Violences : La lutte contre la violence " à l'école " ne fait que commencer
Jacques Pain, Professeur, Juin 2002

À considérer cette question des violences, des violences " à l'école ", il est de plus en plus clair qu'elles font désormais partie du paysage contemporain. On pourrait ici découper trois grandes assertions en ouverture de nos propos. La violence est un paradigme du nouveau siècle et de la mondialisation. Il faut donc la penser comme une constante, et la saisir " en échelle ". La violence sociétale touche particulièrement la transmission, et les adultes comme les institutions sont dans cette situation de " border line " à dimension dépressive qui marque quotidiennement l'école. On peut parler dans une certaine mesure de déscolarisation mentale. C'est un effet de la violence. C'est dans la culture des relations et la reconstruction précaire de collectifs, au jour le jour, avec et dans la ville, que l'on peut concevoir une prévention par l'école. Ce sont ces lignes de pente qui soutiennent nos réflexions.

Mieux définir et mieux comprendre la violence :


La violence : variations étymologiques
Violence pour sa part, pourrait de prime abord sembler clair. L'étymologie nous renvoie " l'usage de la force " ; l'usage de la force physique ; l'usage " physique " de la force. En fait il y a dans la racine du mot lui-même, là encore, une certaine dénotation positive : la radicalité de l'énergie humaine, celle en particulier de l'homme, cet animal redressé, debout, volontaire et à corps découvert. Mais de là à en faire usage, il y a toute l'histoire humaine, où la violence est constante, consciente, organisée, dans la plupart des cas de référence. La violence est une culture, avec ses rites, ses rituels, ses normes, ses figures, une culture proprement humaine où le désir " dénature " l'agression, pour mieux détruire. La violence est une atteinte consciente de l'autre, au-delà de l'éthodéfense spécifique : elle tend toujours socialement vers la destruction, consciemment, ou inconsciemment. La violence est une pathologie de l'agressivité.
La violence : vers une systémique de définitions
Les Anglo-saxons nomment l'ensemble des violences à l'école que nous évoquons ici le bullying. Que j'ai proposé de traduire par " malmenances ", qui cumule malmenage et maltraitance, termes très spécialisés. L'échelle des définitions. Certains auteurs font de la violence, impossible à définir selon eux, pour toutes ces raisons, d'abord un phénomène de perception, de subjectivité. Et, bien évidemment, si vous êtes Français, Anglais ou Allemand, homme ou femme, jeune ou vieux, d'un quartier ou d'un autre, si vous vivez stressé ou non, vous n'aurez pas les mêmes représentations, le même vécu, de la violence. Ainsi, on sait que l'insécurité est d'abord un sentiment, beaucoup plus qu'une réalité, en France par exemple, où la délinquance criminelle est identique à elle-même depuis de nombreuses années, sauf dans le registre de la délinquance violente des mineurs. On peut d'ailleurs étendre globalement ce constat à l'Europe. La violence délictuelle et criminelle à l'école concerne statistiquement (pour le second degré) un élève sur cinq mille, un établissement sur dix, institutionnellement on en cite deux à trois cents " sensibles " (moins de trois pour cent ; nous définirons plus loin l'établissement sensible). En se centrant donc sur cette irréductible subjectivité, on dira que la violence, c'est ce qui nous fait violence, et cette trivialité a son utilité. C'est un pôle typique de définition. Un autre se dessine clairement du côté du social, de la société, et va se matérialiser par le droit. Dans ce sens, le code pénal mesure, distribue, arrête, la sanction, et fait loi. On dira que la violence, c'est ce que sanctionne socialement un code pénal. Et on peut trouver dans le code pénal les atteintes contre les personnes, jusqu'au harcèlement, à la menace, à la calomnie, jusqu'au crachat " en direction de " quelqu'un ; et les atteintes contre les biens, dont le racket à l'école. C'est donc une mine de qualification..., et de prévention sociale et civique. D'ailleurs, pourquoi opposer ces approches, et ces définitions ? Une échelle d'origine américaine, modelée sur nos préoccupations, nous autorise en effet à voir la violence dans son ensemble. Elle s'étend des violences physiques, puis verbales, directes (les coups, voire les attouchements ; les injures, voire les plaisanteries sexuelles...) jusqu'aux violences non physiques, puis non verbales, indirectes (les attitudes de mépris, le refus de parole ; l'évitement, le mutisme ; le décrochage, de l'élève ou de l'enseignant ; le favoritisme...). Nous pourrons alors élaborer une définition qui cadre réellement le champ. La violence, c'est toute atteinte à la personne.
Vers des définitions génériques
Reprenant le bullying, je dirai que " la violence, c'est de l'abus de pouvoir, à l'école, à la maison, au travail ", ou plus radicalement, que " la violence, c'est l'abus, sous toutes ses formes et en tout lieu " (Jacques Pain, 1998). Nous dirons ensuite sur le terrain qu'une institution sensible se définit par la violence, et nous l'entendrons dans son interface. " Un établissement sensible est un établissement marqué par une violence interne, elle-même liée à une violence de surspécificité sociale (chômage, échec, stigmatisation), conjoncturelle ou structurelle, locale " (Jacques Pain, 1996). Enfin, nous définirons la violence à l'école, dans les mêmes perspectives théoriques et pratiques. Nous entendrons par violences à l'école des actions ou des attitudes violentes, ou ressenties comme violentes, c'est-à-dire usant directement, ou indirectement, de la force, de la contrainte, ou les permettant. Ou encore des actions ou des attitudes, ouvertes ou diffuses, de " malmenances institutionnelles " (Jacques Pain, 1996). Nous voyons bien que nous pouvons dès lors approcher " l'institution ", l'enseignement comme le travail social, ou encore l'entreprise.

L'action politique contre les violences à l'école

La violence à l'école, contre l'école, fait la une depuis une petite dizaine d'années. Pensée primitivement dans une problématique de sécurité des personnes et des biens, elle a fait au fil du temps l'objet d'une attention soutenue des gouvernements, souvent plus entraînés vers des réponses démonstratives de leur bonne foi politique que mobilisés par une réelle politique de prévention à long terme. Paradoxalement, la violence touche et casse l'école dans ce qu'elle a perdu en trente ans, sa capacité institutionnelle à enseigner et socialiser l'enfance et surtout l'adolescence, et sa capacité au consensus élitaire " républicain ". L'opinion publique et l'opinion intellectuelle s'effraient - à juste titre - de la deuxième génération de la crise, ces mineurs de quinze ans, qui vampirisent très tôt leurs écoles, leurs maîtres, les institutions, avec une haine froide à la mesure de la dépression des adultes. Jospin (1991), Lang (1992), Bayrou (1995-1996), Allègre (1997-2000), Lang (2000-2002). La trame des plans contre la violence en milieu scolaire, des plans " anti-violence ", commence à peine à prendre le sens et la cohérence d'une politique globale. On y lie la sécurité commune et l'assistance aux victimes, l'encadrement rapproché et la sanction éducative, l'école et la ville, la formation et la pédagogie. Mais dans cet ordre où les priorités laissent à la traîne les dysfonctionnements avérés du " système français " : on réprime plus vite qu'on n'éduque ou ne rééduque ; on ignore toujours les parents des classes socialement écrasées ; on n'arrive presque jamais à mailler les institutions sanitaires, sociales, culturelles, les instances associatives, et les établissements scolaires, d'une ville dont l'avenir passe par la qualité sociale de ses écoles ; on traite les jeunes élèves en masse assise par la seule force du savoir académique, dans cette relation caporale et frontale qui étonne nos voisins allemands ; on néglige avec persévérance la taille et la dimension hôtelière, conviviale, des lieux d'enseignement ; on ne réussit pas à désenclaver l'enseignement professionnel, à déhiérarchiser l'enseignement ; encore moins à nouer la participation des patrons à la vie et à la formation scolaires. Lorsque Bayrou appelle en 1996 à la sanctuarisation de l'école, il condamne bien sûr l'école ouverte, l'école supermarché diraient les cercles philosophiques républicains, mais surtout il veut sécuriser et protéger les enseignants et leur école, dotant le partenariat éducation nationale-police-justice (1991-92) d'une idéologie sur mesure. Il avait avancé, témérairement, dès 1995, une réduction de la taille des établissements. On pourrait en effet penser raisonnablement qu'une taille humaine - le simple retour à des établissements de moins de six cents élèves - réduirait d'autant le feu. Anonymat, dépersonnalisation, stigmatisation, ont fait leur preuve. Lorsqu'en 1972, avec Fernand Oury, nous parlions d'" école caserne ", nous avions longuement mûri la question. D'autres, plus radicaux, évoquaient cette tendance économiste et technocratique à la concentration, au concentrationnaire, récompensée d'ailleurs par des primes. La question reste posée. Mais on ne peut plus dissocier les ensembles scolaires sensibles des grands ensembles, d'une façon ou d'une autre. Le sanctuaire est une réserve.

Une longue forclusion
Dès la fin des années soixante, le rapport Selosse (1969-71), sollicité par le Comité européen pour les problèmes criminels, mettait fortement l'accent sur le développement simultané des violences et la désagrégation sociale, soulignant avec insistance le rôle déterminant de l'école dans la prévention ou l'aggravation de la délinquance juvénile. Certains des textes du psychologue Jacques Selosse dressent très tôt (1962) le portrait des nids urbains de violence, dans des villes et des milieux mal préparés, confrontés à une " industrialisation rapide ". C'est dans les années soixante-dix qu'un autre psychologue scandinave, Dan Olweus, commence ses études de victimation à l'école. Il mettra au point, au fil des années, un véritable modèle d'intervention auprès des établissements scolaires, touchant au cours de campagnes de grande ampleur et de longue durée des milliers d'école et des dizaines de milliers d'élèves, jusqu'à tout récemment, en Scandinavie bien sûr, mais aussi dans les pays anglo-saxons ou au Japon. Le livre de Dan Olweus, simple et clair, était disponible en treize langues, sauf en français. J'ai pu le faire traduire. Son modèle non seulement vise les comportements violents à l'école, mais associe à leur traitement et à leur prévention les directions scolaires, les enseignants, tous les personnels, les parents et les élèves. Il a le grand mérite de se centrer sur le réseau social qui fait un établissement scolaire. Ainsi, à Nanterre - Paris X, notre secteur de recherche Crise. École. Terrains sensibles revient-il en pleine modernité sur ces concepts, sociétaux, collectif, communauté, mentalité, morale, autorité, tant ils sont en filigrane des violences et de l'échec à l'école. Il faut se poser courageusement ces questions. En France, c'est l'inspection générale qui pose après 1975 le problème des violences en milieu scolaire. Les rapports Tallon (1979-80), Léon (1983), Rancurel (1992), Fotinos (1995), dressent un état des lieux, dont on peut souligner trois lignes de force. Tout d'abord, la violence s'installe résolument dans les écoles, et de préférence dans les collèges. Ensuite, une fracture de plus en plus large sépare l'école d'une bonne partie de son public. Enfin, l'éducation nationale échappe en partie à sa propre centralité, et des établissements, des rectorats, des IUFM, ignorent tout ou partie des problèmes, et bien sûr aujourd'hui encore des plans anti-violence. Il n'y a guère qu'Allègre en personne pour le dire, avec sa simplicité habituelle : en arrivant au ministère, en 1997, il découvre " la violence et la pédophilie ". L'éducation nationale est une grande muette. Jusqu'alors, on aura presque tout fait pour ne pas tenir compte des réalités. Une conspiration par le silence partagé tient lieu de respectabilité. J'ai pu, par exemple, entre 1985 et 1995 étudier des établissements secondaires sans conseil de discipline, où les renvois étaient négociés en catimini avec les parents ; des écoles primaires arrangées par les autorités locales en deux groupes scolaires, " bon chic bon genre ", et " alliance ethnique " ; repérer des suicides, des viols, des tentatives de meurtre, étouffés dans l'intérêt collectif, ou tellement traités en dépit du bon sens que la folie gagnait la " communauté " ; constater avec étonnement que sur toute une ZEP deux pour cent des élèves étaient régulièrement déscolarisés, parfois toute une année, entre le CM1 et la cinquième ; entendre se développer des conversations de salles des professeurs dignes du Front National. J'ai aussi eu la chance de partager de véritables odyssées, de collectifs, avec des écoles primaires, des collèges, des lycées professionnels, qui contenaient la violence sociale, qui étaient souvent des havres de paix, et quelquefois touchaient à l'excellence scolaire. En zone très sensible ! Dès le début des années quatre-vingt dix, les meilleurs fleurons de la résistance scolaire à la violence polissaient au jour le jour ce que la phase deux du plan Allègre (2000) nomme l'école du respect. Mais, ça n'est possible qu'en équipe, solidaire, volontaire, aguerrie ! Les experts et les chercheurs de terrain le savent. Parler vrai. Même les chercheurs ont tout fait pour nuancer les violences à l'école, surtout contre l'école. Il ne fallait bien sûr jamais parler des morts. Ni même des grandes blessures, avant les enquêtes de victimation des enseignants de Mario Horenstein. La Police, oui, mais au compte-gouttes. Or, la Police participe étroitement de la citoyenneté. En 1988, aucun enseignant ou presque n'osait imaginer un partenariat avec la police et la justice, y compris au Val-Fourré, à Goussainville, à Stains (Paris, IDF), à La Duchère ou au Mas du Taureau (Lyon).

La violence et sa prévention
Rien ne vaut un vrai bilan des faits, au moins sur deux ans, interprété et analysé avec la police, la justice, en prise réelle sur les établissements, les écoles, le quartier, la ville. Affiché, diffusé, discuté, commenté, avec les parents et les élèves. Le nouveau logiciel (Signa) pourrait servir en vraie grandeur, si l'on parvient à différencier finement les violences en échelle. De même, comment s'étonner que le plus grand contrôle des violences à l'entour et dans les établissements scolaires, d'une part renforce la fragilité des classes, ces " réacteurs nucléaires " du système scolaire (Bernard Charlot) ; et contraigne alors, soit dit en passant, à les parler, à les mesurer, et à les sanctionner, jusque dans la classe ; d'autre part, ne fasse que déplacer des violences sur de plus lointaines périphéries, ou d'autres sites, tout comme le " zéro tolérance " new-yorkais. La violence se prévient en réseaux, dans la ville, sur dix à vingt ans, par une politique nationale de lutte contre la violence en milieu social et scolaire. Elle peut mobiliser l'opinion publique. On le voit bien ces derniers temps. La ville est une école. Des plans pour ne pas rester en plan En fait, les plans de lutte contre la violence se déploient à partir des mêmes principes depuis presque dix ans. Ils commencent tout juste à prendre un sens minimum. Voyons-les à présent ramassés. La cohérence autant que les moyens. Sans nous y attarder, rappelons que la cohérence interne, la stabilité de l'encadrement, la lisibilité du projet de la direction, l'accueil, la visibilité d'une différenciation pédagogique, font la qualité d'un établissement et la prévention. Nous avons retrouvé ces facteurs en zone sensible, en province, en France, en Allemagne, en Angleterre. Mais ils sont étroitement liés. Jusqu'à un certain point, on peut presque ne s'occuper de la population d'élèves qu'après. L'encadrement " institutionnel " Les dizaines de milliers d'emplois-jeunes, aides-éducateurs, personnels sociaux, ne sont un plus qu'intégrés aux équipes et dirigés dans la même cohérence, les évaluations l'ont montré. Le premier degré se débrouille beaucoup mieux que le second degré, en règle générale. Rappelons que le premier degré a ses psychologues, ses réseaux d'aides. Que les premières classes-relais ou les anciennes SAS, qui de Bayrou à Allègre sont devenues l'amorce d'un dispositif alternatif partenarial Éducation Nationale-Protection Judiciaire de la Jeunesse, sont souvent sauvées par des instituteurs et des éducateurs spécialisés ; et peu familières à la culture second degré. C'est pourquoi la volonté de Luc Ferry de doubler le nombre des classes-relais ne restera qu'un effet d'annonce si l'encadrement, le recrutement, les savoirs, la réintégration, ne sont pas prémédités à l'échelle de l'établissement " d'écueil " ou d'accueil. Je me permettrai ici de douter de la viabilité des collèges, leur morcellement n'arrange pas plus la carrière scolaire adolescente, que la coopération enseignante. Relisons les rapports Meirieu et Dubet.

L'encadrement, c'est un concept institutionnel à dimension sociale et mentale. Le fameux climat, l'ambiance, s'en ressentent fortement. Or, nos jeunes vampires sont à côté du cadre. On peut dès lors se demander si ce déploiement de jeunes à l'école n'en fait pas un problème d'auto-encadrement entre pairs, ou entre pairs à demi, grands frères sous mandat. Ce dont l'école a besoin, c'est de la volonté d'éducation d'adultes très présents, clairs sur l'enfance, l'adolescence, sur les mineurs. L'aide éducative est à ce prix. Les logiques de la violence s'inscrivent dans la défaillance intime du cadrage social, dès la petite enfance. Osons-le : il faut surveiller l'enfance, dès la maternelle. Dès lors, nous éviterons les centres fermés. L'intégration C'est l'ouverture large des dispositifs alternatifs qu'il faut viser. Nouvelle chance, chantiers scolaires, classes de ville, classes-relais. Mais il y a là un double enjeu à bien repérer : d'une part, les passerelles et les réintégrations doivent être prévues et pensées, négociées et sécurisées ; d'autre part, les collèges doivent eux-mêmes penser la plus grande diversification, les profils d'accueil les plus contrastés, au niveau même des classes ordinaires. Des groupes de niveaux, ou de besoins, à quart ou tiers temps, ne font de mal à personne si le groupe-classe de vie tient bien l'âge et l'honneur des élèves. C'est ici que la pédagogie commande. La formation Les concours de recrutement, plus particulièrement du deuxième degré, sont faits, proposés, et encadrés par des spécialistes disciplinaires qui n'ont pas neuf fois sur dix la moindre idée d'un enseignement en vraie grandeur sur l'agora des Mureaux. Or, les jeunes vampires paradoxalement réclament des agrégés et des certifiés " actualisés ". Mais les corporations enseignantes ne supportent pas la " professionnalisation " du savoir. Les méduses ont les vampires à l'œil. De nouvelles professions professionnaliseront l'école, peut-être contre son gré. Elles viennent de la ville : les animateurs, les médiateurs scolaires, urbains, en effet, pourraient faire tiers dans le corps à corps scolaire ; ou ces " jeunes ouvriers " affectés aux établissements. Mais encore une fois attention, c'est de l'ingénierie fine, de l'horlogerie humaine. Qui pilote ? Une règle bien connue des formateurs, c'est de faire que l'établissement reste en formation, et que par exemple un tiers des personnels se maintienne en formation continue. C'est la formation qui fait l'enseignant et l'enseignement. De la sécurité à la sanction Appliquer le code pénal à l'école, sous couvert de la justice des mineurs, n'avait rien d'évident. Et pourtant, les violences parfois bestiales, les humiliations, les intimidations, auxquelles se livrent certains jeunes dans l'illusion d'une puissance sans contenance, méritent l'arrêt du jugement. Jacques Lévine renvoie avec raison certaines de ces violences à des crimes contre l'humanité, et dans ce sens résolument éducatif, il n'y a effectivement rien à laisser passer, rien ! L'époque est trop confuse. Mais le traitement direct, sur signalement, par les établissements scolaires, ne fonctionne que si le lien école-police-justice est un lien de collaboration, de protection, presque d'orientation, y compris après sanction. Là, le problème peut être le même que pour les classes-relais : l'exclusion, le déclassement, le rejet, redoublant après-coup la sanction. Or, le noyau dur de la violence à l'école est violent contre l'école, il s'en prend à elle par vengeance, par mégalomanie réactionnelle. C'est aujourd'hui très clair, c'est bien plus que la violence des cités qui frappe l'école. Une partie de la France lui en veut. Il convient de croiser ici l'échec profond des milieux français maghrébins, voire " outre-mer ", l'ethnicisation des quartiers et des écoles, et le colonialisme sans fin des institutions, longtemps après une guerre d'Algérie mal terminée. L'éducation nationale est une photographie au jour le jour de la société électorale. Fonder juridiquement les conseils de discipline nécessite une reconstruction point à point de cette instance, à partir du droit et du parquet, et du juge des enfants, et je me demandais dès lors si sa place est bien dans un établissement scolaire. Nous voyons la résultante : un conseil de la délinquance inter-établissements est désormais prévu. En revanche, fonder le règlement intérieur sur la loi, la constitution, les codes, est un vrai travail scolaire éducatif. En Allemagne, les règlements intérieurs sont visés par un magistrat. L'assistance L'assistance aux victimes et aux personnes en danger s'est développée, depuis Bayrou. C'est un point clé, une vraie reconnaissance, qui a permis en quelques années d'écouter, de soutenir, en partie de légitimer en réparation, les personnels " en difficulté " de l'éducation nationale. Du moins ceux qui déjà soutenus localement ont la force d'engager les démarches. Toute victime a besoin d'aide. Que les chefs d'établissement le retiennent. Bien sûr, élèves compris. En fait, il n'y a pas de difficulté, il y a des menaces, des violences, du harcèlement, de l'agression. Zéro tolérance ? Oui, mais ça veut dire soutien total, au départ. Les grands absents On parle de solidarité avec les jeunes et avec leurs parents. Redisons-le, il faut réunir au moins un parent sur deux autour des écoles de leurs enfants. C'est possible, même en zone sensible. C'est un grand enjeu communautaire. C'est peut-être par les parents qu'il faut avancer, en 2002. Quant aux jeunes, l'école du respect oblige à les prendre au sérieux, et donc à définir et redéfinir avec eux les règles de la vie scolaire, avec persuasion et compréhension. Il n'y a qu'une loi : ne pas nuire ; ne pas gêner ; limiter sa liberté à celle de l'autre ; sous la direction du maître des lieux. Pour le reste, l'infantilisation domine largement un système scolaire qui parque les jeunes français de deux ans et demi à plus de vingt ans. La démocratie s'apprend par la démocratie et la parole. Une vraie heure de vie dans la classe lève bien des soucis et résout bien des problèmes. Associer les élèves à la médiation ? Un cadre pour parler fait vivre un règlement intérieur, fait vivre la loi. En France, les jeunes n'ont presque plus d'adultes à se mettre sous la crise. Et l'école n'entend rien à l'écoute.

La photographie 2001

Avec la mise en place du " traitement direct ", on a vu se préciser et se multiplier les statistiques, à partir des fiches de signalement renseignées par tout établissement concerné par des faits de violence, en direction de la hiérarchie, et simultanément de la justice. Entre 1995 (environ 9000 faits), 1996 (11000 faits), et 2000, les déclarations proviennent désormais directement des établissements, et non plus d'un service adéquat comme l'observatoire de la violence de Seine-Saint-Denis, où elles sont authentifiées, mesurées, discutées, y compris par la Justice et la Police. Ainsi trouve-t-on de source officielle en 2000, 225 000 déclarations d'incidents, " de toute nature ", par trimestre. On sait et on a pu le lire, que certains établissements bordelais signalaient ainsi plus que la Seine-Saint-Denis. On sait également que la présentation globale, amalgamant les agressions, les destructions, les toxicomanies, les suicides, voire les incivilités, est une vision préventive et criminologique mal lisible. Il n'y a pas un million de faits de violences à l'école en France. Ce type de tableau demande une plus grande rigueur méthodologique, et n'a d'intérêt qu'au niveau local, en termes de climat, de météo-violence. De même, l'évolution du sentiment d'insécurité à l'école, la dégradation du climat de confiance, ne sont que des sondages conjoncturels. Pour réellement savoir ce qu'il en est d'un établissement, il faut reprendre par enquêtes, entretiens croisés, auprès des parents, des élèves, des personnels, des instances institutionnelles et sociales, la vie quotidienne, sur deux ans. En fait, les statistiques du M.E.N. nous indiquent 2,8 % de faits graves signalés au procureur. Il nous est chiffré 900 agressions sur les personnes, et 1600 sur les biens. Ce qui, en définitive, est nettement au-dessous des chiffres 1995-96. L'école, par le plus grand contrôle interne et externe qui s'y exerce, est mieux " surveillée ". En revanche, les points de délinquance se retrouvent à sa périphérie, et les points de conflits se centrent un peu plus sur la classe. Les statistiques, enfin, reflètent l'éclatement des opinions et le morcellement des institutions devant les violences. Là où des équipes se concertent, suivent le problème, sensibilisent les élèves, le climat est nettement meilleur, et les faits sont dans une certaine mesure jugulés par le cadre collectif mis en place. Pour autant, en ce qui concerne les mineurs et la délinquance des mineurs, si l'on a pu voir se développer les réponses judiciaires, et les interventions de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, certains chiffres restent inquiétants. La délinquance des mineurs a gravement augmenté, plus particulièrement les agressions avec voies de fait et violences. Les personnels de l'Éducation Nationale sont évidemment visés. En rapport, ils sont plus agressés que ne le sont les élèves. Le traitement en temps réel, l'accueil d'urgence, les centres de placement immédiat, les centres éducatifs renforcés, l'explosion du milieu ouvert pénal et de la réparation, semblent dans une certaine mesure, selon le Ministère de la Justice, juguler cette délinquance des mineurs. On sait que désormais les options sécuritaires l'emportent. Pourtant, il suffit d'appliquer la loi. Sinon, au collège comme dans le quartier, on saute d'une délinquance d'habitude, destructurante et désocialisante, à la prison, premier vecteur d'affirmation criminelle.

La déscolarisation de l'école

Le ministère, en 1999, en venait aux vrais problèmes, le lien famille-école, la communication, la formation des enseignants. Mais point trop n'en faut. L'institutionnalisation de l'échec et ses judiciarisations gardent le haut du pavé. Dans ce mouvement d'émiettement de la problématique de l'école, un objet de recherche vient à l'ordre du jour en France, un objet bien connu des Canadiens, des Anglo-saxons, voire des Belges, la " déscolarisation ". Nous en devinions la force dès 1990, dans notre suivi de la ZEP des Mureaux. Nous en discutions entre 1995 et 1997 avec Jacques Hébert (Université du Québec, à Montréal) et Laurier Fortin (Université de Sherbrooke). Nous avons après 1992 pu prendre connaissance du " Dispositif Accrochage scolaire " belge jusqu'à son évaluation (1999). Plusieurs enquêtes par questionnaires et entretiens nous aidèrent à en prendre la mesure.

De quoi parle-t-on ?

En fait, la déscolarisation est le pendant de l'école et de l'obligation scolaire. L'obligation scolaire et la protection des mineurs, le contrôle social et la prévention de la délinquance, imposent depuis deux siècles la surveillance de la scolarisation. À l'endroit, nous avons un discours sur l'alphabétisation,l'instruction,à l'envers, on gendarme le vagabondage " en rue " (comme disent les Belges) des mineurs. C'est d'ailleurs par la justice et la police qu'est repris le problème, au-delà des parents, lorsque l'absentéisme se mue en déscolarisation. Les seuils ici sont difficiles à établir. Normalement, quatre absences non justifiées appellent l'inspection académique à réagir. Nous avons pu effectivement constater que ce premier seuil avait du sens, lorsqu'on le tenait, et surtout on accompagnait l'interpellation. À Gennevilliers, dans un collège sensible (1994), l'un des trois conseillers principaux d'éducation s'y consacrait, mais la lettre à la famille était toujours précédée d'un appel téléphonique et accompagnée d'une visite. On en vint, et j'ai pu en vérifier les effets à Mantes, Trappes, Goussainville, à téléphoner dès la première absence. En classe-relais, c'est devenu évident, et payant, à Éragny, à la Garenne-Colombes (1994-1999). Une enfant de cinq ans est restée sans scolarisation plus d'un an (Asnières, 1996), deux autres de sept ans (Les Mureaux, 1990), et huit ans (Nanterre, 1993), plus de deux ans. Certes, l'Inspection académique peut déscolariser exceptionnellement un enfant, s'il est en danger ou met en danger l'autre. Et puis l'école ennuie beaucoup ! J'ai parlé de déscolarisation " mentale ", pour marquer cette vacance du désir et de la motivation qui gagne nos écoles ordinaires. La terminologie mérite tout autant une pause. Il nous faut gagner en distinctivité : absentéisme, grand absentéisme, décrochage, déscolarisation. Le grand absentéisme est marqué par plusieurs dizaines d'absences. Nous avons cette année dernière repéré plusieurs cas significatifs, quarante, cinquante absences ; jusqu'à découvrir dans un collège (mutique ?) un jeune dépassant la centaine. Le décrochage commence avec la répétition, régulière, d'une conduite d'absence. Mais nous noterons qu'il se fonde nécessairement sur une tolérance complice du milieu familial et du milieu institutionnel, et qu'il peut y avoir paradoxalement des décrochages plus ou moins actifs. Nous renvoyons ici à une enquête de 1993, qui discriminait assez bien les populations et les risques des jeunes de moins de vingt-cinq ans, en combinant réussite/échec, bonne/mauvaise intégration, réactivité/passivité. Une déscolarisation active est subjectivement plus supportée qu'une déscolarisation par désintérêt, démotivation. Nous avons connu le cas d'un mineur de quinze ans qui avait obtenu positivement du chef d'établissement et des enseignants de n'assister qu'aux cours d'espagnol et de mathématiques, où il travaillait d'ailleurs réellement (Mantes, 1996). Nous avons, en 1993, accompagné une Terminale à Horaires Aménagés de douze élèves (repréparant le baccalauréat), où la scolarité était comprimée sur deux jours et demi, et négociable, y compris en études dirigées à l'école ou au domicile, cas par cas. " Ceci nous amène à poser l'hypothèse que l'expression des difficultés scolaires du jeune dépend, non seulement des facteurs familiaux, mais aussi de ses caractéristiques personnelles, de l'encadrement inadéquat et de la mauvaise relation enseignant/jeune ", nous disent Laurier Fortin, Égide Royer, et Pierre Potvin (Sherbrooke). Compte tenu de l'ensemble, on peut réduire à trois vecteurs sensibles l'état psychosociologique mental de la scolarisation, de la scolarité : Les rapports sociofamiliaux (et la culture interne) Les rapports socioscolaires (et la relation à l'école) Le rapport psychosociologique, de réactivité (personnelle). Nous sommes dans une lecture complexe, encore une fois, à tester dans une volonté d'approfondissement individualisé. Le mieux serait de le faire avec l'élève et ses parents. Plus que jamais nous croyons à l'analyse et à l'évaluation actives et associatives en boucles. C'est de la recherche appliquée, ou de la recherche-action, à terme. L'élève et l'enseignant sont des personnes. Et la relation pédagogique est le fantôme de l'échec et de la réussite. C'est l'un des points à travailler, les Sciences de l'Éducation le répètent depuis 1967. Le lien scolaire, une prévention ? La collaboration école-parents est la ligne de force de la prévention, pour nous, mais aussi pour les Belges et les Canadiens. C'est la ligne centrale de la prévention des risques : resocialiser, recadrer, rétablir une conjonction minimum d'adultes de référence, une stabilité institutionnelle et symbolique. La compétence scolaire, nous disent les Canadiens, est loin d'être uniquement cognitive. Et les Belges ajoutent qu'un certain choix de l'école, des enseignants, associant parents et direction, peut intervenir, et permettre de retrouver du sens, à condition de privilégier la parole. Qui le faciliterait ? Les directions ; des médiateurs ; certains professeurs principaux (formés), articulant évaluations, heures de vie de classe, consultations des assistantes sociales, des conseillers d'orientation - j'ai pu voir par exemple au plus près la pertinence d'intervention d'un conseiller d'orientation de classes-relais. Mais il y a un syndrome de dyscolarisation qui habite l'école de cette fin de siècle : soit les défenses narcissiques et les sur-aspirations interdisent l'accès à la réalité ; soit la peur d'entrer dans la vie, la peur des études (récemment mise en évidence), et la démotivation dépressive le handicapent ; soit la fidélité à l'identité négative et aux traumatismes l'emporte.

Vers des recherches-actions et des pédagogies institutionnelles d'intervention

Explicitons, une pratique d'intervention que nous avons élaborée sur bientôt trente ans, dans le croisement des méthodes actives, et spécifiquement de la pédagogie institutionnelle, la " pédagogie institutionnelle d'intervention " est une recherche-action. L'école est à présent un problème de recherche-action en collectif, au cœur de la politique de la ville, et des métiers de la ville. L'institution est une machine vivante. Une recherche en collectifs Nous distinguerons trois types de recherche-action : résolutive (technicienne), par exemple se centrant sur les remédiations, ou les sanctions ; dominante à l'Éducation Nationale ; participative (appuyée sur des groupes), par exemple se centrant sur le suivi de classes, ou de la vie scolaire, ou de la direction ; délibérative (institutionnalisée), par exemple proposant un suivi global, différencié, discuté et collectif, à long terme, de l'établissement. Définir Nous prendrons trois définitions parmi d'autres, qui nous parlent ici davantage. " Une action délibérée, visant un changement dans le monde réel, engagée sur une échelle restreinte, englobée par un projet plus général, et se soumettant à certaines disciplines pour obtenir des effets de connaissance ou/et de sens " (Dubost, 1987). " Action délibérée de transformation des situations éducatives, en collaboration avec les acteurs, en vue de produire des connaissances " (Hugon, Seibel, 1998). Nous visons une recherche-action institutionnalisée, au sens où l'entend la pédagogie institutionnelle d'intervention depuis une quinzaine d'années : action délibérative de changement des pratiques, où la recherche, l'intervention et la formation s'articulent dans un collectif contractuel, institutionnalisé en commun par praticiens et chercheurs. Il s'agit de se recentrer sur l'acte et sur l'homme, " l'institution ". Une institution sociale et éducative " mal barrée " : l'école Mais la recherche-action est-elle possible à l'école ? Nous nous y sommes risqués. Prenons à présent une figure d'intervention soutenue par nos modélisations. Une intervention institutionnelle " longue " en collège La prise de fonction en terrains sensible (Mantes-la-Jolie) L'intervention institutionnelle Un projet de quatrième collège est fait à Mantes, au Val-Fourré, après les événements durs du début des années quatre-vingt-dix. Dès 1992, un (futur) chef d'établissement est dépêché sur les lieux. Il pourra penser et négocier la construction du collège, son architecture, la préparation des futurs élèves à " leur collège ", la sensibilisation du quartier, des parents. Il est en licence de sciences de l'éducation. Il suit mes cours. Je m'embarque, à sa demande, avec lui dans l'opération. Nous encadrerons ensemble l'équipe, durant quatre ans. Je suis " référent ". Je rencontre régulièrement le chef d'établissement. J'anime et je dirige les réunions de collectif - de prérentrée, de suivi, de bilan ; 18 en quatre ans, de trois heures en moyenne. Ces réunions discutent et enracinent la vie institutionnelle, les groupes de travail (disciplinaires, pédagogiques...), mais aussi " traitent " les problèmes et les difficultés. Par la suite, cet établissement sera pris dans le réseau de recherche du secteur " crise " de Paris-X. Nous y testerons chaque année des questionnaires " d'ambiance ", et surtout un questionnaire de Claude Lagrange sur la " Perception de l'ambiance et du climat dans le travail éducatif " de 57 questions (1995). Nous y aurons des entretiens de recherche, faits par des extérieurs. Le collège a ouvert ses portes en 1994. C'est le 4e collège du Val-Fourré. Il a été classé collège " sensible " en 1995, après une grève déterminée des enseignants. Le chef d'établissement a pu composer son équipe administrative. Il a aussi pu choisir de donner priorité à de jeunes enseignants sortant d'IUFM, débutants ou maîtres auxiliaires. La première année, sur 36 professeurs, 33 sortaient d'IUFM, avec parfois une expérience scolaire d'enseignement, mais limitée, et 3 étaient des maîtres auxiliaires confirmés. La deuxième année, sur 10 nouveaux enseignants, 5 sortaient d'IUFM. L'établissement comptait en moyenne 42 professeurs et 550 élèves. Sauf contrainte personnelle, les enseignants sont restés. Ils furent moins de 10 % à demander leur mutation. Le chef d'établissement a laissé mûrir le groupe, et le projet d'établissement, dont le premier exemplaire fut achevé après deux ans de fonctionnement, " résumant " la démarche en cours. La moyenne d'âge est entre 25 et 30 ans pour les enseignants. Le collège ne rencontre pas de problèmes de grande violence. C'est plutôt dans l'agressivité verbale, dans la tension relationnelle, dans le climat, que se situait la violence quotidienne. Enseigner, oui mais comment ? Ce collège a produit deux sortes de savoirs : des savoirs sur l'enseignement " sensible " et les pédagogies sollicitées (à ce point, nous établirons un lien avec le collège de Trappes évoqué plus loin) ; des savoirs sur les situations " sensibles ", particulièrement en classe, et sur les seuils de rupture de la relation pédagogique. Nous y puiserons la conviction qu'un collège, même débutant, tendant vers le collectif, organisé pour l'enjeu " banlieue ", peut réussir. Au prix de fines régulations, de multiples groupes de travail, dans une convivialité qui peut se marier à la rigueur. Le moteur en est bien cette synergie d'intervention qui lie la recherche et la formation, au plus près des pratiques du terrain. On y vit tout simplement émerger une " vraie " formation pédagogique continue des maîtres. Tirons-en quelques lignes. Structurer. Le cadre est fondamental, chacun s'accorde à le souligner. Aujourd'hui plus qu'hier, il y a lieu de repérer, baliser, expliciter, les règles et les lois de la vie en classe, de rappeler le règlement intérieur, de s'attarder sur la charte de vie de l'établissement, qui, si elle existe, doit pouvoir se résumer en variations sur un mot : respect. On peut établir sa propre charte de classe, ses règles internes. Et définir la nature " institutionnelle " des relations qui vont lier ce groupe-classe un an. Évoquer les contrôles scolaires. Et les sanctions. Les questions de discipline sont aussi des questions scolaires. C'est en perdant du temps sur le cadre que l'on gagne en clarté dans le quotidien. Le cadre a des effets psychologiques à long terme. Traiter tous les problèmes. Il ne s'agit pas, enseignant dans la classe, de tout relever et de tout traiter soi-même. Mais tout problème, de décrochage scolaire par exemple, ou encore d'indiscipline, ou d'irrespect, d'incivilité, doit trouver son écho, être parlé, très vite. Et trouver un lieu, dans la classe, dans le bureau du CPE, du principal-adjoint... où être " sanctionné ". Le plus subtil tient à la manière, à la façon de faire. Comment positiver, jusque dans la sanction ? En annonçant, et en tenant, la route à suivre. Faire signe, répondre dans la journée, voire dans la demi-journée, avant midi, ou avant cinq heures. C'est ce que nous avons conclu dans quelques collèges et lycées professionnels exposés. Ne rien laisser passer des violences légères " d'attitude ", comme des violences lourdes. Être présent. Cette présence, dans la distance du statut et du rôle, est sans doute ce qui réduit d'entrée la fracture culturelle entre maître et élèves, ce qui décode le mieux la situation d'enseigner, comme métier de savoir " en relation ". Il faut être là, s'investir, voire surprendre, et faire cours tient parfois de " l'entraînement sportif ". En fait, les élèves, lorsqu'ils lèvent leur barrière de protection, et sortent du silence, légèrement défiants, tombent aisément dans la surenchère à l'adulte. Et se muent en vampires dont on ne peut se défaire qu'en leur assignant des tâches et des astreintes individualisées. Multiplier les médiations. La relation directe, dans la classe, magistrale, frontale, est une nécessité du métier. Mais il n'y a pas que ça, dans la classe. Ou alors, c'est risquer en permanence un retour d'élastique, entre la menace et la séduction, ces deux figures de style qui soutiennent la compétence. Il faut instituer des recours scolaires (bilans personnalisés, tutorats, aide aux devoirs), dans la classe, voire interclasses, interniveaux. Et des recours, des médiations disciplinaires. On évite la plus grande partie des violences en disposant de sorties psychologiques contenantes : le coin de méditation ; une table pour " se mettre au vert " ; le quart d'heure de silence (pour l'élève perturbé et perturbant) ; la permanence bien conçue ; la semaine d'accueil, dans une autre classe ; le permis de conduite (à points) ; le " contrat politesse " ; le contrat classe, qui se propose au groupe et qui doit réellement se négocier ; ou alors, en cas de nécessité individuelle plus radicale, le contrat de scolarité, qui se propose lui à l'échelle de l'établissement et de la vie scolaire, impliquant les parents. De brèves réunions, pour faire rappel des règles et des lois, pour faire le point, assurent le suivi. C'est une partie du travail de professeur principal ; mais c'est bien en classe qu'on s'entraîne vraiment à la médiation. Dialoguer. Prévenir la violence, c'est aussi, on le voit, user de la parole, mettre en mots les conflits. Il y a un soin certain à apporter à l'écoute des élèves. Et spécifiquement des délégués des élèves ; prêter attention à leur choix, à leur élection, à leur responsabilisation. Mais sans un dialogue avec toute la classe, cela peut n'avoir aucun effet sur la vie scolaire du groupe. Il faut alors être attentif, " relativiser ", " avoir de la diplomatie ", " coopérer " ; réfléchir aux meilleures stratégies. Et c'est là que des rencontres régulières, ou des échanges, entre collègues, sont précieux. L'élève de cette fin de siècle, qu'on le déplore ou que l'on s'en félicite, est " sensible ", au juste et à l'injuste, à la parole aux attitudes. Il demande à être connu, voire reconnu. Le climat ainsi constamment surveillé (certains enseignants parlent de " la météo ", cet élève " s'apprivoise ", se lie, s'interpelle. Le maître et les élèves ont alors vraiment envie de venir travailler, ils l'expriment. Et certains élèves vont naïvement s'étonner, toute honte rentrée, que l'on s'occupe d'eux pour de vrai. Enseigner autrement. Les enseignants le disent textuellement ainsi : enseigner, oui mais autrement. Il faut penser au langage-élève, à leur culture (où le mot pléonasme par exemple est entendu comme une injure) ; sans cesse inciter au travail, répéter, contrôler ; faire plus d'exercices, plus de vocabulaire ; faire court ; tendre à individualiser, idéalement à différencier ; utiliser TV, vidéo ; varier le rythme et les activités : introduire l'informatique. Et, pour autant, il faut rester exigeant, ne pas surnoter par exemple, faire connaître les résultats moyens des établissements comparables, du district, les palmarès. On peut parfaitement établir des concertations trimestrielles autour des bulletins, avec les parents, jusqu'à 3 sur 5 viendront, si l'on insiste, et si on les accueille vraiment, eux aussi. Mais encore, tenir chaque année une vraie distribution des prix, comme dans les meilleurs collèges, comme dans le temps, où on pourra ajouter le prix du meilleur camarade, ou le prix de l'élève le plus souriant, le plus sportif. Parler vrai. C'est un point d'éthique d'une rare efficacité. Lorsque les choses sont à peu près nettes, que la météo est stable, la vérité est bonne à dire, sans ostentation, en accompagnant avec force et pédagogie l'effort réclamé. Parler vrai, à l'élève, aux parents, en évaluant le travail, et non la personne. Car si un(e) élève a cinq de moyenne " générale ", il ou elle ne vaut pas pour autant 5, il ou elle n'est pas nul(le). La stricte délimitation de la valeur " docimologique " des notes est en elle-même une médiation, une démarche non violente. À bien entendre ce que nous livrent en conclusion ces enseignants regroupés par le destin scolaire dans un établissement qui " fait front " et se mue en chercheur collectif, ce sont deux derniers principes : Ne pas rester seul, travailler en équipe ; et puis prendre du recul, se remettre en question. L'intervention est un logiciel en fabrication. L'école peut et doit désormais se penser comme l'école dans la ville, c'est ce que nous résument des maîtres-mots comme " la ville pour école ". elle n'a rien à perdre à restaurer la complémentarité intersociale qui a fait son histoire, sa force et sa faiblesse. Mais autrement, en fondant : son enseignement sur un arbre méthodologique différencié ; sa structure sur des équipes polyvalentes et " institutionnelles " ; et son suivi sur des staffs d'accompagnement et d'observation, de guidance sociale. C'est à ce travail mythique et presque obsessionnel que nous devons nous attaquer : défaire, démembrer, déconstruire, autant que possible, la violence, au jour le jour. Faire ainsi que l'étymologie se retourne dans sa tombe, et que l'usage de la force laisse place ici et là à la force de l'usage, à l'humanité.

Pour en savoir plus : Bibliographie

Charlot B., Emin J.-C., Violences à l'école. État des savoirs, Paris, A. Colin, 1997.
Debarbieux E., La violence en milieu scolaire, 1. État des lieux. 2. Le désordre des choses, Paris, ESF, 1996-1999.
Olweus D., Violences, harcèlements et brutalités entre élèves, Paris, ESF, 1999.
Pain J., La Pédagogie institutionnelle d'intervention, Vigneux, Matrice, 1993.
Pain J., Violences à l'école. Allemagne, Angleterre, France. Une comparaison européenne de douze établissements scolaires du second degré, Vigneux, Matrice, 1997.
Pain J., Degois M.-P., Le Goff C., Banlieues : les défis d'un collège citoyen, Paris, ESF, 1998.
Selosse J., sous la direction de Villerbu Loïck et Pain Jacques, Adolescence, violences et déviances, Vigneux, Matrice, 1997.