SAKE, bière de riz

 

Gaijins éthyliques, maison "de thé" à Yokohama. Issen Yoshikazu, 1868

 

Incolore, sans mousse et ne pétillant pas, titrant entre 10 et 20 degrés alcooliques, c'est la bière la plus forte du monde. Il n'entre aucun processus de distillation dans l'élaboration du saké.

Le saké dégage un fort parfum de grain, piquant et acide qui contraste avec une saveur très douce, fruitée. Le goût du saké variera selon les producteurs, les levures et la qualité du riz employé.

Traditionnellement, le saké est chauffé au bain-marie à une température de 40 °C et servi dans de petites coupes appelées sakazuki ou guinomi. Le chauffage lui fait perdre toute acidité ou astringence. Mais un saké réchauffé doit être immédiatement bu, ou ne servira qu'à la cuisine.

On utilise le "koji", une variété spéciale de riz dont le cœur est plus riche en amidon dense que le riz alimentaire. Le grain est riz est décortiqué et ses couches superficielles sont ôtées, ce qui le débarrasse des protéines et des sels minéraux qui pourraient donner un mauvais parfum au saké. Il est étuvé puis mis à fermenter dans des vasques contenant des milliers de litres d'eau. Traditionnellement, le mélange s'ensemence naturellement grâce aux levures présentes dans l'air. Aujourd'hui, comme pour le vin, des ferments sélectionnés sont ajoutés, ce qui élimine tout risque de mauvais goût mais standardise la production.

Dans des fermentations classiques, les premiers microorganismes disparaissent peu à peu, intoxiqués par les produits de fermentation qu'ils ont secrétés. Puis ces produits sont ensuite utilisés par d'autres microorganismes. C'est ainsi que le sucre de raisin devient du vin, dont l'alcool pourra ensuite être transformé en vinaigre. Dans le saké, deux processus ont lieu en même temps : la dégradation de l'amidon en sucre et la transformation du sucre en alcool, de sorte que le taux d'alcool final est exceptionnellement élevé. Après fermentation, le saké jaune est décoloré avec du charbon actif puis laissé à mûrir jusqu'à six mois au frais et à l'abri de la lumière.

 

Le garde du corps, Kurosawa,  copié par S. Leone

 

Il semble selon des écrits de l'époque de Nara (VIIIème siècle), que les japonais élaboraient primitivement le saké d'une manière assez peu ragoûtante : on parlait de "kuchikami no saké", littéralement de saké mastiqué... La qualité supérieure s'appelant "bijinshu", saké de beautés, était produite par de jeunes vierges. De l'autre côté du Pacifique, les indiennes des Andes préparaient la Chicha de maïs en mâchant des grains et en les recrachant dans un récipient contenant de l'eau. Les enzymes de la salive attaquent l'amidon des grains broyés et le transforment en sucre qui fermente en alcool.

Une forme moderne du saké est réputée avoir été découverte accidentellement. Un récipient de riz aurait été oublié par un serviteur négligent. Il se serait couvert de moisissures, mais pas jeté pour autant par le serviteur décidément paresseux. Au bout de quelques semaines, le magma se serait liquéfié et transformé en saké... C'est, quasiment le mythe originel du fromage de Roquefort : un berger abandonne une tartine de fromage frais dans une grotte, sans doute pour récupérer une bête égarée, ou pour conter fleurette à une accorte bergère. Quelques semaines plus tard il repasse par hasard dans la grotte, retrouve son en-cas oublié, couvert de moisissure bleue. Poussé par la faim ou par une géniale intuition, il goûte...

Dans tous les cas, ce saké n'était pas une boisson, mais une sorte de bouillie peu alcoolisée : on n'utilisait pas le verbe "boire" mais le verbe "manger" pour désigner la consommation de ces deux formes de saké.

 

Pots à Saké, armoieries du XIXème siècle

 

C'est à l'époque de Heian (actuelle Kyoto), qui débuta en 794, que le saké connut une nouvelle méthode de fabrication : on commença à séparer la pâte et le liquide en laissant s'égoutter le mélange dans un linge suspendu au dessus d'une bassine, voire en l'écrasant dans une presse.

Du Saké de Kibi
qu'a bien voulu m'envoyer
mon vieil ami
si m'enivre serais marrie
me donnera-t-il un makisu.

Poème que la princesse de Nihu envoya au sire d'Ôtomo, recueilli dans le "Man Yôshû". (POF édition). Le traducteur, René Sieffert, indique qu'un makisu est une sorte de corbeille de bambou. Inutile de préciser son usage en cas d'ivresse. Cela fait penser à ces films antialcooliques de G. Jugnot : "tu t'es vu quand t'as bu"?

 

 

Boisson indigène, à la différence du thé introduit de Chine, le saké est traditionnellement lié aux dieux du Shintô (C.F. la partie historique), à la guerre, aux actions d'éclat.

Le dieu Susanoo inconsolable de la mort de sa mère Izanami brûlée vive après avoir enfanté du dieu du feu, troubla l'harmonie du royaume divin et poussa sa sœur, la déesse solaire Amaterasu, à se réfugier dans une grotte. Leur père, le dieu Izanagi, exila le trublion sur la première terre apparue, Izumo, sur la mer du Japon, à l'ouest de Kyoto. Le serpent géant Yamata no Orochi ravageait alors la région. Il était doté de huit têtes, huit queues et d'un corps couvert de mousse, de cèdres et de cryptomères s'étendant sur huit vallées et huit collines. Pour sauver de son appétit une vierge, dernière survivante des huit filles d'un couple royal, Susanoo fit élaborer un saké fermenté huit fois et construire une haie percée de huit portes. Derrière chaque porte il disposa un tonneau de saké. Le serpent s'enivra, Susanoo le tailla en morceaux et découvrit une épée dans le cadavre monstrueux dont il fit don à sa sœur.

De nos jours, tous les dieux du Japon continuent à se rendre à Izumo le dixième mois de l'année rituelle, Kaminazuki, le "mois sans Dieux ". Mais il existe d'autres hypothèses sur l'étymologie de ce nom, ce serait "le mois où l'on fermente le saké ".  

 

  Ishikawa, la vengeance d'un acteur

 

Vers 1330 le moine moraliste Urabe Kenkô dénonçait les excès : l'ivresse fait perdre tout maintien, fait rire vulgairement les femmes, pousse à danser et à chanter à tue-tête, et fait même gambader et contorsionner un vieux bonze ! 

" En toute occasion on commence par offrir du saké, et on croit qu'il est amusant de forcer les invités […]. Ainsi, le saké me paraît détestable ; cependant, dans certaines occasions, boire une coupe parait comporter un attachement naturel. Par une nuit de lune, par un matin de neige ou au pied d'un arbre fleuri, pendant une paisible conversation, on sort les coupes. "

Urabe Kenkô, les heures oisives

 

 

 Il existe une variété de saké doux, peu alcoolisé, que l'on permet aux enfants, en particulier durant les nuits sans lune à l'époque de la fête des poupées.

hina-matsuri, fête des poupées.

 

"De la nuit obscure

le vendeur de sake blanc

se souvient nostalgique"

Shikô (in Bashô, "le faucon impatient")

 

 

On célèbre encore aujourd'hui les kiku-en, banquets de riz et de châtaignes cuites arrosés de saké au chrysanthème. Le onzième mois, on fait boire du saké aux tout-petits pour leur assurer une bonne santé ! Les temples reçoivent traditionnellement des tonneaux du breuvage divin. Enfin, lors de la fête des forgerons, dans la plus pure tradition shintoïste, la machine la plus dangereuse d'une usine sera ornée d'un plateau chargé de riz, de mandarines et de saké.

 

 

 

Dans ma coupe de sake

Elles ont fait tomber de la boue

Les hirondelles

Bashô

 

 

 

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