LE GOUT DES AUTRES

Six personnages en quête d'autrui.

"On est toujours le beauf de quelqu'un". Le succès du Goût des autres a vite fait de réduire le film à un simple phénomène de société et donc à un simple slogan. Ce qui donne finalement raison aux détracteurs de Jaoui et Bacri, accusant les auteurs de schématisme didactique. Ce didactisme, la réalisatrice et l'acteur principal du Goût des autres ne le récusent pourtant pas : "Tout notre travail consiste [...] à construire les personnages qui vont servir à notre démonstration et à les approfondir, de façon à ce que l'aspect théorique ne soit pas perceptible". (cf. Télérama n°2616).

Ainsi, nous proposent-ils une galerie de caricatures : "beaufs" "intellos", misanthrope acharné, "bonne poire" philantrope... des personnages schématiques mais qui gagnent en humanité au contact d'autrui. Car plus qu'un film sur les "beaufs", les "autres" et leurs goûts, Le Goût des autres est un film sur le manque de communication, sur l'enfermement sur soi auxquels seul peut répondre le goût des autres, c'est à dire pour les autres.

Car dans le goût des autres, chacun vit dans son monde. Tout est question d'espace : chacun a son espace propre, son "home", sa "bonbonnière", son territoire bien délimité. Castella (J.-P. Bacri) navigue dans sa voiture entre sa maison et l'usine qu'il dirige. Sa femme (C. Milllet) ne quitte pas son intérieur sinon pour tenter de le reproduire chez sa belle-sœur. Ils partagent leur voiture avec leur chauffeur (A. Chabat) et leur garde du corps Moreno (G. Lanvin). Mais là encore chacun à sa place : les patrons derrière, les employés devant. Idem au restaurant, au café : chacun à sa place. Le café, c'est Manie (A. Jaoui). Elle est amie avec Clara (A. Alvaro), actrice vivant dans son monde d' "intellos", entre la brasserie, le théâtre et une galerie d'art.

C'est au théâtre d'ailleurs que tout commence, le jour où Castella (qui est dans la salle par convention et se fout de la scène), reconnaît Clara, qui lui enseigne aussi l'anglais. Le voilà touché par Bérénice. Non pas le texte de Racine mais l'actrice... qu'il va féliciter dans sa loge. Il franchit alors à une frontière, pénètre dans un territoire qui n'est pas le sien. Plus tard, il mangera à la table des comédiens dans le café et se rendra au vernissage d'un jeune peintre. Et Clara, d'abord agacée, ironique, va se laisser toucher et... aller frapper à la porte du bureau de Castella. De l'autre côté, le couple Manie-Moreno, refusant de franchir le pas (d'une porte), ne parviendra pas à se rejoindre, chacun restant de son côté de la vitre.

Alors certes, le film est schématique. Mais les situations -chacun faisant le procès (d'intention) de l'autre- sont tellement vraies ! Certes la mise en scène peut sembler plate. Mais en privilégiant le plan-séquence et le plan moyen, la réalisatrice se situe à juste distance de ses personnages auxquels on ne peut s'identifier et qu'on ne peut juger, qu'on ne peut qu'accepter. Seuls quelques rares champs/contre-champs font surgir leurs vérités intimes. En cela, Le Goût des autres s'inscrit dans la plus grande tradition du cinéma humaniste (Renoir et Rossellini ne faisaient pas autrement à la fin de leur carrière).

Dans une production française où l'auteurisme est très (trop) souvent à la première personne (Comment je me suis disputé..., Love Me) le titre même fait plaisir. Un film qui croit en l'autre et donc au public, ce n'est pas si fréquent.

David Lagain

 

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