LEMARCHAND René, BURUNDI. Ethnic conflict and Genocide,

Woodrow Wilson Center Press, and Cambridge University

Press, 1994.

RÉSUMÉ DU CHAPITRE V: THE 1972 WATERSHED.

L'année 1972 constitue une véritable "watershed" pour le Burundi, une crdte de partage entre un passé où le conflit ethnique entre Hutus et Tutsis était relativement modéré, et un avenir où les relations interethniques seront profondément empoisonnées par l'initiative du lobby Tutsi-Hima de Bururi d'utiliser toutes les ressources de I'État Burundais pour opérer un massacre des Hutus d'une telle planification et d'une telle ampleur qu'il est qualifié de premier qénocide de la région des Grands Lacs Africains.

1. Le lobby de BURURI.

Le lobby de Bururi a été initié par le Hima de Gitega Jean Ntiruhwama, qui a utilisé ses pouvoirs comme Ministre de l'Intérieur et du Parti durant les années 19é7 et 19é8 pour s'assurer que les Himas comme lui jouissaient d'une discrimination nettement préférentielle au niveau de 1'embauche des cadres du Parti , de I'Armée et de I'Administration, au détriment des Tutsis Banyaruguru et des Hutus.

Ce lobby était composé, outre de Michel Micombero, président de la République, - de Arthémon Simbananiye, Ministre délégué à la présidence;

- d'Albert Shibura, Ministre des Travaux Publics;

- de François Gisamare, Ministre de I'éducation;

- de Gilles Bimazubute, Ministre de l'Intérieur et du Parti Unique Uprona.

La clique dirigée par Arthémon Simbananiye essayait d'accroître ses pouvoirs en exploitant la compétition intra- ethnique Himas-Banyaruguru et le conflit ethnique Hutu-Tutsi. Le lobby de Bururi a toujours essayé de sortir vainqueur de la compétition intra-ethnique Tutsi en se montrant le plus radical possible dans le conflit ethnique Hutu-Tutsi. Quitte à aller jusqu'au génocide des Hutus.

2. La préparation du qénocide contre les Hutus.

Le génocide contre les Hutus du Burundi en 1972 a été minutieusement planifié par le lobby de Bururi.

- Cette clique se faisait du capital politique en agitant la menace du péril hutu aux portes de la république en alliance avec les Banyaruguru pour la restauration de la monarchie - Selon le Rapport Politique du Ministre de l'Information Martin Ndayahoze adressé au Président Michel Micombero en avril 1968, le lobby de Bururi avait un plan, le Plan Simbananive, qui prévoyait de créer une atmosphère de suspicion interethnique et d'inventer des complots tactiques contre les leaders Hutus afin de s'en débarrasser.

- Selon ce même Rapport, les radicaux Tutsis ont inventé et utilisé la thèse de la lutte pour la survie en face du péril hutu comme un prétexte pour perpétuer leur domination sur les Hutus.

Un autre é1ément très important pour la préparation du génocide de 1972 a été la tutsisation de l'armée burundaise, qui a été réalisée à travers trois étapes principales:

1 Elimination des troupes hutues par leurs officiers tutsis depuis 1965. Alors qu'ils étaient au nombre de mille sur mille deux cent recrues avant 1965, les Hutus sont massacrés par leurs propres officiers tutsis au point de ne constituer qu'un nombre insignifiant vers 1969. Les quelques officiers Hutus importants sont accusés de complot, condamnés à mort et physiquement éliminés en 1969.

2.Elimination des Hutus par de nouvelles procedures de recrutement, incluant une taille élevée et donc plus favorable aux Tutsis.

3.Congédiement des assistants techniques belges, jugés favorables aux Hutus. Dès 1969, officiers et hommes de troupe sont d'origine tutsi, massivement hima. - Attaque en 1971 contre les Tutsi Banyaruguru, accusés de complot, de monarchisme et de collaboration avec les Hutus. Les Banyaruguru sont accusés de complot anti-républicain, et ceux de rang social élevé sont condamnés à mort ou à perpétuité. Seules les pressions nationales et intemationales arrêtent 1'exécution des sentences de mort. Le lobby de Bururi est au sommet de sa puissance revancharde. Il a affaibli son ennemi hutu et son adversaire tutsi monarchiste. Il ne reste plus que la mise à mort de 1'ennemi hutu.

3. L'exécution du qénocide contre les Hutus en 1972.

- Le détonateur fut une petite rébellion hutue dans la région du sud en avril 1972, rebellion d'ailleurs vite maitrisée. Le président Micombero démet son gouvernement pour donner les mains libres à son armée et au lobby de Bururi.

- Pendant que les troupes de Mobutu du Zaire gardent l’aéroport de Bujumbura, les soldats tutsis sillonnent toutes les collines du pays en semant la mort parmi la population hutu

- Les réactions d'extrême paranoia de Micombero et de son armée montrent que la répression n'est pas pour contenir la rébellion, mais pour é1iminer physiquement tout Hutu quelque peu instruit ou un peu riche ou de quelque influence locale. - Dans les écoles secondaires, supérieures et l'Université, les soldats himas arrivaient avec des listes préconstituées d'étudiants hutus à tuer. Ils étaient appelés l'un après l'autre, entassés dans des camions et tués, soit tout de suite, soit en route, soit en prison.Les enseignants hutus étaient particuliérement visés. Dans les entreprises, les bureaux et les usines, c'était le même scénario. Les Hutus qui se disaient innocents et ne voulaient pas fuir à temps furent tous é1iminés.

- Même les églises ne furent pas épargnées. Les pasteurs, les prêtres, les religieux et les religieuses d'ethnie hutue furent recherchés et tués par dizaines. - Dans la province de Bururi, l'armée a attaqué et essayé de tuer tous les Hutus: paysans, cadres et étudiants.

- Dans les autres provinces, c'est surtout les cadres hutus qui furent visés et tués (p.98). De mai à août 1972, tout Hutu un peu instruit était ou mort ou en exil. - Durant le massacre, les soldats tutsis et les milices JRR(Jeunesse Révolutionnaire Rwagasore) manipulées par le lobby de Bururi agissaient de concert et mobilisaient les institutions, les services et le matériel des travaux publics pour tuer et enterrer dans des fosses communes le plus de Hutus possible.

Les estimations les plus modérées de ce génocide chiffrent les morts Hutus à plus de 300.000 en trois mois. Au-delà de l'ampleur des massacres, c'est l'é1ément d'annihilation planifiée qui donne à ce carnage son qualificatif de génocide sans équivoque.

4. Pourquoi ce qénocide commis par les Tutsi-Himas contre les Hutus?

Pour le Prof. René Lemarchand, le génocide a été perpétré dans I'histoire par des États ou des Empires pour:

  1. é1iminer une menace réelle ou imaginaire;
  2. terroriser un ennemi réel ou imaginaire;

3. acquérir des ressources économiques inaccessibles autrement.

Selon I'hypothése du Professeur R.L., après la révolution hutu-rwandaise de 1959, c'est surtout la peur d'un massacre généralisé des Tutsis qui a conduit les Tutsi-Himas à perpétrer un génocide contre les Hutus au Burundi voisin. Ce génocide a aussi été commis pour des motifs de calcul politique (monopoliser les institutions nationales en faveur des Tutsis-Himas) et de calcul économique: pillage de vaches, de propriétés, de voitures, de vélos, de maisons, de mobilier, de comptes en banque...

5. Les conséquences de ce qénocide:

- Pour la vie sociale du pays: grave cassure entre les ethnies tutsie-hutue, haine ethnique et réglements de comptes.

-Pour les Tutsis: hégémonisme triomphant dans toutes les institutions du pays.

-Pour les Hutus:

. exclusion de l'armée, de l'administration, des services publics, des écoles secondaires et de l'Université; oppression , subordination et humiliation vécues chaque jour par les Hutus burundais; vive conscience des Hutus qui se sentent victimes expiatoires de l'hégémonie tutsie; des centaines de milliers de Hutus se réfugient à 1'étranger; naissance progressive d'un grand mouvement d’opposition hutue. L'impunité du lobby de Bururi, surtout dans la personne de son chef Arthémon Simbananiye qui a pensé et exécuté le génocide contre les Hutus reste à ce jour un sujet d'amertume et de discorde.

Face A I'hégémonie tutsie, seule restait une rébellion armée comme unique alternative de quelque consistence.

Pour le Prof. R.Lemarchand, la rebellion hutue de Ntega-Marangara en 1988(16 ans après le génocide!), suivie d'une répression sauvage par les soldats tutsis du Major Buyoya montre que le pouvoir ethnocratique et minoritaire est incapable de venir à bout de son interminable crise de légitimation. Car l'insurrection répétée de la majorité de la population reste une menace permanente pour ce genre de pouvoir enraciné dans 1'exclusion et le génocide.