LES THUGS.

Interview par Philippe Fraile paru dans le numéro 31 de RAGE (nov/dec 1997)

JACQUES PRÉVERT EST UN PUNK-ROCKER

L'accueil fut mitigé pour leur album précédent, l'émouvant Strike qui de fait ressemblait plus à un chant du cygne. Aussi, certains ont eu vite fait de les entérrer bel et bien. Mais, au risque de les décevoir, Les Thugs s'offrent une cure de jouvence où la magie du Punk Rock mélodique opère à nouveau. Et ce n'est pas leur passage sur une major (Virgin) qui va les assagir. Alors, à 36 ans, Christophe Sourice, derrière ses fûts minimalistes, maintient le cap, celui de Bonne-Espérance bien sur.

"Strike n'était même pas encore sorti qu'Éric a dit:"je veux qu'on sorte un album rapidement, je me remets à faire des morceaux", presque un peu pour oublier, pour passer à autre chose ". Des morceaux sombres et la production aride d'Albini les avaient ainsi démobilisés, augmenté par une baisse des ventes. Bref, le moral n'était pas au beau fixe en cette année 96 dans la maison angevine. Mais, ils se sont rendu compte que "Les gens croyaient que Les Thugs étaient finis ou séparés, alors ça nous a fait rigoler ". Aussi, l'enthousiasme était général pour l'enregistrement de ce Nineteen Something au point que tout le monde dans le groupe fut unanime sur cet album, ce qui est suffisamment rare chez Les Thugs pour être signalé. Et le mieux que l'on puisse dire, c'est que cela s'entend. Même si l'auditeur attentif des Thugs avouera à la première écoute une certaine déception (l'album sonnant "Thugs") qu'une écoute répétée chassera bien vite. Et puis, la trentaine bien dépassée, ils prouvent à nouveau qu'ils ne sont pas près de baisser les bras, l'album étant aussi bon que n'importe quel Troubles Électriques de notre adolescence.

Quant aux textes, ils continuent à faire la part belle à ce mélange de rébellion et d'idéalisme tel ce "I'm a Dreamer, as they say i'm a loser " qui sonne vrai. Les Thugs se montrent tels qu'ils sont, humains avec leurs faiblesses, qui peut être une force pour ceux qui ont cette chance. "Je pense que nos parents nous ont donné suffisamment confiance en nous pour pouvoir assumer ce qu'on était et pouvoir dire aux autres d'aller se faire foutre. C'est pas non plus quelque chose qui se fait beaucoup et c'est vrai que l'on apprend plus aux gamins à s'intégrer à la masse. Et nous avons toujours voulu revendiquer cela. En ayant la démarche que nous avons eu, en s'imposant une certaine "éthique", le résultat a été beaucoup plus long que si nous avions prétendu être plus que ce que nous étions. Par contre, je trouve qu'au final la relation que tu peux avoir avec ceux qui t'aiment est peut-être plus forte ".

"si le colleur d'affiches se mettait à juger ce qu'il colle, où irions-nous? C'est pourtant là qu'il faut aller, c'est là qu'on ira ". (Jacques Prévert)

Ce n'est pas Christophe qui le contredirait. En effet, Les Thugs font partie de ces groupes qui ont l'intelligence, tout comme Noir Désir, lorsqu'ils parlent de politique d'éviter tous ce discours simpliste, ces slogans dangereux à manipuler que l'on retrouve des Bérus aux extrèmes de tout bords. "Déja au lycée, on s'est toujours braqué par rapport à ceux qui étaient à la LCR par exemple. Bien sur je crois que l'on partage la même révolte, mais je pense qu'ils ne prennent pas le bon chemin ". Et Christophe s'emporte contre ces anciens gauchistes, les plus extrémistes, qui finissent "rangés des mobylettes " et de s'enthousiasmer pour le sous-commandant Marcos dont ils ont samplé une interview sur le morceau Ya Basta qui dit en gros que: "de toute façons les guerillos du Chiapas ne sont pas des combattants, ce qu'ils savent le mieux faire c'est danser. C'est tout le trip Marcos assez fun quand il se barre dans les plans un peu poésie. Et surtout le coté que j'aime beaucoup chez eux, c'est de refuser le coté militaire de la violence pour dire: nous, on utilise la violence quand on est vraiment obligés parce que on n'a pas d'autres solutions, mais pas par plaisir personnel ". Les Thugs ont ainsi toujours appréhendé le monde avec sensibilité, mélangeant l'amour, le Monde Diplomatique, la vie quoi. Pour l'instant, Christophe nous parle de tout le coté graphique des Thugs dont il s'occupe et de leurs pochettes reconnaissables entre mille : "prises à la sauvette avec un gros grain et qui vivent un peu ". Il choisit toujours des photos évocatrices choisies dans des vielles revues d'actualités comme celle de la pochette du nouvel album faisant référence à la manif FLN en octobre 1961 qui s'est soldé par le bilan officieux de 200 algériens retrouvés noyés dans la Seine à Paris. Et Christophe de nous rappeler que le préfet de police s'appelait Maurice Papon. En fait, l'idée pour ce Mille Neuf Cent et Quelques était de "faire un constat sur le 20° siècle. Et je trouve qu'il n'y a pas de quoi être fier surtout quand tu es occidental et blanc. Quand tu vois comment la science a été utilisée par l'homme, sans parler du progrès et de l'industrialisation. Matériellement, les gens vivent peut-être mieux qu'au siècle dernier, mais au niveau spirituel, ils sont vraiment désemparés. Peut-être qu'ils leur manquent l'essentiel? ".

"Il n'y a que la mort qui tienne promesse et puis le temps/Pour briser les rêves de jeunesse évidemment " (Les Lendemains qui Chantent écrit par Éric Sourice)

Eh oui, les Thugs ne seraient pas Les Thugs sans ce pessimisme combatif, né d'une trop profonde lucidité et d'un trop grand amour de la vie... Mais, et le speed? et le rock'n'roll? crie le fan. Parce que nous arrivons dans la dernière partie de l'interview et nous n'avons toujours pas parlé de Hardcore, des Buzzcocks et du Punk Rock. Mais, vois-tu! tout ça a déja été tellement abordé depuis leur premier 45t Frenetic Dancing sur Gougnaf en 1984 qu'il n'est vraiment plus nécéssaire d'y revenir. Alors, nous parlons avec Christophe de la vie, de l'école qui l'a dégouté de la poésie et de Zola. Il m'avoue alors son amour pour le cinéma français d'avant-guerre, la trilogie des Pagnol, Zéro de Conduite de Jean Vigo (remercié sur les notes de pochettes de Still Angry en 1990) ainsi que ceux du tandem Carné-Prévert. "Prévert, j'ai toujours trouvé ça super, par l'engagement que tu sens, son refus des rimes en alexandrins et ses scénarios de films bien sur. J'ai toujours été révolté que l'on oblige des gamins à apprendre par coeur à l'école "Pages d'Écriture", l'histoire du cancre et de l'oiseau-lyre, et par l'angoisse que tu as d'être justement le cancre au fond de la classe qui va se payer un zéro, quand le poème te parle justement de ça. Et puis, au niveau du discours, il va assez loin. Non, je veux bien être assimiler à Prévert. Et c'est marrant car Prévert n'est pas un mec qui passe pour un auteur sérieux. Certains en parlant de leurs influences citeront plus volontiers Baudelaire. Prévert fait un peu plus poète populaire. Ça fait moins flasher les gens si tu te réclame de lui ". Pourtant, le rapport avec Les Thugs saute aux yeux maintenant. Ce goût des histoires simples, cette révolte instinctive et libertaire, cette naiveté adolescente, ce désespoir devant lequel on ne renonce jamais. Cette fois, c'est sur. Si Jacques Prévert avait écouté du Punk Rock, il jouerait dans Les Thugs.