Précurseurs
Tradition Islamique
Fonds Berbère
Lointains Ancêtres
Apport occidental

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LES ARTS PLASTIQUES

ENRACINEMENT ET CRÉATION

La peinture de chevalet en Algérie n'a que quatre-vingt ans d'âge puisque les premières expositions de peintres algériens se situent entre les années vingt et trente de ce siècle (à la période où se publiaient les premiers romans en langue française). Période trop brève au vu de l'Histoire, insuffisante pour que s'instaurent des traditions esthétiques, pour que s'enracine cet art dans les besoins culturels et dans les mœurs d'un peuple. Et cependant, plusieurs générations d'artistes se sont déjà succédé. Curieux paradoxe: tout en prétendant à une originalité nationale, ces artistes investissent, conjoncturellement, un passé qui n'est pas exclusivement le leur et empruntent à tous les horizons une parenté, des ancêtres. De Giotto à Rembrandt, de Courbet à Picasso, de Siqueiros à Kandinsky, à Byzance même, pour la miniature, tout l'art universel est plus ou moins anarchiquement approprié, malaxé avec un héritage pictural local. 

DEUX GÉNÉRATIONS DE PRÉCURSEURS

Avec le recul historique, commode pour juger après coup, à faut convenir que les pionniers de la peinture algérienne (Boukerche, Hemche, Mammeri) ont été piégés - mais pouvait-il en être autrement? - par la peinture coloniale qui était leur référence obligée. Pâle réplique de la peinture française métropolitaine, exotique dans son ensemble, cet avatar colonial avait donné un Dinet et d'autres orientalistes de plus ou moins bon aloi.
La génération suivante a un sort tout à fait différent ; elle est, après la Seconde Guerre mondiale, prise dans la houle des intenses bouillonnements d'idées d'alors où se mêlent le réformisme musulman, l'arabisme renaissant, les idéaux du socialisme, l'aspiration des peuples colonisés à l'indépendance et les poussées modernistes. En cette décennie, le Mouvement national est sur le point d'atteindre son apogée à la veille de novembre 1954. Époque trépidante qui eut la faculté d'aiguiser le sentiment national, voire nationaliste, avec ses maladresses et ses grandeurs aussi, d'attirer l'attention et les vigilances sur les problèmes de notre identité nationale trop souvent niée, de provoquer la méfiance et la réflexion critique à l'égard de la culture hégémoniste et assimilationiste de l'occupant; période salvatrice à plus d'un titre.
De ce fait, la revalorisation de notre culture, l'ancrage dans le terreau national sont et resteront jusqu'à nos jours des thèmes permanents, lancinants chez tout intellectuel et artiste algérien. L'appréhension du patrimoine culturel universel s'étant faite à travers la lucarne de la culture française, on peut imaginer dès lors les conflits, les attirances et les répulsions, les ambiguïtés qu'un tel rapport pouvait susciter. Indépendamment de la sensibilité de chaque artiste, de la richesse de son univers intérieur ou de sa démarche personnelle, l'idée et le besoin de l'enracinement sont partout perceptibles dans la peinture algérienne d'alors. Ils sous-tendent, selon nous, chaque oeuvre d'art; latents ou occultés, suggérés ou nettement signifiés, il sont même parfois ostensiblement portés au front comme un amer défi. Revendication radicale et globale pour certains, avec toutes les étroitesses qui en découlent, réappropriation critique de l'héritage pour d'autres, le " retour aux sources " est sans conteste le fantôme qui hante les arts plastiques algériens depuis leur naissance. Mais quelles sont donc ces sources ancestrales revendiquées ou seulement invoquées? Ce sont précisément celles qui ont façonné le champ pictographique algérien jusqu'à l'intrusion coloniale: arts musulmans, substrat berbère, lointains échos du Tassili et de l'Afrique.
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LA TRADITION ISLAMIQUE

La miniature et l'enluminure, importées d'Orient et devenues " traditionnelles ", sont reprises, redites hélas. Felouques turques, princesses diaphanes, gazelles dans les patios, vasques fleuries sont inlassablement ressassées. Cette forme d'art a été enseignée depuis 1930 jusqu'à nos jours à l'École nationale des beaux-arts d'Alger. Elle eut ses maîtres, entre autres Mohamed Racim (1896-1975) pour la miniature et Temmam (né en 1915) pour l'enluminure; des pionniers, Hamimoumna (1897-1970), puis Ranem. Leurs élèves sont légion; citons Adjaout, Sahraoui, Belkahla, Kerbouche... dans la génération de ceux qui ont aujourd'hui 50 ans.
Cependant quelques jeunes artistes tentent de rompre le carcan trop rigide imposé par des règles et une tradition presque millénaires. Mais cet art désuet et passéiste, en inadéquation avec le monde contemporain, pourra-t-il, longtemps encore, résister aux coups de boutoir des réalités nationales ou bien demeurera-t-il dans ces marges imprécises des arts folkloriques éternellement reconduits ?
Les arts décoratifs traditionnels continuent à s'investir dans le bois, le stuc, la céramique. Cette dernière technique connaît un essor remarquable et, fait notable, devient le terrain de repli pour les enlumineurs et les miniaturistes qui redimensionnent leur art à l'échelle du " mural ". Curieux itinéraire de la miniature qui, après avoir déserté les pages des livres anciens pour le petit sous-verre, se déploie en carreaux de faïence sur les murs. Elle ne fait en cela que suivre l'évolution de l'urbanisme en Algérie.

L'expression graphique en Islam, de tout temps abstraite, par une curieuse conjoncture historique qui se situe vers les années cinquante (c'est la période où les pays arabes recouvrent, un à un, leur souveraineté) rencontre l'abstraction moderne, très en vogue alors en Occident, dont les artistes avaient précisément renouvelé leur vision à la faveur de ce formidable entrechoc de civilisations que l'impérialisme naissant avait provoqué. Brassages, interpénétrations et fécondation des cultures. Que l'on se souvienne, pour nous restreindre à la période qui nous concerne, de Mark Tobey revendiquant les signes calligraphiques de l'Extrême-Orient, de Mathieu et de ses prétentions à la calligraphie arabe, de Klee retour de Tunisie, de Soulages, de Hartung... C'est de cette rencontre que naissent les premiers peintres abstraits algériens.
Découverte des possibilités de l'abstraction moderne et, en parallèle, mise en évidence de l'autre abstraction, celle de l'arabesque et de la graphie arabes. Non pas découverte éblouissante, mais maturation et lente appréhension après détours et tâtonnements. Et toujours, en arrière-plan, ce sentiment national chevillé à l'âme; au pays c'était la guerre.
La génération de peintres qui avait 20 ans en 1950, entreprenait, pour reprendre l'admirable mot de Jacques Berque, de " recharner " l'héritage ancestral. Guermaz, Benanteur et je me permets de me citer moi-même, chacun selon sa personnalité et son style propre a emprunté cet itinéraire. Travailler non pas sur la lettre arabe mais sur la substance même du signe, sans exclure ses ambiguïtés et son ésotérisme, telle fut en somme cette démarche commune. Notre ami Jean Sénac avançait déjà l'appellation "École du signe", proposition qui s'avérera prémonitoire. Quelque années plus tard, des dizaines d'artistes suivront cette voie passablement balisée. Citons Zerouki, Zodmi, Chaïr que nous qualifierons d'abstrait lyriques et Koreïchi et Ben Bella chez qui la Calligraphie est plus perceptible dans ses contours codifiés.
Vers les années soixante-dix, l'on fit une utilisation abusive, à notre sens, de la lettre arabe pour ses seules vertus décoratives, ce qui nous semble être une tendance régressive tant certains peintre systématisent et schématisent les recherche de leurs aînés. Mais peut-être est-ce là un passage obligé, un nouveau tremplin pour un second essor de la peinture non figurative arabe. Car ce retour à la calligraphie - général dans tout le monde arabe - est servi par de grands talents (nous pensons à Massoudi et à Nja Mahdaoui, hors d'Algérie) et peut ouvrir de nouvelles perspectives, alimenter une nouvelle créativité.
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LE FONDS BERBÈRE

Signalons en passant que, par une démarche analogue à celle de « l'École du signe » dont il a été question, le Marocain Cherkaoui retrouve les aouchem (tatouages) des femmes berbères et les signes chleuh de son Atlas natal, démarche que l'on retrouvera plus tardivement en Algérie. Ce qui montre que ce phénomène de réhabilitation culturelle est commun aux pays anciennement colonisés, Cela nous ramène au leitmotiv originel de l'enracinement et à un autre arrimage.

Les arts populaires berbères, substrat de notre culture nationale sont, de Nédroma aux Aurès, de l'extrême-sud targui à la Kabylie en passant par le Mzab, partout présents dans les objets usuels traditionnels tels que tapis, meubles, poteries, bijoux et dans certaines peintures murales, celles des maisons kabyles en particulier ; décoration d'une grande richesse thématique réalisée par les femmes sur les murs intérieurs de la salle commune. En panneaux verticaux, formant comme un immense pagne qui ceint la pièce à hauteur d'homme. Fins tracés à main levée, ocres et bruns, qui font l'effet d'un tissage sobre avec quelques rehauts, un jaune de grenade fait contrepoint à un noir ou bien quelques points de rouge garance viennent mettre en valeur la rosace d'une fibule.

Après l'indépendance, les signes amazigh et l'alphabet tifinagh envahissent un pan des arts plastiques algériens. Leur utilisation délibérée donnera, au tout début, des résultats décevants qui ne valent que par le geste de provocation. En placages maladroits, ces motifs transplantés de leurs espaces habituels versaient dans une forme de folklorisme, faute d'avoir été intégrés dans une visée effectivement créatrice. Ils seront, par la suite, mieux dominés chez Mesli et Chegrane; encore mieux assimilés par Ould Mohand, Zoubir, Larbi, Madjoubi par exemple, donnant d'heureux résultats. Devant d'autres réalisations de jeunes de 30 ans, on songe aux compositions, avec d'autres moyens, de Paul Klee, ce qui nous permet de redire que les influences et les échanges entre les cultures sont incessants. Cette nouvelle tendance qui est un apport remarquable aux arts plastiques a toutes les chances de s'affirmer dans les années à venir, c'est du moins notre conviction.Retour en haut

LES LOINTAINS ANCÊTRES

Les monts du Tassili, nous le savons, recèlent en leurs flancs des centaines de milliers de peintures et gravures rupestres, parfois de véritables fresques. Ce prodigieux musée à ciel ouvert, s'il ne draine pas encore les foules, apporte tout de même son tribut à l'art contemporain. Reproductions de ces peintures, copies vraies ou fausses, impressions sur foulards, marques publicitaires; c'est par ce curieux itinéraire « touristique », par ces chemins détournés et prosaïques que cet art millénaire parvient au monde moderne et accède aux cimaises. Les jeunes peintres s'en emparent et le bestiaire tassilien, les guerriers préhistoriques envahissent leurs toiles, comme les ocres et les bruns sourds imprègnent leurs palettes.

Ce nouveau pôle d'inspiration exerce son attraction et nous ancre, cette fois, dans notre propre continent que nous avions, les yeux trop tournés vers le Nord, gravement négligé et dont les arts et les cultures ont été, du fait de la vision dévalorisante du colonisateur, plus ou moins infériorisés, ignorés, oubliés.

Réamarré à l'Afrique, l'art algérien contemporain se découvre ou plutôt se projette de futures racines, s'offre l'apport de densités nouvelles et de probables directions de recherches esthétiques à explorer.Retour en haut

L’APPORT OCCIDENTAL

Nous avons vu que les pionniers de l'expression figurative avaient suivi les courants en vogue à l'époque; les nouvelles générations qui se sont succédé ont été, quant à elles, tout aussi attentives aux évolutions de l'art figuratif hors de nos frontières. Si bien que nous avons, comme partout ailleurs de par le monde, des naïfs tels Benaboura (1898-1960), Zerarti, Nedjar, des expressionnistes, des surréalistes, des néo-figuratifs...

Dans le flot de cette production très variée, des centaines de peintres reprennent les thèmes de notre lutte de libération: martyrs, héros, emblème national sont maladroitement exploités, avec parfois quelque opportunisme. Réponse à une intense demande manifestée au lendemain de l'indépendance, cette veine semblait, depuis trente ans, inépuisable. Toutefois des signes de son tarissement sont perceptibles. Reflux salutaire tant cette forme artificielle et pauvre dessert les thèmes et la cause qu'elle prétend servir et glorifier.

Mais, parallèlement à cette tendance médiocre, une peinture de qualité se développe. Aussi, dans le foisonnement de la veine figurative, des noms émergent; parmi les précurseurs, citons Issiakhem (1929-1985), expressionniste de la lignée d'un Soutine mais avec plus d'harmonies dans la couleur et un univers de personnages inquiets et bâillonnés, le tout dans des empâtements violemment triturés. Louaïl, que nous rapprocherons du premier, est plus sobre d'expression, l'émotion est retenue; Martinez est très coloré avec d'angoissants cloisonnements, Oulhaci, Salah Malek, Mokrani...

Baya que l'on enferme souvent dans l'art naïf, faute d'expression mieux appropriée, est, elle aussi, tributaire des arts de l'aire géo-culturelle islamique et à la confluence de l'abstraction-figuration. Ses formes sensuelles découlent directement de l'arabesque, ses couleurs somptueuses suggèrent, par-delà l'habit féminin de l'Algéroise, celui de tout l'Orient; ses thèmes disent tout l'enfermement «doré» des harems d'antan. Faons, poissons en fontaines, oiseaux apprivoisés, jets d'eau en vasques, instruments de musique, fruits et flore racontent l'univers clos des demeures bourgeoises du début du siècle et toute la mélancolie de leur déclin. Baya a fait école: Belbahar, Zina Amour, femmes peintres, sans doute attirées par ces grandes gouaches sereines et résignées qui ne pouvaient être que féminines étant donné le statut que notre société continue à réserver aux femmes, en dépit d'incontestables changements et de violentes remises en cause.

Autre apport de l'Occident, la statuaire est moins bien admise en Algérie et les rares statues que l'on dénombre à Alger sont l’œuvre d'artistes étrangers. La quasi-absence de la sculpture est à mettre au compte de la méfiance atavique des musulmans vis-à-vis des idoles et de l'idolâtrie et des interprétations tatillonnes de la religion qui font que cet art est tout juste toléré.

Nous avons retenu pour ce rapide panorama de la peinture algérienne les diverses « traditions » qui se télescopent ou se mixent dans notre horizon culturel. C'est évidemment dans un souci de clarté - et pour les besoins de l'exposé - que nous avons séparé courants, tendances et influences, que nous avons classé et enfermé des artistes dans des catégories ou des écoles, proposé des appellations somme toute arbitraires. Il va de soi que ces classifications ne sont ni autonomes, ni étanches, ni statiques non plus. Bien au contraire, elles sont ouvertes les unes sur les autres, dynamiques et soumises à tous les mouvements de la vie d'une société; nous ne les avons retenues que pour leur valeur de repérage. Car ce qui est surtout déterminant, en dernière instance, c'est l'individu, l'artiste et son apport irremplaçable, la richesse de son univers intérieur nourri à ces multiples sources et à d'autres encore, la synthèse originale qu'il peut en proposer.Retour en haut

Mohamed, Khadda (Creuset culturel, Algérie)


– © Youcef. mars, 2000 –