus d'un titre que ce soit vous qui racontiez ce drame européen.

- Mais je ne suis pas qualifiée pour écrire ce genre d'histoire.

- Précisément : c'est une habitude européenne que de choisir des personnalités qui ne soient pas compétentes. Richter en fut un exemple frappant.

Elle se fit un peu prier puis accepta à condition qu'on lui versât un cachet exorbitant. Les commissionnaires lui demandèrent pour qui elle se prenait. Elle se contenta de répondre :

- Vous marchandez Dieu ?

On lui paya la somme séance tenante.

Le lendemain, Amélie Nothomb disparut avec l'argent. On ne l'a jamais retrouvée.
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Discussion courante:
Sujet : Pourquoi Donner son avis sur ce qu'on ignore ?
 Auteur :  at7760
 E-mail :  at7760@chez.com
 Date : 27/06/2002


En 1996, Amélie Nothomb publie le texte "L'existence de Dieu" dans Le Revue Générale, numéro 3 (de 96).

Voici le texte en entier:



Il fut question d’organiser un référendum pour décider démocratiquement si Dieu existait. Cette idée amusa les gens ; ils rirent moins quand ils s’aperçurent que ce n’était pas une idée, mais un projet en cours.

Il fallait reconnaître que les arguments des politiques n’étaient pas mauvais : on ne s’était déjà que trop tués pour cette histoire de Dieu. En dernier ressort, personne ne saurait jamais si oui ou non Il existait.

- En fait, peu importe, disait Richter, l’initiateur du référendum.

- Peu importe, peu importe... Vous en avez de bonnes ! rétorquaient les commissionnaires. C’est de Son existence que dépend le salut de notre âme !

- Admettons. De deux choses l’une : soit Il existe, et notre projet, qui a pour but la paix entre les hommes, ne peut que Lui plaire et donc contribuer au salut de votre âme : soit Il n’existe pas, auquel cas nos pourparlers n’auront que des conséquences administratives.

- Après le pari de Pascal, le pari de Richter ! Nous vous aurions cru plus mystique, quand même !

- Je suis mystique.

- On ne dirait pas.

- Un mystique qui ne se soucierait pas du sort de son prochain vous paraîtrait-il plus convaincant ?

- De là à remettre à un sondage la question de l’existence de Dieu !

- Il faut vivre avec son époque. Et puis, messieurs les puristes, quelle autre solution entrevoyez-vous à la crise sans précédent qui met notre planète à feu et à sang ?

Les commissionnaires n’en virent aucune.

On passa donc à la phase ultérieure. Richter soutenait que le projet devait être mondial ; sinon, il n’aurait aucun intérêt.

- Vous rêvez, mon pauvre ami : proposez cela aux islamistes et vous verrez ! Ou plutôt vous ne verrez pas, parce que vous serez mort.

- Mais c’est précisément pour que notre Terre ne devienne pas une grande Algérie que j’ai eu cette idée.

- Nous savons cela. Encore faut-il rester dans les limites du possible. Il vaut mieux procéder graduellement. Commençons à petite échelle : la France, par exemple.

- Et pourquoi pas le Liechtenstein, tant que vous y êtes ? s’indigna Richter. Nous n’en sortirons jamais, si nous procédons avec une telle lenteur. En outre, nous venons d’élire un nouveau président : si nous invitons nos compatriotes à voter pour ou contre Dieu deux mois après les présidentielles, nous pouvons déjà imaginer le genre de sarcasmes français que cela nous vaudra.

- La francophonie, alors ?

- Non, il ne faut pas choisir un critère linguistique : les langues sont des religions, elles aussi. Prenons l’Europe ! C’est une bonne base de travail, ni trop uniforme, ni trop disparate.

- Mais il n’y a pas assez de différences religieuses entre les Européens.

- Je connais des Irlandais qui pourraient vous contredire. Et puis la nouveauté de notre projet, c’est que l’opposition ne se fera pas entre tenants de telle ou telle religion ; elle aura pour unique critère l’existence de Dieu. La question est d’une telle envergure qu’elle effacera des millénaires sanglants d’ergotages sur les hérésies, la Réforme, les sectes, etc. Enfin un véritable ciment pour une humanité qui, jusqu’ici, s’était égarée dans les détails du phénomène religieux et en avait négligé l’essentiel. Depuis Malraux, on ne cesse de clamer que le vingt-et-unième siècle sera religieux ou ne sera pas. Or, nous voici déjà en 1995 et, à part l’islamisme, je ne vois rien encore qui justifie cette prophétie. Si la politique ne s’en mêle pas, nous sommes condamnés au surplace.

- Un référendum européen sur l’existence de Dieu ! Vous êtes un enfant. Richter : le jour où les Européens s’intéresseront à autre chose qu’à des quotas laitiers, il fera chaud.

- Donnons-leur l’occasion de s’intéresser à autre chose ! Qui sait ? Peut-être que de notre entreprise surgira une dimension nouvelle dont l’Europe a bien besoin : la grandeur, par exemple. Pour la première fois, l’Europe pourrait être le phare des autres continents.

Consternés, les commissionnaires se demandèrent comment ce jeune illuminé avait pu obtenir un poste aussi important :

- Avec qui a-t-il couché pour en arriver là ? - D’après mes informations, avec Dieu. - Dieu est-il un piston ? - Cette question fera partie du sondage.

On eut beau ricaner, une sous-commission de rédacteurs se mit en place. La formulation des questionnaires donna lieu à des débats aussi houleux qu’au concile de Trente.

Les sous-commissionnaires décrétèrent qu’il fallait biaiser ; demander directement aux gens s’ils étaient pour ou contre l’existence de Dieu serait trop abrupt. Ils assuraient que le commun des mortels était incapable d’avoir la moindre opinion sur un sujet pareil. On procéderait donc par interrogatoire prolongé, au terme duquel on serait en mesure d’induire si la population avait besoin que Dieu existe.

Certaines questions furent formulées de manière absurde. Exemple : Etes-vous d’accord avec la phrase suivante : on peut être guéri au cours d’un pèlerinage à Lourdes ?

- Ridicule ! s’insurgea Richter. - Qu’est-ce que vous lui reprochez, à notre question ?

- Je me mets à la place du sondé. Je suppose que si je réponds oui, on me classera parmi ceux qui croient aux miracles - ce qui serait forcer ma pensée. Mais répondre non revient aussi à attribuer à Lourdes un pouvoir surnaturel - négatif cette fois : on ne peut pas être guéri si on va à Lourdes. Pourtant, rien n’empêche un traitement d’agir au moment d’un pèlerinage. En outre, faut-il nommer "miracle " un éventuel effet psychologique favorable, du type placebo?

- Ce sont des arguments d’intellectuels. Nous nous adressons à la majorité de la population, pour laquelle les miracles ont toujours été un élément capital dans les discussions sur l’existence de Dieu.

- Autrement dit, nous ne nous adressons qu’à des imbéciles, c’est ça ? C’est du nivellement par le bas, votre sondage !

- Mon cher enfant, si vous vouliez rester dans la subtilité et la finesse, il valait mieux ne pas recourir à un référendum.

- C’est dans la simplicité que je voulais rester. Un sondage en une seule question, bizarre certes, mais honnête : Etes-vous pour ou contre l’existence de Dieu ? Rien de plus. Il ne nous appartient pas de juger la pertinence des esprits. Le besoin de Dieu est une réalité éternelle qui n’a jamais eu rien à voir avec l’intelligence.

Après des semaines de disputes, les sous-commissionnaires, qui voulaient avoir la paix, donnèrent raison à Richter.

- Encore un détail, ajouta ce dernier. Je propose que ce vote soit obligatoire.

- Vous appelez ça un détail ? C’est du totalitarisme, votre histoire !

- Le vote est déjà obligatoire en Belgique, au Luxembourg, en Italie et en Grèce. Et ce ne sont pas des pays totalitaires.

- S’agissant d’une question pareille, ne serait-il pas choquant de forcer les gens à voter ?

- S’agissant d’une question pareille, ne serait-il pas choquant qu’il y ait des gens qui ne votent pas ?

- En somme, vous voulez forcer les gens à faire ce qui est bon pour eux ? Ça s’appelle du dirigisme.

- Dans l’isoloir, ils auront la liberté de s’abstenir.

Richter menaça de démissionner si le référendum n’était pas obligatoire. On fut tenté de le prendre au mot, mais l’idée des semaines qu’ils avaient consacrées à cette affaire découragea les commissionnaires. On lui accorda tout ce qu’il voulait et on se vengea ensuite en médisant sur son compte.

Le vote fut fixé au 24 août 1995.

Malgré les interdictions gouvernementales, il y eut une campagne électorale sauvage. On vit des gens défiler dans la rue avec des pancartes : Oui à l’existence de Dieu. Leurs enfants arboraient des tee-shirts imprimés : J’ai besoin de Dieu. Pendant ce temps, les opposants collaient des affiches : Que faisait Dieu le 6 août 1945 ? ou Non à l’existence de Dieu, oui a l’existence de l’homme ou encore Dieu ne vote pas pour vous, pourquoi voteriez-vous pour lui ? Ceux que l’on appelait les existencistes se déclaraient pleins de commisération pour les non-existencistes, lesquels s’inquiétaient haut et fort de la santé mentale de leurs ennemis.

L’Eglise s’offusqua. Protestants, catholiques, anglicans, orthodoxes oublièrent les schismes qui les séparaient pour constituer la Ligue Œ*****énique.

Ils se disaient horrifiés que l'on osât confier une telle question à des humains : Comment l'œuvre pourrait-elle statuer sur l'existence de son Créateur ? C'est pire qu'un sacrilège, c'est un non-sens. En outre, c'est une intervention inacceptable du politique clans le religieux. Et puis enfin, qui a eu l'idée ignoble de fixer la date du vote au jour de la Saint-Barthélemy ?

Richter réfutait point par point : Ce que nous faisons n'est guère différent de ce que saint Paul a fait - et vous n'avez pas excommunié Saint Paul, n 'est-ce pas ? Nous ne comptons plus les incursions du religieux dans le politique : pour une fois que l'inverse se produit, c'est un juste retour des choses. Nous nous contentons, en l'occurrence, de pallier les carences de l'Eglise qui ne peut s'en prendre qu'à elle-même si elle ne satisfait plus personne. Quant à la Saint-Barthélémy, ce choix me parait au contraire un beau symbole : que l'anniversaire de l'intolérance soit lavé par une date de réconciliation démocratique. J'ajoute que le 24 août est aussi l'anniversaire de l'éruption qui engloutit Pompéi en 79 après Jésus-Christ : or, aucun Napolitain n'a qualifié notre choix de cynique. Que l'Eglise nous épargne donc ses sempiternels délires paranoïaques. Nous profitons de l'occasion pour lui rappeler que le vote est obligatoire et qu'aucune dérogation ne lui sera accordée.

Le 24 août, les bureaux de vote furent ouverts de huit heures du matin à treize heures : en effet, c'était un jour de semaine et on ne pouvait pas se permettre de faire perdre une journée entière de travail aux entreprise

Les dépouillements eurent donc lieu l'après-midi. Le soir, tous les Européens étaient devant leur poste de télévision pour avoir le résultat (il y eut des esprits forts pour déclarer que Dieu regardait sans doute la télévision pour la première fois de sa vie). Richter ne respirait plus.

Les chiffres s'inscrivirent au même instant sur la totalité des écrans européens: malgré un taux d'abstention record, le oui était largement majoritaire.

Richter poussa des cris de joie : il pouvait se l'avouer à présent, il n'eût pas supporté la victoire du non. Il tomba à genoux en clamant : Mon Dieu, j'ai une excellente nouvelle pour Vous : Vous exister ! Pardonner a la trivialité de ce référendum. Les voies qui mènent a Vous sont impénétrables et j'avoue n 'en pas avoir trouvé d'autres. Mais peu importe le moyen, n 'est-ce pas ? Seul compte le résultat, et il est sensationnel ! Avec Vous comme ciment, les hommes vont enfin cesser de se haïr.

Cela faisait des nuits que Richter ne dormait plus. Epuisé, il alla se coucher et s'endormit du sommeil du juste.

Le 25 août au matin, il se réveilla en pleine forme. Comme la vie est belle quand Vous exister ! pensa-t-il. Il prit son petit déjeuner en écoutant Jésus, que ma joie demeure.

Il ramassa son journal dans la boite aux lettres. Le titre était : La nouvelle nuit clé la Saint-Barthélémy. On avait relevé des milliers de morts dans toutes les villes européennes. Existencistes et non-existencistes s'étaient entre-tués jusqu'à l'aube. Des photos atroces illustraient le massacre.

La dernière phrase de l’éditorial était : A présent, nous avons la réponse au référendum de Monsieur Richter : Dieu est contre l'existence de l'homme.

Richter alla dans la salle de bains. Il commença par vomir. Ensuite il se pendit avec le tuyau de la douche qui supporta sans peine son poids léger.

Quand on le retrouva, il était trop tard. La commission référendaire se réunit une dernière fois. - Comment faire pour qu'une telle horreur ne se reproduise jamais ?

- Il faudrait un livre. Un livre fort qui retrace l'affaire comme elle s'est passée. Un livre insoutenable, donc.

- Un tel livre ne peut pas être écrit par n'importe qui.

Les commissionnaires proposèrent divers noms. Ils finirent par se mettre d'accord : ce serait Amélie Nothomb, écrivain belge de vingt-sept ans, qui offrirait sa plume à cette noble cause.

On la contacta par téléphone : - Pourquoi moi ? s'étonna-t-elle.

- Vous êtes jeune et surtout vous vivez à Bruxelles : il serait emblématique à plus d'un titre que ce soit vous qui racontiez ce drame européen.

- Mais je ne suis pas qualifiée pour écrire ce genre d'histoire.

- Précisément : c'est une habitude européenne que de choisir des personnalités qui ne soient pas compétentes. Richter en fut un exemple frappant.

Elle se fit un peu prier puis accepta à condition qu'on lui versât un cachet exorbitant. Les commissionnaires lui demandèrent pour qui elle se prenait. Elle se contenta de répondre :

- Vous marchandez Dieu ?

On lui paya la somme séance tenante.

Le lendemain, Amélie Nothomb disparut avec l'argent. On ne l'a jamais retrouvée.

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Sujet:   Re: Pourquoi donner son avis ? Oui, pourquoi ?
Auteur : SiziF
Date :    29/06/2002 18:13

>Depuis Malraux, on ne cesse de clamer que le vingt-et-unième siècle sera religieux ou ne sera pas.

Que cette citation archiressassée peut être énervante ! A plus d'un titre :

_elle est souvent mal reprise, comme ici par A. Nothomb. La phrase exacte est : le XXIème siècle sera SPIRITUEL ou ne sera pas.

_étant donné que Malraux était athée, elle est dénaturée et/ou mal comprise.

_c'est une sentence d'une arrogance et d'une indigence rares (dans quel contexte a-t-elle été dite ou écrite ?)

_c'est du niveau d'une prédiction d'astrologue, façon Elisabeth Tessier.


Voilà. C'était plus un coup de gueule qu'un avis.

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Sujet:   Re: Pourquoi Donner son avis sur ce qu'on ignore ?
Auteur : #Atil
Date :    29/06/2002 18:45

Ne voulait-il pas dire par la que si notre civilisation continuait de se baser sur le matérialisme, l'égoïsme et le culte de l'argent, elle finirait rapidement par s'auto-détruire ?

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Sujet:   Re: Pourquoi Donner son avis sur ce qu'on ignore ?
Auteur : Time
Date :    30/06/2002 11:32

euh pardon sizif

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Sujet:   Re: Pourquoi Donner son avis sur ce qu'on ignore ?
Auteur : Time
Date :    30/06/2002 11:31

Tiens Atil, j'ai déjà vu çe texte quelque part ;o)

A zizif, on prête cette phrase à Malraux, mais en est-on si sûr qu'elle a bien été dite par A.Malraux ?

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Sujet:   Re: Pourquoi Donner son avis sur ce qu'on ignore ?
Auteur : kayixa
Date :    30/06/2002 12:14

Moi Malraux bof bof mais Nothomb j'aime beaucoup, souvent :-)

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Sujet:   Re: Pourquoi Donner son avis sur ce qu'on ignore ?
Auteur : at7760
Date :    30/06/2002 13:26

Bienvenue à Time qui sait ou je suis allé recopier le texte d' Amélie Nothomb ;o)

#Atil

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Sujet:   Re: Pourquoi Donner son avis sur ce qu'on ignore ?
Auteur : SiziF
Date :    30/06/2002 21:08

Time, si en plus cette sentence n'était pas de Malraux, ce serait un comble !

Atil, c'est bien le problème des citations hors contexte, leur interprétation est toujours douteuse. Il est possible aussi que Malraux ait visé le matérialisme des régimes communistes.

Mais quoi qu'il en soit, citée comme telle, cette "pensée" ne vaut que par l'argument d'autorité de son auteur.

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Sujet:   Re: Pourquoi Donner son avis sur ce qu'on ignore ?
Auteur : Time
Date :    01/07/2002 10:38

Sizif,

Pour l'instant, personne ne sait s 'il a vraiment dit.
Quoiqu'il en soit, elle résume quand même bien la situation planétaire.
Tout sur le matérialisme dans les pays riches et l'accent mis fortement sur la propriété, l'egocentrisme et l'apparence.
C'est d'ailleurs pour cela que l'on dit qu'il sera religieux !!!

Amalgame quand tu nous tiens ;)

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Sujet:   Re: Pourquoi Donner son avis sur ce qu'on ignore ?
Auteur : #Atil
Date :    01/07/2002 14:52

Je me souviens d'avoir lu dans un livre que quelqu'un lui avait demandé ce qu'il entendait par "spirituel". Et il aurair répondu que par "spirituel" il entendait "mystique".
Mais je répète ca de mémoire et sans être certain que ce soit vrai.

Pour l'instant, notre siècle voit bien la résurgence de la religion dans certains pays... mais sous la forme du fanatisme !

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Sujet:   Re: Pourquoi Donner son avis sur ce qu'on ignore ?
Auteur : Time
Date :    01/07/2002 15:04

et si tout était cycle hein Atil ;)
Apogée Hypogée ....
le fanatisme fait partie de cette hydre grégaire qui n'est pas encore au sommet( à son apogée quoi)

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Sujet:   Re: Pourquoi Donner son avis sur ce qu'on ignore ?
Auteur : l-@nge
Date :    01/07/2002 20:24

Pourquoi Donner son avis sur ce qu'on ignore ?


Tout simplement parce que nous aimons nous croire importants! :hello:

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Sujet:   Re: Pourquoi Donner son avis sur ce qu'on ignore ?
Auteur : at7760
Date :    01/07/2002 20:27

Quand on regarde l'histoire des civilisations, on voit que celles-ci, en effet, suivent des cycles avec des hauts et des bas.
J'ai remarqué que les cycles d'expansions matérielles étaient souvent en opposition avec les cycles de progrés "spirituels".

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Sujet:   Re: Pourquoi Donner son avis sur ce qu'on ignore ?
Auteur : Time
Date :    01/07/2002 21:02

intéressant, tu peux détailler en citant quelques civilisations comme cela!

car, en fait ce n'est pas parce qu'il n'y a plus de spirituel dans la vie de tous les jours qu'il n'existe pas!

Cela se retrouve dans la tradition orale par exemple

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Sujet:   Re: Pourquoi Donner son avis sur ce qu'on ignore ?
Auteur : at7760
Date :    01/07/2002 21:23

Par exemple : la civilisation chinoise.
Elle a fluctué entre des phases d'expansion militaire et des phases de replis et de division.
C'est lors d'une époque de division que la philosophie chinoise a été la + féconde (Confucius, Lao-tzeu, meng-tzeu, etc...)
C'est aussi lors des périodes de divisions et d'invasions barbares que le bouddhisme a le plus progressé en Chine (idem en occident avec le christianisme).

C'est lorsque les hommes souffrent le plus qu'ils ont le plus besoin de croire.

L'homme érige donc des dogmes pour se rassurer en se cachant sa propre ignorance.
Cela peut-être aussi par orgueil, afin de se faire passer pour + savant qu'il n'est, comme disait L_@nge.

Répondre à ce message

Sujet:   LA VERITE VRAIE
Auteur : SiziF
Date :    01/07/2002 23:50

"le XXIème siècle sera spirituel (ou religieux !!) ou ne sera pas" ????

Rendons hommage à Time qui est resté(e ?) sceptique sur la paternité de cette phrase ; à Malraux qui n'a jamais dit une chose aussi pauvre et prétentieuse ; et à votre serviteur dont l'agacement devant ce genre d'antienne apparaît comme légitime et constructif car ...

Voici (trouvé sur le net) ce qu'a réellement déclaré André Malraux lors d'une interview à un journal danois :

" [...] ce que nous a apporté la psychanalyse au XXème siècle, c'est de nous faire découvrir que le diable existait ; ce qui nous reste à découvrir pour le prochain siècle, c'est que les dieux existent aussi"

En complément, cette réponse à une question de son secrétaire, Michel Cazenave :

"Mais enfin qu'est-ce que ça veut dire que ces dieux auxquels vous faites allusion, vous qui faites profession d'être agnostique ?"
Malraux : "Eh bien, écoutez, bien sûr vous avez compris qu'au début je faisais allusion à Freud ; vous le connaissez, je n'en doute pas. Pour la seconde partie, vous n'avez qu'à lire Jung".


Donc, une quantité phénoménale de gens se gargarise d'une pseudo-prophétie que Malraux n'a jamais faite en ces termes et de plus l'interprète d'une manière complètement érronée !

Malraux parlait de psychanalyse et de "dieux intérieurs" ?!!

Répondre à ce message

Sujet:   Re: Pourquoi Donner son avis sur ce qu'on ignore ?
Auteur : at7760
Date :    01/07/2002 23:54

Il voulait parler des archétypes de Jung, je suppose, alors ?

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Sujet:   Re: Pourquoi Donner son avis sur ce qu'on ignore ?
Auteur : Time
Date :    02/07/2002 10:03

Salut Sizif et Atil

+++ Rendons hommage à Time qui est resté(e ?) sceptique sur la paternité de cette phrase

Réponse : .....qui est resté ;)

Pourquoi focaliser sur les termes , ils ne sont pas si prétentieux, ni pauvres ?

Tout le monde est bien d'accord pour dire que la matérialité tue l'Homme dans ce sens qu'elle déstructure la pensée.
En réalité ce n'est même pas çà le vrai problème

Tout est dans l'équilibre entre matérialité et spiritualité, actuellemnt la balance penche trop.

On s'en fout de la religion, elle n'a encore rien amené de viable et de concis ., çà c'est un constat!

Atil,

Ok pour tes exemples, mais alors que penses-tu des USA qui exacerbent et mtériel et religieux
que c'en est outrancier.

Qu'appelle-t-on mettre en opposition le développement spirituel face au développement matériel
Dans tes exemples, ceux qui ont fait développé le spirituel mangait bien à leur faim, Non ?

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Sujet:   Re: Pourquoi Donner son avis sur ce qu'on ignore ?
Auteur : #Atil
Date :    02/07/2002 12:02

Ben non, au contraire : les époques ou les religions ont le plus progressé étaient celles ou les hommes mourraient le plus de faim, ou les pays étaient le plus divisés, ou l'anarchie permettait aux barbares de s'infiltrer partout.
Cela est visible dans la Rome décadente, dans la Chine divisée des tcheou, dans la Grèce antique divisée ou tous les états étaient en guerre, etc...
Aprés le moyen-age, la renaissance a débuté en Italie, pays divisé ou tous les petits états se faisaient la guerre.
Lorsque la philosophie et la religion semblent puissantes dans un pays stable, riche et unifié, cela correspond souvent à des systèmes d'idées figés, dogmatiques et ayant perdu leur inventivité juvénile.
La religion est puissante aux états_unis (on oublie souvent que ce pays est une sorte de théocratie)... mais elle est dogmatique et vieillote (elle veut remplacer le darwinisme par le créationnisme dans l'enseignement). Le vrai Dieu des usa c'est le dollard.
Les usa sont spirituellement figés et puritains, c'est un pays qui ne souffre pas assez pour être capable de réfléchir profondément au sens de la vie.

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Sujet:   Re: Pourquoi Donner son avis sur ce qu'on ignore ?
Auteur : un dieu
Date :    02/07/2002 20:56

pourquoi donner son avis sur ce qu'on ignore hein
c pas complique ca nous donne confiance
et dieu(un pote a moi) sait que c bon la confiance

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Sujet:   Re: Pourquoi Donner son avis sur ce qu'on ignore ?
Auteur : #Atil
Date :    02/07/2002 21:34

Mais donner son avis sur ce qu'on connais pas c'est prendre le risque de dire des conneries. C'est à dire qu'on a une grosse probabilité de se rendre ridicule... cela n'est guère agréable et correspond exactement à l'inverse de l'effet visé.

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Sujet:   Freud, Jung et Malraux
Auteur : SiziF
Date :    02/07/2002 23:24

>"L'avenir sera spirituel/religieux ou ne sera pas"

>"Ce que nous a apporté la psychanalyse au XXème siècle, c'est de nous faire découvrir que le diable existait ; ce qui nous reste à découvrir pour le prochain siècle, c'est que les dieux existent aussi"


Atil, Malraux voulait sans doute dire que l'inconscient freudien c'est le refoulé, le Diable, alors que pour Jung l'inconscient peut être une force positive, créatrice (par le biais de certains archétypes comme le "mana", si j'ai bien compris)
Je n'ai pas trouvé la date de l'interview mais à mon avis ce doit être dans les année 50-60, quand le freudisme triomphait alors que Jung était ignoré.

J'ai déniché ces propos de Malraux _toujours sous la plume de Cazenave (auteur d'une biographie de Malraux)_ qui confirment, je crois, que cette interprétation est la bonne :

>"Jung. Il est mal vu en France. Nous sommes des esprits forts. Mais il y a quelque chose de très profond en lui, qui a inspiré Éliade : c’est que le Sacré, Dieu ou Diable, est au fond de nous-mêmes. On essaie de le coincer sur le terrain de l’analyse. Moi, je veux bien. On peut toujours donner aux choses le nom qui vous convient. Mais il s’agit d’autre chose. Lisez sa vie : ce ne sont pas des mémoires. D’ailleurs, il l’intitule : Souvenirs, rêves et pensées. Ses souvenirs ne renvoient qu’à ce qui, dans ses rêves, lui préexistait de toujours. Et pensées... la conscience. Au fond, ses mémoires, à chaque époque de sa vie, ce sont les mémoires de son avenir. »
(25 novembre 1973.)

En gros, Malraux faisait la promotion des idées jungiennes contre Freud !


Time, dans cette phrase (la première, la célèbre), c'était le fond que je trouvais pauvre et la forme prétentieuse ! Si on ne précise pas_ de manière abusive_ qu'elle est de Malraux, ça ne vaut pas tripette !
Ce qu'a vraiment dit Malraux est tout de même plus digne d'un écrivain de son calibre.
Comment et par qui cette déclaration (la seconde, la bonne) a-elle été déformée pour finir par entrer dans le patrimoine des lieux commun ? c'est un autre débat, mais j'ai constaté dans ma recherche sur le net que la fausse prédiction de Malraux (dans ses différents avatars) est citée pour introduire ou justifier tout et n'importe quoi ....

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Sujet:   Re: Pourquoi Donner son avis sur ce qu'on ignore ?
Auteur : Time
Date :    03/07/2002 08:45

En parlant des dieux, vous connaissez sans doute ce texte :

«Une vieille légende hindoue raconte qu'il y eut un temps où tous les hommes étaient des dieux. Mais ils abusèrent tellement de leur divinité que Brahma, le maître des dieux, décida de leur ôter le pouvoir divin et de le cacher à un endroit où il leur serait impossible de le retrouver. Le grand problème fut donc de lui trouver une cachette.

Lorsque les dieux mineurs furent convoqués à un conseil pour résoudre ce problème, ils proposèrent ceci : "Enterrons la divinité de l'homme dans la terre." Mais Brahma répondit : "Non, cela ne suffit pas, car l'homme creusera et la trouvera."

Alors les dieux répliquèrent : "Dans ce cas, jetons la divinité dans le plus profond des océans."

Mais Brahma répondit à nouveau : "Non, car tôt ou tard, l'homme explorera les profondeurs de tous les océans, et il est certain qu'un jour, il la trouvera et la remontera à la surface."

Alors les dieux mineurs conclurent : "Nous ne savons pas où la cacher car il ne semble pas exister sur terre ou dans la mer d'endroit que l'homme ne puisse atteindre un jour."

Alors Brahma dit : "Voici ce que nous ferons de la divinité de l'homme : nous la cacherons
au plus profond de lui-même, car c'est le seul endroit où il ne pensera jamais à chercher."

Depuis ce temps-là, conclut la légende, l'homme a fait le tour de la terre, il a exploré, escaladé, plongé et creusé, à la recherche de quelque chose qui se trouve en lui. »

Ou celle que Socrate a repris sur le temple de Delphes :

"Connais toi, toi-meme et tu connaîtras l'Univers et les dieux"

Une amie Sage poursuit cette phrase en disant et tu connaîtras le dieu qui est en toi

Est-ce çà peut-être l'allusion de Malraux ?

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Sujet:   Re: Pourquoi Donner son avis sur ce qu'on ignore ?
Auteur : #Atil
Date :    03/07/2002 12:40

Qui sait si l'inconscient collectif et les archétypes n'ont pas réellement un rapport avec la divinité ?

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Sujet:   Une hypothèse
Auteur : SiziF
Date :    03/07/2002 20:02

Malraux est peut-être resté volontairement allusif parce qu'il aurait été mal vu que lui l'antifasciste engagé, le résistant, se déclare intéressé par Jung qui avait fricoté avec les nazis à un moment. C'est une explication possible.

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