BECK Au Zénith de Paris, le 29 Mars 2000 (par Marianne)

Un ange à notre table

Le 29 mars au soir, après avoir suivi une lente procession sur les dalles bétonnées qui mènent au Zénith, on a craint que le toit de la salle nous tombe sur la tête…et c’est un ange blond qui a fait tourner nos têtes.

Du haut de son mètre soixante-dix, le frêle Beck Hansen a succédé à Beth Orton, dont les notes de Folk semblaient se perdre dans une grande chambre froide face à un public un peu ingrat et distrait.

En déboulant à toute vitesse dans son tee-shirt rouge et blanc flanqué d’un 88, Beck a transformé ce frigidaire géant en un cocon douillet. Sans les artifices d’un décor psychédélique pour nous rappeler le chaos extérieur, on se serait cru projetés dans la chambre d’un pote invités à écouter ses dernières mélodies maison, tant il a dégagé très vite une chaleur rassurante. C’est pourtant un vrai show que Beck et ses musiciens nous ont livré, avec un vrai décor (des gros tubes joignant le sol au plafond, un synthétiseur surélevé par un énorme ressort, une boule disco et des lumières de boîte de nuit), de vrais costumes (un musicien arborant une cape rouge, des couleurs vives et des paillettes façon disco) et surtout, une bande de musiciens très soudés. En somme, un vrai concert comme on a perdu l’habitude d’en voir.

Avons-nous besoin d’un concert pour être rassurés quant au génie créatif de Beck ? Non, bien sûr, mais cela confirme que le Californien a conservé intactes l’insolence et la rage inconsciente propres au débutant et surtout, sa boulimie du plaisir ; plaisir, maître mot de notre maître chanteur…Plaisir de danser comme un fou et de nous faire danser, plaisir d’alterner les sauts retombés en grand écart, les déhanchés façon James Brown et les danses hip-hop, ou encore des attitudes plus spontanées proches de l’esprit punk.

Il semble que rien ne soit laissé au hasard dans son jeu de jambes et ses déplacements éclairs, mais on le sent pourtant totalement relâché et libre, presque primitif. En fait, Beck se fout pas mal d’être une star –malgré lui, mais star quand même-, il n’est pas blasé d’un succès qu’il a toujours considéré comme une mauvaise blague et il n’est pas près ni de se leurrer ni d’être aveuglé naïvement par tout ce strass…Il n’y a qu’à le voir s’amuser comme un môme, jongler avec aise et faire monter la sauce : un petit coup de folk (Lord Only Knows ?), une lichette de funky (Beercan), une ballade acoustique avec harmonica (One foot in the grave), du grunge/punk détourné (Minus) ou du grunge plus cool (le magnifique Pay no mind), du Rap (Novacane, morceau qui révèle toute sa dimension sur scène) ou enfin, des faux airs brésiliens un rien bossa (Tropicalia).

Le but recherché n’est pas tant la musique, mais le vertige que lui inspire l’infinité de ses combinaisons, la jouissance qu’il retire de l’absence de limite. On pourrait prendre sa boutade au sérieux : s’il délaissait un jour la musique -pour notre plus grand malheur-, il pourrait se tourner vers d’autres passions, par exemple la cuisine.

Le concert de ce soir à l’instar de sa discographie, a été un patchwork intelligent et rassurant pour ceux qui le suivent depuis des années : les albums O’Delay, Mellow Gold et Mutations n’ont pas été lésés, notamment grâce à une série superbe de chansons acoustiques ; laissé seul au milieu de la scène, Beck nous a servi une très belle version de Nobody’s fault et de Dead Melodies, titres de l’album Mutations, une collection de ballades composées pour plaire à sa belle…cette série n’était pas de trop car il excelle particulièrement dans ce genre qui a en outre l’avantage de plaire aux filles !

Non, décidément, ce n’est pas ce soir que nous serons déçus ; Beck ne s’est pas travesti en un Petit Prince passé à l’eau de javel malgré son pantalon à paillettes enfilé pour la deuxième partie, il n’a pas non plus délaissé ses bruits de casseroles pour une musique cheap et clinquante et il n’a pas troqué ses boucles folles contre une coiffure de golden boy…

C’est ainsi que Beck nous (me) plaît : il peut être vêtu d’un jean, seul et sans artifice (sans tête de veau sur la tête !), sa voix et sa guitare tiennent le public suspendu à ses mélodies, tel le sage chanteur folk, l’insolence en plus.

La suite a été nettement plus énergique avec des titres du dernier Midnite Vultures, notamment Milk and Honey et Debra pendant lequel Beck s’est allongé sur un lit drapé de satin rouge miraculeusement tombé du ciel, mimant la plainte de l’amoureux qui se languit. Il a ensuite réveillé et fait danser l’ensemble du Zénith avec ses rythmes funk et n’a pas eu besoin d’insister pour nous faire battre la mesure avec les mains sur Where it’s at ("just clap your hands !…").

Beck sait y faire, son charme exerce un véritable pouvoir bienveillant ("I’m a mild dictator" -je suis un dictateur à la cool- a t’il avoué à B.Lenoir sur les antennes de France Inter le 8 novembre 1999) et il fait ce qu’il veut de la foule pourtant hétéroclite (du quadragénaire cool aux étudiants sages en passant par les midinettes branchées). Il a même demandé aux premiers rangs de calmer les remous ("je n’aimerais pas qu’il y ait des blessés…"). Ouf, nous voilà donc à des kilomètres des vieux clichés issus du rock viril, de la star froide et lointaine trop sûre de son petit effet, ou des punks se lançant des tessons de bouteille dans les yeux pour affirmer une prétendue complicité avec le public !

Une de ses prouesses est de ne pas verser dans le plagiat facile, or son style est incroyablement casse gueule : à force de récupérer, de mélanger, de remuer le tout et de le couvrir de sa sauce personnelle, il pourrait tomber dans le second degré ou l’ironie prenant le risque de ne pas être pris au sérieux. Or il a SON style et finalement beaucoup de cohérence ("mes fans savent qui je suis"). Qui oserait copier Beck ?

Après deux heures d’une démonstration de plaisir pur et de danse, cet exercice de grâce s’achève en une apothéose : le très énergique Devil’s haircut laisse place à un vacarme insensé, les musiciens simulent une guerre apocalyptique au ralenti puis s’éclipsent lentement à l’intérieur des tubes posés sur la scène, alors que notre blondinet s’enfonce dans un tube la tête la première, laissant un public pantois et très enthousiaste (les visages ne mentent pas).

Le Chérubin est retourné aux cieux, jusqu’à une prochaine visite…

Quant à nous, pauvres humains, il ne nous reste plus qu’à nous engouffrer la tête la première dans un autre tube (souterrain) après avoir repris connaissance. Désormais, qu’importe ce qui nous arrive, un ange veille sur nous…

 

(Un grand merci àMarianne)

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