ANTON FIER
Interview de Vivian(e) Vog paru dans le numéro 6 d'OCTOPUS (avril 1997)
Sorti dans l'indifférence en France à l'automne dernier, Dead Inside, le 8° album des Golden Palominos s'est avéré au fil des écoutes comme l'un des grands albums de 1996, tout aussi surement que I Care Because You
Do d'Aphex Twin l'avait été en 1995. Derrière l'âme des Golden Palominos, nous retrouvons un personnage culte de la scène New-Yorkaise depuis près de vingt ans lorsqu'il était batteur des Lounge Lizards et des Feelies: Anton Fier. Personnage discret, depuis 1983 il a su s'entourer de collaborateurs dont l'énumération laisse réveur: John Zorn, Fred Frith, Michael Stipe, Bootsy Collins, Henry Kaiser, John Lydon, Bob Mould, Knox Chandler, Nicky Skopelitis...et surtout son vieil ami Bill Laswell.En 1993, la parution du magnifique album de Dub Electronica Dreamspeed sur le label de Zorn, le rendit incontournable dans une scène avide d'expérimentations électroniques, d'atmosphères "Illbient" et de sombres grooves dont Dead Inside pourrait être le manifeste. Même si les voix ont changé régulièrement au fil des albums, il semble que ce ne soit que sur Dead Inside qu'Anton Fier ait trouvé son alter égo vocal. Nicole Blackman, une artiste new-yorkaise de spoken words, a ainsi réussie à retranscrire l'univers cinématographique des musiques des Golden Palominos par des textes perturbants et justes. Reflet d'un monde précipité dans une gigantesque fuite en avant, dont les habitants n'ont bien souvent plus qu'une seul ambition, celle de simplement continuer à respirer.
Nous avons donc rencontré Anton Fier en octobre dernier lors de son passage à Paris, l'occasion pour nous de lui demander s'il est plus facile maintenant de jouer à New-York qu'à la fin des années 70.
LES GOLDEN PALOMINOS SONT-ILS UN GROUPE ?
ANTON FIER
- En 1979/1980, il y avait beaucoup d'endroit où jouer, où répéter bon marché. Quand je jouais dans les Feelies ou avec les Lounge Lizards, nous jouions dans les clubs et on pouvait se faire de l'argent avec. Maintenant, c'est impossible de venir à New-York, d'y former un groupe et d'en vivre. La ville a changée, elle est devenue plus chère, et les goûts des gens ont changé également. Il y a moins d'intérêt pour la musique live. Je ne sais pas pour quel raison...Je ne joue plus live d'ailleurs, je n'en éprouve plus l'intérêt. C'est quelque chose que je faisais beaucoup quand j'étais jeune, peut-être trop. Et maintenant mon principal intérêt, c'est de faire des disques. Mais, la dernière fois que j'ai joué à New-York, c'était il y a quatre ans avec Nicky Skopelitis, à l'occasion de la sortie de son dernier disque, il avait donné un seul concert ici.Mais, avec ce nouvel album des Golden Palominos je sens, que pour la première fois depuis des années, ça serait excitant de jouer ces morceaux live. Mais, c'est surtout une histoire de finance maintenant. Les Golden Palominos ne sont pas un groupe. C'est quelque chose qui nécéssite un peu d'argent pour tourner, mais je veux le faire. Je pense que cela devrait se concrétiser début 96 car il y a une demande aux Etats-Unis en ce moment.Connaissez-vous ce groupe américain Marylin Manson? Ils sont en train de devenir vraiment grand là-bas. Et l'un des mecs a entendu l'album, a adoré et voudrait que les Golden Palominos fassent leur première partie pour leur prochaine tournée. (rires). C'est très étrange pour moi, mais pourquoi pas? Je n'ai pas besoin d 'aimer ce qu'ils font, je n'aimait pas Alice Cooper quand j'étais jeune, mais je les remercie pour avoir apprécier mon travail. Et je veux jouer live, aussi si cela marche ça sera devant pas mal de monde, alors...
Ceci dit, je ne veux pas faire de concert avec des bandes ou des machines car ça ne serait pas honnête. J'ai grandi dans l'idée que la musique live devait être vivante. Des gens qui interagissent entre eux, qui font quelque chose de nouveau et pas simplement qui reproduisent le disque fidèlement. Cela ne m'intéresse pas. Or l'album n'a pas été fait par un groupe de gens, mais grâce aux ordinateurs. Même les parties de guitares ou de basses que vous pouvez entendre sur l'album n'ont pas été enregistrées pour tel morceau, elles faisaient parties de mon stock d'informations, ce n'était que divers sons que j'avais collectionné au fil des années. Je voulais vraiment faire un album en évitant les clichés musicaux, je sais que c'est impossible à faire mais j'ai essayé très durement, et j'ai mon idée sur la manière de la jouer live qui devrait être pour moi aussi excitante que l'enregistrement de l'album. Je ne veux pas avoir l'air de prendre le train en marche, mais je suis très intéressé par ce qui se passe avec la culture DJ en ce moment. Je pense que beaucoup de choses créatives et radicales se passent dans ce milieu, alors j'ai cette idée d'amener les master tapes de mon disque, d'en extraire certains beats, certains sons et de les presser sur vinyl et d'avoir deux DJ sur scène qui les joueraient, de cette manière tout serait live et nous pourrions improviser.
Ce que vous dites me fait fait penser au dernier disque de Derek Bailey, très orienté jungle.
Anton- Derek Bailey est un improvisateur avant tout. Et je ne veux pas vous donner l'idée que je veux faire du free-jazz par dessus un mix de DJ. Je veux simplement dire que quand tu joue de la musique, il devrait y avoir de l'espace pour ce que tu ressens durant n'importe quel concert. Je voudrais avoir deux DJ, deux personnes aux claviers, un guitariste et Nicole; je jouerais de la batterie sur certains morceaux et des claviers sur d'autres.
J'ai commencé à écouter de la musique dans les années 60. Bien sur j'ai commencé par des trucs comme les Beatles, puis j'ai glissé vers Hendrix et si tu écoute des bandes de ses concerts, chaque soir la version va être différente; des fois, cela va être mauvais et d'autres fois excellent. Parce que c'était vrai, c'était basé sur ce qu'il ressentait, la manière dont il vivait, c'était surtout très honnête. Et je pense qu'il y a une certaine honnêteté qui manque de nos jours dans beaucoup de concerts. Peut-être est-ce parce que je suis plus vieux maintenant ? J'ai toujours été intéressé par la technologie, sur tous mes disques. Le premier Golden Palominos en 1983 (sur Celluloid. ndr) contenait des tapes loops parce qu'il n'y avait pas de samplers à cette époque, alors je devais utiliser des boucles avec ces premières boites à rythmes; mais je souhaite trouver un moyen d'incorporer la technologie avec le fait de jouer avec âme.
BILL LASWELL ET MILES DAVIS
Quels sont les éléments qui vous apparaissent déterminants dans votre carrière musicale depuis votre arrivée à New-York ?
Anton- J'ai eu beaucoup de chance par ce que cela faisait un mois que j'étais à New-York quand j'ai rejoint les Feelies et quelque mois après j'ai fait partie également des Lounge Lizards. C'était donc des musiques très différentes et des groupes importants à l'époque. Même si certains l'imaginent différemment, pour moi, ces deux groupes sont indissociables, du moins dans mon souvenir. Cela m'a appris beaucoup à propos de la musique, des musiciens et du buziness, parce qu'avec les Feelies, il y a eu de mauvaises expériences. En effet, juste après mon arrivée, nous avons signé sur Stiff records et ils attendaient de nous que nous soyons un groupe pop, sans vraiment savoir qui nous étions vraiment. Aussi quand ils ont écouté le disque enregistré, ils ont perdu tout intérêt car il n'y avait aucun hit single. De l'autre coté, les débuts avec les Lounge Lizards ont été très créatifs, musicalement parlants. J'ai ainsi appris beaucoup sur l'improvisation, car même si j'y étais déja sensible, je n'avais encore jamais joué dans un groupe de ce style.
Après, la seconde chose importante, peut-être plus encore que l'époque des Feelies/Lounge Lizards, a été mon association avec Bill Laswell. Nous avons tous les deux bougé au même moment sur New-York, j'étais de Cleveland, il était du Michigan à Detroit; nous avons le même âge, nous avons le même genre d'enfance au sens d'intérêt pour la musique; et nous sommes simplement devenus de très bon amis. C'est d'ailleurs mon plus vieil ami. Je pense que Bill est la personne la plus créative de notre époque, ne serait-ce que par rapport à la somme de travail qu'il réalise. Avec lui, je n'apprenais plus seulement à être un musicien, mais également parce qu'il travaillais tout le temps en studio, j'ai appris comment se réalisait un disque dans ces conditions. L'art de jouer de la musique et l'art de faire des disques sont pour moi deux choses très différentes. Les disques sont permanents, ce sont des artefacts d'une époque, c'est quelque chose que tu laisse dérrière toi, ce sont des documents de ta vie et de tes sentiments.
Et même quand j'étais un gosse, j'ai commencé à acheter des disques à l'âge de cinq ou six ans, je me demandais toujours quand je regardais les crédits au dos des disques ce que cela signifiait. Un groupe comme les Beatles sonnait sur scène très différemment des disques, il y avait apparemment quelque chose de plus dans la manière d'enregistrer un disque que simplement brancher les amplis. Il y a une autre magie, un autre système impliqué dedans. Alors très vite, mon intêrét n'a pas été de faire partie d'un groupe, d'être un musicien et de jouer la musique de quelqu'un d'autre. Et Bill m'a beaucoup et continue de beaucoup m'apporter.
A quel moment vous-êtes vous intêressé au Jazz, comment y êtes-vous arrivé ?
Anton- Assez tôt en fait. Ma mère en écoutait, rien de bien sérieux, c'était The Sidewinder de Lee Morgan que j'aime beaucoup et des disques de Jimmy Smith. Mais, c'est un peu plus tard que je m'y suis mis vers onze, douze ans et j'ai commencè à lire des trucs sur ce mec qui s'appelle Miles Davis, les pochettes de ses disques étaient intêréssantes, les morceaux étaient vraiment longs et à cette époque c'était ce que je voulais entendre. Par exemple, les morceaux sur le premier album des Blue Cheers étaient vraiment longs, dans un autre genre. Enfin, donc j'écoutais Miles Davis, plutôt sa période électrique, Miles At Fillmore a été le premier disque que j'ai acheté de lui, puis Live/Evil, On The Corner et il y a eu Coltrane. Entre douze et dix-sept ans, je trouvais le rock ennuyeux alors je m'immersais totalement dans le jazz, plus c'était extrème mieux c'était. De Coltrane, je suis passé à Albert Ayler, Ornette Coleman, Art Ensemble Of Chicago...Il y a eu une grande série de disques qui ont été produit en france à cette période (Bouaille dji actuel!!) qui était dirigé par un criminel, qui plus tard sortit les disques Celluloid, jean-charles Costes?, il sortait des disques d'Archie Shepp, Anthony Braxton, il les faisait venir à Paris, les enregistrait, personne n'était payé, c'est une vielle histoire. Mais, c'était des disques très influents. Et de là, j'ai découvert la scène europpéenne de Free-Jazz, notamment un batteur incroyable du nom de han bennec? sur le label hollandais ICP, il a aussi fait des choses pour FMP avec Peter Brotzmann. Il n'essayait pas de copier le style américain, il avait developpé son propre style. Puis, je suis revenu au Rock, j'étais allé à New-York voir Television en 75 ou 76, et pour moi, il y avait une similarité parce qu'ils improvisaient beaucoup sur scène et ils emmenaient la musique loin devant par rapport au point où elle en était à ce moment et je pouvais m'en sortir proche. Je pense que c'est Television qui m'a fait revenir au Rock. Mais, toutes ces catégories, Rock/Jazz...c'est de la musique pour moi. J'écoute vraiment de tout. En dehors de mon passé de musicien ou de producteur, j'ai également travaillé dans un magasin de disques et c'était le seul job que je voulais faire car ainsi, je pouvais écouter tous les disques que je voulais. Et pour moi, c'était simplement de la musique, peu importait que ce soit Albert Ayler ou Willie Nelson ou encore Pierre Boulez. Au même moment où j'écoutais Coltrane, j'écoutais également Fun House des Stooges.
Etiez-vous au courant de ce qui se passait en Allemagne à cette époque avec le Krautrock ?
Anton- Oh, oui. Cleveland est une très bonne ville pour la musique, pas pour jouer. Le climat y est très froid l'hiver, alors il n'y a pas grand chose à faire le soir, aussi les gens restent chez eux, achètent des disques de manière fanatique, fument beaucoup de dopes et écoutent la musique la plus extrème qu'ils peuvent trouver. Alors, nous connaissions tous ces groupes. Pour moi, Can a toujours été excellent, Neu également, mais je n'aimais les groupes comme Amön Dull, Guru-Guru.
DE LA POLKA AU DRUM&BASS
Quel est la raison pour laquelle vous avez commencé la batterie ?
Anton- J'ai demandé à ma mère si je pouvais jouer de la batterie dès l'âge de cinq ans. J'allais parfois avec mes parents dans les bars et quelque fois il y avait un groupe qui jouait et j'étais fasciné par le batteur. Mais, ils ne voulaient pas que j'en joue et préférais que j'étudie le piano, or ils ne pouvaient se permettre d'en acheter un, alors j'ai du apprendre l'accordéon, que j'ai détesté. Cela a duré quelques années et finalement, un soir , nous étions de nouveau dans un bar et le groupe prit un break, alors je suis monté m'asseoir dérrière la batterie et j'ai essayé d'en jouer un peu. Puis, je crois que quelqu'un dans le groupe s'est senti soit désolé pour moi, soit impréssionné et le guitariste a commencé à jouer et j'ai donc essayé de jouer avec lui. J'ai du m'en tirer pas trop mal parce que mes parents ont bien voulu alors que j'étudie la batterie. C'était un groupe de Polka. Il y a beaucoup de Slovaques à Cleveland, et mes grands-parents maternels viennent de Pologne tandis que mes grands-parents paternels viennent de Slovénie, et donc, la Polka c'est leur tradition. Je détestais la Polka, pour moi ce n'était pas cool; mais tu ne peux échapper à tes origines.
Votre manière d'appréhender la batterie a évolué vers des rythmes plus électroniques, et Dub également...
Anton- Je dois dire que la première fois que je me suis servi d'une boite à rythme a été pour le premier album des Golden Palominos, Bill avait une DMX que j'ai emprunté quelque jours. J'ai toujours été intérêssé par le Dub. Je me rappelle la première fois que j'ai entendu Garvey's Ghost de Burning Spear à sa sortie et il y avait un Dylan Duran? album qui s'appelait CB 200, les deux sont sorties sur Island, nous étions en 75 ou 76. Mais, tout comme je suis intéressé par quelque chose ne signifie pas que je désire faire ça. Il doit y avoir un contexte pour ça, cela doit venir de l'intérieur de moi-même. Et ce n'est que depuis les cinq dernière années que j'essaye de l'incorporer dans la musique que je compose. J'essaie de bouger le plus loin possible du format de la Pop song, de ses structures. Avec chaque disque, j'essaye de trouver de nouvelles manières de travailler. J'ai changé beaucoup avec les Golden Palominos, et ce doit être la seule constante d'ailleurs. C'est ce que je désire que cela soit à une période donné, et c'est amené à évoluer constamment. Autrement quelle serait la raison pour continuer si ce n'était pour évoluer? Je suis influencé par toutes les expériences que j'ai eu dans ma vie, bonnes ou mauvaises. Tout change dans la vie, rien ne reste le même, alors pourquoi devrais-t-il en être autrement en musique?
Alors, quelles sont les nouvelles directions qui vous excite actuellement en ce qui concerne la batterie, les rythmes ?
A- Le Drum&Bass définitivement, même si personne ne peut le jouer live; c'est en termes de rythmes la chose la plus radicale et la plus révolutionnaire qui a été faite avec la technologie depuis que celle-ci a été introduite. C'est très musical, ce n'est pas une boite à rythme qui fait des beats 4/4. Je pense vraiment que cela va influencer toutes les formes de musiques; dans dix ans, vous sentirez toujours son influence et dans deux ans la Pop music incorporera des éléments de Drum&Bass. C'est vraiment la prochaine étape au sens de l'évolution de la musique.
Allez-vous essayer d'explorer ce domaine ?
Anton- Oui, mais je ne veux pas m'approprier quelque chose. Il y a deux morceaux sur Dead Inside qui peuvent s'en rapprocher, mais les beats de Drum&Bass sont généralement de 160 BPM et exprès je me suis servi de beats à 140 BPM. Parce que je voulais témoigner de l'influence et de mon intérêt pour le Drum&Bass, mais je ne voulais pas me servir de breakbeats déja utilisés sur des Cd et me les approprier. Selon mon opinion, les disques des Golden Palominos n'appartiennent pas à une étiquette précise, tu peux y discerner des influences diverses. Sur Dead Inside, il y a des influences de Dub, de Techno, d'Ambient, de Drum&Bass; mais ce n'est toujours pas ça. C'est une bonne chose d'une part car j'essaye de créer quelque chose d'unique en soi, qui reflète mon âme et d'autre part c'est un inconvénient car les gens ne savent pas comment le vendre, cela n'entre dans aucune catégorie. Mais je suis fièr du fait que ma musique ne peut être étiqueté.
La plupart des musiques qui ont été importantes, et je ne désire pas sonner prétentieux en disant que ma musique l'est, ou qui ont eu une grande influence; à l'époque où elles ont été crées, les gens ne savaient pas ce que c'était. Regarde l'album de Miles Davis On The Corner, je peux te montrer une critique de l'époque du magazine Downbeat qui l'a descendu et maintenant il est reconnu comme l'un des plus grands disques de Jazz jamais enregistré. Et nous voilà plus de vingt ans après, tu peux sentir son influence dans le Drum&Bass et dans d'autres styles. Toutes les musiques importantes ressemblent à cette histoire.
Qu'avez-vous écouté récemment de marquant dans le Drum&Bass, la Jungle ?
Anton- J'aime beaucoup le disque de Plug, il y a une bonne compilation sur Metalheadz Platinum Breaks et le Hidden Agenda de Photek. J'ai été déçu par le dernier Alex Reece. Avez-vous entendu l'album de Lamb? La programmation est excellente, ce sont toujours des morceaux avec une chanteuse, mais avec des influences Drum&Bass étonnantes comme sur le single Cotton Wool.
POURQUOI VOUS AIMEZ VOTRE PETITE AMIE
Pour revenir à vos albums, quelle importance a la voix, le chant pour vous qui a plutôt été féminin ces dernières années avec Lori Carson, Phew ou bien Nicole Blackman ?
Anton- Cela semble très important apparemment, en effet je n'ai jamais enregistré de disques instrumentaux, parce que je trouve que sinon il manquerait quelque chose. Je choisis effectivement des chanteuses car j'ai suffisamment d'énergie masculine en moi. Cela semble cliché bien sur mais si tu regarde dans la nature, il y a une parfaite balance entre ces deux énergies, cela sonne stupide mais c'est vrai. Et je crois que j'ai besoin de cette balance pour ma musique.
Quels sont les points communs entre toutes ces chanteuses ?
Anton- Je ne sais pas. Je ne l'analyse pas. C'est plus important pour moi de le faire plutôt que de l'analyser. Cette question est un problème pour moi dans beaucoup d'interview d'ailleurs. Si quelqu'un vous demande pourquoi vous aimez votre petite amie, pourriez-vous y répondre? Tout ce que tu peux dire, c'est ce qui peut se communiquer par des mots. Et c'est ce que tu sais sur le moment, mais tu ne connais pas tout. Personne ne sait vraiment pourquoi ils font ce qu'ils font. Et la manière dont je fais des disques est très instinctive. Je commence sans aucun plan, sauf en termes de avec qui je souhaite travailler. Sinon, si je devais tout leur préparer, cela enlèverai la magie. La seule partie intéressante pour moi dans le fait d'enregistrer un disque, c'est l'expérience que procure le fait de le faire. Quand c'est fini, je m'en fiche, c'est mort. Je dois vous en parler, car nous faisons une interview.
Je ne réponds pas vraiment à votre question, mais je ne sais vraiment pas. Je pense être très attiré par ce qu'elles peuvent écrire, parce que cela me touche. Je pense que ces mots ne communiquent pas seulement la pensée, les sentiments de celle qui les a écrit, mais également les miens. Je passe beaucoup de temps avec elles pour les aiguiller dans leur écriture.
Quelle importance a votre disque Dreamspeed sur le label de John Zorn, Avant records, dans votre carrière, parce que c'est le seul qui soit signé sous votre propre nom ?
Anton- La seule raison pour moi de l'appeller ainsi a été l'insistance de Zorn lui-même. Pour moi, il n'ya pas de différence entre ces disques et les Golden Palominos. Et celui-ci, Dead Inside est un disque très important pour moi. C'était la première fois que je travaillais de cette nouvelle façon. J'ai commencé ce processus en 1992 et jusqu'à celui-ci je pensais que Dreamspeed était mon meilleur disque, parce qu'il avait été une expérience vraiment réussie. Les albums des Golden Palominos avant cette période était très basé sur les guitares, et je voulais revenir à ce qu'était le premier album, c'est-à-dire tout baser sur les rythmes. Parce que c'est ce qui m'a intérêssé en premier chef pour faire de la musique. Et je suis très fier de ce disque, je pense que Dead Inside est au moins aussi bon que Dreamspeed, sinon plus.
Etes-vous également intéressé par les spoken words ?
Anton- Bien sur, par exemple sur Dreamspeed, il n'y a pas de chant à proprement dit; alors apparemment je suis intérêssé par les spoken words, même si les mots sont en japonais sur Dreamspeed et qu'ils sont plus rythmiques. Mais j'ai consciemment voulu éviter avec cet album de ne pas faire des mélodies. Parce que j'avais fait les deux précédents albums des Golden Palominos avec Lori Carson qui est une chanteuse au sens traditionnel, si tu la voyais dans les clubs à New-York tu dirais que c'est une chanteuse de Folk, mais j'ai essayé de la pousser plus vers quelque chose approchant le spoken word. Je n'ai pas de problème avec les mélodies. Mais où est l'essentiel entre les mots et la musique? Beaucoup de gens commencent par la mélodie, puis cherchent des mots qui puissent coller avec, aussi les mots ne signifient bien souvent rien. Si j'utilise des mots, leur sens n'est pas dans la manière dont ils sonnent mais dans leur sens propre. J'ai donc voulu dépouiller la musique à son essence même, et encore une fois c'est pour éviter le cliché. Je ne sais si je l'ai accompli, mais vous savez...
L'un de vos derniers projets est votre participation à la bande originale du film The Photographer's Wife avec Stina Nordenstam également très bon...
Anton- Ah, vous connaissez ça! Cela a été très difficile. Ces morceaux étaient supposés écrits pour Dead Inside qui à l'origine devait être un projet réunissant quatre différentes chanteuses: Nicole Blackman, Stina Nordenstam, Lori Carson et Leslie Winer qui a enregistré un disque obscur Witch avec Jah Wobble. Au début, je suis allé en Suede voir Stina et elle est très difficile, elle ne fait que ce qu'elle a envie de faire. Tu ne peux pas lui dire ce que tu voudrais qu'elle fasse et elle n'a pas compris ce que je désirais faire. Elle faisait donc de ces morceaux quelque chose d'autre et quand elle a eu terminé, je lui ai dit que ça ne collait pas. Alors, nous avons vendu ces morceaux à Warner Brothers en Suede...Ce n'était pas une bonne expérience. J'étais déçu de ne pas avoir réussi à faire quelque chose avec elle, même s'il y a ce disque. Elle travaille d'une manière que je respecte, elle est très bonne, mais elle ne collabore pas. Les morceaux qui figure sur ce disque que vous connaissez sont des versions remixes bien en de-ça de ce qu'ils auraient du être, et Warner a dépensé plus d'argent pour ces trois morceaux que n'en a couté Dead Inside. Nous avons échoué et d'habitude quand je collabore avec quelqu'un, on arrive toujours à s'entendre. J'avais déja fait une erreur avec l'avant-dernier Golden Palominos Pure qui était pour moi une compromission avec Lori Carson à part deux, trois morceaux. Et j'avais quand même décidé de le sortir, aussi pour celui-ci j'étais décidé à ne pas le sortir tant que je n'en étais pas satisfait pleinement, quelque soit le temps investi. Je me disais: et si je devais mourir?, et si ce devait être le dernier disque que je sortirais? Je devais laisser quelque chose dont je sois fièr, qui montre ce que je ressentais. Dead Inside a donc nécéssité beaucoup plus de temps que les précédents, mais j'en suis heureux. Je suis content de n'avoir fait aucune compromission pour celui-ci.
Chaque fois que tu collabore avec quelqu'un, il y aura des divergences d'opinion. Et tous ceux avec qui j'ai collaboré ont des caractères très forts. Mais ce qui compte c'est qu'à la fin les deux personnes soient heureuses du résultat et je suis chanceux parce que la plupart du temps, ils m'ont fait confiance. Même avec John Lydon (sur l'album Visions Of Excess en 1985 sur Celluloid. ndr) que je ne considère pas comme l'un de mes amis, cela a été une bonne expérience.
Avec Nicole, elle a également une forte personnalité mais elle n'est pas musicienne, aussi elle n'avait pas ce coté précieux par rapport à ses mots. Je pouvais lui dire ce que je pensais de ses textes et virer telle partie sans qu'elle soit choquée. Elle n'avait pas de pré-conceptions sur le fait de faire un disque. De toutes les personnes avec qui j'ai travaillé, c'était la plus confiante au sens où elle me laissait faire tout ce que je voulais.
POURQUOI DEVRAIS-JE FAIRE UN AUTRE DISQUE?
Dead Inside nous apparait comme un album assez sombre tout de même, voire pessimiste, est-ce le fait de votre état d'esprit ?
Anton- (Il hésite) Je dirais..Oui. Bien sur, ces mots sont la vision de Nicole, même si j'ai essayé de la diriger dans une certaine direction. Mais, oui, ces mots sont un reflet de mon état d'esprit, peut-être pas aujourd'hui mais en général...Si, aujourd'hui (rires)
Où alors pouvez-vous trouver de l'espoir et de l'energie si vous êtes si pessimiste ?
Anton- C'est une bonne question. Je n'ai pas vraiment beaucoup d'espoir, je veux dire, je ne sais pas...Mon énergie vient de moi-même, je peux toujours me motiver moi-même, et la seule fois où je suis heureux c'est lorsque je travaille sur un disque que je prends plaisir à faire. Je n'ai jamais été une personne heureuse sauf lorsque je crée quelque chose. Mais je ne me sens pas à ma place dans ce monde, dans le business musical, je n'existe même pas vraiment dans le business musical. Mon travail est tellement marginal. Je ne fais pas ça pour être célèbre, riche et voir ma photo dans les magazines. Je fais tout ça pour l'acte de créer, enregistrer un disque est un but pour moi, mais c'est la seule chose que je sache faire alors...Et mes parents ne sont pas riches, aussi c'est un combat pour moi.
J'ai l'impression que mon travail est ignoré, j'en tire peu d'argent. Qui sait si le mois prochain j'aurais un endroit pour vivre. Cela pourrait être pire. Au moins j'ai un label, j'ai des problèmes avec lui mais ils ne me disent pas quel genre d'album je dois faire. Ils ne font pas grand chose de plus en dehors du fait de le sortir, mais cela pourrait être plus frustrant pour moi. Au moins j'ai ce moyen pour documenter mon travail et je peux être assis avec vous qui avez écouté mon album, qui le respectez et cela me donne un peu d'espoir, je dois dire. D'autre part il y a ce mec qui s'occupe du site web des Golden Palominos, aussi je reçois des messages du monde entier. Tout ça n'est donc pas fait pour rien.
Je fais ces disques pour moi-même parce que c'est ce dont j'ai besoin pour vivre. Mais la musique comme n'importe quel forme d'art a besoin d'être entendu par quelqu'un. Je ne le fais pas pour une audience, mais j'ai besoin d'une audience pour l'entendre. Et parfois, je me sens terriblement frustré. Je me demande alors pourquoi devrais-je faire un autre disque? Cela n'intérêsse personne. Mais, je sais que je ferais un autre disque car j'en ai besoin. Alors tu rentre dans un processus où tu mets toute ton âme dans quelque chose et cela te cause de grandes douleurs et angoisses. Cela signifie tant pour toi, cela représente une année de ta vie, le disque sort et puis, rien ne se passe. Des fois, je préfèrerais être mort plutôt que de passer par ce stade, mais aussi longtemps que je vivrais je le ferais. Je sais que cela sonne dramatique mais c'est vrai. Vous me demandez et je vous réponds.
Devez-vous travailler parfois pour vivre, indépendamment de votre musique ?
Anton- J'ai eu beaucoup de chance. Bill a un studio à Brooklyn, aussi pendant deux ans j'ai habité au-dessus; j'avais donc un endroit pour vivre et pour travailler, qu'est-ce-qui pourrait être mieux? même s'il n'y avait pas de chauffage, alors l'hiver cela gélait, mais je n'avais pas à me soucier d'argent. Mes disques étaient donc bon marché. Bill Laswell m' a donc beaucoup supporté en essayant de m'aider. Mais, je sentais également qu'il étais temps de changer de situation, car je devenais dépendant de Bill et lui également car j'étais son studio manager; ce qui impliquait des choses moins glamour comme balayer la neige de l'entrée l'hiver, nettoyer les toilettes. Depuis Dreamspeed jusqu'à Dead Inside , je pense que cela fait partie d'une époque de ma vie et que je suis dans une période transitoire. J'ai donc déménagé pour me forcer à redéfinir mon existence, et je ne sais pas ce qui va venir après. Je peux me retrouver à devoir travailler le mois prochain, je n'espère pas.
Pour la personne qui écoute votre dernier album, quelle serait la chose que vous aimeriez qu'elle retienne en particulier ?
Anton- Rien en particulier. J'espère que Dead Inside va perturber, troubler les gens. C'est peut-être différent en France car moins de personnes comprennent l'Anglais, mais en Amérique, ça a été le cas. Certains l'ont aimé et d'autres l'ont détesté. Voilà ce que j'espérais comme réaction et pas que l'on trouve l'album Ok. Ce n'est pas Ok, c'est "harsh", les mots sont harsh, le son également et je veux que les gens le ressentent.
Dead Inside est également un album très "cinématique", n'avez-vous jamais été tenté de composer pour le cinéma ?
Anton- J'adorerais ça, mais personne ne me l'a demandé, alors si vous connaissez quelqu'un? En fait, j'aime très peu de films actuels. L'un de mes films préférés est L'Ami Américain de Wim Wenders, Apocalypse Now de Coppola également, Voyage Au Bout De L'Enfer...La Bataille d'Alger qui a été réalisé dans les années 60 contient une très bonne bande originale, c'est en noir et blanc et on dirait un documentaire, mais ce n'en est pas un. C'est un film incroyable, s'il vous plait, voyez-le.
QUELQUE CHOSE DE PUR
Dans la bio qui accompagnait la sortie de Dead inside , nous avons lu que cet album reflète votre obsession pour la corruption du corps, de l'esprit et de l'âme. Est-ce du point de vue de la victime ou d'un observateur social ?
Anton- Les deux, parce que je vois la corruption dans la plupart des choses et...Les gens disent qu'il est difficile de travailler avec moi, mais je suis plus difficile avec moi-même. Je pense que de certaines manières, les êtres humains sont voué à la corruption, c'est évident dans le monde dans lequel nous vivons.
Si c'est évident, comment est-ce possible d'échapper à cette évolution ?
Anton- Pour moi, ce serait d'essayer de faire quelque chose de pur, car la pureté dans tous les sens est une motivation pour continuer à vivre, continuer à respirer, pour éviter que je ne me tue. Vous me demandiez tout à l'heure où je trouvais l'énergie? En tentant de transcender cette vie où nous avons été mis au monde. Chacun a une existence différente, je ne prétend pas que la mienne est la tienne. Chacun est né avec des choses qu'il peut controler ou non, mais si tu veux continuer à rester en vie...Ma seule manière de faire quelque chose de pur, c'est à travers le fait d'enregistrer un disque. Je vois cela comme une chose spirituelle, cela pourrait être purement mal ou purement bien, ça n'a pas d'importance. La pureté dans n'importe quel sens est toujours préférable à quelque chose fait à moitié. Est-ce que cela répond à la question?
Vous sentez-vous toujours l'âme d'une personne naive ? Avez-vous conservé dans votre esprit une sorte d'idéalisme adolescent? parce que à vous entendre parler, nous entendons quelqu'un qui semble avoir une grande expérience de la vie, et qui renferme une profonde sensibilité...
Anton- J'ai quarante ans maintenant. Je ressens les mêmes choses qu'à quinze ans. Je veux dire: je sais que j'ai quarante ans parce que mon passeport le dit et je me demande comment cela est arrivé. Je ne me sens pas différent, peut-être un peu sur le plan physique et peut-être suis-je un peu plus cynique vis-à-vis des choses, et peut-être suis-je un peu plus fatigué. Mais honnêtement, je ne vois pas de différence, j'ai l'impression d'être toujours un adolescent, j'ai l'impression de n'être toujours pas devenu un adulte responsable et j'espère ne jamais le devenir parce qu'alors serait venu le moment de mourir (rires). Si je n'étais pas resté idéaliste, pourquoi aurais-je fait un album comme celui-ci? Si j'avais voulu être cynique, si j'avais voulu faire un album qui se vende à des millions d'exemplaires, cela aurait été facile. Alors, oui je suis un idéaliste à propos de la musique, et donc cela signifie que je le suis à propos de la vie, parce que je crois que je peux faire quelque chose d'honnête et être vrai envers moi-même. Et cela m'apporte l'énergie, quelque chose de bien parce que l'alternative, c'est quoi? Quelque chose qui n'est pas attirant. Et parce que je suis idéaliste, je suis voué à certaines formes de dépression, car je suis donc souvent déçu. Je crois qu'il ne devrait plus y avoir de gens qui dorment dans les rues et pourtant il y en a. Ce monde est si riche, il y a de la nourriture pour tous mais il y a des gens qui meurent encore de faim. Aussi mon idéalisme dans ce sens est déçu et frustré. Par rapport à la musique, je sais qu'il y a de la très bonne musique qui ne sera pas entendu et de la merde simpliste se vendra parallèlement à des millions. Oui, je suis idéaliste.
JOUER AVEC MILES DAVIS
Quel est le projet artistique qui vous tient le plus à coeur de réaliser ?
Anton- Je dois dire que je l'ai fait. Et le prochain disque que je ferais sera le nouveau projet qui me tiendra le plus à coeur. Je ne me suis jamais restreint sur aucun de mes disques. Je n'ai pas peur de demander à quelqu'un de travailler avec moi.
Et vous n'avez pas de projet vraiment fou et chèr ?
Anton- J'avais un rève quand j'étais gamin. La raison pour laquelle j'ai bougé à New-York c'était pour jouer avec Miles Davis, ça n'est jamais arrivé. Quand je suis venu ici, il s'était retiré durant quelques années, puis il est revenu pour faire une musique que j'avais du mal à apprécier, à comprendre, puis il est mort donc...Mais je ne me sens pas frustré parce que cela n'est jamais arrivé, je m'en fiche. J'ai le pouvoir de travailler avec n'importe qui, il suffit juste que j'en ai l'idée. Personne ne m'a jamais dit non pour un projet. Quelque fois cela a été dur, difficile de les convaincre, mais...
Bill Laswell parle souvent d'une communauté de musiciens, avez-vous le sentiment d'appartenir à cette communauté spirituelle ou musicale ?
Anton- Je dirais spirituellement oui. Mais je sens qu'il faut également que je m'en éloigne. Mes disques précédents impliquaient beaucoup plus les musiciens qui travaillaient avec moi. J'essaye de faire moi-même le plus de musique possible, même si je suis sympathisant de cette communauté. Je ne veux pas faire des disques qui ressemblent aux disques de Bill, je veux les faire de ma propre manière. Aussi, je dirais que plus je viellis, plus je veux controler mon travail. Mais, je ne pourrais jamais travailler seul, j'ai besoin de collaborer avec au moins une autre personne, j'ai besoin de quelqu'un qui écrive des textes. Et Dead Inside est à peu près ça, Bill, Nicky Skopeletis et Knox Chandler n'ont pas participé beaucoup pour la première fois d'ailleurs à l'enregistrement. C'était vraiment Nicole et moi, cette fois-ci. Voilà comment j'envisage le futur pour les Golden Palominos, de moins en moins de collaborations.
Pour compléter cette interview, nous avons pu joindre par téléphone au mois de novembre dernier Nicole Blackman ce qui nous a permis d'en découvrir un peu plus sur cette artiste, révélateur des traumas contemporains comme le prouve cette traduction d'extraits du texte The Ambitions Are, dont l'original se trouve dans le livret de Dead Inside, que vous pouvez lire ci-contre.
Nicole Blackman- Anton avait entendu quelque chose de moi sur la compilation Mythology à propos de Cassandra qu'il avait apprécié, ainsi que le son de ma voix. Au début, notre collaboration aurait du s'établir autour de trois morceaux. Ce n'est qu'après qu'il m'a demandé d'enregistrer l'album entier avec lui, ce qui été une surprise pour moi. C'était plutôt intimidant parce que je n'avais jamais fait ça auparavant. Je suis très fière de ce travail, je pense qu'il a sorti de moi-même des choses très bonnes. La manière dont cela s'est passé est très différente de la manière dont se font la plupart des Spoken Words. Et la raison pour laquelle cela a si bien fonctionné, c'est que nous n'avons jamais approché ce disque comme du spoken word. D'ailleurs, ceux que j'ai entendu ne sont pas très bon, généralement parce que le poête écrit son texte et le donne aux musiciens qui composeront quelque chose par dessus. Et je savais que pour Dead Inside, il fallait que j'écrive de nouveaux textes. Ce qui s'est passé, c'est qu'il me donnait une bande de musique de six à huit minutes et j'en faisait une boucle sur une cassette pendant une heure. Je mettais mon casque audio, j'éteignais les lumières, je m'allongeais dans l'obscurité et je n'avais qu'à regarder le film de ce que j'entendais. Le matériel qu'il me donnait était très "cinématique", cela sonnait vraiment comme la bande-son d'un très bon film. Aussi, tous les mots ont été écrits pour tel morceau en particulier, voilà peut-être pourquoi cela a si bien fonctionné.
INCONSCIEMMENT
A propos du morceau, qui est pour moi central de l'album, The Ambitions Are et de sa phrase leitmotive : The Ambitions Are Wake Up Breathe, Keep Breathing; comment en êtes-vous arrivé à écrire un tel texte, est-ce qu'Anton vous a dirigé vers un tel sens ?
Nicole- Anton ne dirigeait pas du tout mes textes. Il les entendait pour la première fois au moment de l'enregistrement en studio, alors il y a un élément d'alchimie qui entre en compte. Il ne m'a pas donné beaucoup de directions pour le disque. Par rapport au morceau dont tu parle, c'est une approche d'une ville qui est en train de s'auto-détruire et des gens. C'est une vision très influencée par New-York, mais je sais que d'autres personnes dans le monde ont pu y voir des élements de décadence urbaine dans leur propre ville, au sens où la ville est ici comme un animal qui dévore les gens. C'est un morceau très troublant, mais c'est l'un de ceux où les gens peuvent y trouver des éléments proche d'eux ou de personnes autour d'eux, parce que c'est écrit de manière suffisamment ouverte de façons à ce que tu puisse y ajouter ton propre sens. Aussi, les gens personnalisent tous ces morceaux car ils sont très visuels et provoquent une sorte de réponse émotionnelle à propos de leur propre vie...Dead Inside est devenu pour des raisons imprécises un album sombre, troublant, mais il en sort une série de vignettes dans un film dont le thème serait la corrosion, l'isolation, le désespoir, et parallèlement toutes les femmes impliquées dans ces histoires sont toutes sur le point de transformation. L'une se prépare à mourir, une autre à vivre, une autre se demande si ce qu'elle a fait avant était une erreur. Elles sont toutes sur le point de changer ou de départ, elles sont à un moment dramatique de leur vie. Et ce n'était pas du tout un thème de départ pour nous, c'est arrivé comme ça, inconsciemment. Ca en dit peut-être beaucoup sur moi-même et mon état d'esprit à ce moment là. (rires).
Pour ceux qui vous découvrent avec cet album, vous donnez l'impression d'écrire des textes plutôt dépréssifs ?
Nicole- Je ne trouve pas que mes textes soient dépréssifs sur Dead Inside. Mais pour moi écrire des choses aussi sombres ou bien perturbantes est quelque chose de très soulageant pour moi, parce que cela signifie que je n'ai plus besoin d'y penser ou de m'en soucier. Je peux utiliser ces humeurs pour créer quelque chose plutôt que d'avoir des cauchemars. Je suis capable de les sortir de ma tête. Les textes que j'ai fait auparavant ne sont pas aussi sombres. J'ai travaillé avec KMFDM, Bill Laswell et Spaceneedle, j'ai fait le Lollapalooza en 94, j'ai déja publié quelques trucs, j'ai lu mes textes sur les radios publics. Alors, si cet album est la première chose que les gens entendent de mon travail, ils vont penser que je suis une personne très dépréssive, mais ce n'est vraiment pas le cas. Je crois qu'Anton a d'ailleurs été très surpris que ces choses puissent venir de moi-même, car je n'ai pas de longs cheveux noirs, je ne porte pas de croix autour de mon cou etc...
Y-a-t-il des personnages de femmes de ce disque qui vous ont hanté après l'enregistrement ?
Nicole- Surtout la jeune femme du morceau Victim. Je l'ai écrit il y a quelques années et c'est vraiment la seule fois où j'ai eu l'impression que le personnage m'a fait écrire l'histoire, c'était probablement le cas le plus clair d'écriture automatique. Cela ne m'est jamais arrivé depuis. C'est une femme qui est particulièrement vrai pour moi et quand j'ai entendu que des radios passaient ce titre, cela m'a rendu différente. Parce que je ne veux pas que cette histoire soit exploité, je ne veux pas que ce morceau attérrisse dans un film d'horreur, pour déprécier son histoire. J'ai entendu que dernièrement en Belgique avec ces histoires de kidnapping et "adduction", Victim a suscité un certain intérêt et a été joué dans les clubs et sur les radios. C'était inattendu pour moi parce que je pensais que personne ne comprendrait cet album, alors savoir que des gens du monde entier réagissent fortement à ce disque, c'est très gratifiant pour moi. J'ai eu des coups de fils du Canada, d'Australie, de Tchécoslovaquie, d' Israel, d'Allemagne et je trouve que c'est fascinant que ces histoires soient si universelles.
COMBIEN LES MOTS PEUVENT ÊTRE PUISSANTS
Pourquoi pensiez-vous que personne n'aimerait le disque ?
Nicole- C'est pas tout à fait ça, je pensais que personne ne trouverait le temps de lui accorder le temps nécéssaire pour le comprendre, puisque ce n'est pas un album traditionnel de Rock. Dead Inside nécéssite une certaine patience et spécialement aux USA, je suis très découragé par tous ces groupes qui se fichent de leurs paroles. Ils supposent que personne ne fait attention aux paroles, alors pourquoi s'en préoccuperaient-ils? Et je voulais donc que les mots soient si importants que même parfois tu n'entende plus la musique. Je voulais voir combien les mots peuvent être puissants et que les gens y fassent de nouveau attention. Mais quand nous avons enregistré, nous ne voulions que nous satisfaire mutuellement et quand le label nous a dit combien ils appréciaient l'album, nous étions réellement surpris. On pensait que c'était trop bizarre et trop personnel. C'était choquant pour nous d'avoir de telles réponses à travers les USA, c'était merveilleux, peut-être y-a-t-il un peu d'espoir ici pour l'industrie musicale et que certaines personnes souhaitent entendre quelque chose de nouveau?
Est-ce que vous avez une idée assez précise quand vous commencez à écrire sur tel thème ?
Nicole- Je m'asseois très rarement pour dire, je vais écrire sur tel sujet. J'essaie de prendre des phrases qui peuvent venir de n'importe où, d'ailleurs leur sens peut se réveler plus tard. C'est seulement quand je regarde mon carnet que je peux voir le lien entre cette phrase et celle-ci. Je ne peux forcer leur sens, cela doit se révéler d'elles-mêmes. J'écoute beaucoup de conversations. Je suis plutôt bonne pour espionner, j'aime écouter les conversations dans les cafés ou dans les ascenseurs et quand j'entends quelque chose d'intéréssant je l'écrit. Quand je marche, je mets mon casque de walk-man mais je ne mets jamais la musique, aussi les gens pensent que je ne peux pas les entendre. Ce qui me permets d'écouter les couples se disputer à l'arrière du bus, une petite-fille qui pleure devant sa mère, mes carnets sont remplis de choses relevés à la télévision. Cela ne va pas nécéssairement déboucher sur un poême, d'ailleurs. Tous mes amis comprennent lorsque je les interrompts au milieu d'une conversation pour noter telle phrase prononcée, ils me prennent pour une folle, mais tout va bien. (rires).
Interview Vivian(e) Vog/Philippe Doussot
The Golden Palominos
Dead Inside
(Restless/Pias)