Communication donnée à la conférence du 25 avril 1998 au Centre Afrika sur le thème:

LES DESSOUS DE LA CRISE DANS LA RÉGION DES GRANDS LACS AFRICAINS

Après avoir vu le comportement hautement déplorable de la communauté internationale dans la crise des réfugiés à l'est de l'ex-Zaïre, et en réalisant que ceux qui ont commis ces forfaits avec la complicité des certains membres de la communauté internationale en sont réduit maintenant à ériger en modèle pédagogique le spectacle macabre du sang qui gicle, et que certains pays, continuent à trouver ça compréhensible, on ne peut pas s’empêcher de vouloir remonter dès le début de la crise pour finalement examiner le véritable rôle de la communauté internationale dans la tragédie des peuples des grands lacs africains. Nous savons tous que les inquiétudes au sujet du véritable rôle de la communauté internationale dans cette crise ont déjà abouti à la mise sur pieds d’une commission d’enquête parlementaire en Belgique, et d’une commission d’information en France, et aussi que les différents témoignages ont révélés des réalités qui sont loin d’être élogieuses. Cependant, il y a lieu de remarquer que certains aspects continuent d'être occultés ou certains faits minimisés, ou encore que certains aspects cruciaux soulevés ne reçoivent pas l’importance qu’ils méritent par ce qu'ils mettent en cause certains pays ou organisations. Aujourd’hui nous allons essayer de soulever certains de ces aspects cruciaux qui demeurent presque totalement ignorés du grand public, mais qui, à notre avis, montrent à suffisance que le rôle de la communauté internationale dans la tragédie des peuples des grands lacs africains est loin d’être éclairci.

Le sujet étant extrêmement vaste, nous allons malheureusement nous limiter, en ce qui concerne le Rwanda, aux seuls cas des organisations internationales ayant joué un certain rôle dans le conflit, en l'occurrence l'OUA et l'ONU.

Comme chacun le sait, les événements tragiques qui ont endeuillé le Rwanda et qui perdurent jusqu’à présent ont commencé le 1.octobre.1990 avec l’invasion du rwanda par FPR à partir de l’Ouganda.

L’implication officielle de la communauté internationale dans la tentative de résolution de ce conflit a commencé le 17.octobre.1990 avec le sommet de Mwanza en République de Tanzanie. Ce fut pour l’OUA, une tentative que tout le monde prédestinait à l'échec à cause de celui qui devait y jouer le rôle de premier plan, le président Yoweri Museveni, mais que personne n'osa décourager. En effet, alors que l'Ouganda était partie prenante au conflit ,il fut demandé lors de ce sommet au président Museveni, qui était alors président en exercice de l'OUA, de convaincre le FPR d’abandonner ses attaques meurtrières et de privilégier la voie du dialogue. Rien ne fut fait, évidemment. Par la suite, il y eu le sommet de Gbadolité convoqué par le président Mobutu du Zaire et auquel le président Museveni refusa de participer alors qu’il y avait été invité en sa qualité de président en exercice de l’OUA. Ce sommet aboutit, à la création du groupe d’observateurs militaires, le GOM, mais encore une fois, l'échec se profilait déjà à l'horizon, en partie à cause de sa composition qui était loin d'être rassurante. Supervisé par le Général de Brigade tanzanien Hashim Mbita, le GOM était composé par des officiers en provenance du Burundi, de l’Ouganda et du Zaïre. Il démarra ses activités après la signature des accords de Cessez-le-feu de N’Sele du 29.mars.1991, avec comme mission de contrôler le cessez-le-feu entre les deux bélligérants à partir de leurs positions militaires respectives préalablement identifiées. L’OUA et son président en exercice Yoweri Museveni, qui avait boudé la naissance du GOM, retarda son déploiement sur terrain visiblement pour éviter de déceler l’implication de l’Ouganda dans le conflit. Les conclusions du secrétaire général de l’OUA dans son rapport final sur le travail du GOM furent encore plus étonnantes, parce qu'il affirma que le FPR n’était localisé nulle part, ni au Rwanda, ni en Ouganda.

La situation ne s’améliora pas avec le remplacement de Museveni par le président Babangida du Nigéria à la tête de l'OUA. En effet, malgré que, considérés comme parties prenantes, les officiers du Burundi et de l’Ouganda furent exclus du GOM, l’équipe militaire nigérianne qui avait été promise en leur remplacement, sous le commandement du général E.Opaleye ne viendra jamais au Rwanda, ce qui permettra la poursuite de la guerre. Le général Opaleye n’apparaîtra qu’après le sommet de Dakar en juin 1992 lorsque le GOM sera élargi pour comprendre, en outre des officiers des deux belligérants, des observateurs militaires du Sénégal, Nigéria, Mali et Zimbabwe.Les trois derniers seront remplacés plus tard par le Congo et la Tunisie. Le GOM sera désormais appelé Groupe d'Observateurs Neutres.

Le Groupe d’Observateurs militaires neutres ne tarda pas, à perdre sa crédibilité, car , malgré sa présence, une attaque d’envergure fut effectuée par le FPR le 8.février. 1993 en violation des accords de N’Sele.

Donc, à cause de l’absence de neutralité du président Museveni pendant qu’il était à la tête de l’OUA, de la mauvaise composition du GOM et de l’inefficacité des troupes du GOMN, la tentative de résolution du conflit par l'OUA fut un échec total.

Parallèlement à l'OUA, les Nations Unies ont voulu suivre de près le conflit rwandais. Par la résolution 842 du Conseil de sécurité, ils mirent sur pieds le 22.juin.1993,. une mission d’Observateurs des Nations-Unis sur la frontière ougando-rwandaise, MONUOR. Établie à Kabare en Ouganda et dirigé par le général canadien Roméo Dallaire, la MONUOR avait pour mission de veiller à ce que aucun soutien militaire ne soit fourni au FPR en provenance de l’Ouganda.

Elle ne connaîtra pas plus de succès car, dès ses débuts, elle avait les mains liées. En effet, elle opérait à partir du territoire ougandais, à Kabare, sous escorte du FPR et il lui était également interdit de circuler de nuit.

Le 5 octobre 1993, le Conseil de sécurité adopta la résolution 872 portant création de la MINUAR, Mission des Nations Unies au Rwanda. La même résolution déclara aussi l’intégration de la MONUOR dans la MINUAR sous le commandement du général Roméo Dallaire. La MINUAR arriva à Kigali le 22 octobre 1993, et le 1 Novembre 1993 les membres du GOMN furent aussi intégrés dans la MINUAR.

Plusieurs griefs sont formulés à l’encontre de la MINUAR et à son commandement.

Ainsi, un rapport de l’Association Justice et Paix pour la Réconciliation au Rwanda fait état des massacres qui auraient eu lieu dans la sous-préfecture de Kirambo, en préfecture de Ruhengeri, dans la commune Mutura en préfecture de Gisenyi, à Cyohoha-Rukeli, dans la préfecture de Byumba, localités situées toutes dans ce qui était appelé zone démilitarisée. Le même rapport indique aussi que tout fut mis en oeuvre pour rendre impossible toute poursuite contre les auteurs de ces massacres. A titre d'exemple, le rapport parle du refus du commandant de la MINUAR de publier les rapports sur les massacres qui avaient eu lieu dans la zone neutre et celle contrôlée par le FPR.

La période pendant laquelle les activités de la MINUAR suscitent le plus d’interrogations est celle qui entoure l’assassinat des président rwandais et burundais, respectivement Juvenal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira. D'après le journal Jeune Afrique No.1736 du 14 au 20 avril 1994 " le rôle des hommes de l'ONU dans cette affaire est loin d'être éclairci".

Le journal J.A. no 1738-1739 du 28 avril au 11 mai 1994 dit que " Dans les jours qui ont précédé le drame, ...des avions blancs des Nations Unies, tournaient fréquement autour de la résidence du président Habyarimana et de la présidence. De nombreuses troupes de parachutistes belges examinaient minutieusement les abords de l'aéroport et de la colline masaka ".

Devant l’enquête parlementaire belge, le Colonel Marshall a déclaré que, le jour même de l’attentat, c-à-d. le 6.avril.94, le lieutenant Lotin avait escorté une délégation du FPR au parc Akagera, alors que ce type d’opération ne faisait pas partie du protocole d’accord. A l’allée comme au retour, ils avaient emprunté la route aux environ du lieu du crime.

De même, le commandant De Troy révéla que au moment même de l’attentat, un avion C-130 équipé d’appareil antimissiles et appartenant à la force aérienne belge se trouvait derrière l’avion présidentiel, et que c’était la première fois qu’un tel avion était engagé en Afrique. L’un des membres de la commission, le sénateur Mahoux demanda au commandant De Troy s’il ne trouvait pas étrange le fait qu’un tel avion fut la première fois engagé en Afrique le jour même où les missiles était tirées.

Devant la même commission parlementaire belge, le père Guy Theunis parla des casques bleus belges qui venaient des environs de l’aéroport directement après l’attentat et à qui les casques bleus bengalis refusèrent l’accès au Stade Amahoro où ils avaient un campement. Devant ce refus, ces belges se sont alors rendus au CND où campaient les militaires du FPR .

Un autre élément suspect a été fourni par l’ancien ministre français de la défense François Léotard. Devant la commission française d’information il a affirmé que, la nuit du 6.avril.94 avant l’attentat, les militaires du FPR s’étaient rendus à l’aéroport même à bord d’un véhicule de la MINUAR.

Le comportement de la MINUAR par rapport à l’assassinat des deux présidents rwandais et burundais pose des questions d’autant plus que , malgré que c’était les casques bleus qui étaient chargés de la sécurité de l’aéroport, le général Dallaire ne trouva pas important d’ouvrir une enquête sur les circonstance de cet attantat.

Après l’expiration du mandat du général Dallaire à la tête de la MINUAR, des forces supplémentaires des Nations Unies furent envoyées au Rwanda et ce fut le général canadien Guy Tousignant qui prit leur commandement de Août 94 à Décembre 95.

La MINUAR II avait entre autres pour mandat d’assurer la sécurité des personnes déplacées et des populations civiles en danger. C’est en vertu de ce mandat que, prenant le contrôle de la zone dite Turquoise après le départ des soldats français, que le Major Racine assura aux déplacés de guerre que les troupes des Nations Unies n’hésiteraient pas à faire usage de la force si besoin s’en faisait sentir. Cependant, la réalité fut toute autre. Le 22 avril 1995, à Kibeho, un carnage affreux fut perpétré par les troupes du FPR sous les yeux même des casques bleus de la MINUAR. Face à cette attitude de la MINUAR, la Voix de l’Amérique du 5. Mai.95 n’hésita pas à déclarer que les Nations Unies ont le sang sur les mains. Ce qui est encore moins connu sur les événements de Kibeho, c’est que ce fut le représentant des Nations Unies au Rwanda lui-même, l’ambassadeur Shahrian Khan qui, au lieu de prendre la défense des victimes, se soucia plutôt de la protection du régime qui venait de commettre ces horribles crimes.

En effet, à cause d’une altércation qui avait eu lieu entre un casque bleu zambien scandalisé et le président rwandais Bizimungu sur le nombre exact des morts, l’ambassadeur Khan prit à part le général Tousignant et lui dit textuellement :" Tout ce tintamarre va faire très mal à l’image du Rwanda sur la scène internationale. Ce n’est pas normal qu’un jeune capitaine, fut-il d’un contingent sous drapeau onusien, tienne tête, devant les caméra du monde entier, au chef d’un État souverain. Tout cela sent mauvais. Essayons de réduire le chiffre". Le général Tousignant lui répondit " Sauf votre respect, monsieur, vous m’invitez là à mentir ". C’est pour ça que l’on fit tout pour cacher la vérité, et des 4000 cadavres dénombrés par les médecins militaires australiens, le général Tousignant accepta de ne confirmer aux journalistes que le chiffre de 2000 morts.

A partir de ces faits au sujet du comportement de la communauté internationale à travers le Groupe d’observateurs militaires (GOM), le Groupe d’observateurs militaires neutres (GOMN), la MINUAR I, la MINUAR II et la force militaire d’intervention que l’on a vu dans le reportage, on réalise qu’il y a eu toujours divergence entre le discours officiel qui présentait les différents intervenants comme neutres et soucieux de la paix, et les faits sur terrains.

HAKIZIMANA Emmanuel