Conseil pour la Paix dans la Région

des Grands Lacs Africains

630 rue Guy suite 3

Montréal (Québec)

H3J 1T3

Tél. :(514)343-0677

Fax: (514) 938-1572

Montréal, le 20 novembre 2000

 

 

Honorable Jean Chrétien

Premier ministre du Canada et

Chef du Parti Libéral du Canada

Honorable Stockwell Day

Chef du Parti Alliance Canadienne

Honorable Gilles Duceppe

Chef du Bloc Québecois

Honorable Joe Clark

Chef du Parti Progressiste Conservateur du Canada

Honorable Alexa McDonough

Chef du Nouveau Parti Démocratique du Canada

 

Concerne: Politique étrangère du Canada vis-à-vis

des pays des Grands Lacs Africains

( Burundi, République Démocratique du Congo

Rwanda, Uganda)

 

Honorables chefs des partis politiques du Canada,

 

Les canadiennes et canadiens ressortissants des pays de la région des Grands Lacs Africains, regroupés au sein du Conseil pour la Paix dans la Région des Grands Lacs Africains (CPRGLA), s'adressent à vous pour vous demander quelle sera votre politique étrangère vis-à-vis des pays de cette région, advenant votre élection comme premier ministre du Canada.

Vous êtes sans ignorer que la région des Grands Lacs Africains est, depuis déjà dix ans, le théâtre des pires crimes que l'Afrique ait jamais connu, allant des crimes de guerres et crimes contre l'humanité, aux génocides et exterminations massives des populations. Dans un article publié par le bimensuel américain The African Observer, et cité par le journal la Presse de Montréal du 11 juillet 2000, la journaliste Linda de Hoyo fait le macabre bilan des victimes des guerres qui sévissent dans les pays des Grands Lacs Africains depuis dix ans et aboutit à plus de 5 millions de morts. Sur le 1,7 millions cités dans le dernier rapport de International Rescue Commitee, elle ajoute 800.000 tués au Rwanda avant la prise du pouvoir par le Front Patriotique Rwandais (FPR) en 1994, 1000.000 tués par le FPR de Paul Kagame après 1994, près de 700.000 tués au Burundi depuis l’assassinat en 1993 du seul président de l’histoire de ce pays démocratiquement élu Melchior Ndadaye, 500.000 réfugiés rwandais et 500.000 civils congolais tués en 1996-1997 dans la première guerre de l’ex-Zaïre.

Le sort réservé aux femmes congolaises dans les territoires occupés par les armées de Kagame et de Buyoya démontre à quel point leurs régimes ont atteint le fond de l'horreur. Dans son dernier rapport, l'organisation Human Rights Watch révèle que, à Mwenga, des militaires burundais et rwandais, après avoir violé les femmes, avaient rempli les vagins de leurs victimes de poivre avant de les enterrer vivantes dans des trous remplis de sel.

Les auteurs de ces crimes ne font pas que des victimes africaines, ils ont également assassiné des canadiens. À titre illustratif, il y a lieu de citer les cas des prêtres canadiens Claude Simard et Guy Pinard qui ont été assassinés dans des conditions atroces, le premier au marteau, le deuxième en pleine messe par les escadrons de la mort de l'actuel président du Rwanda, le général Paul Kagame.

Dans cette horrible tragédie, le rôle des entreprises minières canadiennes qui investissent d’énormes montants dans la région de l'ex-Zaïre occupée par les armées du Rwanda, du Burundi et de l'Uganda, pays vivant sous perfusion de l'aide internationale mais qui pourtant parviennent à mener des guerres extrêmement coûteuses, et où se commentent les pires atrocités, mérite d’être particulièrement examiné. A titre d’exemple, selon le journal le Monde du 27 novembre 1996, une concession de 83 000 kilomètres carrés (plus de trois fois la superficie du Rwanda) a été octroyée en 1996 à une compagnie minière dont le conseil d'administration compte un ancien président américain, un ancien chef de la CIA et un ancien premier ministre du Canada. Comme le fait remarquer Bonnie Campbell du Département des Sciences Politiques de l’Université du Québec à Montréal dans Cahiers Libres de janvier 1999, il est impensable qu’un investissement aussi colossal, effectué dans une région qui s’embourbe dans la guerre, ne puisse pas avoir d’énormes conséquences sur le plan politique et sur le plan des droits humains.

Honorables chefs des partis politiques du Canada, les canadiennes et canadiens ressortissants de la région des Grands Lacs Africains ont toujours invité le gouvernement canadien actuel à intervenir pour que cesse les horribles crimes ci-haut mentionnés, mais jusqu'à présent, il s'est soit muré dans un silence complice, soit ne s'est limité qu'à des remèdes palliatifs, ne s'attaquant qu'aux symptômes plutôt qu'aux sources du mal que constituent l'impunité et l'absence de démocratie. De plus, dans certains cas, le gouvernement actuel a prolongé les souffrances de ceux de nos communautés qui l’appelaient au secours, ternissant ainsi l’image du Canada comme figure de proue en matière de défense des droits de la personne.

En effet, il est inacceptable que le gouvernement canadien actuel n'ait jamais ouvert d’enquête sur l'assassinat au Rwanda des deux prêtres canadiens, donnant ainsi un signal de ne pas se préoccuper de la sécurité des canadiens vivant dans cette région du monde.

De même, pour citer un cas qui, cette fois-ci, se passe en territoire canadien, l’on ne peut pas comprendre comment, après avoir invité madame Christine Ruhaza pour donner une communication dans le cadre de la conférence du 28 septembre au 2 octobre sur le processus de paix au Burundi, la quelle conférence fut à l’origine de son exil, le gouvernement canadien hésite à accueillir sa famille sous sa protection, alors qu’elle est menacée de mort.

En fin, bien que l'initiative au sujet des enfants soldats soit louable, il est claire que l'on ne peut prétendre pouvoir enrayer ce fléaux en ne contribuant pas à ce que les criminels notoires qui les enrôlent soient traduit devant la justice.

Compte tenu de ces faits, Honorables chefs des partis politiques du Canada, les citoyens canadiens ressortissants de la région des Grands lacs Africains vous demandent de leur expliquer clairement si, advenant votre élection au poste de premier ministre du Canada, vous seriez prêts à utiliser les instruments légaux pour mettre fin à l'impunité de ceux qui violent massivement les droits de la personne et exterminent les populations dans cette région du monde.

En effet, étant donné que les crimes de génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre commis par les armées de Paul Kagame (Rwanda), de Pierre Buyoya (Burundi) et de Yoweri Museveni (Uganda) sur les populations de la région des Grands Lacs Africains interpellent l'humanité toute entière, les ressortissants de cette région sont convaincus que le Canada peut utiliser sa présence actuelle au Conseil de Sécurité des Nations Unies pour introduire une demande d'extension du mandat du Tribunal Pénal International sur le Rwanda pour qu'il puisse couvrir les crimes commis en République Démocratique du Congo (ex-Zaïre). Nous n'ignorons pas que le Canada est partie prenante d'un projet de création d'un Tribunal Pénal International Permanent. Cependant, l'on doit admettre que c'est une stratégie de long terme, et que à court terme, le passage par des tribunaux ad hoc tel que le Tribunal Pénal International sur le Rwanda et l'ex-Yougoslavie est incontournable pour protéger les populations victimes de ces horribles crimes.

Les canadiennes et canadiens ressortissants de la région des Grands Lacs Africains sont également d’avis qu’une intervention du gouvernement pour interdire aux entreprises canadiennes d’investir dans les régions où se commettent les pires atrocités, tels que les territoires de la République Démocratique du Congo occupées par les armées du Rwanda, du Burundi et de l’Uganda, et sanctionner les contrevenants s’impose.

Espérant entendre votre position sur l’objet de nos préoccupations, veuillez agréer, Honorables chefs des partis politiques du Canada, l’expression de notre haute considération.

 

Pour le CPRGLA

HAKIZIMANA Emmanuel

Vice-président