Faustin NTEZILYAYO:Justice et Droits Humains au Rwanda: L'enlisement du système judiciare et la dérive des droits humains

Le Rwanda a connu des événements dramatiques avec de rares précédents dans l'histoire despeuples. En effet, le terrible génocide et les sanglants massacres de 1994 ont été le point culminant d'une période de violations des droits humains par les anciens régimes, les violences envers les populations civiles s'étant accrues avec les attaques déclenchées par l'armée du Front Patriotique Rwandais (FPR) dès octobre 1990. La prise du pouvoir par ce même FPR, en juillet 1994, n'a pas donné de répit au peuple rwandais qui a continué de plier sous le poids d'une violence toujours grandissante.

De nombreux observateurs de la société rwandaise sont maintenant d'avis que pour avoir unecoexistence pacifique entre toutes les composantes de la population rwandaise, il doit y avoir une justice pleine et intégrale pour tous, non seulement pour les crimes de génocide et autres crimes contre l'humanité commis, mais aussi pour les crimes politiques et autres violations des droits humains perpétrés dans le pays. Les coupables doivent recevoir des sanctions qui sont à la hauteur des infractions commises, mais les innocents ne doivent pas être l'objet de répression et de voies de fait dictées par l'esprit de vengeance, les règlements de compte ou l'utilisation de la justice pour éliminer des personnes identifiées comme des opposants politiques. Il en va de la crédibilité du système judiciaire du Rwanda et d'un minimum de respect des droits fondamentaux de l'être humain.

1. Une justice en quête de crédibilité

La question de la crédibilité du système judiciaire au Rwanda dans les poursuites des crimescontre l'humanité commis dans le pays s'est posée dès le début des procès en décembre 1996. Elle se pose encore aujourd'hui avec beaucoup plus d'acuité maintenant que le régime de Kigali a commencé des poursuites judiciaires contre certaines personnalités considérées comme des opposants politiques ou d'autres membres éminents de la société civile qui osent dénoncer les exactions et les représailles dont la population civile est victime. Cette question soulève des points essentiels touchant l'application des normes et procédures en matière de poursuites pénales, notamment celles relatives aux arrestations et aux détentions provisoires, à la compétence des magistrats appelés à siéger dans ces procès, à leur objectivité, indépendance et impartialité dans la conduite des procès. Ceci diminue évidemment les chances d'avoir une justice prévisible et transparente.

1.1. Détentions provisoires prolongées et violation systématique de la présomption d'innocence

Une question plus préoccupante touchant directement la justice et les droits humains est celle des arrestations et des détentions arbitraires prolongées sans aucun respect pour les normes et les procédures guidant la détention provisoire.

En effet, avec l'arrivée au pouvoir du régime en place à Kigali, en juillet 1994, plusieurs personnes ont été arrêtées, sur simple dénonciation, pardes autorités militaires et administratives ne possédant aucune qualité légale en matière d'arrestation et de détention provisoire et accusées de participation au génocide et autres crimes commis en 1994. Aucune instance judiciaire n'existait alors. Dans cette confusion générale, la délation a pris le dessus et plusieurs personnes ont été jetées en prison par des gens voulant les évincer des postes qu'elles occupaient dans l'administration publique ou dans la société civile, voulant s'arroger leurs propriétés ou étant poussées par la vengeance ou les règlements de compte. Le pouvoir militaro-politique en a profité aussi pour incarcérer des personnes qu'il considérait comme des opposants politiques.

Les premières tentatives du gouvernement visant à faire voter par l'Assemblée Nationale deTransition(1) une loi portant modification des dispositions régissant la détention provisoire ont été rejetées par la Cour Suprême en juillet 1995. La Cour Suprême estimait que le project de loi violait le principe de la présomption d'innocence selon lequel "toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui ont été assurées".(Article 11,1 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.)

Le pouvoir militaro-politique, ayant été irrité par cette décision, a fait pression sur la Cour Suprême et la même loi a été de nouveau soumise à la Cour Suprême; mais cette fois-ci, le pouvoir politique s'était au préalable assuré la nomination de magistrats favorables à sa position politique. Sans surprise, la loi a été déclarée conforme à la Constitution, le 8 septembre 1996.

La conséquence de ces lois injustes a été le maintien en détention des personnes qui, pour la plupart, viennent de passer plus de cinq ans en prison sans qu'aucune charge ne soit portée contre elles. D'aucuns plaident le manque de moyens humains et matériels pour justifier cette situation. Mais c'est oublier le laxisme et le manque d'empressement des magistrats du Parquet et des juridictions pour régulariser cette situation, confirmant là encore la position des milieux influents du régime de laisser croupir ces personnes en prison, même si l'on sait pertinemment que de nombreuses personnes innocentes sont maintenues indûment en détention.

De fait, les différentes tentatives de faire la lumière sur ces dossiers ont échoué tant les autoritésmilitaires et administratives qui ont procédé à ces arrestations et détentions, actionnant la branche extrémiste du mouvement des rescapés, ont bloqué toutes les mesures visant à libérer les personnes contre qui il ne pesait aucune charge. Pire encore, cet état de non-droit à l'égard d'une population carcérale aujourd'hui estimée à plus de 130.000 individus a souvent pris une tournure tragique. Ainsi, certaines personnes libérées suite au non-lieu décidé par les magistrats du Parquet ont été par la suite victimes de meurtres et d'assassinats, emportant souvent aussi un grand nombre des membres de leur famille. Par ailleurs, pour les rares dossiers transmis aux tribunaux, leur issue reste incertaine tant les possibilités d'avoir un procès équitable sont très limitées voire inexistantes pour certaines catégories de détenus.

1.2. Procès non équitables

Les observateurs les plus avisés se sont posés la question de savoir si le Rwanda allait raisonnablement être à la hauteur de la tâche de traduire en justice les nombreuses personnes impliquées dans les crimes contre l'humanité commis dans le pays depuis 1990. Ces crimes avaient atteint une ampleur sans précédent suite à l'utilisation de l'appareil étatique du régime alors en place et à la guerre déclenchée par l'armée du FPR, actuellement au pouvoir à Kigali.

La question était on ne peut plus inextricable tant le système judiciaire, longtemps négligé par les régimes antérieurs, avait perdu presque la totalité de ses ressources humaines et matérielles. La crédibilité du système judiciaire en place et les garanties qu'il devait offrir afin d'arriver à une justice prévisible et impartiale, capable de servir de base à une véritable paix sociale en favorisant une coexistence pacifique entre les différentes composantes de la population du Rwanda posaient une question épineuse.

Beaucoup de préoccupations et inquiétudes étaient exprimées soulignant l'incompétence caractérisée des magistrats fraîchement nommés après une brève formation de 4 à 6 mois et ainsi que sur la qualité de la justice à rendre dans un environnement défavorable. La qualité de la justice était aussi minée par une société dont le tissu social était complètement déchiqueté et où prévalaient la suscipicion, l'esprit de vengeance, les règlements de compte, la globalisation et la volonté d'établir des responsabilités criminelles en se basant sur l'ethnie. De plus, il ne faut pas oublier le tâtonnement sur la politique de la justice à suivre et le pouvoir politique privilégiant des procès politiques au point de les couper de la vérité des faits.

De nombreux intervenants, qui avaient salué avec empressement la décision politique dugouvernement de Kigali de débuter les procès en décembre 1996, se sont vite rendus compte des limites de l'appareil judiciaire pour rendre une justice pleine et intégrale. Des lacunes graves sont apparues dans le respect des procédures légales en matière de saisine du tribunal par le

ministère public, l'accès aux dossiers par les détenus pour préparer leur défense, l'assistance par un avocat, la comparution des témoins et l'examen contradictoire des moyens de preuve fournis, la motivation des jugements rendus et l'exercice des voies de recours contre la décision du premier juge. Une illustration en est donnée par la pratique des magistrats du Parquet de mener des enquêtes seulement à charge du prévenu, sans possibilité de confrontation entre le prévenu et le témoin. Il en est de même des représailles à l'égard des avocats de la défense qui ont abandonné l'assistance des personnes accusées suite à l'enlèvement et à la disparition d'un de leurs collègues. Les témoins de la défense s'abstiennent de témoigner pour éviter les mêmes voies de fait que celles subies par certains d'entre eux qui avaient osé braver les menaces lancées contre eux.

Par ailleurs, l'ingérence et l'interférence des autorités politiques se sont traduites par desinjonctions faites aux magistrats d'entamer des poursuites motivées par de mobiles politiques ou de prononcer des sanctions sans rapport avec les faits incriminés. Bien plus, l'utilisation de certains membres de l'armée et des groupes para- militaires pour faire échec à l'action judiciaire a fini par hypothéquer l'espoir d'une justice transparente, efficace, impartiale et prévisible. Dans ce climat d'incertitude judiciaire et d'insécurité juridique, l'espoir d'avoir des procès équitables et justes s'éloignent. Récemment, le régime de Kigali semble avoir indiqué son intention de recourir aux tribunaux populaires "Gacaca" pour juger les auteurs des crimes de génocide et des autres crimes contre l'humanité. "Gacaca", littéralement "Gazon", est un mode traditionnel de règlement des différends mineurs fondé sur l'esprit de famille et prônant plus la réconciliation que les sanctions. Ce n'est pas l'utilisation de ces tribunaux populaires qui va améliorer la situation, car on risque ainsi de légaliser la vengeance et la délation.

Cette situation augure plutôt d'autres violations graves des droits fondamentaux de la personne. Et la création récente d'une commission des droits humains au Rwanda risque de n'y changer grand chose non plus tant cet organe de "bonne gouvernance" semble se profiler comme un prolongement du pouvoir exécutif.

2. Une Commission des droits humains taillée sur mesure

Le Rwanda affiche un triste bilan en matière des droits de la personne. Les violations des droits fondamentaux de l'être humain y sont devenues endémiques. Déjà en 1993, une Commission internationale d'enquête sur les violations des droits humains au Rwanda(2) donnait la sonnette d'alarme pour dénoncer la machine répressive du régime Habyarimana qui était au pouvoir pendant plus de 20 ans. De l'autre côté, la population civile, surtout dans le nord-est du pays, était victime de nombreuses exactions commises par la rébellion du FPR qui avait lancé une guerre de conquête du pouvoir depuis le 1 octobre 1990. Les violences à l'égard des personnes se sont déchaînées pour atteindre un niveau sans précédent. Les horreurs du génocide et des autres crimes contre l'humanité perpétrés dès le 7 avril 1994, ont entraîné la mort de centaines de milliers de personnes et jeté autant d'autres sur le chemin de l'exil, en provoquant par la même occasion des déplacements de populations à l'intérieur du pays.

Le nouveau gouvernement du Rwanda, beaucoup trop préoccupé par la consolidation de son pouvoir et de son hégémonie sur le pays, ainsi que l'anéantissement des dernières poches de résistance de l'armée du gouvernement précédent, a commis également de nombreuses violations des droits humains comme le montrent différents rapports publiés à ce sujet.(3) Les violations des droits humains ne se sont pas limitées aux frontières du Rwanda puisque l'armée rwandaise les a exportées à l'ex-Zaïre où, à côté de l'Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo-Zaïre de Laurent Kabila, elle a commis des massacres contre des réfugiés rwandais pendant les neuf mois de guerre qui ont porté le président Kabila au pouvoir.(4)

Et lorsque les alliés d'hier sont devenus les ennemis et que l'armée rwandaise a lancé une nouvelle guerre au Congo pour chasser du pouvoir son ancien allié le président Kabila, ceci a créé un climat de violence et d'insécurité à l'égard d'une population civile sans défense et dont la communauté internationale rechigne à apporter assistance.

C'est dire le besoin un peu plus pressant d'élever plus encore la voix en faveur du respect des droits fondamentaux de la personne dans la Région des Grands Lacs d'Afrique.

La Commission Nationale des Droits de l'Homme au Rwanda, mise en place en mai 1999, saura-t-elle répondre aux attentes légitimes d'un peuple désireux d'avoir un minimum de paix sociale pour s'atteler à son combat quotidien d'assurer sa survie et essayer de ne pas s'enfoncer de plus bel dans une pauvreté devenue endémique? On peut nourrir difficilement l'espoir tant le gouvernement de Kigali semble s'être assuré la création d'une Commission taillée sur mesure et dont l'indépendance et l'efficacité risquent d'être minées par des dispositions légales et réglementaires qui assurent la mainmise de l'exécutif sur son fonctionnement.

Pourtant, la Commission a une noble mission. En effet, de façon générale, elle a pour mission d'examiner et de poursuivre les violations des droits de l'homme commises par qui que ce soit sur le territoire du Rwanda, particulièrement par des organes de l'Etat et par des individus sous le couvert de l'Etat ainsi que par toute organisation oeuvrant au Rwanda.

De façon particulière, la Commission est chargée de sensibiliser et former la population du Rwanda en matière des droits de l'homme et déclencher éventuellement des actions judiciaires en cas de violations des droits de l'homme par qui que ce soit. Des inquiétudes concernant l'indépendance de la Commission et sa capacité à mener à bonne fin sa mission en toute objectivité proviennent surtout des dispositions sur la nomination et la révocation des commissaires. En effet, les commissaires, au nombre de 7, sont choisis par l'Assemblée Nationale de Transition pour une durée de trois ans renouvelable, sur une liste de dix candidats présentés par le gouvernement. Les actes de nomination sont faits par décret présidentiel. De même, la Commission est dirigée par un président choisi, parmi les membres de la Commission, par le gouvernement et confirmé par l'Assemblée Nationale de Transition.

Par ailleurs, la cessation des fonctions d'un ou de plusieurs membres de la Commission intervient à l'initiative du Président de la République, soit du gouvernement, soit de la moitié des députés à l'Assemblée Nationale de Transition. Ici, le rôle du pouvoir exécutif est exorbitant. Le problème posé par des dispositions similaires dans la nomination des hauts magistrats à la Cour Suprême est assez parlant. En effet, la Cour Suprême fut longtemps paralysée par le gouvernement qui voulait placer des magistrats lui acquis notamment dans des sections à compétences politiquement sensibles. Par exemple, la section de la Cour constitutionnelle, chargée de se prononcer sur la constitutionnalité des lois avant leur promulgation, ou celle de la Cour de cassation, qui est la plus haute juridiction ordinaire du pays. De plus, certains hauts magistrats de la Haute Cour, pourtant dotée d'une grande expérience professionnelle, ont été unilatéralement limogés par le gouvernement sans même en obtenir confirmation par l'organe législatif comme le requérait le respect d'un minimum de parallélisme des normes. Il est à craindre alors que les membres de la Commission puissent connaître les mêmes infortunes surtout s'ils dénoncent les violations des droits humains commises par certains organes de l'appareil militaro-politique.

L'indépendance et l'objectivité de la Commission dépendront aussi de l'intégrité, l'expertise et la compétence avérées de ses membres en matière des droits humains. La tâche de la Commission risque toutefois d'être très ardue si du moins elle entend contribuer à la promotion des droits humains et non être un simple prolongement du pouvoir politique qui la surveillera de plus près et ne lui accordera que peu de marge de manoeuvre. Il ne fait l'ombre d'aucun doute que la volonté de l'appareil politique est de la voir prolonger son discours politique pour faire croire aux observateurs extérieurs qu'un organe de "bonne gouvernance" est opérationnelle dans le pays alors que le calvaire de la population civile continue.

3. Un environnement hostile au développement de la société civile

Par ailleurs, la Commission devra fonctionner dans un environnement hostile au développement de la société civile tant la volonté des pouvoirs politiques, d'empêcher la formation d'une société civile responsable et capable de mobiliser la population pour se prendre en charge, est manifeste.

L'exemple le plus remarquable sont les attaques et le harcèlement de l'Eglise catholique, pourtantpilier incontestable de la société civile à travers ses nombreuses activités dans le domaine de l'éducation, de la santé et des projets de développement du monde rural. En outre, de nombreuses associations ne peuvent plus fonctionner suite aux tracasseries administratives au niveau de l'agrément de leurs représentants légaux. D'autres n'ont pas pu voir le jour suite au refus d'enregistrement par les autorités administratives.

S'agissant plus particulièrement des organisations de défense des droits de la personne, elles sont complètement muselées et beaucoup d'entre elles se sont converties en organes de relais de l'appareil politique. Elles n'osent pas lever le moindre petit doigt devant les exactions commises par l'Armée sur des populations civiles notamment dans le nord-ouest du pays, les disparitions quasi-quotidiennes de personnes et leur incarcération dans des endroits inconnus et non accessibles mêmes aux membres de leur famille, les représailles commises par des groupes para-militaires, les fameux "Local Defense Forces", qui n'ont pourtant aucun statut légal ni réglementaire connu.

Comme on le voit donc, le chemin à parcourir au Rwanda pour inculquer une culture des droits humains et une justice, pilier de la restauration de la paix sociale, reste encore assez long etparsemé d'embûches.

4 . Plaidoyer pour une justice prévisible et intégrale basée sur la vérité établie de

manière objective et transparente La situation qui prévaut aujourd'hui au Rwanda n'est pas favorable à l'avènement d'une justice transparente et impartiale pour les auteurs des crimes qui ont endeuillé et continuent d'endeuiller le pays. Il faut que soit entreprise une recherche impartiale de la vérité sur ces événements tragiques. La vérité doit éclater au grand jour et les personnes responsables de ces crimes doivent être identifiés sans détour ou compromission. Ceci demande de se départir de tout esprit de récupération de ces dramatiques événements à des fins politiques, d'abandonner la globalisation et l'amalgame pour privilégier une recherche objective des responsabilités individuelles et non jeter le discrédit sur un groupe social identifié comme responsable collectivement des crimes commis.

L'on sait que ces événements tragiques avaient un mobile politique qui n'a été atteint que grâce à la conjonction d'un certain nombre de facteurs. Il en est ainsi des préjugés anciens entretenus par la colonisation, le féodalisme et des luttes de clan orchestrées par l'appétit du pouvoir. Il s'y est ajouté le fait d'un pouvoir en mal de légitimité et aux abois qui lorgnaient son maintien en se servant de l'alibi ethnique, de même que l'extrême pauvreté et misère qui vulnérabilisaient la population une fois que certaines autorités sans scrupules leur faisaient miroiter des avantages

indus qu'ils pourraient tirer de l'élimination de l'autre. Tout ceci s'est déroulé dans un climat social fragilisé par l'invasion du pays par le FPR dès Octobre 1990.

Il est impératif que la vérité intégrale sur les causes du génocide et des autres crimes contre l'humanité commis au Rwanda soit connue. Cet exercice difficile qui consiste à interroger objectivement les faits pour établir la vérité ne doit pas être abandonné à ceux qui voudraient en trafiquer les résultats en propageant des versions non corroborées par des enquêtes indépendantes. Aussi, les instances internationales ad hoc pourront-elles faire la lumière sur ces événements dramatiques qui ont saccagé le pays.

Il en va ainsi du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), créé par le Conseil de Sécurité des Nations-Unies pour juger les personnes présumées responsables d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda ou sur le territoire d'Etats voisins, entre le 1 janvier 1994 et le 31 décembre 1994. Jusqu'à présent, les poursuites du TPIR n'ont visé que les personnalités de l'ancien régime. Mais le TPIR se doit, sous peine de perdre sa crédibilité et sa neutralité, de poursuivre aussi les crimes de guerre commis par l'armée du FPR, actuellement au pouvoir à Kigali. En effet, la documentation en la matière existe(5) et le TPIR devra s'affranchir des pressions politiques qui pèsent sur lui pour mener à bien toutes les poursuites qui entrent dans la sphère de sa compétence.

Il est à espérer également que tant la Commission des Nations-Unies(6) chargées d'enquêter sur le rôle des Nations-Unies avant et pendant le génocide de 1994 au Rwanda et la Commission de l'Organisation de l'Unité Africaine chargée d'enquêter sur le génocide et les autres crimes commis au Rwanda(7) parviendront à faire connaître la vérité sur les causes de la tragédie au Rwanda.

Le fait de reconnaître la vérité des faits et d'accepter d'assumer sa part de responsabilité permettra une recherche objective des solutions justes et équitables capables d'aider à résoudre le tissu social et d'espérer une paix durable pour le peuple rwandais.

 

 

* Faustin NTEZILYAYO était Ministre de la Justice du Rwanda d'octobre 1996 à janvier 1999. Il réside présentement au Canada.

(1) L'Assemblée Nationale de Transition est un organe législatif dont les membres ne sont pas élus, mais cooptés parmi les membres des bureaux politiques des partis politiques placés sous la houlette du Front Patriotique Rwandais (FPR).

(2) La Commission était constituée par des représentants des organisations des droits de la personne suivantes: Human Rights Watch (New York), Fédération Internationale des Ligues des Droits de l'Homme (Paris), Centre International des Droits de l'Homme et du Dévéloppement Démocratique (Montréal) et Union Interafricaine des Droits de l'Homme et des Peuples (Ouagadougou).

(3) Voy. not. Amnesty International - Rapport 1999, Rwanda, pp. 321 à 324; Human Rights Watch

World Report 1999: Rwanda, Human Rights Development; U.S. Department of States. Rwanda Country Report on Human Rights Practices for 1998, February 26, 1999; Rapport de Human Rights

Watch: Leave None To Tell The Story. Genocide in Rwanda, March 1999, rédigé par Alison Des Forges.

(4) Voy. Human Rights Watch/Africa et Fédération Internationale des Ligues des Droits de l'Homme, "République Démocratique du Congo: Ce que Kabila dissimule. Massacres des civils et impunité au Congo, Octobre 1997, vol. 9, nš 5 (A); Garreton Roberto, Rapports de la situation des droits de l'homme au Zaïre, 28 janvier 1997, 2 avril 1997, 2 juillet 1997 et 17 novembre 1997.

(5) Voy. not. HRW, Leave None To Tell The Story, p. 692 et pp. 701 à 735.

(6) La Commission des Nations-Unies chargée d'enquêter sur le rôle des Nations-Unies avant et pendant le génocide de 1994 au Rwanda a été mise en place par le Secrétaire Général desNations-Unies. Elle est présidée par M. Ingvar Carlsson, Ancian Premier Ministre de Suède et a comme autres membres le Général-Major Rufus Kupolat (Nigéria) et M. Han Sung-Joo, Ancien Ministre des Affaires Etrangères de la Corée du Sud.

(7) Approuvée en février 1998 par la 67e Session du Conseil des Ministres de l'OUA, la Commission de l'Organisation de l'Unité Africaine, chargée d'enquêter sur le génocide et les autres crimes commis au Rwanda, est présidée par Sir Ketumile Masire, Ancien Président de Botswana et a comme autres membres: Général Amadou Toumani Touré, Ancien Président du Mali; M. Mohamed Bedjaoui, Juge et Ancien Président de la Cour Internationale de Justice (Algérie); Mme Ellen Johnson Sirleaf (Libéria); Mme Lisbet Palme (Suède); M. Bagwati, Ancien Président de la Cour Suprême de l'Inde; et M Stephen Lewis, Ancien Directeur Exécutif Adjoint de l'UNICEF (Canada).