Le rapport sur le Rwanda que l’ONU refuse à la justice française

Louise-Marie Horeau

Le Canard enchaîné mercredi 21-juin 2000

Le Tribunal pénal international pour le Rwanda vient d’envoyer poliment paître le juge Jean-Louis Bruguière, qui demandait la communication d’un rapport secret, rédigé par un enquêteur de l’ONU sur l’assassinat du président rwandais Habyarimana, le 6 avril 1994. Ce rapport, dont l’existence a été révélée, le 1er mars dernier, par le quotidien canadien " National Post ", a un contenu explosif et un itinéraire plutôt étrange.

C’est un avocat australien Michael Hourigan, qui a rédigé ce document. Il dirigeait en 1996 une équipe chargée par l’ONU d’enquêter sur le génocide. Mais il a aussi recueilli des renseignements sur l’attentat qui avait causé la mort du président rwandais, du président du Burundi et de l’équipage français de l’avion. Toutes les thèses ont été avancées sur cet épisode qui a donné le signal du massacre et qui devait coûter la vie à plus d’un demi-million de personnes.

Témoins très directs

Commando des rebelles tutsis du FPR ? Provocation des extrémistes hutus ? Selon les informations recueillies par l’enquêteur de l’ONU, c’est du côté de l’actuel président du Rwanda, Paul Kagamé, intronisé officiellement le 17 avril dernier, qu’il faut chercher. Plusieurs témoins ont affirmé avoir fait partie d’une organisation secrète, dénommée Network, qui aurait organisé l’attentat sous les ordres de Paul Kagamé. Deux d’entre eux ont même reconnu avoir fait partie du commando qui a tiré les missiles sol-air sur l’avion présidentiel, et se diraient prêts à témoigner à condition que leur sécurité soit assurée.

Mais, depuis, ces informations n’ont jamais été exploitées, ne serait-ce que pour en vérifier le sérieux. La mise en cause de Kagamé fait de ce rapport une véritable patate chaude. Et personne ne semble disposé à nous dire où sont passés ces précieux témoins…

Après la fuite dans le quotidien canadien, les services de l’ONU ont commencé par nier l’existence même du document. Avant de le " retrouver " et de le qualifier de " non officiel ". Finalement ce rapport a été expédié au Tribunal pénal international pour le Rwanda qui siège à Arusha, en Tanzanie. Mais ce tribunal est chargé de poursuivre les génocidaires, pas les assassins des deux présidents. Il ne peut rien en faire…

Ni vu ni connu

Du coup le juge Bruguière, qui est aussi saisi par les familles des pilotes français morts dans l’attentat, a demandé communication au Tribunal d’Arusha. La réponse est claire : pas question.

Ultime démarche, l’avocat d’une des victimes françaises, Me Francis Szpizner, a écrit au secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, pour lui réclamer l’insaisissable rapport. Mais la démarche a peu de chances d’aboutir. Interrogé par " Le Canard ", un porte-parole de l’ONU affirme que c’est au Tribunal pénal international qu’il faut s’adresser.

En résumé, ceux qui détiennent le précieux document ne peuvent – ou ne veulent – rien en faire. Et ceux qui pourraient l’exploiter ne parviennent pas à l’obtenir. L’ONU veut bien traquer les criminels ou les auteurs de génocides. Mais de là à contrarier un chef d’Etat en exercice…