François Dubet: 'C'est toute l'école qui est malade'
21 Janvier 98

Comment appréciez-vous les mesures annoncées il y a quelques jours par Ségolène Royal en faveur des zones d'éducation prioritaires?.

Il existe manifestement une volonté de relance, qui s'apparente, pour l'instant, plus à un signe qu'à une véritable orientation politique pour l'avenir. Il s'agit de savoir, en effet, quels seront les établissements concernés, quels seront les objectifs prioritaires qui leur seront fixés, étant entendu que l'on a toujours le sentiment d'être un peu à mi-chemin entre une politique volontariste qui donnerait les moyens de l'autonomie et évaluerait les résultats obtenus de manière précise, et des ambitions plus limitées consistant à attribuer quelques moyens supplémentaires et à exiger la définition de quelques projets. Au fond, j'ai l'impression que l'on ne parvient toujours pas à choisir entre une véritable politique de discrimination positive et d'autonomie des établissements, et leur maintien dans un système fortement homogène. Le signe politique peut être entendu: il faut aussi réfléchir sur les politiques éducatives à mener.

Plusieurs études, voire des ouvrages récents, évoquent, à propos des ZEP, une sorte de dérive. On serait passé d'une logique de discrimination positive, celle qui était inscrite dans leur acte de fondation en 1981, à la notion péjorative d'une forme de 'gestion' des lieux dits 'sensibles'...

Les établissements ZEP ont été stigmatisés, par le fait même qu'ils avouaient avoir des difficultés: nombre d'établissements qui auraient dû être classés en ZEP ont refusé d'y entrer. Sans doute quelques-uns d'entre eux se sont-ils autorisés, au nom de cette particularité, à perdre de vue des objectifs d'apprentissage en devenant, d'une certaine manière, plus des 'établissements sociaux' que des établissements scolaires. Il faut aussi prendre en compte que les moyens mis dans les ZEP - qui ne sont pas totalement négligeables - et les avantages de carrière parfaitement légitimes consentis aux personnels ont pu avoir, ici ou là, quelques effets pervers. D'une manière plus générale, les enseignants sont placés devant une situation paradoxale: pour obtenir des moyens, il faut mettre en avant des difficultés; mais en mettant en avant ces difficultés, on stigmatise soi-même et, d'une certaine façon, on stigmatise ses propres élèves. On peut donc émettre des critiques, mais je ne voudrais surtout pas qu'en leur nom on remette en cause ce qui me semble être un acquis. Je crois que l'idée lancée par Alain Savary d'avoir, pour l'école, des distributions relativement inégales de ressources publiques afin de compenser les inégalités sociales déjà là, doit rester un principe essentiel: quand l'école traite les élèves de manière formellement égale, non seulement elle reproduit les inégalités, mais elle les accentue quelque peu. Dans les faits, les élèves et les établissements les plus favorisés socialement restent les mieux pourvus...

Le principe que vous évoquez et les expériences en cours depuis quinze ans peuvent-ils porter, selon vous, des éléments susceptibles de redynamiser l'ensemble du système éducatif?

Les problèmes auxquels le système éducatif doit faire face ne se limitent pas à ceux des zones en difficulté. Ainsi, la focalisation sur les questions de violence peut être une manière de moins parler de choses qui sont parfois à sa source, mais qui relèvent, elles, non d'un consensus, mais de jugements conflictuels: tout le monde est contre la violence, mais parlons, par exemple, de la réforme des programmes; parlons des droits des élèves; parlons de la vocation du collège... Le risque existe de considérer que l'école se porte bien, sauf pour vingt pour cent de gosses qui seraient des barbares et pour lesquels il faudrait davantage de moyens. Cette représentation n'est pas acceptable, même si elle est largement partagée. Je m'en tiendrai à un seul exemple, les programmes du collège: soit on considère qu'ils doivent être établis dans la perspective d'études supérieures - le collège est alors le 'petit lycée' -, soit on estime qu'ils doivent être définis à partir du fait que le collège est 'l'école pour tous', et il faut se demander alors: 'Que doit savoir un jeune de quinze ou seize ans, de manière à être un citoyen informé et actif?' Il y a là un choix essentiel. La première option conduit inévitablement à des établissements à plusieurs vitesses: le 'petit lycée' pour les uns, 'l'école primaire' pour d'autres, presque 'la maison sociale' pour certains... Pour ma part, je crois qu'il faut redéfinir le collège en termes d'école publique obligatoire, ce qui appelle aussi une redéfinition du métier d'enseignant...

Entretien réalisé par J.-P. M.

Page réalisée par Intern@tif - Mercredi 21 Janvier 1998