REVELATIONS

Mann Against the machine

Un producteur journaliste (Al Pacino) incite un chimiste, vice-président d'une grande marque de cigarettes récemment licencié (Russel Crowe) à révéler certains secrets bien gardés du monde de la nicotine ( en particulier ayant traits à la dépendance). L'entreprise fera alors le maximum pour que les révélations ne soient pas diffusées.

Au premier abord, l'histoire de Révélations, peut sembler terne, voire rébarbative. Mais Michael Mann s'interdit de réduire son film à un didactisme anti-cigarette (la lutte contre le tabac est ici un prétexte) ou à un film de procès. Son intrigue s'avère très riche, retorse et surprenante. Car l'intérêt ne repose pas tant sur les révélations du film que sur ceux qui révèlent et leur devenir.

Le chimiste est acculé. Face à l'entreprise et aux institutions qui lui sont inféodés (du journalisme aux tribunaux), il a fait le choix de se battre, mais la bataille est perdue d'avance. Le "révélateur" est celui par qui le scandale arrive, mais pris dans un engrenage destructeur, il se bat avec l'énergie du désespoir. Aucune gloire, aucun courage dans ses actes, plutôt l'ultime combat d' "une personne (très) ordinaire dans une situation extraordinaire". L'important n'est plus alors la quête de la vérité mais la perpétuelle fuite en avant pour la survie. Il s'agit surtout de s'en sortir, de ne pas dépasser le point de non-retour (la destruction de la famille, la perte du travail).

Quant aux motivations du journaliste, elles apparaissent obscures : il aide le chimiste par envie du scoop, une foi en la vérité ("le public doit savoir"), puis par asservissement pour une règle qu'il s'est fixé : "ne jamais laissé tomber ses sources". Pourtant aucune humanité dans ses gestes, aucune franche amitié désintéressée : ici, les personnages sont toujours seuls, toujours livrés à leurs propres démons, à leurs propres sorts. La douleur est toute personnelle elle ne se dit pas.

En témoigne l'esthétique du film, glacée, avec des couleurs froides tirant généralement sur le bleu, et surtout la part importante de vide à l'intérieur du cadre comme dans ces superbes gros plans sur les visages, totalement décentrés, qui laissent la majorité de l'image totalement floue. L'interprétation parfaite de Russel Crowe (LA performance du film), ainsi que le génial Al Pacino (c'est devenu un pléonasme) évitent toute identification ou toute compassion larmoyante. En adaptant cette histoire vraie, Michael Mann, bon faiseur d'Hollywood, plus habitué à de l'action pure ( voir les scènes de fusillades dans Heat ou les dérives hallucinées du Sixième Sens de 1986), apporte intelligemment une énergie, un sens du rythme certain, ainsi qu'un découpage très efficace. Il ose la caméra à l'épaule, et impose un style remarquable sans être pesant, qui sait garder la bonne distance par rapport aux personnages.

Ainsi, Révélations est la lente et précise description d'une mécanique,celle du monde capitaliste moderne hanté par la solitude et les valeurs individualistes. Ce n'est peut-être pas très original, mais le film ne cède jamais à la tentation du manichéisme et il est suffisamment subtil et maîtrisé pour être plus que convaincant.

Pierre Herbourg

Révélations ( The Insider). Etats Unis (1999). Réal: Michael Mann. Scen: Eric Roth, Michael Mann d'après l'article "The Man Who Knew Too Much". Photo: Dante Spilotti. Int: Al Pacino (Lowell Bergman), Russel Crowe (Dr. Jeffrey Wigand), Christopher Plummer (Mike Wallace). Durée: 2h38.

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