MAN ON THE MOON

Jim Carrey dans les étoiles

Véritable star aux Etats-Unis dans les années 70, Andy Kaufman possède une personnalité très dure à aborder : véritable comique pour certains, emmerdeur professionnel pour d'autres, il semble avant tout avoir été un agitateur qui voulait laisser une trace impérissable. Tantôt Lanska, personnage simplet qu'il interprétera dans la série Taxi, tantôt Elvis de bas étage, tantôt Tony Clifton, mauvais chanteur de cabaret, grossier de surcroît, tantôt catcheur misogyne, Andy Kaufman était sûrement l'un des plus grands bluffeurs du 20ème siècle.

Après avoir vu Man on the Moon de Milos Forman, on ne peut affirmer qu'une chose : Andy Kaufman n'était pas drôle ou du moins n'en avait pas la prétention. Jamais celui qu'on croit, jamais là où il doit être, Andy rend littéralement dingue : éprouvant pour ses proches, génial pour ses fans, monstrueux pour ses détracteurs, Kaufman envoie valser les conventions. Et même l'annonce de son cancer, son ultime blague, le rend plus "grand-guignolesque" que jamais, presque "mégalo". Seul et unique, il laisse derrière lui ses personnages tel un mythe. Et comme son public, à qui il imposait ses sautes d'humeur, on se demande s'il faut quitter la salle ou accepter de se faire prendre pour un c... . Difficile de résister à la seconde solution qui au fur et à mesure du film devient même un véritable plaisir que l'on savoure inconsciemment.

Milos Forman a toujours éprouvé une véritable passion pour les personnages décalés, presque génies dans leur art ou dans leur manière d'être : Amadeus, Larry Flint, Andy Kaufman, trois personnages proches de la folie qui vous entraînent dans leur monde souvent difficile et provocateur. Le réalisateur ne cherche pas les faire comprendre, laissant chacun le faire à sa manière.

Il montre Andy Kauman tel qu'il était. Et c'est Jim Carrey que l'on voit alors, certains poussant même le vice jusqu'à dire que Jim Carrey et Andy Kaufman ne font plus qu'un. Cette confusion en est presque dérangeante. Sans connaître le vrai Andy, on peut malgré tout dire que Jim Carrey n'existe plus pendant deux heures de pellicule vouée à ce(s) personnage(s) sidérant(s). Même Milos Forman n'est plus là. Juste une caméra et le petit monde d'Andy posé sur une scène. Celle d'un miteux café théâtre, celle du si célèbre "Saturday Night Live" ou celle du non moins célèbre "Carnegie Hall".

La tombée du masque.

Acteur-auteur-comique de talent, l'ex-showman de cabaret, Jim Carrey a pu en quelques années imposer sa personnalité singulière et sa verve hors-norme. Jusqu'alors abonné aux personnages excentriques, loufoques, voire carrément stupides, le comédien aux vingt millions de dollars, a su, l'année dernière donner un second souffle à sa carrière lui permettant enfin d'être reconnu à sa juste valeur : un génie comique matiné d'une justesse d'interprétation sans équivoque.

Après des seconds rôles peu marquants (Peggy Sue s'est mariée de Coppola, Pink Cadillac d'Eastwood), Charles Russel lui donne la vedette dans The Mask, qui le révèle au grand public. L'homme-élastique y joue un personnage "toonesque" hilarant, au mauvais goût de bon aloi. Mais l'industrie cinématographique, qui a une fâcheuse tendance au catalogage, cantonne Jim Carrey à du sur mesure : gestuelle décalée, mimiques exubérantes et grimaces à outrance, la recette Carrey demeure certes atypique mais devient vite exaspérante.

Détective animalier dans la série des Ace Ventura, homme-mystère dans Batman 3, câbleur déconnecté dans Disjoncté, avocat à la franchise exacerbée dans Menteur, Menteur ou encore con de base dans Dumb'n Dumber, le raffinement n'est pas de mise chez Jim Carrey. Mais le champion du box-office a l'intelligence de tourner modérément mais régulièrement et s'adjuger les services de metteur en scène qui s'effacent derrière ses numéros.

Revirement de situation : Peter Weir lui offre en 1998 le rôle-titre de Truman Show où l'acteur témoigne d'une véritable maturité, nous gratifiant d'une composition humble et profondément humaine. Truman, enfant de la télévision malgré lui, manipulé par les médias, aspire à une indépendance que lui refuse son "créateur". Dans cette satire, Jim Carrey transcende la comédie, détournant le stéréotype et la caricature pour y apposer sa personnalité foisonnante.

La révélation Jim Carrey est ainsi placée sous le signe de la tombée du masque et la voie semble désormais toute tracée : fiction et réalité fusionnent pour le meilleure et pour le rire. L'évolution de son registre peut alors s'exprimer par antinomies : exubérance/sobriété, comique/tragique, provocation/sincérité, bluff/humilité.

The Dude-Amandine Scherer

Man on the Moon. Etats-Unis (2000). Réal: Milos Forman. Scen: Scott Alexander, Larry Karaszewski. Photo: Anastas Michos. Mus: REM. Prod: Danny DeVito, Michael Shamberg, Stacey Sher. Int: Jim Carrey (Andy Kaufman), Danny DeVito (George Shapiro), Courtney Love (Lynne Margulies), Paul Giamatti (Bob Zmuda) ... Durée: 1h57.

 

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