Etude :
1. L'habilité dramaturgique de Beaumarchais.
1. La composition
La scène se scinde en deux parties dont le milieu est la chute de la chaise :
" (le page fait tomber une chaise dans le cabinet) "
Jusqu'à la chute de la chaise, la Comtesse est sécurité. Cet instant est l'acmé de la scène (= point de tension maximale).
Le Comte en faisant son apparition est furieux : " LE COMTE, un peu sévère"
Cependant la Comtesse réussi à l'apaiser :
" LE COMTE - Heureusement le docteur est ici. "
La première partie de la pièce est en decrescendo. Au moment où le Comte finit par retrouver son calme, le page fait tomber la chaise et le Comte va retrouver son énervement initial qui ne va cesser de grandir durant les explications confuses de sa femme.
Dans la deuxième partie, l'inquiétude du Comte est traduite par son interrogatoire auquel la Comtesse répond par des questions.
L'interrogatoire du Comte se clôt par un ordre :
" LE COMTE - … je veux la voir à l'instant "
La tension relancée par la chute de la chaise se maintient jusqu'à la fin de la scène.
2. Le rythme
La première partie de la scène est lente alors que la seconde s'accélère.
Dans la première partie les répliques sont longues. Le rythme est ralenti par les points de suspension qui marque l'hésitation des personnages.
Dans la seconde partie, la crise éclate ; le rythme s'accélère. Les répliques sont courtes et on passe à une stichomythie.
Différents mots sont pris au rebond :
" LE COMTE - Il faut que vous soyez… préoccupée !
LA COMTESSE - Préoccupée !
…
LE COMTE - Vous avez dit qu'elle était passée chez elle !
LA COMTESSE - Passée… ou entrée là…
LE COMTE - … d'où vient le trouble ou je vous vois ?
LA COMTESSE - Du trouble pour ma camariste ?
LE COMTE - Pour votre camariste, je ne sais ; mais … du trouble assurément.
LA COMTESSE - Assurément, Monsieur, cette fille vous trouble et vous occupe.
LE COMTE - Elle m'occupe à tel point que je veux la voir à l'instant. "
C'est un véritable duel verbal.
2. Le Comte et la Comtesse, un couple à la dérive.
Ils n'apparaissent seuls que dans trois scènes où ils mènent un duel.
C'est un couple à la dérive. Ils s'opposent tout à fait à Suzanne et Figaro.
1. Le rôle de l'énonciation
On repère que les pronoms d'énonciation présents sont " je " et " vous ".
Le Comte et sa femme se vouvoient.
La seule fois où le pronom " nous " est employé, il ne sert pas à désigner le Comte et la Comtesse mais la Comtesse et Suzanne :
" LA COMTESSE - … nous parlions de vous… "
-> Elle est donc lus complice avec sa femme de chambre qu'avec son mari.
Quand le Comte évoque le couple, le sujet de la phrase n'est pas " nous " mais " Il faut avouer (Madame, que vous ou moi sommes entourés d'êtres…) ".
Le pronom désignant le tiers absent est " on ", " il ", " quelqu'un ".
-> Le tiers est le moteur de la méfiance du Comte.
A la fin de la scène, ce tiers est désigné comme Suzanne et devient ainsi le moteur de la jalousie de Comte :
" LA COMTESSE - Qui voulez-vous qu'il y ait, Monsieur ?
LA COMTESSE - Hé mais… Suzanne apparemment qui range. "
En réalité, la Comtesse ment.
Le couple est désuni et toute personne extérieure accentue leur désunion. Leurs relations sont basées sur la méfiance et le mensonge.
2. Les signes de l'usure dans le couple
Aucune complicité ne lie les deux époux : ils se vouvoient…
Les formules " Monsieur " et " Madame " qu'ils utilisent ne favorisent en rien leur rapprochement.
Pour se faire pardonner dans la scène 19, le Comte finit tout de même par appeler sa femme Rosine (nom qu'elle portait dans Le Barbier de Séville).
Comme le font remarquer les personnages dans les scènes précédentes, la jalousie du Comte n'est pas liée à son amour mais à sa vanité et à son orgueil :
"BARTHOLO - Libertin par ennui ; jaloux par vanité" (Acte I, scène 4)
"LA COMTESSE - Comme tous les maris,… uniquement par orgueil" (Acte II, scène 1)
Le Comte ne se préoccupe que de l'identité du tiers, à aucun moyen il ne cherche à connaître les sentiments de sa femme.
La Comtesse qui craint pour Chérubin attaque le Comte sur ses infidélités pour détourner ses pensées.
3. Deux paramètres-clés, l'espace et le temps
1. L'espace
La scène est un espace clôt qui se transforme en piège.
Deux lieus sont nommés :
Les appartements de Suzanne sont nommés :
" LA COMTESSE, troublée - Je… je chiffonnais… avec Suzanne ; elle est passée un moment chez elle. "
A la fin de la scène, ses appartements sont le seul lieu ouvert donc la seule issue. Ce lieu sera ensuite maîtrisé par le Comte. Entre temps, Suzanne aura le temps d'en sortir et de se cacher derrière l'alcôve (scène 13).
-> Le spectateur est informé du mouvement des personnages mais pas eux.
Cette différence d'information introduit un ressort dramatique.
Beaumarchais introduit ici la double énonciation: les informations sont doublement adressées au public et aux personnages.
2. Le temps
Les temps verbaux sont variés:
-> La passé composé désigne un passé proche :
" LE COMTE - Vous avez dit qu'elle était passée par chez elle ! "
-> Le futur traduit un futur imminent :
" L A COMTESSE - Quel que soit cet audacieux, il faudra… "
Le présent détermine la rupture entre les deux époux :
" LE COMTE - … d'où vient le trouble où je vous vois ? "
" LA COMTESSE - … Monsieur, cette fille vous trouble… "
-> Le présent est totalement dépendant d'un passé et d'un futur proche.
Conclusion
L'action à un rôle moteur dans cette scène. C'est le point de départ d'une séquence qui va jusqu'à la scène 16. Le public en sait bien plus que les personnages, l'intérêt n'est pas dans l'incertitude mais dans le stratagème qui sera mis en place pour y arriver.
Merci à Noémie qui m'a envoyé cette fiche...