Kigali dit vouloir livrer tous les génocidaires

Le gouvernement accepte de collaborer
avec le Tribunal pénal international

Alors que le TPR n'avait jusqu'ici jugé que des responsables de l'ancien gouvernement du Rwanda, il pourrait se voir livrer les Tutsis rwandais qui s'étaient vengés des Hutus après le génocide.

COLETTE BRAECKMAN, envoyée spéciale
KIGALI

Le climat, au Rwanda, est plus lourd que de coutume. Non seulement parce que le pays traverse avec le chagrin habituel le septième anniversaire du génocide, mais aussi parce que les blâmes et les menaces s'accumulent : le président ougandais Museveni a traité le Rwanda, son allié traditionnel, de pays hostile et la Commission d'enquête de l'ONU sur les pillages des ressources naturelles du Congo a lourdement mis en cause Kigali et Kampala.

La montée des périls, qui se conjuge avec une nouvelle administration américaine nettement moins sensible au sort du Rwanda que le président Clinton, incite le président Kagame à multiplier les concessions. Non seulement l'armée rwandaise a terminé son retrait au Congo, sur une profondeur de 200 kilomètres, mais, recevant le procureur du Tribunal pénal international Carla del Ponte, le chef de l'Etat rwandais a découvert sa garde : il a accepté de livrer au Tribunal pénal international tous les officiers qui auraient été impliqués dans des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité depuis 1994.

Cette décision réjouit les défenseurs des droits de l'homme qui se souviennent du massacre de Kibeho, où des déplacés intérieurs (parmi lesquels nombre de miliciens hutus interhahamwes qui se servaient des civils comme boucliers) avaient été pris sous le feu de l'Armée patriotique rwandaise et de sanglantes représailles au moment où l'armée de Kagame pénétrait dans le pays. On ignore encore si les massacres de réfugiés hutus commis au Congo en 1996-1997 seront pris en compte et si les massacres de ressortissants congolais commis au cours de la deuxième guerre seront retenus, mais il est certain que la décision annoncée à Mme del Ponte risque d'être douloureuse.

Des militaires visés

En effet, les officiers impliqués appartiennent au noyau dur de l'Armée patriotique rwandaise (APR), et ils pourront toujours alléguer qu'au moment des faits, ils obéissaient aux ordres de celui qui était alors le prestigieux commandant en chef de l'APR, le général Kagame lui-même.

Cette concession importante a été faite à Kigali au lendemain de la commémoration du génocide qui s'était déroulée à Rukumberi, dans la province de Kibungo, une région désolée où naguère les Tutsis avaient été relégués sur des terres insalubres avant d'être massivement massacrés en avril 1997. Là, devant les alignements de cercueils et face à une foule recueillie, le président s'était emporté. Sortant du texte de son discours, il avait sans doute livré le fond de sa pensée, accusant le monde, c'est-à-dire la communauté internationale, d'être sans pitié, sans compréhension à l'égard du Rwanda et adjurant ses compatriotes de ne rien attendre de personne, de compter uniquement sur leurs propres forces.

Pour Kagame, le déploiement des observateurs de l'ONU au Congo et les bonnes paroles de Joseph Kabila ne règlent visiblement rien et il a tenu à déclarer, brutalement, qu'aussi longtemps que les interhahamwes demeureraient au Congo et menaceraient la sécurité du Rwanda, ses troupes resteraient dans le pays voisin. Autrement dit, le retrait total du Rwanda, en particulier du Kivu, n'est pas pour demain, pas plus que l'application complète des accords de Lusaka

A l'intention de l'Ouganda, le président rwandais a ajouté que ses troupes étaient prêtes à affronter quiconque souhaiterait faire la guerre au Rwanda. Il ne s'agissait pas de forfanterie : tout indique que les troupes rwandaises retirées de Pweto au Katanga auraient été redéployées sur la frontière ougandaise, dans la crainte d'une attaque venue du nord.

S'exprimant avec véhémence et amertume, le président rwandais s'est également défendu d'utiliser le génocide comme un fonds de commerce et surtout a démenti, de bien étrange façon, l'appropriation des ressources congolaises, déclarant que bien d'autres pays avant nous, et pendant bien plus longtemps, ont pillé le Congo - allusion transparente à la colonisation belge...

Tout se passe comme si, dans la nouvelle donne qui se dessine en Afrique centrale depuis la mort de Kabila, le Rwanda redoutait soudain de se trouver isolé, voire trahi, par ses anciens alliés alors que ses problèmes de sécurité demeurent intacts. Comme s'il avait choisi, une fois de plus, de faire confiance à sa force militaire, tout en accordant aussi d'indispensables et dangereuses concessions...ˇ

Le Soir du mercredi 11 avril 2001
© Rossel et Cie SA, Le Soir en ligne, Bruxelles, 2001