LES SAVATES DU BON DIEU

CROIRE AU CINEMA, CROIRE AU SPECTATEUR

Brisseau avait remporté un grand succès il y a dix ans avec Noce blanche et Vanessa Paradis. "Malentendu", selon les propres dires du cinéaste qui refuse l'étiquette naturaliste que certains on a voulu lui assignée. Il précise, Les Savates du bon dieu n'est pas un film réaliste, plutôt un conte philosophique à la Voltaire, le récit initiatique d'un candide teinté de colorations politiques et idéologiques.

Fred, qui ne connaît que sa cité natale, perd successivement son emploi, sa femme Elodie, sa raison de vivre. Avec la complicité de Sandrine, une amie d'enfance, il improvise un hold-up et part en cavale à la recherche de son épouse. Il rencontre alors un prince africain aux allures de marabout qui les aide dans leur quête. Ce personnage, tout droit sorti des Milles et une nuits, s'avère progressivement être un individu ambigu, qui derrière son aspect sympathique et charismatique cache un esprit cynique, qui abuse d'un système qu'il réprouve. Le problème est que cette ambiguïté n'est pas assez soulignée, Brisseau se situant trop à distance, il fait la part belle à ce personnage singulier et beau parleur. C'est sans doute qu'il a trop confiance en son spectateur. Il refuse de le prendre par la main et celui-ci s'en trouve décontenancé.

Mais la réussite fondamentale du film réside essentiellement dans la romance qui unit difficilement Fred et Sandrine. Alors qu'Elodie devient une simple icône publicitaire, la jeune femme lui apprend à lire, à apprécier la poésie, à reconnaître ses fautes et ses faiblesses, à considérer les autres, à aimer. Fred, hanté par le corps dénudé d'Elodie, oublie peu à peu cette image fantasmatique pour appréhender la réalité avec Sandrine. Et le réalisateur rend palpable la féerie de l'amour naissant : plans larges de paysages à la picturalité impressionniste éclatante, grandes plages musicales envoûtantes à la Delerue (Le Mépris de Godard), gros plans de visages et de mains dignes d'un Bresson...

Dans ces moments-là, Brisseau manifeste un réel sens du mélodrame, une profonde compréhension de l'homme et une véritable croyance dans le cinéma populaire. Paradoxal et attachant, son film est le reflet du rapport étroit qu'il entretient avec un septième art qu'il vénère et qui l'a rendu amer. Il serait malheureux que Les Savates du bon dieu soit sa dernière œuvre...

Cécile Petit, David Lagain, The Dude

 

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