Le 29 Octobre 1998

 

Conseil pour la Paix dans la Région

des Grands Lacs Africains

630 rue Guy suite 3

Montéal (Québec)

H3J 1T3

 

Madame Lysiane GAGNON

 

Objet : Réaction à votre article " La banalisation du génocide "

 

Madame GAGNON,

 

Le Conseil pour la Paix dans la Région des Grands Lacs Africains, association qui regroupe des ressortissants du Burundi, du Congo-Zaïre, de l’Ouganda, du Rwanda ainsi que des canadiens sympathisants, voudrait par la présente, vous transmettre sa réaction à votre article publié jeudi le 15 octobre 1998 dans le journal La Presse, sous le titre " La banalisation du génocide ".

Dans cet article, vous vous érigez, sur un ton condescendant ( qu’est- ce que les ukrainiens viennent faire ici! ), contre le fait que la Ville de Montréal ait dédié un monument à la mémoire de tous les peuples victimes de génocide au 20ième siècle en mettant, selon vous, " sur le même pied toutes sortes de tragédies, dont la plupart, aussi déplorables soient - elles, n’ont rien d’un génocide ".

Les ressortissants de la région des grands lacs africains regroupés au sein du CPRGLA ont été profondément choqués par cette dangereuse dérive négationniste, qui dénote l’absence totale d’un sentiment de compassion à l’égard des peuples qui ont été victimes de cet horrible crime.

En effet, il est déplorable que, pour étayer votre thèse, vous ayez dû redéfinir à dessein la notion de génocide, et pris le soin d’établir des critères vous permettant d’effectuer votre trie ( lutte de pouvoir, vengeance, appropriation des terres, etc..), alors que le texte de la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide adopté par l’Assemblée générale de l’ONU le 9 décembre 1948 et qui sert de référence en la matière définit le crime de génocide de façon claire comme suit:

Dans la présente convention, le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : a) Meurtre de membres du groupe; b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe; c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle; d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe; e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un groupe ".

C’est sur base de cette définition que des instances compétentes ont établi, après enquêtes, que des crimes de génocide, que vous vous arrogez le droit de nier, ont été commis sur les différentes populations pour lesquelles la Ville de Montréal a érigé un monument.

A titre illustratif, dans le cas des arméniens, plusieurs instances internationales ont reconnu que cet horrible crime a été commis à leur encontre. Ainsi, en avril 1984, le Tribunal permanent des peuples a établi que " l’extermination des populations arméniennes par la déportation et le massacre constitue un crime imprescriptible de génocide "; en août 1986, la sous-commission de l’ONU a adopté le rapport Whitaker et c’était la première reconnaissance du génocide arménien dans un document international; le 18 juin 1987, le parlement européen a reconnu le génocide arménien et stipulé que le refus de cette reconnaissance par la Turquie constituait un obstacle à son entrée dans la communauté européenne. (L’Histoire no. 187 Avril 1995)

Pour le cas des hutus, les ressortissants de la région des grands lacs africains ont ressentie vos interrogations, " Pourquoi les Hutus sont – ils sur le même pied que les Tutsi?S’agirait-il de génocides croisés?" comme une flèche dedans leurs plaies encore béantes causées par les génocides des hutus burundais et rwandais, qui ont eu lieu respectivement en 1972 et en 1996. Comme pour les autres cas, des rapports qui font état de ces tragédies ont été effectués par des instances compétentes et il auraient été plus convenable d’en prendre d’abord connaissance avant de rédiger votre article.

Ainsi, le rapport de la Commission Internationale non Gouvernementale sur les violations massives des droits humains en République Démocratique du Congo dont nous vous envoyons une copie, et dont le journal La Presse du 20 juin a publié les conclusions, mentionne, au sujet des hutu rwandais, que "  Il est d’avis de la commission que des actes de génocide ont été commis au Zaïre contre les réfugiés Hutu en violation de la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide adoptée le 9 décembre 1948 " (p.3). Il fait aussi remarquer que "  la gravité, la systématisation de ces massacres contre les hutu caractérisés par l’existence des fosses communes ainsi que l’intention de détruire les Hutu par toutes sortes de procédés fait établir que des actes de génocide ont été commis. "

De même, dans son rapport de mars 1997, l’Organisation Interafricaine des Juristes affirme que " Un génocide a été préparé sous le regard indifférent d’une partie de la communauté internationale et avec la complicité manifeste de certaines puissances et leaders internationaux. Il est soigneusement mis en exécution et, malgré l’ampleur des dégats, peu de gens semblent en être préoccupés ".

Au sujet des Hutu burundais, l’association internationale de défense des droits de l’homme The Minority Rights Group note, dans son rapport no.20 en page 5 que " In 1972 Burundi suffered one of the most shocking, but least known genocide of this century ". Il précise que "  Elsewhere there was a clearly discernible pattern of killings of Hutu with money, education and/or government employment " .

Il y a lieu de faire remarquer aussi qu’un rapport du Congrès américain avait rejeté la responsabilité du génocide sur le gouvernement tutsi.( La Prese du 23 août 1988).

A partir des deux cas ci – haut mentionnés, il est claire que votre négation des génocides qui ont été commis sur certains peuples et dont la Ville de Montréal a eu la vertu d’honorer la mémoire est loin d’être fondée. Le Conseil est plutôt d’avis qu’une telle attitude constitue la vrai banalisation du génocide, car elle est susceptible de favoriser l’impunité, l’oublie et, par la suite, la répétition de telles tragédies.

En effet, on est loin d’oublier la déclaration d’ Adolf Hitler à un proche qui aurait tenté de lui faire comprendre que le monde n’accepterait jamais son projet d’exterminer les juifs :"Qui parle encore aujourd’hui du massacre des Arméniens? " ( l’Histoire no.187 avril 1995, La Presse du 15 Août 1985).

Le Conseil espère qu’à la lumière des informations contenues dans la présente lettre ainsi que dans les rapports qu’il vous transmet en annexe, vous pourrez revoir votre position au sujet des crimes de génocide perpétrés sur diverses populations et, dans l’avenir, effectuer des analyses plus objectives sur de telles tragédies.

Veuillez accepter, madame, nos salutations les plus sincères.

 

Pour le CPRGLA :

E. Lokanga

 

C.I.