Montréal, le 15 janvier 2000

 

Conseil pour la Paix dans la Région

des Grands Lacs Africains

630 rue Guy suite 3

Montréal (Québec)

H3J 1T3

 

Monsieur le Président N. MANDELA,

Médiateur dans le Conflit Burundais

C/O. Burundi Peace Negociations

8 Ocean Road

P.O.Box 2953, Dar Es Salaam

Tanzania

 

Objet : Camps de Regroupement forcé des populations au Burundi

 

Excellence Monsieur le Président,

 

Au moment où les partis politiques burundais reprennent les négociations de paix à Arusha, le Conseil pour la Paix dans la Région des Grands Lacs Africains (CPRGLA), association qui regroupe des ressortissants du Burundi, du Congo-Zaïre, du Rwanda, de l'Ouganda et des citoyens canadiens, voudrait vous faire part de ses grandes inquiétudes sur les conditions inhumaines qui règnent dans les camps de regroupement forcé et les violations massives des droits humains commises par l'armée burundaise sur les populations civiles hutu habitant autour de la capitale Bujumbura.

Le CPRGLA déplore les pratiques dégradantes dignes de l'époque nazi que l'armée inflige aux populations civiles innocentes. À l'heure actuelle, plus 320.000 personnes en majorité des femmes, des enfants et des vieillards croupissent et meurent dans des conditions hygiéniques atroces frappées par des épidémies de choléra, de dysenterie bacillaire, et d'autres maladies infectieuses, privées de toute assistance médicale et alimentaire et ce, sous le regard indifférent de la communauté internationale.

Plusieurs rapports émanant de quelques rares organismes humanitaires qui ont pu se rendre sur les lieux font état de 9 450 morts par jour, sans compter des cas d'enlèvement des jeunes hommes. La peur d'être enlevée, violée et infectée au VIH est devenue le lot quotidien des femmes et des jeunes filles livrées sans défense aux exactions des militaires. Le CPRGLA est convaincu que ces actes ignobles perpétrés contre une catégorie de la population constituent un crime contre l'humanité.

Monsieur le Président,

Le CPRGLA voudrait attirer votre attention ainsi que celle de la communauté internationale sur les conséquences incalculables qui pourraient découler de cette situation. Les populations déplacées de force ont été spoliées de tous leurs biens. Le gouvernement burundais conscient que la pauvreté, la misère, la faim et le confinement sont plus meurtriers que la guerre, a opté pour la politique d'extermination à la stalinienne. Une situation qui pourrait dégénérer rapidement si l'armée, en cas de défaite appréhendée, décidait de s'en prendre à ces populations fragilisées. Le CPRGLA croit que le regroupement forcé de la population ne résout rien mais ne sert qu'à entretenir les rancoeurs. Cette politique de terre brûlée est un sérieux handicap à la réconciliation entre Burundais et pourrait entraver les négociations de paix d'Arusha. C'est tout l'avenir du pays qui est hypothéqué.

Le prétexte invoqué pour créer les camps est plus que fallacieux. Selon le ministre de la défense du Burundi, c'est la population qui aurait demandé la protection de l'armée pour être confinée dans ces camps de la mort. Dans les faits, ces camps de concentration ont pour but d'opérer un nettoyage ethnique autour de la capitale Bujumbura. La population est livrée à la même armée qui a commis le génocide de 1972, les massacres à grande échelle de 1988 et de 1993.

Monsieur le Président,

Ces camps de la mort ont fait l'objet de nombreuses condamnations. Le 16.12.1999, les Etats-Unis ont appelé le Burundi "à mettre un terme immédiat" aux déplacements forcés des populations. Le même appel a été réitéré, le lendemain, par l'O.U.A. Le Pape Jean-Paul II a insisté, le 3 .11.1999, sur la nécessité urgente d'aider les familles "à revenir sur leurs terres". L'organisation Médecins Sans Frontière (MSF) a estimé, le 18.11.1999, que le regroupement forcé "prive les populations de leurs droits les plus élémentaires". Le 19.11.1999, dix-huit organisations non gouvernementales formant le Réseau International pour la Paix (RIB) basées en Amérique, en Europe et en Afrique ont demandé au Secrétaire Général de l'ONU, de saisir le Conseil de Sécurité afin qu'il exige le démantèlement de ces camps. De nombreuses autres organisations et personnalités éminentes se sont élevées contre ces camps de la mort mais le gouvernement burundais demeure insensible à l'hécatombe qui se déroule sous ses yeux.

Monsieur le Président,

Vous comprenez mieux que quiconque comment un gouvernement peut sacrifier une partie de sa population, vous qui avez lutté toute votre vie pour le droit des noirs sud-africains alors qu'ils étaient condamnés par les lois de l'Apartheid. Tout comme en Afrique du Sud, le gouvernement burundais envoie à la mort sa population hutu en prétendant protéger la capitale.

Le CPRGLA vous demande, en tant que médiateur dans le conflit burundais et à l'instar des autres éminentes personnalités :

- de condamner ces camps de concentration et d'exiger leur démantèlement;

- d'exiger leur libre accès aux ONG;

- d'en faire une priorité pendant les négociations d'Arusha;

- d'aller visiter ces camps et de prendre la mesure du drame qui s'y déroule.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'expression de notre haute considération.

Pour Le CPRGLA

 

HAKIZIMANA Emmanuel

Vice-Président