PAYSAGE

Charles Baudelaire






Introduction

Présenter Charles Baudelaire et Les Fleurs du mal, ainsi que le poème étudié.

Lecture

Je veux, pour composer chastement mes églogues,
Coucher auprès du ciel, comme les astrologues,
Et, voisin des clochers écouter en rêvant
Leurs hymnes solennels emportés par le vent.
Les deux mains au menton, du haut de ma mansarde,
Je verrai l'atelier qui chante et qui bavarde;
Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité,
Et les grands ciels qui font rêver d'éternité.

II est doux, à travers les brumes, de voir naître
L'étoile dans l'azur, la lampe à la fenêtre
Les fleuves de charbon monter au firmament
Et la lune verser son pâle enchantement.
Je verrai les printemps, les étés, les automnes;
Et quand viendra l'hiver aux neiges monotones,
Je fermerai partout portières et volets
Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais.
Alors je rêverai des horizons bleuâtres,
Des jardins, des jets d'eau pleurant dans les albâtres,
Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin,
Et tout ce que l'Idylle a de plus enfantin.
L'Emeute, tempêtant vainement à ma vitre,
Ne fera pas lever mon front de mon pupitre;
Car je serai plongé dans cette volupté
D'évoquer le Printemps avec ma volonté,
De tirer un soleil de mon coeur, et de faire
De mes pensers brûlants une tiède atmosphère.


Annonce des axes


Etude

I) Le paysage urbain réel

1) Baudelaire parle de ses rêveries à la fenêtre pour créer ses poèmes. On découvre le Paris du XIXe siècle.

- Le poète à sa fenêtre : thème romantique.
- Omniprésence du ciel -> champ lexical. Astrologue, clochers (2), mâts, ciel / cieux (religieux).
Strophe 1 : V2 :nuit
V3 :Matin :le jour.
Strophe 2 : ciel voilé (brume, fumée, fleuves de charbon, nuit / pénombre.)
Vastitude, liberté, associés à la ville.

2) La ville industrielle

a) "Les clochers" : aspect traditionnel de la ville de Paris.
b) - Les usines :
-> L'atelier
-> "les tuyaux"
-> "Les fleuves de charbon"
C'est une ville familière, qui ressemble à d'autres villes.
C'est aussi une ville qui travaille (ville industrielle)
Détails prosaïques ("tuyaux")
V6 : Métonymie : "L'atelier qui chante et qui bavarde" : personnification.
V7 : "Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité" -> métaphore.

Paris est caractérisé par la vie, les bruits quotidiens.


II) Le paysage urbain transfiguré :

1) Mouvement amorcé dans la 1ère strophe, nettement dans la 2e.

Idéalisation du paysage
a) Tuyaux, clochers assimilés à des "mats"
Implicitement, la ville est assimilée à un avenir ( -> évasion, découverte, aventure).
b) Les bruits familiers sont évoqués de manière idéalisée :
clochers -> cloches ; "L'atelier qui chante" -> les ouvriers qui chantent au travail
-> Bruits (qui rythment la journée) valorisés -> sonnerie des cloches distinguées comme "hymnes solennels", idée de grandeur et de noblesse.
V4 : "Leurs hymnes solennels emportés par le vent"
Lenteur du rythme, régulier. Les mots en eux mêmes sont longs (solennels, …)
On peut noter une assonance en [â] ; de plus, il est à la rime.

2) La création d'un univers magique :

Métamorphose (au cours des vers)
Paris réel -> Paris imaginaire, féerique, onirique.
Confusion des sensations (perception par les sens)
- Entrecroisement des perceptions visuelles et auditives.
- 2e strophe : "brume", "fumée", "ombre" (V9, V11, V12)
Place est faite aux sensations visuelles, mais des sensations visuelles voilées (intérêt pour les ombres et les lumières)
Opposition ombre / lumière lors des vers 9 à 16.
Mouvements opposés (naître, monter / verser), verbes de mouvements.

Adjectifs qualificatifs valorisant, le poète est engagé affectivement dans le paysage.
Ville de contes de fée, paradisiaque.
Nature presque "distribuée" (oiseaux -> musique, végétation -> jardins, -> nature maîtrisée.)
Un Paris peuplé et vivant ; un décor un peu artificiel.
"Le vert paradis des amours enfantines" est évoqué ici. (V20 :"Ce que l'idylle a de plus enfantin")


III) La démarche du poète

1) Situation du poète

a) Poète mis en scène dans le poème
- Pauvre "mansarde" (comme les domestiques et les étudiants)
- Enclin à la rêverie.
-> attitude traditionnelle du poète.
b) Inspiration : elle est confondue avec la rêverie.
Inspiration / travail -> travail volontaire maîtrisé
                                        â          â
                                "Je veux"     "composer"
Genres antiques : "églogues", "idylle"
Sorte de "mission sacrée", comme un moine.
"pupitre" : le travail du poète est ici souligné. (V12)
c) Le poète tourne le dos à la réalité (V15)
Il se coupe de coupe de la réalité physique matérielle de la ville.
V21 : il tourne le dos à l'Emeute -> révolution 1848.
Poètes engagés : XIX : Lamartine, V. Hugo (poète romantiques engagés)
XX : Aragon : "L'affiche rouge", "la rose et le réséda",…
        Eluard : "liberté"
        R. G. Cadoux : "Les fusillés de Chateaubriand", "Gabriel Péri"
        Desnos
        R. Char
        Lorca
        Neruda

2) La création du poète :

V2 : Il se compare à des astrologues (déchiffre les signes du ciel)
Le poète est aussi un déchiffreur de signes. La mission du poète est de "changer la boue en or" (prologue des "fleurs du mal")
Il est une espèce d' alchimiste, un magicien qui s'imprègne du monde, puis transforme ce qu'il a vu en paysage urbain magique.
Paris industriel -> rêve parisien, qui instaure le poète comme magicien, mais aussi comme architecte (travail de recréation) ; il recrée aussi les saisons.
Tout vient du poète : il déchiffre les signes, ….Pour cela, il met beaucoup de lumière.
Engagement personnel de son cœur, qui lui donne toute l'énergie pour créer.
Le poète est un enchanteur, un poète démiurge (qui prend la place de Dieu).


Conclusion

    Ainsi, ce poème de jeunesse reste influencé par le romantisme ("rêverie", de V. Hugo, 20 ans plus tôt), mais en même temps Baudelaire revendique un statut de poète, créateur de son propre monde, tout à fait dépendant, comme s'il voulait reconquérir le monde.
    C'est une vision contrastée et pourtant cohérente du paysage urbain auquel il est très attaché. Ainsi, le spectacle banal, familier, prosaïque peut être matière à poésie.




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Merci à Clément qui m'a envoyé cette fiche...