Source : la revue ESPRIT, numéro août/septembre2000.

Rwanda : politique de terreur, privilège d'impunité

Rony Brauman, Stephen Smith, Claudine Vidal*

*Rony Brauman, membre de MSF, auteur de Devant le mal. Rwanda : un

génocide en direct, Paris, arléa, 1994. Stephen Smith, journaliste à

Libération. Claudine Vidal, CNRS, Centre d'Études africaines, EHESS,

co-éditeur (avec Marc Le Pape de " Les politiques de la haine.

Rwanda-Burundi, 1994-1995 ", Les Temps Modernes, juill-août 1995, n°

583.

Le 17 avril 2000, le général Paul Kagame, plébiscité par le parlement

et le gouvernement non-élus que domine le Front patriotique rwandais

(FPR) , est devenu chef de l'État du Rwanda. Six ans après le

génocide qui a coûté la vie à des centaines de milliers de Tutsis,

une réalité de fait recouvre ainsi les apparences du droit : "

l'homme fort ", auparavant vice-président et ministre de la Défense,

accède à la magistrature suprême en y remplaçant Pasteur Bizimungu,

un membre hutu du FPR, démissionnaire pour " raisons personnelles ".

Il ne s'agit là ni d'une simple relève ni, à plus forte raison, d'une

" alternance ethnique ", même si le général Kagame est le premier

président appartenant à la minorité tutsie depuis l'indépendance.

Pour autant, il ne s'agit pas non plus d'une revanche " historique "

ou personnelle. Car, bien qu'elle s'inscrive dans un contexte local

d'ethnicité, instrumentalisée à des fins vengeresses, de massacres

entre Hutus et Tutsis au Rwanda et au Burundi voisin, la consécration

de Paul Kagame revêt une signification politique universelle : au

lendemain d'un génocide que la communauté internationale n'a pas su

empêcher, un responsable de crimes contre l'humanité accède à la tête

de l'État rwandais au nom des victimes qu'il prétend représenter.

Sous la conduite du général Kagame, dont la responsabilité

personnelle est engagée, le FPR s'est en effet livré à des tueries de

Hutus organisées, après, pendant et, même, avant le génocide des

Tutsis. Au Rwanda d'après le génocide, en lieu et place d'une

politique de réconciliation, la violation des droits de l'homme a été

érigée en système de gouvernement. Au Congo-Kinshasa, le FPR a non

seulement démantelé manu militari des camps d'exilés hutus, qui

constituaient effectivement une menace existentielle, mais il a aussi

persécuté, sur deux mille kilomètres à travers la forêt équatoriale,

des civils dont près de 200.000 ont péri, victimes d'inanition, de

maladies ou des " unités spéciales " lancées à leur poursuite depuis

Kigali. Au sujet de cette traque sans distinction entre hommes,

femmes et enfants, le rapport d'une commission d'enquête des Nations

unies a conclu, le 29 juin 1998, à des " crimes contre l'humanité "

en citant nommément l'Armée patriotique rwandaise (APR), dont le

commandant en chef était Paul Kagame . Moins de deux ans plus tard,

la communauté internationale, si prompte à invoquer le " devoir de

mémoire " et l'indispensable lutte contre l'impunité, a néanmoins

pris acte de l'accession du général à la tête de l'État rwandais. Le

présent article a pour objet de retracer comment, au Rwanda, le crime

contre l'humanité est devenu une monnaie d'échange.

L'échec de la réconciliation

La guerre qui commença au Rwanda en octobre 1990 est la plus

destructrice de l'histoire africaine contemporaine. Une pure guerre

civile : même si des puissances étrangères intervinrent,

l'affrontement entre les exilés tutsis et les partisans du régime

dirigé par le général-président Habyarimana ne fut d'aucune façon lié

à un conflit armé entre États. Un désastre total : extermination des

Tutsis de l'intérieur, liquidation systématique des opposants hutus

aux organisateurs du génocide, massacres de civils par la guérilla

tutsie, fuite au Zaïre, en Tanzanie et au Burundi d'une partie de la

population hutue, destructions, pillages, dévastation des

infrastructures publiques. Début 1994, le pays comptait sept millions

et demi d'habitants, le nombre des victimes de la guerre et du

génocide a été estimé à un million et celui des réfugiés dans les

pays limitrophes à deux millions. De tels chiffres disent l'ampleur

de la tragédie, ils ne rendent pas compte des deuils accablants, des

haines, des angoisses qui ont investi la société rwandaise.

Maintenant que les atrocités de la décennie 90 ont scellé dans le

sang la partition entre Hutus et Tutsis, comment agir pour que cette

partition connaisse une autre issue que celle d'une lutte à mort ?

Comment les anciens exilés, après avoir pris Kigali, le 4 juillet

1994, et remporté la victoire, vont-ils reconstruire un pays et une

société aussi profondément traumatisés, dévastés ?

Le gouvernement, mis en place le 19 juillet 1994, s'était fixé une

durée limitée à cinq ans. Dès janvier 1995, les nouvelles autorités

rwandaises ont présenté à des bailleurs de fonds potentiels un

Programme de réconciliation nationale, de réhabilitation et de

relance socio-économique. Cinq ans plus tard, qu'en est-il de ce

Programme ? Le 8 février 1999, les autorités ont déclaré qu'elles

maintenaient l'état d'exception et prolongeaient de quatre ans la

période de transition. Elles ont alors invoqué l'insécurité que

faisaient peser sur le Rwanda des revanchards hutus, basés à

l'extérieur du pays et soutenus à l'intérieur, et n'attendant que

l'occasion de parachever le génocide. Une partie du Programme avait

donc échoué, celle qui prévoyait la " réconciliation nationale ".

Une rébellion hutue armée, retranchée au Congo et lançant des coups

de main meurtriers dans les régions frontalières nord et nord-ouest

existe bien. Cependant, elle ne détermine pas, à elle seule, la

faillite du projet de réconciliation. Un symptôme, autrement plus

révélateur de cette faillite, est le climat de peur et d'oppression

qui n'a cessé de peser sur la vie quotidienne rwandaise durant les

cinq dernières années, un climat qui tient aux exactions commises par

des autorités et des militaires, aux disparitions et aux assassinats,

aux arrestations illégales, à la corruption dans tous les secteurs de

l'État, tout autant qu'aux attentats terroristes.

Pourtant, en 1990, le FPR revendiquait un programme censé jeter les

bases d'une démocratie, fondations qui n'avaient encore jamais existé

au Rwanda et tout particulièrement celle établissant l'égalité entre

les ethnies. De fait, en opposition à un régime dominé par des

dirigeants hutus, qui, assimilant majorité ethnique et majorité

politique, avait exclu les Rwandais tutsis de la vie politique depuis

l'indépendance, le régime contrôlé par le FPR a basé sa légitimité

sur un projet anti-ethniste de restauration nationale. Mais cette

transformation radicale du discours de fondation n'a entraîné la

répression des comportements ethnistes extrêmes que d'un seul côté :

quand ils visaient des Tutsis. En réalité, dans tous les domaines de

la société, plus particulièrement dans le secteur

politico-administratif et celui des activités modernes, pèse sur les

Rwandais hutus la menace d'être spoliés, arrêtés, assassinés, sans

que les responsables de ces exactions ou de ces meurtres ne fassent

jamais l'objet de poursuites.

Les conventions de silence

L'actuel gouvernement rwandais n'échappe pas à la loi de ses origines

militaires : au détriment d'autres modes d'actions, il recourt à

l'usage des armes pour manifester et renforcer sa supériorité, en

particulier, mais pas exclusivement, à l'égard des Rwandais. Cette

politique, sous couvert de lutte contre les " génocideurs ", va

jusqu'à la perpétuation des massacres prémédités, comme ce fut le cas

dans l'ex-Zaïre en 1996 et 1997. Le prétexte de l'instauration d'un

glacis sécuritaire y a servi une politique de terreur à l'égard des

exilés hutus, en même temps qu'il a permis l'instauration d'un "

régime ami " à Kinshasa. Celui-ci, présidé par Laurent-Désiré Kabila,

a cependant trahi ses parrains étrangers, bailleurs de fonds et de

troupes. A l'instar de l'Ouganda de Yoweri Museveni, le Rwanda du

général Kagame s'est alors engagé dans une occupation prédatrice du

pays voisin.

La nature du régime instauré par le FPR n'est plus à découvrir,

malgré ses efforts de désinformation systématique. Pas davantage que

le précédent, ce pouvoir ne tolère des espaces politiques et des

lieux qui ne soient pas dépossédés de toute autonomie, qui ne soient

pas intégralement soumis à son contrôle. Des Rwandais, non suspects

d'indulgence pour les tueurs de tous bords et pour les politiques qui

les tolèrent ou les encouragent, ont révélé et dénoncé ses pratiques.

Des observateurs étrangers, notamment Amnesty International et Human

Rights Watch, les ont relatées. Pour autant, les descriptions

réalistes du Rwanda actuel ne parviennent pas à briser les

conventions de silence imposées par l'insaisissable " communauté

internationale " - des institutions internationales, des diplomaties

étrangères et, ce qui est plus surprenant, des médias et

organisations non-gouvernementales (ONG), majoritairement réglées au

diapason de Kigali. Il est vrai que la transgression de ces règles

tacites fait l'objet d'attaques violentes émanant de milieux

sectaires, pas seulement rwandais, pour lesquels critiquer le FPR

revient à nier le génocide. Vieille recette que cet amalgame, mais

elle n'a rien perdu de son pouvoir d'intimidation.

Il faut transgresser les tabous interdisant l'analyse lucide de la

politique menée par le nouveau pouvoir rwandais : parce que cette

politique présage des désastres futurs. Maintenant, comme avant avril

1994, le silence vaut approbation, signifie indifférence au sort de

populations menacées, complicité de fait avec des factions

politico-militaires poursuivant des objectifs de prédation à court

terme, quel qu'en soit le prix à payer en morts et en destructions.

Privatisation du pouvoir

En peu d'années, un petit groupe a réussi à constituer au sein du

FPR, un réseau politico-militaire qui, contrôlant les principales

positions de pouvoir, exploite toutes les occasions de corruption. Ce

réseau a gagné le surnom d'akazu (mot signifiant " petite maison "

que les Rwandais emploient pour désigner le premier cercle autour de

l'homme fort) : le même terme désignait naguère l'entourage du

président Habyarimana, entourage qui, ayant monopolisé le pouvoir

effectif, n'a pas hésité à mener la politique du pire. Le nouvel

akazu tout autant que le précédent, se livre, au pillage des biens de

l'État, au détournement de l'aide internationale, en y ajoutant les

bénéfices tirés de la privatisation des sociétés publiques.

Politiciens, militaires, hommes d'affaire liés à l'akazu, affichent

un train de vie luxueux, investissent au Rwanda dans des opérations

rapportant des bénéfices considérables (comme, par exemple, la

construction de villas à louer aux institutions internationales),

tout en exportant le plus gros de leurs gains à l'étranger.

Dans de telles conditions, la lutte aux plus hauts niveaux pour

accaparer les postes stratégiques se déroule secrètement, dans le

huis-clos des puissants. Mais ses effets sont visibles : promotions

et destitutions, arrestations, disparitions et fuites à l'étranger

d'hommes politiques et aussi d'intellectuels ayant dénoncé ou étant

susceptibles de dénoncer le système de corruption et ses

bénéficiaires. Les démissions et les départs, publics ou clandestins,

de personnalités hutues qui faisaient partie de l'appareil

politico-administratif ou d'organisations de la société civile, ont

commencé très tôt, n'ont jamais cessé et sont invariablement

présentés, par les officiels, comme un aveu d'incompétence, de

malversations, d'un passé trouble ou de haine ethnique. Mais, ces

deux dernières années, s'est développé un mouvement important de

Tutsis, rescapés du génocide, également en quête de pays d'accueil.

Hommes d'affaires, avocats, médecins, intellectuels : ils n'acceptent

pas de se faire rançonner par les gens du pouvoir et leurs proches.

Des membres de la diaspora tutsie, revenus après 1994, et qui furent

liés aux milieux dirigeants, ont eux aussi repris le chemin de

l'exil. Parmi ces dissidents, des figures connues. Ainsi le

journaliste Jean-Pierre Mugabe, rédacteur en chef du très FPR Le

Tribun du peuple, qui, dans un numéro spécial de décembre 1998, avait

dénoncé " la mafia qui ronge l'État rwandais " et, menacé de mort,

s'est réfugié aux États-Unis. Il vient de mettre en cause Paul Kagamé

dans l'attentat contre le Falcon présidentiel, le 6 avril 1994,

l'événement ayant déclenché le génocide. Ainsi Joseph Sebarenzi,

président de l'Assemblée Nationale de transition depuis 1997 qui, mis

en minorité sur un vote, démissionna en janvier dernier et prit la

fuite. Fort d'avoir obtenu des motions de censure contre deux

ministres hutus accusés de malversation, il s'était attaqué à l'un

des plus influents membres du FPR, réputé figure centrale de l'akazu.

Militarisation de la société

Le régime précédent avait découpé la société, au-dessous du niveau

des communes, en secteurs, puis cellules (en moyenne 150 familles)

et, enfin, en nyumbakumi, des groupes d'une d'une dizaine de foyers.

Bourgmestres, conseillers communaux et chefs de cellule, tous nommés

par le pouvoir, devaient démontrer leur fidélité active au parti

unique. Le nouveau régime a conservé ce système pyramidal enserrant

la population dans une hiérarchie d'autorités intermédiaires qui la

contrôlent de près, tout en étant elles-mêmes dépendantes d'autorités

supérieures, clientes des hommes forts. Certes, en mars 1999, les

dirigeants des cellules et des secteurs ont été élus. Mais ces "

élections " se sont déroulées de la manière suivante : les candidats

n'avaient pas eu le droit de faire une campagne publique, ni de se

présenter comme membre d'un parti ; les électeurs devaient se mettre

en file indienne derrière le candidat de leur choix. En fait, le

quadrillage de l'espace public, qui en permet la surveillance

étroite, a non seulement été maintenu, mais renforcé par un

dispositif paramilitaire : dans chacune des quelques dix mille

cellules que compte le Rwanda ont été formés et armés cinq

responsables de la " local defense force ", censés combattre en cas

d'attaque, en réalité, chargés de faire la chasse aux interahamwe

infiltrés et à leurs complices. Ces " défenseurs " se comportent de

façon plus ou moins tyrannique. Détenteurs d'une arme et légitimés

par les autorités, ils oppriment une population paysanne misérable

qui ne peut éviter de verser un tribut à ses " protecteurs ".

Les relations entre les autorités communales et leurs administrés ont

été également militarisées, car elles sont exercées sur le modèle de

l'armée où les châtiments corporels font partie de l'ordinaire de la

discipline. Militaires, policiers communaux, membres de la " local

defense force ", lorsqu'ils les estiment insuffisamment obéissants,

battent les gens, leur imposent des amendes, les emprisonnent sous

toutes sortes de prétextes et de façon purement arbitraire. Il arrive

que des préfets s'opposent à ces comportements, que des bourgmestres

veillent à ce qu'ils ne deviennent pas la règle dans leurs communes.

En dehors de ces exceptions, l'autorité civile est localement exercée

de façon brutale et coercitive, nombre de responsables communaux

étant d'ailleurs issus de l'APR.

D'autre formes de militarisation ont également été instituées

concernant les scolarisés. Les étudiants admis à l'Université doivent

passer par des camps (ingando) où ils reçoivent une éducation

militaire et civique, cette dernière portant sur la " nouvelle "

histoire du Rwanda. Cette formation devrait être étendue aux élèves

du secondaire. Des bourgmestres organisent, eux aussi, sur les

collines des formations analogues.

La guerre d'occupation menée par Kigali en RDC depuis l'été 1998

s'ajoute à la militarisation de la jeunesse et à la brutalisation des

rapports d'autorité. Ces soldats, dont la guerre a besoin, risquent

leur vie si loin du Rwanda que, ni eux-mêmes, ni leurs familles ne

croient plus aux arguments prétextant que la sécurité du pays impose

leur sacrifice. L'enrôlement forcé de jeunes gens, expédiés sur le

front congolais sans que les parents soient tenus au courant du sort

de leurs fils, nourrit l'anxiété dans les foyers. Mais le prix du

sang ne suffit plus à cette guerre imposée par le pouvoir. En

novembre 1999, le président de l'Assemblée nationale de transition

proposait d'instituer une " contribution volontaire " des citoyens et

des entreprises aux dépenses militaires. Au même moment, le premier

ministre demandait des secours à la communauté internationale pour

lutter contre la famine au Rwanda.

" La loi des suspects "

La population carcérale est actuellement évaluée à 125.000

prisonniers, présumés coupables de génocide, qui attendent leur

jugement. Les procès ont commencé fin décembre 1996 et, le 24 avril

1997, vingt-deux condamnés à mort furent publiquement fusillés dans

un stade à Kigali. La politique judiciaire, l'organisation et le

fonctionnement des tribunaux souffrent des mêmes maux que les autres

institutions du pays : les plus hautes instances sont soumises à

l'arbitraire du FPR, des magistrats ont été menacés, démis, arrêtés

ou assassinés, parce qu'ils souhaitaient une justice indépendante. La

corruption n'est pas davantage contrôlée dans ce domaine que dans les

autres. Le ministre de la Justice reconnaissait publiquement, fin

janvier 2.000, qu'une commission anti-corruption nouvellement créée

aurait beaucoup à faire à tous les niveaux de l'appareil judiciaire.

Incontestablement, des responsables du génocide ont été arrêtés. Il

est indispensable qu'ils soient jugés et, à juste titre, le

gouvernement rwandais a voulu que leurs procès individuels aient lieu

devant les tribunaux. Mais des innocents ont également été jetés en

prison, et ce dans une proportion nullement négligeable. Un rapport

de Human Rights Watch (HRW) et de la Fédération internationale des

ligues des droits de l'homme (FIDH) a dénoncé, en avril 1995,

l'intrusion de l'armée dans la sphère judiciaire, le fait qu'il

suffisait d'accuser une personne d'avoir trempé dans le génocide pour

la faire incarcérer. Des groupes de délation, servant d' "

accusateurs sur demande ", permettaient par leurs dénonciations la

satisfaction de haines personnelles, l'élimination d'un concurrent,

la captation de biens. A cette époque, le ministre de la Justice et

le procureur de Kigali affirmaient leur conviction que vingt pour

cent des prisonniers étaient détenus sans aucune charge pour les

poursuivre. Les auteurs du rapport citaient comme exemple de cet

arbitraire le cas d'une jeune femme, restant emprisonnée, alors

qu'elle pouvait prouver qu'elle avait vécu hors du pays durant toute

la période du génocide.

Ce rapport décrivait une situation prévalant quelques mois après le

génocide. La faiblesse des effectifs judiciaires, l'état de

destruction du pays, le désir de vengeance " à chaud " pouvaient

expliquer une relative impuissance des autorités à contrecarrer ces

pratiques. Il reste que depuis, la traque dénonciatrice a si peu

diminué qu'elle est devenue non seulement une méthode courante pour

s'approprier illicitement des biens mais, au-delà, une pratique de

terreur. Au fil des années suivant le génocide, des dénonciations,

bien que de plus en plus tardives, ont frappé des commerçants, des

fonctionnaires, des politiciens. En faisant planer sur eux la menace

d'une arrestation imminente, le soupçon, exprimé ou latent, opère à

la manière d'une " loi des suspects " comme durant la Terreur de

1793. Dans les faits, l'accusation de génocide, ou la menace

d'accusation, est devenue une arme faisant partie de l'arsenal

politique ordinaire. Entre autres, deux exemples significatifs. Celui

de Pierre-Célestin Rwigema, Premier Ministre hutu, ayant succédé en

août 1997 à Faustin Twagiramungu, démissionnaire et depuis exilé.

Pierre-Célestin Rwigema fut accusé de participation active au

génocide par des députés, eux-mêmes hutus, mais qui s'opposaient à

lui à l'intérieur de son parti. Pour eux, c'était le meilleur moyen

de se débarrasser de lui. La presse nationale révéla, en mars 1999,

qu'une procédure avait bel et bien été ouverte par le parquet de

Kigali. Les choses en restèrent là. Un an plus tard, le 28 février

2000, accusé cette fois-ci de corruption, le Premier Ministre fut

finalement contraint de présenter sa démission. Un autre exemple est

celui de Mgr Augustin Misago, l'évêque de Gikongoro. Depuis 1994, des

accusations portant sur son attitude durant le génocide avaient été

lancées contre lui, sans que toutefois aucune procédure ne fut

engagée à son encontre. Lorsque le pouvoir a jugé le moment venu

d'entamer une lutte ouverte contre l'Église catholique, toujours

influente au Rwanda, il a fait arrêter le prélat, le 14 avril 1999,

sous l'inculpation de génocide. Le procès, ouvert le 20 août de la

même année, est toujours en cours.

L'instrumentalisation du génocide

Le nouveau régime a dû combattre des thèses selon lesquelles le

massacre systématique des Tutsis en 1994 n'aurait pas été la

réalisation d'un plan conçu par un groupe ayant accaparé les

commandes de l'État, mais la conséquence d'une réaction populaire

d'autodéfense dans le contexte de la guerre civile. Ce combat contre

une forme de négation du génocide et ses propagandistes était et

reste nécessaire. Cependant, en même temps qu'ils le menaient, les

responsables du nouveau pouvoir ont instrumentalisé le génocide pour

cautionner l'ensemble de leurs conduites. Instrumentalisation

politique dans les négociations avec les bailleurs de fonds : pour

peu que ces derniers n'approuvent pas inconditionnellement la

politique de Kigali, manifestent le désir de contrôler l'utilisation

des fonds, réclament que soit levé le silence sur les atteintes aux

droits de l'homme, le discours officiel rappelle aussitôt la

démission de la " communauté internationale " au moment du génocide

et soupçonne ouvertement les récalcitrants de vouloir prêter

main-forte aux " génocideurs ". Ainsi, l'abandon à leur sort des

victimes du génocide, en 1994, par les grandes puissances

obligerait-il ces dernières à se rendre solidaires, aujourd'hui, des

violences extrêmes commises à l'intérieur et à l'extérieur du Rwanda

par les nouveaux dirigeants. Comme si les massacres du passé

pouvaient justifier les massacres du présentŠ Instrumentalisation

économique également qui, par le détournement de l'aide extérieure, a

permis l'enrichissement de dignitaires dont les demeures luxueuses

sont surnommées par la voix populaire " villas vive le génocide ".

Etrangement d'ailleurs, ce pouvoir expert en gestes propres à séduire

les bailleurs de fonds, tels que la promotion d'institutions et

l'organisation de colloques censées préparer la " réconciliation ",

n'a créé qu'en 1998 un fonds d'aide destiné aux rescapés, qui, pour

avoir tout perdu, vivent dans leur majorité très misérablement. Ce

n'était apparemment pas une priorité.

De la sorte, le génocide est mis au service des intérêts d'une

minorité au pouvoir, désireuse de s'y maintenir coûte que coûte. Or,

il est encore une autre instrumentalisation, incomparablement plus

lourde de conséquences, car elle menace l'avenir de la paix civile :

celle qui consiste à criminaliser, en bloc, l'ethnie hutue. Le

pouvoir a beau afficher une volonté d'éradication de l'ethnisme (des

mesures vont effectivement dans ce sens, telles que la suppression de

la mention ethnique sur les cartes d'identité nationale), il n'en

reste pas moins que l'ethnisme contamine, plus que jamais, l'espace

public sans que les dirigeants s'y opposent. Au contraire, des

personnalités de premier plan se livrent à des déclarations publiques

qui reviennent à globaliser la culpabilité des Rwandais hutus. Ainsi,

le 3 mars 1999, devant un parterre de représentants d'ONG à

l'Université libre de Bruxelles, l'ambassadeur du Rwanda en Belgique

a soutenu qu'il y aurait eu deux millions de " génocideurs ", autant

dire tous les hommes adultes. Ainsi encore, durant cette même année,

le nouveau ministre de la Justice déclarait que, s'il fallait arrêter

les paysans coupables de crimes de génocide, il n'y aurait plus

d'hommes pour travailler sur les collines.

En réalité, la logique ethniste reste bien vivace au c¦ur des

messages officiels, répétés sans relâche au plus hauts niveaux : tout

Hutu est suspect puisque son ethnie s'est rendue coupable du

génocide. C'est encore selon cette même logique que la qualité de

victime n'est reconnue qu'aux seuls Tutsis. Elle annihile, passe sous

silence le fait que de très nombreux Hutus ont été tués, eux et toute

leur famille, sur ordre des responsables du génocide parce qu'ils

étaient des opposants notoires à une politique de massacres. Dans

certaines régions, également, des Hutus de tous les milieux sociaux

furent mis à mort parce qu'ils étaient considérés comme alliés des

Tutsis. Or l'histoire officielle du génocide ne prend en compte ni

les victimes hutues des " génocideurs " ni les rescapés hutus du

génocide. Enfin, des Hutus ont sauvé des Tutsis, au péril de leur

propre vie. Cependant, le discours des autorités ne donne pas à ces

" justes " la place qui devrait leur revenir et suspecte de "

négationnisme " les projets visant à rappeler cette vérité, pourtant

tournée vers un avenir meilleur.

L'armée du FPR s'est livrée, pendant la guerre, à des massacres de

populations civiles, des massacres qui n'ont pas pris fin en juillet

1994. Ainsi, en avril 1995, à Kibeho, malgré la présence de témoins

étrangers, de casques bleus de l'ONU et d'une équipe de Médecins sans

frontières (MSF), des soldats de l'APR ont tiré sur la population

non-armée d'un camp de déplacés hutus. Le bilan a été très lourd,

plusieurs milliers de civils, dont les trois quarts des femmes et des

enfants. En 1996/1997 dans l'ex-Zaïre, d'autres tueries à grande

échelle, déjà mentionnées, ont été couvertes de la même justification

sommaire : c'était tous des " génocideurs ". Dès lors, la

dénonciation de telles hécatombes, aussi systématiques que

préméditées, a été stigmatisée comme une complicité avec les auteurs

ou apologistes du génocide.

Le 7 avril 1999, la commémoration annuelle du génocide a eu lieu à

Kibeho. En ce même endroit où des milliers de Tutsis furent mis à

mort en 1994, mais où a été également commis le massacre des déplacés

hutus, il n'y pas eu un mot sur le sort de ces derniers. Au

contraire, le président de la République a fait part d'une " idée "

sur laquelle les responsables du pays devraient réfléchir : les actes

de génocide ayant été commis " au nom des Hutus ", et même si tous

n'y avaient pas participé, les Hutus ne devraient-ils pas demander

collectivement le pardon d'un crime commis en leur nom ?

En novembre 1999, l'association Ibuka terminait le recensement des

victimes du génocide en préfecture de Kibuye. Il avait été décidé de

ne pas distinguer victimes tutsies et victimes hutues, ce que le

Président d'Ibuka annonça en ces termes : " D'avril à juillet 1994,

un génocide fut perpétré au Rwanda. Plusieurs personnes, des Batutsi

en particulier et tous ceux qui pouvaient s'identifier à eux soit par

alliance, amitié ou même par leur physionomie dans les milieux non

familiers y ont trouvé la mort la plus atroce [Š]. " Il ne

s'agissait pas d'identification. Certes, des Hutus ont été tués à

cause de leur physique qui les désignait comme Tutsis à leurs

assassins. Mais ceux qui perdirent la vie parce que, amis ou alliés

de Tutsis, ils cherchaient à les protéger pour des raisons morales ou

politiques, agissaient en êtres humains, et non pas en simili-Tutsis

s'opposant à des Hutus.

La politique ethniste du nouveau régime ne consiste donc pas

uniquement en pratiques de confiscation des positions les plus

avantageuses en faveur d'une minorité d'origine tutsie. Elle ne se

concrétise pas non plus par les seules exactions de toute nature

commises contre des Hutus. Elle va jusqu'à leur confisquer le droit à

l'expression publique du deuil et de la douleur, jusqu'à interdire

l'affirmation que des Hutus ont refusé la politique du pire. Ainsi,

alors que des cérémonies collectives d'inhumation des victimes

tutsies ont lieu depuis des années, ce travail de deuil demeure

interdit, dénié aux Hutus. Une telle violence symbolique est lourde

de conséquences.

L'éthique de la performance

Fort de ce pouvoir d'intimidation que lui confère le statut de

représentant des victimes d'un génocide, le régime de Kigali réduit

au silence ses différents interlocuteurs en disqualifiant par avance

toute critique. Diplomates et journalistes, agences internationales

et ONG, individus et institutions de bonne volonté se laissent

happer, dans leur majorité, par cette logique d'otages et contribuent

ainsi au renforcement du discours officiel rwandais. Mais la posture

spécifique des humanitaires est intéressante précisément en ce qu'ils

sont les derniers que l'on s'attendrait à voir en compagnons de route

de criminels. Tenter de déceler comment une démarche fondée sur le

refus de l'indifférence devant l'horreur se met au service d'une

tyrannie, c'est examiner les justifications et lieux communs moraux

de tous les acteurs qui s'y laissent enfermer.

Pas plus que le reste de la " Communauté internationale ", les ONG

humanitaires n'avaient perçu la montée de la violence et la dérive

génocidaire du régime Habyarimana. Les rapports d'enquête de la FIDH

mis en circulation avant le génocide n'avaient, par exemple, trouvé

que peu d'écho en leur sein. Nombre d'entre elles sont pourtant

convaincues de détenir, du seul fait de leur action, une connaissance

immédiate et concrète des " réalités de terrain ". Cette illusion

devrait avoir vécu, si l'on rapproche les discours et la réalité du

mouvement humanitaire frappé de cécité collective face à la situation

du Rwanda avant 1994. Il serait vain, cependant, de chercher

l'explication de cet aveuglement dans d'inavouables complicités avec

le gouvernement de l'époque. Loin de toute alliance cachée, le souci

obsédant d'accomplir jusqu'à leur terme les programmes en cours en

est le véritable moteur. La liste est longue de ces situations sur

lesquelles les ONG ont étendu un voile leur permettant d'ignorer

toute perturbation susceptible de mettre en cause leur action. Dans

cette perspective, les qualités de technicité et de ténacité que l'on

attend des humanitaires tiennent presque naturellement lieu d'éthique

et dispensent les acteurs de l'aide de se projeter au-delà du

périmètre de leurs opérations pour en examiner le sens réel et les

conséquences. Une sorte de syndrome du " Pont de la rivière Kwaï ".

C'est d'ailleurs cette éthique de la performance qui a régné, à

quelques notables exceptions près, dans les camps de réfugiés du

Kivu, au Zaïre, après l'exode massif de juillet 1994. Cachés au sein

de cette multitude, les cadres du régime rwandais déchu ont

rapidement reconstitué l'appareil administratif et policier de

contrôle de la population et une partie de leurs forces militaires,

avec la complicité intéressée des soldats de Mobutu. Chantage,

violences physiques, assassinats étaient monnaie courante dans ces

camps encadrés par des criminels, développés et entretenus notamment

avec les ressources fournies par les organisations internationales.

Conscientes de la perversité de cette situation, des ONG ont bien

cherché à réagir, en appelant le Conseil de sécurité des Nations

unies à envoyer une force de police pour séparer réfugiés et

criminels. Boutros Boutros-Ghali, alors Secrétaire général de l'ONU,

soutint et relaya cette demande auprès du Conseil de Sécurité, qui

l'approuva formellement mais ne donna aucune suite. La routine

humanitaire reprit alors le dessus : le Haut-commissariat des Nations

unies pour les réfugiés couvrit l'affaire de son autorité morale et

légale en accordant à tous les exilés le statut de réfugié et les ONG

se remirent au travail après cette fugitive révolte. Seuls

comptaient désormais le fonctionnement des centres de nutrition et

des dispensaires, l'approvisionnement en vivres des entrepôts, et

autres attributs canoniques de la " crise humanitaire ". Le HCR et

les ONG contribuèrent donc activement à l'amalgame réfugiés-tueurs en

apportant leur caution à la stratégie victimaire du Hutu Power chassé

du Rwanda, autrement dit en entretenant la fiction de ce tandem

victime-secouriste tant prisé des journaux télévisés. Il n'y avait

pas loin du " tous victimes " au " tous coupables ", dès lors que

cette population était rassemblée sous une enseigne unique. C'est le

pas qui fut franchi lors de l'attaque des camps par l'armée du FPR en

novembre 1996. Les nombreuses opérations militaires qui en étaient

parties en direction du Rwanda et la présence incontestable de

milliers de criminels suffirent à faire passer cette punition

collective pour un acte de légitime défense somme toute acceptable.

On a dit plus haut les massacres qui suivirent.

La Mémoire brûlante

Les humanitaires, privés et publics, qui s'étaient conformés si

facilement aux attentes des extrémistes du Hutu Power sont allés de

la même façon, du fait de leur refus persistant d'examiner leur

position, au-devant de la volonté du pouvoir de Kigali. Les

déterminants moraux de l'action demeuraient identiques, seul

changeait le discours. À l'impérieux devoir de secours, quelles qu'en

soient les contradictions, s'est ajouté en effet le culte de la

Mémoire, quels qu'en soient les usages. Nombre d'ONG, reproduisant

une posture très en vogue en Europe, ont repris mécaniquement à leur

compte ce " Devoir de mémoire ", comme pour combler un déficit moral

et en faire opportunément leur supplément d'âme. Relevons au passage

le développement conjoint de l'humanitaire et de la Mémoire au cours

des vingt dernières années du siècle, comme deux facettes d'un "

protocole compassionnel ", remarquable ersatz de morale politique.

Les souffrances du passé, inlassablement reprises dans un morbide

ressassement collectif, font écran aux phénomènes politiques à la

source des violences d'aujourd'hui. Seules demeurent les victimes,

propulsées à l'avant-scène au hasard des calendriers politiques ou

des engouements médiatiques pour être tout aussi brutalement

reléguées peu après, derrière une autre actualité.

Célébrations, commémorations, actes de mémoire assidûment suivis,

voire portés par les ONG actives au Rwanda, tiennent lieu de quitus

moral à celles-ci, et du même coup à ceux qui prétendent parler au

nom des victimes d'hier. Autrement dit au FPR. Cette Mémoire

brûlante, que le pouvoir s'approprie au détriment des rescapés du

massacre, est devenue un rituel de communion associant gouvernement,

organisations humanitaires et diplomates dans une liturgie

progressivement vidée de sens. Mais à défaut d'avoir du sens, cette

liturgie a une fonction qui n'est pas mince : faire rejaillir

l'innocence des victimes du génocide sur le gouvernement rwandais et

permettre ainsi à une tyrannie de se draper dans un manteau de vertu.

Les crimes du pouvoir de Kigali ne sont certes pas excusés si

facilement par les différents officiants de ces grand-messes, mais

ils sont ainsi dilués dans l'océan des crimes passés et perdent, du

coup, toute visibilité ou sont rejetés dans le grand fourre-tout de

la légitime défense. La morale, dont les ONG aiment tant à se

réclamer, cette nouvelle citoyenneté dont elles se veulent les

tenants privilégiés, se réduit peu à peu à un répertoire de slogans

sur la justice et la réconciliation.

Rapports et enquêtes sur les responsabilités du FPR

La politique de terreur menée au Rwanda par le FPR a été dénoncée dès

1994. Pourtant, il y eut, à de rares exceptions près, une sorte

d'accord, entre cynisme et utopie, selon les acteurs, pour ne pas

accabler ceux qui avaient mis fin au génocide et devaient faire face

à une situation dramatique .

Des rapports émanant de la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU,

ainsi que d'ONG internationales, telles Human Rights Watch (HRW), la

Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH),

Amnesty International ont fait état, en 1994, d'exactions et de

massacres dont était responsable l'Armée patriotique rwandaise (APR),

branche militaire du Front Patriotique rwandais (FPR), devenue la

nouvelle armée nationale. Amnesty International relate des tueries de

populations civiles désarmées perpétrées par l'APR d'avril à août

1994 . Human Rights Watch/Africa publia, également en 1994, le 15

septembre, un rapport sur divers massacres commis par le FPR durant

la même période . Le rapporteur spécial de la Commission des Droits

de l'Homme (Nations Unies), René Dégni Ségui, dans un document du 11

novembre 1994, dénonce les graves atteintes aux droits de l'homme

pratiquées en toute impunité par des membres de l'APR, de l'appareil

administratif et judiciaire : arrestations arbitraires sous couvert

d'accusations de génocide, constitution de syndicats de délateurs,

exécutions sommaires d'individus et de familles entières, enlèvements

et disparitions .

Publié en 1999 par HRW et la FIDH, un très important rapport sur le

génocide traite à nouveau des tueries et des exactions dues au FPR

entre avril et juillet 1994 . Outre les enquêtes menées par ces

organisations, ce rapport rappelle les investigations d'un envoyé du

HCR, Robert Gersony, qui, en 1994, faisait état d'atrocités

systématiques commises contre la population hutue par le FPR. Ces

données ne furent pas rendues publiques par le secrétaire général de

l'ONU.

L'année 1995 fut marquée par le massacre du camp de Kibeho : dans ce

camp de déplacés rwandais, du 20 au 24 avril, l'armée tua des

milliers de civils non armés . Le rapporteur spécial de la Commission

des Droits de l'Homme, René Dégni Ségui, le 29 janvier 1996, fit à

nouveau état des exactions, des exécutions sommaires et des

disparitions touchant tous les secteurs de la société .

Les années 1996-1997 virent le démantèlement armé des camps de

réfugiés rwandais hutus au Congo/Zaïre, qui fut suivi du massacre

systématique de ceux qui fuyaient l'avancée des forces rwandaises à

l'intérieur du Congo. Le secrétaire général des Nations Unies, dans

sa lettre du 29 juin 1998 au président du Conseil de sécurité, a

souligné que les massacres commis par l'Armée patriotique rwandaise

en 1996-1997, constituaient des crimes contre l'humanité .

La situation intérieure du Rwanda continua à faire l'objet de

dénonciations. De la part d'Amnesty international qui publia, outre

ses rapports annuels, plusieurs rapports spécifiques sur les vagues

de terreur, les arrestations arbitraires, les pratiques judiciaires

gagnées par la corruption . En 1998, un rapport de la FIDH, reproduit

par la Commission des droits de l'homme de l'ONU, dénonça les

meurtres et les disparitions, observa que la situation très précaire

des rescapés tutsis était largement ignorée alors que la course à

l'argent et la corruption devenaient " frénétiques " .

Human Rights Watch et Amnesty international ont chacune publié, en

avril 2000, deux longs rapports qui relatent les très graves

violations des droits de l'homme, imputables au gouvernement et à

l'armée, dans tous les domaines .

Dans un document du 31 mai 2000, Amnesty International dénonce

massacres massifs de civils et viols dont sont responsables, à l'est

du Congo, au Kivu, les troupes rwandaises, burundaises et ougandaises

.

. N'est citée qu'une partie des rapports et des enquêtes publiés

par les organisations humanitaires. De nombreux autres documents ont

été et sont accessibles au public qui informent sur les exactions et

massacres commis par le FPR. Le thème " on ne pouvait pas savoir Š "

n'est, en l'occurrence, pas recevable.

. Rwanda. L'armée patriotique rwandaise responsable d'homicides et

d'enlèvements (avril-août 1994), Index AI : AFR 47/16/94.

. Human Rights Watch : The Aftermath of Genocide in Rwanda :

Absence of Prosecution, Continued Killings. Septembre 1994.

. Nations Unies, Conseil économique et social -E/CN.4/1995/70, 11

novembre 199 (E/CN, 4/1995/7-28 juin 1994). Les éléments de ce

rapport, incriminant l'armée et le gouvernement, seront à nouveau

repris et développés à la suite d'une nouvelle enquête du Rapporteur

au Rwanda : E/CN.4/1996/7-28 juin 1995. Rappelons que René Dégni

Segui, chargé par la Commission des droits de l'homme de l'ONU, avait

été l'auteur du rapport qui, en juin 1994, établissait la

qualification de génocide en ce qui concernait les massacres

perpétrés contre les Tutsis.

. Human Rights Watch, Fédération internationale des ligues des

droits de l'homme, Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au

Rwanda, Paris, Karthala, 1999.

. HRW/FIDH, rapport du 25 avril 1995 ; Médecins sans frontières,

rapport sur les événements de Kibeho.

. Nations Unies, Conseil économique et social - E/CN.4/1996/68- 29

janvier 1996.

. Nations Unies, Conseil de Sécurité, S/1998/581, 29 juin 1998.

. Ces rapports sont trop nombreux pour être tous cités ici.

Retenons celui du 25 septembre 1997 qui évaluait à 6000 le nombre des

civils tués entre janvier et septembre 1997 (AFR 47/08/98), celui du

23 juin 1998, qui signalait la recrudescence des " disparitions "

(AFR 47/26/98).

. Nations Unies, Conseil économique et social

-E/CN.4/1998/NGO/79-20 janvier 1998.

. Human Rights Watch, "Security" Used to Cover Abuses Against Tutsi

and Hutu. Killings, Torture by Rwandan Soldiers, 27 avril 2000,

vol12, 1(A) ; Amnesty international, Rwanda. The troubled course of

justice, 26 avril 2000, AFR 47/10/00.

. Amnesty International, Congo (DRC). Massive violations kill human

decency, AFR 62/011/2000.