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La leçon de Harrisburg

Après 2 835 incidents survenus dans les 72 réacteurs en service aux Etats Unis, l'accident (de gravité n° 9) de la centrale de Harrisburg alerte les consciences. On s'aperçoit, aujourd'hui, que les techniciens en savent bien peu sur le comportement d'un réacteur soumis à des conditions inhabituelles de température et de pression. Tout, dit-on, est à revoir. Les rapports fusent. Est-ce suffisant pour rassurer les populations ?

Le cauchemar s'est dissipé. Et après trois semaines de lutte, on est enfin parvenu à refroidir le coeur de la centrale nucléaire de Three Mile Island en Pennsylvanie. Les petites bourgades des alentours, Harrisburg, Middle Town, Goldsboro, réapprennent doucement à vivre. Mais à la suite de cet accident qui a failli tourner à la catastrophe nationale, l'Amérique s'est aperçue que tout n'allait pas pour le mieux dans le monde nucléaire. Elle a constaté avec effroi les imperfections, les incohérences, les lacunes du programme nucléaire. Et bien que le président Jimmy Carter et le secrétaire d'Etat à l'Energie, James Schlesinger, aient réaffirmé qu'ils n'abandonneraient pas pour autant l'énergie nucléaire, il est clair que les Etats-Unis vont tirer la leçon de l'accident de Three Mile Island. Mais quelle leçon ? Pour le savoir, je suis allée voir Dale G. Bridenbaugh, 47 ans, dans les bureaux qu'il vient d'installer à San José au Sud de San Francisco. Dale Bridenbaugh, avec deux autres ingénieurs, Richard Hubbard et Gregory Minor, a quitté Général Electric il y a trois ans exactement, parce qu'il jugeait les conditions de sécurité insuffisantes dans les centrales nucléaires qu'il dirigeait. Aujourd'hui, avec ses deux confrères, il a créé une société de conseil, MHBT Technical Associates. " Je ne suis pas contre l'énergie nucléaire, explique-t-il, je suis contre les risques de l'énergie nucléaire d'aujourd'hui ". Parmi ses clients, MHBT compte la NRC (Nuclear Regulatory Commission)(1), le gouvernement suédois, et la Commission de l'Energie californienne. " Il est certain, poursuit-il, qu'à la suite de cet accident, des mesures vont être prises dans quatre domaines différents : la formation des opérateurs et des techniciens, l'amélioration de l'instrumentation, l'étude du comportement du coeur du réacteur soumis à des conditions de température, de pression, de radiations, inhabituelles, la mise au point de plans d'évacuation et d'information de la population cohérents ".

La NRC a classé les accidents nucléaires en neuf classes distinctes, suivant leur gravité. Dans la classe 1, les incidents mineurs, comme les faibles émissions radioactives à l'extérieur du bâtiment du réacteur. Dans la classe 8, des problèmes importants, comme la perte de liquide de refroidissement, la rupture en chaîne des instruments de contrôle, etc. Dans la classe 9, " une succession d'accidents plus graves que ceux des classes précédentes ". Régulièrement, les opérateurs de centrales nucléaires suivent, à l'aide de simulateurs, des cours où on leur apprend à réagir, face aux incidents de fonctionnement des centrales. Aucune de ces " répétitions " ne simule un accident de classe 9, tellement improbable aux yeux des officiels de la NRC, des responsables des compagnies d'électricité et des fabricants de réacteurs que l'on n'a pas jugé nécessaire de l'inclure dans les programmes d'entraînement. Or, ce qui s'est passé à Three Mile Island, cette succession de défaillances techniques et humaines, était un accident de classe 9.

En second lieu, une révision complète du système de contrôle devra être entreprise. La plus grande partie de l'instrumentation qui équipe un réacteur a été conçue pour fonctionner dans des conditions normales et non dans des conditions extrêmes. L'accident de Harrisburg a permis de se rendre compte des limites des instruments de mesure. On ne savait pas, par exemple, où se trouvait le niveau de l'eau dans le circuit primaire - il n'y avait pas d'indicateur de niveau - quand s'est formée la bulle d'hydrogène ; on n'a pas pu déterminer avec précision sa taille ; et la température exacte du coeur du réacteur était plus devinée que mesurée, car l'ordinateur de la salle de contrôle était programmé pour lire des températures ne dépassant pas 370° C. Or, durant la première phase de l'accident la température du combustible nucléaire a atteint près de 2 000° C. L'ordinateur a alors affiché une série de points d'interrogation. " Parallèlement, poursuit Dale Bridenbaugh, on s'est aperçu que nous en savions bien peu sur le comportement d'un réacteur soumis à des conditions inhabituelles de température et de pression. Comment se forment les bulles de vapeur et les bulles d'hydrogène ? Comment interviennent-elles lors du refroidissement ? On ne sait pas très bien. Et il est certain que toute une série de tests et de recherches vont être entrepris pour nous permettre une meilleure connaissance de la réponse thermodynamique d'un réacteur soumis à des conditions anormales. "

Enfin, durant les premiers jours de l'accident, du mercredi 28 mars au dimanche 2 avril, date de la visite du président Carter sur place, la confusion a régné en maître autour de Harrisburg. Les déclarations les plus contradictoires émanant tantôt des responsables de la compagnie d'Electricité, la Métropolitan Edison, tantôt des ingénieurs de la NRC (délégués sur place), tantôt du gouverneur de Pennsylvannie Dick Thornburgh, se sont succédés à une allure particulièrement rapide. On ne savait pas qui était responsable de quoi. Fallait-il ou non évacuer la population ? Personne ne pouvait le dire. Et il faut bien reconnaître que cette incertitude a contribué à accroître l'angoisse déjà grande des Populations avoisinantes. Il est donc certain qu'une politique de coordination entre le gouvernement fédéral, la NRC, les compagnies d'électricité et les autorités locales, va être mise sur pied pour faire face de façon plus efficace à un possible désastre nucléaire.

Aujourd'hui, quelles sont les mesures concrètes qui ont été prises ? D'abord, le 12 avril dernier, le président Carter a nommé les onze membres (parmi eux un président d'Université, des scientifiques de très haut niveau et une mère de famille) du Comité chargé de passer au peigne fin l'accident de la centrale nucléaire. Son rôle : trouver les causes, déteminer les responsabilités, définir les conséquences de Three Mile Island. Le comité a six mois pour remettre son rapport, il disposera d'un budget de 5 millions de francs et de 15 à 25 personnes. Le gouvernement américain a également demandé à une équipe du MIT. d'effectuer une étude financière sur les retombées de Three Mile Island.

Il est encore trop tôt pour connaître l'ensemble des mesures que le gouvernement américain entend prendre pour améliorer effectivement la sécurité des installations nucléaires. Mais le véritable problème n'est pas là, et les retombées de Three Mile Island ne se mesurent pas à l'heure actuelle par quelques décisions gouvernementales. La principale conséquence de l'accident d'Harrisburg, c'est la perte de confiance, non seulement de l'Amérique, mais aussi de l'Europe, en l'énergie nucléaire.

Il faut reconnaître que l'accident de Three Mile Island n'aurait pas pu survenir à un plus mauvais, ou à un meilleur moment (selon que l'on est en faveur ou opposé à l'énergie nucléaire). L'opinion américaine avait déjà la corde nucléaire très sensible. Mi-février, d'abord, on découvre près de Denver, dans le Colorado, près de 50 " poubelles " radioactives; il s'agit de radium enterré sous terre il y a des années. Puis, à la fin du même mois, un rapport sur les dangers des faibles radiations, effectué par plusieurs départements d'Etat (Santé, Education, Défense, Energie, etc.) est rendu public. Au début du mois de mars, le 5, le procès opposant les parents de Karen Silkwood à la société Kerr Mc Gee Nuclear Corp, s'est ouvert à Oklahoma City. Karen Silkwood travaillait dans une usine de fabrication de combustibles nucléaires. Elle avait été sérieusement contaminée par du plutonium. Et elle s'apprêtait à faire des révélations à la presse sur les conditions de sécurité dans les usines qui manipulent du plutonium lorsqu'elle trouva la mort dans un " accident " le 13 novembre 1974, alors qu'elle se rendait seule, au volant de sa voiture, à son rendez-vous avec un journaliste du New York Times. Et tout au long du mois de mars, c'est une série de révélations sur les retombées des essais de l'arme atomique qui ont eu lieu dans le Nevada, il y a une trentaine d'années, qui sont publiées dans la presse américaine : augmentation des taux de leucémies et de cancer dans les environs (2). Enfin, le 16 mars dernier est sorti aux Etats Unis, dans 663 salles simultanément, un film que la similitude avec l'accident de Harrisburg a fait baptisé " prémonitoire ". " The China Syndrome " avait pour thème un accident dans une centrale nucléaire qui manque de tourner à la catastrophe, risquant d'entraîner la fusion du coeur du réacteur qui s'enfoncerait alors dans la terre avec une telle puissance qu'il se retrouverait en Chine ! (d'où le titre du film). La sortie du film a déclenché de nombreuses protestations de la part des compagnies d'Electricité et des constructeurs de réacteurs nucléaires. Quinze jours plus tard, l'Amérique est persuadé que le " Syndrome Chinois " est plus qu'un film de fiction et presque un documentaire. Et c'est dans ce climat où le nucléaire n'avait guère bonne presse qu'est survenu l'accident de Three Mile Island.

Malgré les déclarations récentes du président Carter, réaffirmant que 13 % de la production d'électricité américaine provenait des centrales nucléaires, l'homme de la rue est devenu sceptique. Les politiciens aussi, d'ailleurs ; le gouverneur de l'Etat de New York vient de déclarer que " le nucléaire n'a plus de futur" Jerry Brown, gouverneur de Californie, a demandé la fermeture immédiate de la centrale nucléaire de Rancho Secopés de Sacramento, et le sénateur Kennedy semble passer dans le camp des opposants. Et aux Etats-Unis, comme ailleurs, les manifestations anti-nucléaires se sont multipliées. En Allemagne de l'Ouest, à Hanovre, près de 100 000 personnes se sont rassemblées autour d'un site de stockage des déchets radioactifs et 3 000 manifestants ont défilé dans les rues de Francfort. A Stockholm, en Suède, l'ancien premier ministre Torbjorn Falldin a demandé la fermeture de la centrale de Ringhalls, appuyé en cela par les 10 000 manifestants qui se sont rassemblés autour du Parlement. La Suède possède six centrales nucléaires en fonctionnement et cinq sont en construction. Pas loin de là, au Danemark, près de 20 000 personnes ont protesté à Copenhague. En Hollande 2 500 anti-nucléaires ont marché vers la centrale de Borssele. Le Brésil annonce qu'il ralentira son programme pour mieux étudier la sécurité des réacteurs. En Belgique, le maire de Huy a ordonné la fermeture de la centrale de Tihange. Et en France ? Les officiels tentent de rassurer la population en affirmant: " Ça ne peut pas arriver ici car les réacteurs sont différents des réacteurs PWR (3) du type Westinghouse et que celui de Harrisburg était un PWR conçu par la firme Babcock et Wilcox (il y en a d'ailleurs huit identiques aux Etats-Unis) ". Il est vrai qu'il existe une différence entre les deux modèles. Elle se situe au niveau des générateurs de vapeur. C'est là que les circuits " secondaires " récupèrent la chaleur qui est transportée par l'eau du circuit " primaire ". Dans les réacteurs Babcock et Wilcox, l'eau du circuit primaire contenue dans un tuyau traverse en ligne droite, du haut vers le bas, le générateur de vapeur avant d'être refoulée vers le coeur du réacteur grâce à une pompe. Dans les réacteurs Westinghouse, donc dans les réacteurs Framatome, la structure qui contient l'eau du circuit primaire et qui traverse le générateur de chaleur n'est plus linéaire, mais elle parcourt un U inversé. Ceci est en soi une modification minime, mais elle entraîne que les volumes d'eau contenus dans les deux types de générateurs de vapeur sont différents. Il y a environ deux fois plus d'eau dans le circuit secondaire d'un PWR Framatome qu'il n'y en a dans un PWR Babcock et Wilcox. Résultat : s'il y a une fuite, ou une panne, sur l'une des pompes propulsant l'eau du circuit secondaire (comme ce fut le cas à Three Mile Island) le générateur de vapeur s'assèche complètement deux fois plus vite sur un réacteur Babcock et Wilcox que sur un réacteur Westinghouse ou Framatom. Et, si, comme on le sait, le générateur de vapeur s'assèche, le circuit secondaire n'est plus capable de retirer la chaleur en provenance du circuit primaire et le coeur s'échauffe, conduisant tout droit à la catastrophe. Il est donc faux d'affirmer qu'un accident comme celui de la centrale d'Harrisburg ne peut pas se produire en France. La seule différence est que le coeur du réacteur ne s'échauffera pas aussi vite.

Mais les erreurs humaines, la non-réponse des appareils de mesures, la méconnaissance du comportement d'un coeur soumis à des conditions extrêmes est la même quel que soit le type de centrale nucléaire.

" Et encore, explique Dale Breidenbaugh, nous avons eu beaucoup de chance que l'accident survienne à l'unité n° 2 de la centrale. Il s'agissait d'un réacteur qui venait d'être mis en service (le 30 décembre 1978 exactement), le coeur était peu irradié et contenait peu de produits de fission et de transuraniens. Si un accident semblable s'était produit sur l'unité n° 1, il est possible que la fusion du coeur du réacteur ait commencé à se produire beaucoup plus tôt. "

Parmi les retombées des péripéties de Three Mile Island (que les Américains, avec leur sens du raccourci, n'appellent plus que par ses initiales T.M.I.) il faut noter l'accent mis de nouveau sur les tares des programmes nucléaires et dont on a trop souvent omis de parler. Certaines compagnies d'Electricité, et la Metropolitan Edison en est un exemple découvert au cours de l'enquête, rognent sur les budgets de sécurité. On s'est aussi aperçu qu'il y avait des irrégularités sur certaines radiographies de soudure - exactement comme dans le film " Le Syndrome Chinois " - et que les rapports d'inspection n'étaient pas toujours exacts.

Ce qui s'est passé à la fin du mois de mars, en Pennsylvannie, était-il prévisible ? Peut-être pas, mais il était inévitable qu'un accident survienne un jour dans une centrale nucléaire. Le développement de cette nouvelle source d'énergie s'est fait trop vite et l'on est passé trop rapidement des petites centrales de 250 ou 300 MW aux énormes réacteurs de 900 et 1200 MW. Aux Etats-Unis, dans l'espace de cinq ans, entre 1962 et 1967, la tailles des réacteurs en commande a triplé. Une étude publiée en juin 1977 et effectuée par la Rand Corporation, explique que les services officiels chargés d'inspecter la sécurité des réacteurs " étaient incapables de faire face au développement accéléré des réacteurs puisqu'ils n'avaient ni expériences, ni points de repères, concernant les grosses centrales ". Parallèlement, la NRC savait très bien que tout n'allait pas pour le mieux dans les réacteurs auxquels néanmoins elle délivrait des autorisations de mise en service. Ainsi, en janvier de cette année, elle a remis au congrès américain une volumineuse étude concernant " l'Identification des problèmes de sécurité subsistant dans les centrales nucléaires " (4). Selon la NRC, les réacteurs nucléaires PWR, quels que soient leurs constructeurs, ont 15 points faibles (les BWR en ont 16) pour lesquels les conditions de sécurité sont loin d'être suffisantes. Et parmi eux, on compte le système de générateur de vapeur, et c'est de là, justement, que tout a démarré à Three Mile Island.

En 1978, il y eut 2 835 incidents dans les 72 réacteurs en service aux Etats-Unis. Des incidents tout bêtes, comme une valve qui se coince, des instruments qui se détraquent, des techniciens qui lisent mal une mesure, une petite bulle de gaz inattendue qui se forme, un relâchement de radioactivité vers l'extérieur, par inadvertance, etc. Il suffit que deux ou trois de ces incidents mineurs et inévitables se produisent en même temps pour que la catastrophe survienne. Si les programmes nucléaires continuent de se développer, qui peut affirmer aujourd'hui qu'il n'y aura pas un nouveau Harrisburg où la catastrophe, cette fois-ci, ne pourra être évitée ?

 

En France aussi, il va falloir réévaluer la sureté nucléaire

Immédiatement après l'accident de Three Mile Island, les prises de positions pour le moins optimistes du gouvernement français ont contrasté avec les réactions de plusieurs autres grands pays nucléaires, comme la Suède, le Japon ou l'Allemagne. Une simplification abusive a pu faire croire que ce qui s'était passé à la centrale d'Harrisburg ne pourrait se produire en France, parce que le système des réacteurs Westinghouse utilisé dans notre pays diffère de celui de Three Mile Island. Il faut savoir, en fait, que si la séquence exacte de l'accident ne pourrait se produire sur un réacteur français, un accident analogue est parfaitement possible.

On peut donc trouver surprenante la déclaration au Sénat, le 24 avril, du ministre de l'industrie affirmant: " il n'est apparu aucun élément de nature à modifier notre attitude à l'égard des centrales à eau légère du modèle utilisé en France, ou à remettre en cause notre doctrine en matière de sûreté nucléaire ". Surtout si l'on se souvient que le 11, la commission américaine de réglementation nucléaire (NRC) avait annoncé que des modifications urgentes devraient être apportées aux réacteurs du type Three Mile Island, ainsi qu'à ceux construits par Westinghouse, c'est-à-dire les mêmes que les réacteurs français.

Les conclusions du rapport de la première mission d'experts français envoyés sur place font état de six " erreurs " majeures responsables de l'accident:

* deux défaillances matérielles, une vanne qui ne s'est pas refermée et des indications erronées d'un appareil de contrôle;

* deux fausses manoeuvres de l'opérateur, qui a arrêté prématurément l'injection de secours, et qui a arrêté pendant une dizaine d'heures les pompes du circuit primaire; a la fermeture de vannes dans un circuit auxiliaire, alors qu'elles auraient où être ouvertes; a un défaut de conception, qui a permis un transfert d'eau radioactive hors de l'enceinte.

En France, des modifications devront certainement être apportées aux réacteurs et aux systèmes de sécurité. La seconde mission d'experts, envoyée le 29 avril, pourra sans doute préciser lesquelles. Selon M. Cogné, chef du Département de Sûreté Nucléaire, l'effort devra être porté en priorité sur trois points:

* Le développement des automatismes et des instruments de mesure permettant à l'exploitant de connaître à tout moment l'état exact de fonctionnement de l'installation (ce qui a fait cruellement défaut à Three Mile Island) ;

* Un examen plus poussé des interactions entre le circuit secondaire du réacteur et le circuit primaire: lors de l'accident d'Harrisburg c'est au départ un accident sur le circuit secondaire qui est " remonté " au niveau du circuit primaire;

* Au niveau des procédures de sécurité, envisager les séquences d'accident qui ne sont pas prévues par les procédures actuelles: là encore, l'accident d'Harrisburg a montré que certains cas de figure ne sont pas prévus par les méthodes utilisées à ce jour. Ces modifications concernent les centrales elles-mêmes. On peut s'inquiéter également des mesures concernant la protection des populations, au cas où un incident grave se produirait, ce qui ne peut pas être exclu quelle que soit la sécurité des installations. Par exemple, que se passerait-il s'il fallait évacuer d'urgence une agglomération comme Lyon (en cas d'accident au Bugey ou à Creys-Malville), Nantes (Le Pellerin), Dunkerque (Gravelines) ou Bordeaux (Braud-et-Saint-Louis). Théoriquement, il existe un plan de secours, le plan ORSEC-RAD; on peut s'étonner qu'il ait fallu attendre l'accident d'Harrisburg pour que le gouvernement décide de le publier, site par site. Ajoutons que l'impuissance du plan POLMAR face à la marée noire de l'Amoco Cadiz est restée présente dans toutes les mémoires. Faut-il systématiquement éliminer dans le choix des sites nucléaires, tous ceux qui sont proches d'une zone fortement peuplée ?

L'insuffisance de l'information, en matière de sécurité nucléaire, contribue à créer un climat de méfiance dans le public. Comme pour le plan Orsec-rad, il a fallu attendre Three Mile Island pour que le Service Central de Protection contre les Radiations (SCPRI) publie pour la première fois son rapport d'activité. Pourtant, en Août 77, le Président de la République avait annoncé la création d'un " Conseil de l'information électronucléaire " (voir S. et V. n° 722, p. 86) qui devait répondre aux besoins d'information du public; le moins qu'on puisse dire est que ce conseil ne s'est pas beaucoup manifesté. Mieux encore: selon " Le Canard enchaîné ", il aurait reçu " l'ordre " de ne pas publier un rapport sur les mesures de radioactivité en France, qui date pourtant de 1977 ! Le Conseil a été tout aussi discret sur un incident survenu le 21 mars dernier lors des essais " à vide " du réacteur Bugey V, dans l'Ain. Quant à l'incident survenu le 6 avril à Gravelines, il serait passé inaperçu si la C.F.D.T. n'avait vendu la mèche.

Ce problème de l'information est lié à la structure particulière du système français: le Ministère de l'industrie est à la fois juge et partie, puisqu'il est en même temps responsable des décisions en matière de sûreté, par l'intermédiaire du Service Central de Sécurité des Installations Nucléaires (SCSIN), et des programmes nucléaires.

M.P.

Françoise Harrois-Morin,
Science & Vie n°741, juin 1979.

(1) Organisme qui, aux Etats-Unis, autorise la mise en fonctionnement des centrales et est chargé de superviser la sécurité des centrales en service. Définition exacte de la NRC.

(2) Près de 3 500 documents du Département de la Santé tenus secrets jusqu'à présent ont été rendu public en mars en vertu de la loi sur la liberté de l'information (Freedom of Information Act).

(3) Pressurised Water Reactor.

(4) " Identification of Unresolved Safety Issues relating to nuclear power Plants " Report to Congress January 1979.


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