François Dubet : " Donner beaucoup plus de moyens aux très faibles "

Pouvez-vous nous dire, selon vous, à quoi sert l'école ?

François Dubet : L'école sert d'abord à donner à tous les enfants, même ceux qui s'arrêtent à la fin de l'école obligatoire, une culture commune. L'école est aussi un investissement de formation pour entrer dans la société avec des compétences. Enfin, elle doit donner aux individus la capacité de comprendre le monde. De ces trois valeurs, parfois contradictoires, il n'y a aucune raison d'en privilégier une seule.

Que penser de la revendication d'une école républicaine ?

François Dubet. La société a changé, et si on veut défendre les principes et les valeurs de l'école, il faut changer l'école, mais elle restera républicaine. Le débat ne se situe pas au niveau des valeurs, que nous partageons tous, mais au niveau des faits. Souvent, le discours républicain parle de principes, et reste silencieux sur les conditions sociales de réalisation des objectifs de la république. Ma position est que, à l'égalité des droits, qui a produit l'élitisme de l'école républicaine jusque dans les années soixante, il faut ajouter l'égalité des chances. Jusqu'alors, nous avons échoué, mais il faut aller encore plus loin : donner beaucoup plus de moyens aux très faibles, comme on le fait en matière sociale. Le système des ZEP n'est pas encore suffisant.

Comment la violence est-elle entrée à l'école ?

François Dubet. L'école s'est massifiée, donc tous les problèmes sociaux - l'adolescence, la sexualité, le chômage, le racisme - sont entrés à l'école avec les enfants qui les portent. L'école doit donc se transformer pour s'occuper des enfants tels qu'ils sont. Mais l'école porte aussi sa part de responsabilité, parce qu'elle dit aux enfants : " Venez chez nous, vous y découvrirez l'égalité et l'intégration. " Or les enfants y font l'expérience de l'exclusion et de l'échec récurrent. Les gamins deviennent violents et cassent la machine à promesses. Il faut donc aussi agir dans l'école sur les mécanismes mêmes de la violence.

Comment doivent se comporter les profs ?

François Dubet. Il faut donner aux enseignants les moyens de résoudre les problèmes, mais l'enjeu est la transformation même du métier. Le cour de l'école est la relation pédagogique. Il faut des moyens, des aides, des soutiens, mais cela ne doit pas servir à refermer la fonction pédagogique sur sa tradition, qui est menacée de devenir de plus en plus vide pour les enfants tels qu'ils sont.

Que garder de l'école actuelle ?

François Dubet. La maternelle est très bien, et elle ne doit pas être compromise par les apprentissages précoces. De la même manière, l'école primaire ne doit pas se " secondariser ", et le lycée ne doit pas " s'universitariser " à cause de la compétition. Le phénomène est paradoxal : le public se massifie, et les exigences montent. Ça fait beaucoup de victimes. Ce qui ne va pas : les inégalités, l'expérience juvénile. Ce qui marche à peu près : le niveau et la qualité de l'enseignement. Mais tout cela n'est pas une affaire de dogme, c'est une question politique, comme l'urbanisme.

Comment résoudre la violence dans la société ?

François Dubet. La violence sociale est le produit de la marginalisation massive des gens, qui ont le sentiment de ne plus avoir d'avenir, et du creusement des inégalités sociales dans une société qui pratique fortement l'homogénéité culturelle. Je m'explique : nous sommes dans une société inégalitaire, d'autant plus inégalitaire qu'elle met l'égalité au centre de ses valeurs. Il faut résorber ce paradoxe dans chaque secteur touché.

Entretien réalisé par Anne-Sophie Stamane

(1) " Pourquoi changer l'école ? ", collection Conversations pour demain, éditions Textuel, 144 pages, 79 francs.

Page réalisée par Intern@tif - Mardi 23 Mars 1999