François Dubet : «Les lycéens savent que leurs mobilisations sont souvent efficaces»

Par ALAIN AUFFRAY
Le jeudi 30 septembre 1999


Les toutes premières manifestations ont rassemblé des élèves d'établissements professionnels de Tarbes. Comparée aux précédentes, cette mobilisation touche un nombre plus important de lycées professionnels...

Il s'agit là d'une évolution qui remonte aux grandes manifestations de 1986. On constate que les élèves scolarisés dans la «périphérie» du système jouent un rôle croissant dans les mouvements lycéens. On l'a vu dès 1990, et plus encore l'an dernier. Le même phénomène touche d'ailleurs les étudiants: les manifestations étudiantes ne partent plus de la Sorbonne mais des nouvelles facultés de province. Les élèves des lycées professionnels sont ceux qui ont le plus de raisons de s'angoisser pour leur avenir (1). Ils font au lycée une expérience douloureuse qu'ils peinent à traduire autrement qu'en termes d'objectifs revendicatifs. C'est pourquoi ils manifestent pour «de meilleures conditions de travail». Cela dit, ils ont une demande trop difficile à formuler. Ils s'interrogent sur l'utilité de leurs études. Ils se sentent relégués à la marge du système éducatif. On a affaire à des élèves âgés, souvent majeurs. Ils ne veulent plus être traités comme des gamins. C'est aussi ce qu'expriment ceux qui font grève parce qu'on n'a pas remplacé un professeur d'atelier.

Le professeur non remplacé est d'ailleurs l'un des principaux motifs de grève, y compris dans l'enseignement général...

C'est que cette revendication a le mérite de permettre aux professeurs de se solidariser. Si leurs demandes se centraient sur les questions plus qualitatives de programmes, de pédagogie ou d'organisation du temps scolaire, les élèves risqueraient d'entrer en opposition avec les professeurs. Au fond, tout le monde a intérêt à ce que les choses s'expriment en termes de moyens. Les lycéens savent que leurs mobilisations sont souvent efficaces: être dans la rue, c'est être entendu. Chaque fois, les mouvements se traduisent par le retrait d'une réforme ou par l'obtention de moyens.

Comment passe-t-on, en deux semaines, du petit débrayage d'un lycée à la journée nationale d'action?

Les étapes sont connues: il y a d'abord l'agitation diffuse, puis la formulation de revendications nationales et la prise de contrôle par une coordination. Il y a, enfin, la phase de négociation et le retour en classe, en général frustrant. En fait, il serait plus juste de parler d'explosion que de mouvement. Il y a un effet d'entraînement très fort. La mobilisation est très vite relayée par des leaders qui sont de vraies machines politiques. Leur rôle est de faire en sorte que la crise soit réglée au niveau national. Tout remonte vers le sommet. Les choses ne sont plus gérées au niveau de l'établissement, pas même au niveau du recteur: c'est ce qui peut s'amorcer ce jeudi.

(1) 53 % des anciens élèves de la filière «technologie tertiaire» n'ont pas trouvé d'emploi correspondant à leur qualification trois ans après l'obtention du BTS.

© Libération
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