Montréal, le 5 décembre 1998

 

Conseil pour la Paix dans la Région

des Grands Lacs Africains

630 rue Guy suite 3

Montréal (Québec)

H3J 1T3

 

Excellence Madame le Procureur du Tribunal

Pénal International pour l’ex-Yougoslavie

et pour le Rwanda

Louise ARBOUR

 

Objet : Impunité dans la Région des Grands Lacs Africains

 

Excellence Madame le Procureur,

 

A l’occasion du Congrès mondial sur la Déclaration Universelle des droits de l’homme, le Conseil pour la Paix dans la Région des Grands Lacs Africains (CPRGLA), association qui regroupe des ressortissants du Burundi, du Congo-Zaïre, du Rwanda, de l’Ouganda et des canadiens sympathisants, voudrait vous faire part de ses grandes inquiétudes sur le fonctionnement actuel du Tribunal Pénal International sur le Rwanda (TPIR), ainsi que les lourdes conséquences sur les violation massives des droits de l’homme qui en découlent dans les pays des Grands Lacs Africains.

En effet, Excellence Madame le procureur, le mandat qui avait été donné au TPIR par la résolution 955 du Conseil de Sécurité en date du 8 novembre 1994, à savoir, poursuivre les personnes responsables de génocide et d’autres violations graves du droit humanitaire international commis en territoire rwandais et les citoyens rwandais responsables de génocide et de crimes similaires dans les pays environnants entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994

(The United Nations and Rwanda, 1993-1996-pp.64-65), avait suscité l’enthousiasme des peuples des pays des Grands Lacs Africains qui espéraient voir la fin de l’impunité pour les auteurs de ces horribles crimes.

Le CPRGLA qui a toujours considéré que le rétablissement de la paix dans les pays des Grands Lacs Africains n’est possible que par la primauté du droit et la réconciliation des peuples, espérait que le TPIR, à travers la pleine réalisation de son mandat, allait ouvrir aux peuples des Grands Lacs Africains, des horizons moins chargés de peines et de souffrances.

Malheureusement, quatre ans après, force est de constater que tous ces espoirs ont été déçus étant donné que le TPIR ne semble pas vouloir faire toute la lumière sur l’ensemble des événements du drame rwandais en évitant systématiquement d’enquêter sur les actes de génocide et les crimes contre l’humanité commis par le Front Patriotique Rwandais (FPR).

Or, plusieurs rapports d’experts, d’organisations de défense des droits de l’homme ainsi que les témoignages devant la Commission parlementaire belge et la Mission d’information sur le Rwanda mis sur pied par l’Assemblée nationale française, ont mis à jour les éléments incriminant gravement le FPR dans la tragédie qui a endeuillé le Rwanda.

Le TPIR ne peut pas prétendre ignorer ces éléments, étant donné que Amnesty International affirme que :" crimes committed by the RPF in 1994 have been made available to OTP, whether in confidental submissions by individuals, in public documentation by non governmental organizations and others, and in testimony provided by some of its own expert witnesses in Arusha "( International Criminal Tribunal for Rwanda- Trials and Tribulations, april 1998, p.17) .

Permettez-nous, Excellence Madame le procureur, de vous présenter, à titre illustratif, certains de ces éléments :

Le rapport de la Commission des Experts mise sur pied par le Secrétaire Général des Nations Unies sur demande du Conseil de Sécurité dans sa résolution 935 du 1er juillet 1994 a conclu que des éléments issus des deux camps du conflit armé ont perpétré de sérieuses entraves au droit humanitaire international et des crimes contre l’humanité ( The United Nations and Rwanda, 1993-1996, p.64).

De même, le Centre de Lutte contre l’Impunité et l’Injustice au Rwanda( CLIIR) dans son Mémorandum adressé le 20 janvier 1998 aux Parlementaires européens à l’occasion de la visite du Général Paul Kagame, janvier 1998, fait remarquer que " Quand on parle du génocide rwandais, la population de Byumba ne pense qu’à celui des Hutu de cette région par les troupes du FPR. C’est celui auquel elle a assisté dès l’avancée des troupes du FPR ".

Sur base des statistiques élaborées en novembre 1995 par le Ministère rwandais de la réhabilitation et de l’intégration sociale en collaboration avec le HCR, le CLIIR fait état de 1.456.883 personnes disparues pendant la guerre, et pose la question suivante :

Si les victimes du génocide d’avril à juillet 1994 sont estimées entre 500 et 800.000 personnes, à qui imputer les personnes manquantes ( entre 656.883 et 956.883) si ce n’est au Général Kagame, à son armée et à sa milice tutsi ?" .

L’un des crimes que le TPIR a systématiquement évité d’éclaircir et qui pourtant constitue l’élément déclencheur de la tragédie rwandaise, est l’attentat contre l’avion qui transportait le président rwandais Habyarimana Juvénal et burundais Ntaryamira Cyprien.

Plusieurs témoignages recueillis par la Commission parlementaire belge et la Mission d’information sur le Rwanda de l’Assemblée nationale française incriminent directement le FPR dans cet attentat.

Ainsi  devant la commission d’enquête du parlement français, l’ancien ministre français Bernard Debré a déclaré : " Ma certitude est que le FPR a tiré les missiles qui abattirent l’avion ramenant Habyarimana, un hutu, et son homologue burundais, Ntaryamira, un autre hutu " ( La Presse, Montréal, le 3 juin 1998).

Devant la Commission parlementaire belge, le Commandant De Troy (casque bleu de la Mission des Nations Unies au Rwanda-MINUAR) a révélé que, le jour même de l’attentat c-à-d. le 6 avril 1994, le lieutenant Lotin ( casque bleu de la MINUAR) avait escorté une délégation du FPR au parc Akagera, alors que ce type d’opération ne faisait pas partie du protocole d’accord. A l’allée comme au retour, ils avaient emprunté la route aux environ du lieu du crime ( SOS Rwanda-Burundi asbl Buzet).

Compte tenu de tous ces témoignages accablants et de l’absence évidente de volonté du TPIR de poursuivre les éléments du FPR responsables des crimes contre l’humanité , l’on est en droit de se poser les questions suivantes :

Le CPRGLA partage totalement le point de vue d’Amnesty International selon lequel " justice must be impartial ; it must be done and seen to done for all, regardless of who the victims or perpetrators are. True reconciliation in Rwanda must involve showing that the rule of law does not discriminate for or against any one. The Tribunal’work should contribute to this process ".

Le CPRGLA est fermement convaincu que l’impunité dont jouit le FPR est à l’origine de la poursuite des violations massives des droits de l’homme au Rwanda, des crimes contre l’humanité et du génocide des réfugiés hutu dans l’ex-Zaïre, ainsi que de l’extermination des populations congolaises qui continuent jusqu’à présent.

C’est pourquoi, Excellence Madame le Procureur, le CPRGLA demande instamment que le TPIR entame dans les plus brefs délais les procédures visant à juger les criminels du FPR, et étende sa juridiction sur les crimes contre l’humanité ainsi que les actes de génocide commis sur les réfugiés hutu et les populations congolaises dans l’ex-Zaïre, tel que le demande le Centre International des Droits de la Personne et du Développement Démocratique (CIDPDD) dans son rapport sur les violations massives des droits humains en République Démocratique du Congo ex-Zaïre, 1996-1997, p.108.

Comme le soulignent Filip REYNTJENS et Serge DESOUTER, " Nous estimons en effet qu’il existe trop d’indications sérieuses et concordantes de crimes contre l’humanité commis par le FPR et son armée (APR) pour continuer à ne pas vouloir savoir "

(Rwanda, les violations des droits de l’homme par le FPR/APR. Plaidoyer pour une enquête approfondie, Working Paper, Anvers, 1995, p.3).

 

Veuillez agréer, Excellence Madame le Procureur, l’expression de notre très haute considération.

 

Pour les Burundais     Pour les Congolais-Zaïrois     Pour les Rwandais     Pour les Ougandais

E. NDABAGOYE     E.LOKANGA                      E.HAKIZIMANA     E.LOKANGA

 

C.I.

Universelle des droits de l’homme