La conférence des webmaîtres
Université de SARREBRUCK
15 - 16 novembre 1997



DROIT D'AUTEUR & PARASITISME



L'écriture électronique et le media internet nécessitent plus une nouvelle lecture qu'une création d'une nouvelle branche du droit et le débat qui a opposé il y a quelques mois deux grands webmaîtres de l'information juridique en est une illlustration significative.

La question de base était de savoir si le fait de mettre en ligne des textes officiels, est susceptible d'une protection particulière au titre du régime juridique de la propriété intellectuelle et/ou de relever d'autres secteurs du droit.


I Processus de création

La loi est par essence du domaine public, et par suite les textes officiels "bruts" ne sont passibles d'aucune protection au titre des droits d'auteur en tant que tels.

Les éditeurs juridiques puisent dans le Journal Officiel, les fonds de concours de la Cour de Cassation et du Conseil d'Etat, la matière première de leurs ouvrages.

Le travail commence par saisir (ou faire saisir) les textes officiels ou les télécharger dans un serveur public ou privé de banques de données. L'information juridique connaît alors son premier coût : celui du prestataire (banque de données ou sous-traitant), ceux du salaires et des frais généraux ou autres du personnel de saisie, les frais de connection, l'amortissement des matériels ... ect

Puis commence le travail de réalisation proprement dit consistant à formater, mettre en page, indexer les textes, et à les enrichir de liens divers, de commentaires ou de notes de jurisprudence. Là encore, la création est un investissement substantiel.

C'est ce dernier travail, du fait de son caractère créatif, qui ouvre un droit de propriété intellectuelle au sens de l'article L. 112-1 du Code de la Propriété Intellectuelle, tant pour les éditeurs d'imprimerie que pour les webmaitres, qu'ils soient privés ... ou publics.

Dans ce cadre, le Code de la Propriété Intellectuelle protège l'oeuvre en tant que forme, mais pas nécessairement sur le fond. La Cour d'Appel de Paris a illustré cette dualité en jugeant que si le manuel d'utilisation d'un logiciel est protégeable, la protection ne peut exister sur son seul contenu technique (C.A. Paris 4eme Ch. 1er juin 1994 Dz 1994, IR - 210).

Il en est de même pour un code (compris en tant que *contenant* c'est à dire par son formatage, sa mise en page et ses enrichissements) au regard de son contenu (le texte source).


II Le Périmètre du Droit d'auteur

Je préciserai ici la question de la patrimonialité du Code réalisé à partir des sources d'autrui.

Une première réaction est de faire référence à l'article L.113-2 § 2 du Code de la Propriété Intellectuelle qui définit "l'oeuvre composite" comme "l'oeuvre nouvelle à laquelle est incoporée une oeuvre préexistante sans la collabration de l'oeuvre de cette dernière".

Mais, cette notion d'oeuvre composite, dont on peut relever qu'elle est de nature à alièner la liberté d'action de l'auteur "en second", peut-elle est ici retenue ?

S'il s'agit de reproduire les premiers travaux, en y intégrant un enrichissement - au besoin complémentaire - de liens fenêtrés, de commentaires explicatifs ou d'annotations de jurisprudences, il n'y a aucune difficulté pour retenir le qualificatif d'oeuvre composite.

Mais quand est-il lorsque se trouve prélevée la seule matière première textuelle, dépouillée de sa mise en page, de son formatage, de ses indexations ... autrement dit en retirant de l'oeuvre première ce qui en constituait l'originalité créatrice au sens du Code de la Propriété Intellectuelle ?

Les données premières stricto-sensu n'étant pas susceptibles de protection au titre d'un droit d'auteur, l'utilisation qui en est faite comme seule matière première autorise à penser qu'il y a création d'une oeuvre nouvelle ... et protégeable par celui qui l'enrichit de ses propres formatages et enrichissements.

Mais cette conclusion n'épuise pas le sujet ainsi qu'il suit.


III Notion de protection des sources primaires

Le travail de saisie, c'est à dire de réalisation d'une source primaire purement textuelle, ainsi que chacun de en a l'expérience, est long et fastidieux.

Il est certes possible d' user de procédés de "tatouage" des textes saisis pour, sinon se prémunir d'emprunts abusifs, du moins faciliter leur repérage en cas d'usage externe abusif, ou encore créer une manoeuvre de disuasion. Leur efficacité sera problablement à la mesure de la discrétion sur les procédés rédactionnels ou autres usités ...

Au delà de ces outils sommaires de protection contre le pillage de vos travaux respectifs, et spécialement ici des sources primaires, vous pouvez prétendre à être préserver, pour prendre un terme consacré par la jurisprudence, d'un phénomène de parasitisme "qui à l'instar du parasitisme observé dans le règne végétal ou animal s'analyse en une prise de la substance de l'autre... les avantages tirés du parasitisme sont à la mesure des investissements consentis par celui qui en est la victime"
cf (Cour d'Appel de Paris 4ième Ch. 18 mai 1989, JCP ed.E n°18706).

La jurisprudence sanctionne donc ces abus. Ainsi, et l'exemple me parait tout à fait approprié, un éditeur qui reproduisait par photocopies une oeuvre littéraire tombée dans le domaine public, pour la revendre à prix réduit, a été condamné pour concurrence déloyale. La Cour de Cassation a retenu que la copie servile "permet d'obtenir des prix de revient inférieurs à ceux des produits copiés (arrêt du 18 janvier 1982, bul. civ. IV page 14).

Dans le même cadre, a été condamné l'entreprise ayant copiée une oeuvre non protégée par un brevet, dessin ou modéle, par la technique du "surmoulage" (cass. com 25 oct 1977 bul.civ. IV p.206). Ceci pourrait à mon sens être transposé à un pilleur des sources textuelles -stricto sensu- de fichiers électroniques, c'est à dire de la matière première constituée du texte brut saisi électroniquement d'une valeur économique indiscutable.

La Cour de Cassation s'est montrée particulièrement stricte sur cette protection en affirmant que l'action judiciaire, qui repose en droit sur l'article 1382 du Code Civil, est recevable :
- sans qu'il y ait nécessairement "risque de confusion"
cf Cass. Com. 27 juin 1995, Bul. Civ. IV n°193
- et "même en l'absence de toute situation de concurrence"
cf Cass. Com. 30 janv. 1996, Dz 1996 IR page 53

Sous l'empire de la concession monopolistique des bases de données publiques, un éditeur juridique s'est signalé par un "pompage" intense des dites bases, et à même commis l'imprudence de se vanter que ses coûts de saisie ne dépassait pas 3 % de son chiffre d'affaires. L'expiration de la concession, et les nouvelles conditions toujours en discussion de la prochaine qui entrera en vigueur au cours du 4ième trim. 1997, ont permis à l'éditeur parasitaire d'échapper, semble-t-il, à un contentieux judiciaire.


IV Notion d'épuisement des droits

Ce chapitre apportera une tempérance inévitable à ce qui précède, eu égard à la nature par définition évolutive des textes officiels : le droit est une matière vivante et les textes officiels sont par suite une denrée périssable, d'où la question cruciale des mises à jour.

Les projets de contrats de licence des "banques et bases de données juridiques" de l'Etat Français prévoient que le *licencié* à l'expiration du contrat annuel conservera le libre de droit d'exploiter comme bon lui semble les textes officiels reçus. Sur ce même thème, les éditeurs juridiques ont émis le voeu, hélas non entendu, de recevoir non la copie des banques de données (comporant des champs d'indexation ou d'enrichissements) mais les textes bruts de lois et jurisprudences (car le retraitement du texte pour la réalisation d'un ouvrage nécessite souvent un travail aussi important qu'une resaisie pure et simple).


Christian Courtois
15 novembre 1997