LA FIDELITE

Amour et morale, morale et cinéma, amour et cinéma

La fidélité. Le titre du film rappelle - involontairement sans doute - le problème que pose l'adptation d'un classique de la littérature. Car La Fidélité est une nouvelle transposition à notre époque de La Princesse de Clèves, la deuxième en quelque six mois, après la sortie à l'automne dernier de La Lettre de Manoel de Oliveira.

Rappelons que le roman de Madame de La Fayette interroge les rapports amour/morale, une morale religieuse qui est celle de son siècle (et plus particulièrement celle du jansénisme). Face à cela, Oliveira avait choisi de suivre le texte au plus près, quitte à rendre ses personnages anachroniques... et étrangers au spectateur. Zulawski, lui, préfère actualiser, chercher à rendre l'histoire contemporaine, ou plutôt : valoriser ce qui, dans l'histoire, reste contemporain. Ainsi, la trame principale est conservée: Clélia (S. Marceau) reste fidèle à Clève, son mari (P. Greggory), et se refuse au coup de foudre avec Nemo (G. Canet), comme l'héroïne de Madame de La Fayette trois siècles avant elle. Mais si dans le roman le choix de la fidélité est lié à la conscience morale et religieuse de la princesse, suivant les préceptes enseignés par sa mère, dans le film ce sont plutôt le caractère enfantin et fou amoureux de Clèves ainsi que l'échec de la vie sentimentale de la mère qui influencent le choix de Clélia. D'ailleurs, la religion ne semble plus peser sur personne: peu y croient et l'évêque même jette la défroque. Les temps ont changé (nous sommes devenus athées). Et pourtant la question morale reste la même. Peut-être est-ce parce que notre morale reste profondément chrétienne, par héritage. C'est ce que nous invitent à penser tous ses crucifix au-dessus des lits (lieux où les personnages s'aiment). Nos conceptions morales sur l'amour ont-elles tant changé ? C'est la question que Zulawski semble poser. Et, en opposant une sexualité joyeuse (Clélia/Clève) tout en lui opposant la débauche de l'agence de presse, il refuse d'y répondre.

Morale, amour et sexualité comme dans Possession. Morale et image également.

Il y a dans La Princesse de Clèves une scène où Madame de Clèves voit monsieur de Nemours lui volant un portrait d'elle, portrait permettant à Nemours de contempler la princesse en son absence et à son insu. Dans le film Nemo est photographe: il prend Clélia en photo à son insu mais est surpris. En faisant de ses personnages des photographes (Clélia l'est elle aussi), le réalisateur exploite à merveille une des grandes thématiques du drame amoureux: l'antinomie présence/absence de l'être aimé. Bien plus, il interroge le voyeurisme de celui qui capte les images et les contemple : Nemo (qui ira jusqu'à pénétrer dans la chambre conjugale), les paparazzi et les lecteurs de tabloïd...mais aussi lui-même, cinéaste, et nous, spectateurs. Zulawski filme le(s) corps, la nudité et notamment celui, celle de sa femme et c'est aussi son propre travail qu'il met en question.

Car plus qu'une simple adaptation réussie, La Fidélité est le film d'un homme (Zulawski) qui fait tourner sa femme (Sophie Marceau), la livrant nues aux acteurs et au public, et qui s'interroge alors sur son métier en terme de fidélité et de voyeurisme. Dans ce film d'un couple sur lui-même, il faut entendre le cinéaste s'exprimer, lorsqu'un de ses personnages explique à Clélia/Sophie Marceau qu'une femme n'est jamais aussi belle qu'avant de se faner. Et il est vrai que l'actrice n'a jamais aussi bien jouer de ses émotions (son point fort), avec autant de fluidité et de sobriété. Il est vrai que jamais elle n'a été aussi belle.

David Lagain

La Fidélité. France (2000). Scen./Réal: Andrzej Zulawski. Photo: Patrick Blossier. Son: Pierre Gamet. Mus: Andrzej Korzynski. Int: Sophie Marceau (Clélia), Pascal Greggory (Clève), Guillaume Canet (Nemo), Magali Noël (la mère), Michel Subor (MacRoi), Edith Scob (Diane). Durée: 2 h 45.

Retour au sommaire